Il a démarré en 2007 avec son groupe Minitel Rose, officié plus tard sous le pseudo Pégase, créé à 22 ans son label Futur Records, monté le studio La Maison du Futur en 2016 (devenu Futur Studio en 2021), tout en produisant pour des spot publicitaires (Louis Vuitton, Maison Margiela, Hermès). Et puisque rien ne lui suffit, il produit également pour divers artistes comme Pongo, Jaïa Rose ou encore Mou. Découvrez ce qui se cache derrière le son de Raphaël D’Hervez.
Salut, est-ce que tu peux te présenter rapidement ?
Bonjour, je m’appelle Raphaël d’Hervez, j’ai 36 ans, je suis réalisateur artistique, arrangeur, compositeur, ingénieur du son et DJ. Je travaille au Futur Studio à Nantes où j’ai également créé le label Futur Records en 2008 avec Quentin Gauvin.
Comment es-tu arrivé dans la musique ? Quel est ton parcours ?
J’ai grandi dans une famille de musiciens où j’ai commencé à faire de la musique très jeune. J’ai sorti mon premier disque en tant que musicien en 2008 sur mon propre label. C’était la grande époque des blogs et de MySpace, les choses sont allées assez vite et nous avons eu la chance de faire le tour du monde tout en restant indépendants. Comme le premier disque du label avait bien marché, nous avons commencé à signer de jeunes groupes autour de nous. On venait du DIY, alors au début j’aidais un peu les groupes à s’enregistrer, je les aidais à produire leurs chansons, à passer de la maquette au produit fini. J’ai appris de cette manière, en donnant un coup de main aux groupes de mon label tout en développant mon projet solo Pégase en parallèle. Au début on n’avait pas vraiment de lieu, donc on enregistrait où on pouvait, c’était souvent à l’arrache, avec les moyens du bord. J’ai commencé à être sollicité par des groupes indés qui ne faisaient pas partie de mon label, puis au fil du temps par d’autres labels et des maisons de disques ont commencé à me contacter. J’ai démarré ensuite la réalisation, vers 2011, en parallèle de mes projets de musicien, mais j’ai véritablement monté mon studio en 2016. Aujourd’hui j’ai laissé un peu de côté ma carrière de musicien, car j’adore travailler pour d’autres artistes et ça me prend beaucoup de temps, mais j’ai hâte d’enregistrer un nouveau disque quand le moment sera venu.
Actuellement, quelle est ta principale casquette ?
Mon activité principale est la réalisation artistique, l’enregistrement et la production. Il y a aussi le mixage, car je mixe souvent les projets que je travaille, mais pas toujours, au début je le faisais plus ou moins par défaut, car j’ai appris le mixage un peu tout seul. Aujourd’hui on me demande de plus en plus de faire du mixage, même pour des projets que je n’ai pas réalisés, mais j’ai mis du temps avant d’être vraiment à l’aise. Il m’a fallu pas mal d’années pour prendre de l’expérience, faire des erreurs et surtout trouver la bonne configuration. Je fais aussi un peu de musique à l’image, mais seulement quand l’occasion se présente et quand je le sens bien.
Tu bosses où ? Quelle est ta configuration ?
Je travaille au Futur Studio à Nantes depuis le mois de février 2021. Il y a une cabine de 20m2 et une salle d’enregistrement de 20m2 également, les deux pièces communiquent avec une fenêtre. J’ai une configuration hybride analogique et numérique qui a pas mal évolué ces dix dernières années. En enregistrement j’utilise un clone de Trident 80b, la dernière version de la console Toft Audio Designs ATB 16 sur laquelle j’ai en plus 8 préamplis externes (Universal Audio Solo 610, Neve 1073, etc.), ce qui fait 24 pistes en simultané. J’utilise un convertisseur Antelope Audio Orion 32 qui est raccordé à trois patches modulaires. Toutes les machines du studio peuvent être câblées entre elles en quelques secondes. Pour le mixage, j’utilise une autre console depuis un an : une AMS Neve 8816 en rack. J’ai aussi pas mal de périphériques externes, principalement des compresseurs et des EQ, mais aussi plusieurs effets dont les mythiques Roland RE-201 Space Echo ou encore le Chorus Ensemble Boss CE-1. Je travaille sur Logic Pro avec un processeur externe UAD Satellite, j’utilise deux écoutes : une paire de Dynaudio BM15A et des Genelec 8020 qui sont reliées à un Presonus Monitor Station 2. J’ai beaucoup de micros dont une paire de Neumann U87, une paire de Beyerdynamic M 160, un Sennheiser MD 441, un Electro-Voice RE20, tout un kit particulier pour la batterie, etc.
Il y a beaucoup d’instruments au studio, car c’est avant tout un lieu de création. On y trouve une quinzaine de synthétiseurs, un piano droit Yamaha U2 motorisé, un Yamaha CP-80, un Fender Rhodes MK1, plusieurs orgues ainsi que des guitares, basses, amplis, une batterie, des percussions et quelques instruments de musiques traditionnelles. J’utilise une troisième petite console pour certains claviers, une Akai Professional MG 614 et un enregistreur à bandes Revox B77. Le studio est conçu à mon image, j’ai beaucoup de passion pour les machines de l’ère analogique, mais j’ai aussi grandi avec l’avènement des DAW en pleine ère numérique. Je suis né entre les deux générations et pour moi c’est une vraie chance. Il y a des instruments et des machines analogiques que je ne pourrais jamais remplacer et à l’inverse il y a des outils modernes dont je ne pourrais plus me passer.
Quelle est ta pièce hardware favorite ou celle que tu utilises le plus et pourquoi ?
Ma pièce de hardware favorite au studio est le synthétiseur Moog One 16. J’ai utilisé beaucoup de synthétiseurs analogiques et celui-ci est un des plus complets et impressionnants que j’ai eu la chance de posséder. J’utilise beaucoup l’ampli Roland JC-160, j’ai d’autres amplis, mais celui-ci est incroyable autant sur les claviers que sur une guitare ou même une basse. Il a le défaut d’avoir pas mal de souffle, mais il a aussi le plus beau vibrato et chorus analogique intégrés que j’ai pu entendre.
Ton TOP 3 ?
Après le Moog One, mon top 3 est :
- Mon piano droit Yamaha U2 de fabrication japonaise qui est complètement motorisé et contrôlable en midi. Les touches qui bougent toutes seules font toujours beaucoup d’effet.
- L’Empirical Labs Fatso qui est un compresseur analogique qui imite la compression à bande. C’est assez magique, je m’en sers beaucoup en compression parallèle.
- Le synthétiseur Yamaha CS-50, c’est le petit frère du célèbre Yamaha CS80, la principale différence c’est qu’il n’a que quatre voies de polyphonie. J’ai la chance d’avoir un modèle disposant de la connectique MIDI, ce qui est très rare, car c’est un synthétiseur de la fin des années 70. Il est assez difficile à accorder, mais il a un son vraiment magique et très singulier. Ses sonorités sont toujours un peu différentes d’une session à l’autre, on dirait que ce synthétiseur est vivant !
Quel est ton plug-in favori ou celui que tu utilises le plus et pourquoi ?
Je ne saurais pas dire quel est mon plug-in favori, c’est la combinaison entre différents plug-ins qui me plaît et qui arrive à me surprendre. Je travaille depuis longtemps avec UAD ou encore Soundtoys, j’apprécie également les séries de Fabfilter ou Waves en complément de mes périphériques analogiques. Le plug-in que j’utilise le plus est peut-être Filterfreak de Soundtoys, j’ai pourtant plusieurs filtres analogiques Moog ou encore le Akai Professional MFC 42 qui est stéréo, mais j’apprécie beaucoup le Filterfreak.
Ton TOP 3 ?
Mon top 3 est :
- La série Goodhertz, j’aime la folie qu’il y a dans ces plug-ins, on sent bien l’héritage DIY, j’ai retrouvé le son de mes premiers samplers.
- J’aime beaucoup les réverbes chez UAD, j’ai retrouvé les grands effets de mes albums préférés.
- La série Soundtoys, c’est pour moi une des premières compagnies à être vraiment allé à contre- courant du côté très clinique et très propre du début des plug-ins.
Quel est, selon toi, le hardware ou software le plus sous-estimé et pourquoi ?
Je pense que le synthétiseur DeepMind 12 de Behringer est sous-estimé, j’aurai adoré avoir ce synthétiseur à mes débuts. Je ne le possède pas, mais j’ai eu le plaisir de l’essayer à sa sortie et je trouve que pour le prix c’est un super synthétiseur. Je ne suis pas un inconditionnel de la marque, je trouve qu’ils manquent un peu d’innovation, mais le Deepmind 12 est pour moi une réussite.
En software sous-estimé je pense au sampler interne de Logic Pro, je l’utilise depuis longtemps, car j’adore créer des sons à partir de samples et je le trouve très réussi. Je travaille également avec Kontakt, la possibilité de faire du codage est vraiment pratique, mais je reste tout de même attaché au sampler de Logic Pro.
Quel est l’instrument ou toute autre pièce hardware que tu rêves de t’offrir ?
Il y a quelques années j’aurais probablement cité une grosse console type SSL, mais aujourd’hui j’aime tellement ma configuration que j’aurais du mal à la changer, ce serait trop de maintenances, trop d’encombrement avec des recall trop complexes pour ma manière de travailler. Je possède pas mal de clones de préamplis Neve que j’adore, même si un jour j’aimerais les remplacer par les originaux chez AMS-Neve. Je suis également attiré par les moniteurs de la marque Barefoot Sound, mais c’est une marque qui est peu diffusée donc c’est difficile de pouvoir les tester.
Est-ce qu’il y a un conseil ou autre que tu as reçu un jour et qui a changé ta façon de voir ou de faire les choses ?
Il n’y a pas vraiment un conseil en particulier qui m’a marqué, car j’aime réussir et rater les choses par moi-même, à mon rythme, j’aime remettre les choses en question. Par contre, il y a un moment qui a été très important pour moi, c’est le jour où j’ai vraiment su que je voulais monter un studio. J’ai eu la chance de travailler quelque temps au studio Motorbass et de rencontrer Philippe Zdar. Il avait terminé quelques mois avant l’album Wolfgang Amadeus de Phoenix, on sentait encore l’énergie de ce disque dans les murs. C’est un studio qui m’a beaucoup impressionné, par sa folie technique, mais également par sa beauté. Je suis très sensible à mon environnement, j’ai besoin que mon lieu de travail et mon lieu de vie soient inspirants. J’étais seulement musicien quand j’ai fait cette rencontre et c’est vraiment ce moment-là qui m’a donné l’envie d’aller plus loin en évoluant vers la réalisation artistique, le mixage et la création d’un studio.
Est-ce que toi tu aurais un conseil à donner ?
Le seul conseil qui me vient ce serait de ne jamais se brider, de ne rien s’interdire. La plupart des grandes innovations sont des accidents alors il faut savoir les provoquer et se mettre en danger. C’est peut-être aussi pour ça que j’aime beaucoup le hardware, c’est pour tous ses défauts et, car les accidents sont plus rares in the box. Il faut quand même trouver le bon équilibre, il ne faut pas se rendre esclave d’une configuration trop complexe ou qui nécessite trop de maintenance. Quand j’ai plusieurs idées qui me viennent en même temps, j’ai besoin que mon set-up soit performant, car je ne dois pas être freiné sinon je risque de perdre mes idées en route. Mais c’est un avis hyper subjectif, la meilleure configuration c’est celle qui est faite pour soi. On peut faire des choses incroyables avec pas grand-chose. J’ai beaucoup de matériel, car je veux pouvoir proposer différentes alternatives aux artistes avec qui je travaille, je ne veux pas que tout le monde sorte du studio avec le même son. Si j’avais un studio juste pour moi, j’aurais probablement cinq fois moins de matériel, ça me suffirait largement.
Quelle est ta plus grande fierté ?
En 2016, une de mes chansons a été diffusée dans l’espace par Thomas Pesquet. J’ai mis plusieurs jours à réaliser, c’était le plus beau cadeau qu’on pouvait me faire. C’est quelque chose que j’avais à peine osé rêver, depuis que c’est arrivé j’ai l’impression qu’il ne pourra pas vraiment m’arriver quelque chose de plus incroyable. C’est vraiment ma plus grande fierté ! En tant que réalisateur, c’est quand j’ai commencé à sortir mes premières productions pour Pongo et qu’on a eu une super chronique sur Pitchfork, j’ai été très fier aussi, car c’est un média que je respecte beaucoup.
Quels sont tes projets, dans un futur proche ou éloigné ?
Je travaille sur beaucoup de projets en ce moment, je suis en train de réaliser le premier album solo de Mattyeux (Matthieu Reynaud du groupe Videoclub), dont le premier single sort dans quelques jours. Je réalise également l’album du chanteur sénégalais Lass (chanteur de Voilaaa et Synapson). J’ai aussi la chance de produire des artistes émergent·es comme Charlie Pâle ou encore Jaia Rose. Du côté du label Futur, je suis en train de réaliser le nouvel album de Mou, je travaille aussi sur le prochain Ed Mount et je commence bientôt le premier album d’Antonin Pierre.
As-tu quelque chose à ajouter ou dont tu aimerais faire part à nos lecteurs ?
Vous êtes au bon endroit ! Je ne pourrais pas compter les centaines d’heures que j’ai passées sur Audiofanzine. J’ai appris beaucoup de choses, les forums m’ont aidé un nombre incalculable de fois et la moitié de mon matériel vient des petites annonces du site.
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