Il est tombé dans la potion magique quand il était petit, a appris les ficelles du métier et gravi les échelons une marche après l’autre. Ses 20 années d’expérience lui ont permis en 2017 de rejoindre les studios parisiens Translab, où il réalise depuis des masters et des gravures vinyles pour des artistes de styles variés. La liste de ses projets est longue comme le bras, il a pourtant su rester humble et généreux. Découvrez ce qu’il se passe derrière le son de Benjamin Savignoni.
Salut, est-ce que tu peux te présenter rapidement ?
Salut Pauline, je suis Benjamin Savignoni, j’ai 40 ans, je fais du son depuis 25 ans, je suis actuellement ingénieur du son mastering.
Si tu devais choisir 4 projets récents sur lesquels tu as travaillé, lesquels seraient-ils ? Et tu ne peux en choisir que 4 !
Bon, alors j’ai du mal à choisir, mais je dirais Heaven de The Avener, Detail de Koba LaD, Métamorphose de Vendredi sur Mer, et Brother Of Strings de Duplessy and the Violins of the World. Je pense que c’est un panel qui montre plusieurs facettes de mon travail.
Comment es-tu arrivé dans la musique ? Quel est ton parcours ?
J’ai eu le déclic à 14 ans en allant voir un pote jouer à l’Usine à Chapeau à Rambouillet avec son groupe. À l’époque, je commençais à jouer de la batterie et de la guitare dans des groupes locaux.
J’y suis donc retourné et suis devenu bénévole, j’étais hyper passionné, toujours au taquet, je me suis fait la main grâce à Laurent Lecoq le régisseur son de l’époque, il était bon, hyper pédagogue et patient, il m’a fait confiance et m’a vite laissé la main. J’ai donc commencé à sonoriser des groupes dans les salles de concert du coin, à faire des petits boulots pendant les vacances scolaires pour me payer mes premiers micros. Je me suis équipé progressivement avec du matos de base, j’ai continué à apprendre par moi-même en enregistrant mes premières démos, albums etc … je me suis fait vite une petite réputation locale. Malheureusement, je ne pouvais pas faire d’école de son ou faire de stage dans les studios parisiens pour apprendre le métier, je n’avais pas vraiment le choix, il fallait que je gagne ma vie. Quelques années plus tard, j’ai créé une association avec mon ami Xavier Perrin. On a monté un petit studio itinérant, on a fait pas mal d’enregistrements et de concerts, et j’ai commencé à acquérir du savoir-faire et du vrai matos petit à petit. J’ai alors commencé à faire masteriser certains projets dans les studios de mastering parisien. Je faisais aussi des petits mastering maison avec les plug-ins de l’époque pour la plupart des artistes que je mixais, faute de budget. J’ai compris que c’était l’étape que je préférais. En 2007 je deviens le Technicien son – Régisseur Général du Secteur Musique Amplifiée de Montigny le Bretonneux (Saint Quentin en Yvelines). J’ai géré le studio d’enregistrement et les concerts pour leur Label, et j’ai participé à l’élaboration d’un centre culturel. C’est à ce moment que je me suis mis au mastering doucement, mais sûrement ! J’ai commencé à acheter mes toutes premières bécanes de mastering et je trainais beaucoup sur Gearspace et Audiofanzine bien sûr ! En 2014 j’ai déménagé à Paris et j’ai monté une petite cabine de mastering « Amplitude Mastering ». J’ai pu développer mon savoir-faire et concevoir un setup sympa. Je bossais alors sur des projets de plus en plus en plus sérieux. C’est à cette époque que j’ai décidé de contacter Translab, et après quelques rendez-vous et 3 années de patience j’ai débarqué en 2017 avec mon matériel et l’impression de jouer ma vie. Depuis, je me consacre exclusivement au mastering, et me voilà aujourd’hui !
Actuellement, quelle est ta principale casquette ?
Je suis Ingénieur mastering chez Translab. J’y fais beaucoup de mastering et de la gravure sur laque pour la production de vinyles.
Tu bosses où ? Quelle est ta configuration ?
Dans le Studio B qui est ma cabine de mastering personnelle chez Translab. Je bosse régulièrement dans le studio de gravure aussi.
Ma configuration est un setup de mastering assez étoffé. J’ai beaucoup de choix. C’est ce qui correspond à ma personnalité et c’est un aboutissement personnel. La conception d’une chaîne de mastering c’est long, ça prend des années. Les machines interagissent entre elles, il faut travailler sur des centaines voire des milliers de titres pour bien élaborer son setup et développer des stratégies. Un setup de mastering s’appréhende sur le temps long. Bien sûr je n’utilise jamais toutes mes machines en même temps, « Less is More », mais j’aime avoir une belle palette de textures afin de pouvoir personnaliser au maximum l’identité sonore des projets qu’on me confie. Voici donc mon set up de mastering: Je suis sur PC et je travaille principalement sur Wavelab et Pyramix. Ma carte son est une RME Audio HDSPe AES pour le routing digital. Pour la partie monitoring j’attaque donc en AES/EBU un Convertisseur DA (Digital vers Analogique) Forssell MADC-4 qui nourrit le Grace Design M905 (contrôleur de monitoring). Mon écoute principale est le système Full Range 4 voies du Studio B, il est fait sur-mesure pour la cabine, il est précis et hyper musical. J’ai aussi une paire de Genelec 1030. J’ai plusieurs casques : un HEDDphone, un HD 600 et un Focal Clear Pro. En ce qui concerne la chaîne de mastering j’ai pas mal d’options : j’utilise au choix 2 Convertisseurs DA pour entrer dans la console : le Forssell MADC-4 ou le Merging Technologies Hapi. La console de mastering est une Dangerous Music Master avec le SPL Hermes en mastering Insert Router. J’ai aussi 2 matriceurs mid-side supplémentaires : le SPL Gemini et un Dangerous Music Sum & Minus. Pour rappel un matriceur mid-side, permet d’utiliser le canal gauche d’un égaliseur pour travailler le centre du signal (M) et le canal droit les côtés (S). J’ai pas mal d’égaliseurs pour le Mastering : Knif Audio Eksa, Manley Labs Massive Passive, TubeTech HLT 2-AM, Fairman TMEQ, Ear 822, Dangerous Music Bax, ou Buzz Audio REQ 2.2 ME. Pour les compresseurs : Vacuvox U23-M Custom, Fairman TMC, Maselec MLA-4, API Audio 2500, ou Maselec MPL-2. À la sortie de la console, j’attaque au choix 3 convertisseurs AD : un AD-24–200 Savitr de Lavry Engineering, un Lavry AD122–96MKIII ou un Hapi de Merging Technologies. Et tout ça sans compter les plug-ins de FabFilter, iZotope (Ozone), Sonnox, Leapwing Audio, DMG Audio, Weiss Engineering, Tokyo Dawn Labs, etc.
Quelle est ta pièce hardware favorite et pourquoi ? Quelle est celle que tu utilises le plus et pourquoi ? Ton TOP 3 ?
Je dirais le Vacuvox U23m, c’est le dernier arrivé, ça sonne le feu ! Tout ce qui passe dedans sonne mieux, c’est une superbe machine. Il me fait aussi gagner du temps. J’ai travaillé longtemps avec Berry de Vacuvox et des confrères pour faire une version custom qui le rend encore plus polyvalent. L’étage d’entrée est idéal pour le “gain staging”, on peut bien doser le niveau du signal que l’on injecte dans les transfos et/ou dans les lampes, c’est très bien pensé. Je peux donc parfaitement doser ces 2 types de colorations en fonction des besoins du titre. Ensuite le compresseur est hyper musical, il permet de bien finir un mix très rapidement avec le juste équilibre entre la musicalité et le son. Enfin le dé-esseur est le plus fin et élégant que j’ai pu entendre, il n’est pas hyper précis comme peut l’être un plug-in, mais très musical. Le U23m peut faire le boulot de 2 ou 3 machines à l’étape du mastering. Grâce au U23m je peux parfaitement affiner le groove d’un titre et le son sans avoir à sacrifier un peu de l’un ou de l’autre. J’ai aussi le Fairman TMC, qui est un excellent compresseur aussi ! On ajuste le groove avec 3 potards grâce à cette machine, il y a 18 lampes, il est bluffant, il fait tout ressortir avec magie, c’est un magnifique compresseur de mastering ! Contrairement au U23m il ne tient pas le mix, mais le révèle plutôt, c’est une autre approche, je dirais donc ex aequo !
En deuxième position, je dirais le Manley Labs Massive Passive, c’est un des meilleurs égaliseurs au monde et sa réputation n’est plus à faire. Il a un son que je qualifie de chaud et crémeux. Je l’utilise exclusivement en boost, son médium est unique et extrêmement musical. Il ne faut pas le considérer comme un égaliseur précis, c’est plus un pot de peinture avec lequel on va mettre une peu de couleur ici et la.
Pour finir, je choisis les Dutch & Dutch 8C, ce sont des enceintes actives 3 voies. Elles ne sont pas au studio, mais chez moi dans mon salon. C’est probablement le meilleur investissement que j’ai fait ces dernières années. Ces enceintes de nouvelles générations permettent d’avoir un son presque digne d’un studio de mastering dans une pièce n’ayant pas ou peu de traitement acoustique, c’est vraiment impressionnant. Elles sont hyper précises et musicales. Ça me permet de prendre beaucoup de plaisir à écouter de la musique chez moi, et de faire des écoutes critiques si besoin.
Quel est ton plug-in favori et pourquoi ? Quel est celui que tu utilises le plus et pourquoi ? Ton TOP 3 ?
En 1 : le FabFilter Pro-L 2, ce limiteur déchire tout simplement ! Il n’est pas le limiteur le plus transparent du marché, mais il peut être hyper musical. Quand on sait bien le régler et quoi lui donner à manger alors il devient un outil très puissant.
En 2 : le FabFilter Pro-Q 3, incontournable ! Ce n’est pas très original, mais c’est un must have, il est hyper ergonomique, très efficace et hyper clean.
En 3 : le dé-esseur DS-1 Weiss de chez Softube. C’est pour moi le dé-esseur le plus transparent, facile à régler et très efficace.
Quel est, selon toi, le hardware ou software le plus sous-estimé et pourquoi ?
Reaper, parce que cette STAN est aussi performante que les autres gros standards. On peut tout faire avec, jusqu’au master DDP et le logiciel ne coûte que 30 € ! Sinon, les Genelec 1030, ça ne coûte pas très cher et c’est super. En plug-ins, les Tokyo Dawn Labs, il y a des versions gratuites qui sont top, le Nova par exemple est excellent !
Quel est l’instrument ou toute autre pièce hardware que tu rêves de t’offrir ?
En hardware je suis bien franchement, c’est déjà indécent ! Mais bon si un Ear 825Q passe dans le coin je pourrais bien craquer, c’est la seule machine que je regrette d’avoir revendu. Le Terry Audio CEQ à l’air bien sympa aussi.
Est-ce qu’il y a un conseil ou autre que tu as reçu un jour et qui a changé ta façon de voir ou de faire les choses ?
Un jour, un ami (Mickael Rangeard) m’a dit une chose que je trouve très vraie : un bon master ce n’est pas forcément un beau son. Et effectivement, faire sonner un titre ce n’est pas nécessairement faire un joli son. Pour caricaturer, si tu fais des aigus fins et soyeux et un bas ample à un groupe de Punk, tu ruines le titre ! Le Punk ça doit être plutôt agressif, punchy etc. C’est la musique qui prime, pas le son. Je fais de plus en plus de musique lors du mastering et de moins en moins de son. Ce qui m’importe le plus c’est la musicalité, je ne pense jamais en fréquence ou en dynamique, mais en musique et en groove. C’est comme ça que j’ y mets un peu de ma sensibilité musicale, ma personnalité, mon identité sonore et ma vision. Après il faut être clair et rester humble, le mastering c’est beaucoup moins important que le mix, on est là pour finaliser une oeuvre, l’idée c’est de vernir le tableau, mettre la bonne lumière et le présenter sous le meilleur angle. Alex Gopher m’a inspiré aussi, c’est mon voisin de cabine chez Translab et une référence incontournable du mastering français. Ses conseils, son expérience et sa lucidité m’ont permis de gagner en maturité et en assurance lors de mon arrivée chez Translab en 2017.
Est-ce que toi tu aurais des conseils à donner ?
Pour faire de la musique avec le son il faut une culture musicale et une culture du son, c’est indispensable. Il faut écouter beaucoup de musique, être curieux, ouvert d’esprits. Il faut aussi persévérer dans son apprentissage, ses efforts, toujours apprendre, ne pas rester sur ses acquis, se remettre en question régulièrement et avancer. Aussi, l’échec me semble utile à la réussite, sans échec on apprend beaucoup moins. On ne perd jamais avec cet état d’esprit, si l’on gagne on gagne, si on échoue on apprend et on progresse ! Je ne connais aucun ingénieur du son pro qui n’a pas une grande culture musicale et beaucoup de persévérance. J’aurai aussi un conseil en ce qui concerne le mix. Il est assez fréquent que des références soient utilisées pour donner une direction lors du mixage. Ces références sont cependant masterisées et donc souvent très compressées. L’idéal n’est donc pas de faire sonner le mix exactement comme la référence, mais comme le mix avant qu’il soit masterisé. Il faut donc trouver le juste équilibre, l’idéal étant de laisser un peu de vie au mix pour pouvoir avoir un peu de marge de manœuvre au mastering, mais pas trop non plus, car le mix ne serait alors plus suffisamment aboutit.
Quelle est ta plus grande fierté ?
Être un self-made-man ! Avoir appris par moi-même. Je n’ai pas une famille d’artistes, je n’ai pas fait d’école de son, je ne suis pas passé par la case stage puis assistanat dans les studios parisiens, je n’ai pas eu de mentor non plus. J’ai sûrement mis plus de temps, mais j’y suis et je compte bien y rester !
Quels sont tes projets, dans un futur proche ou éloigné ?
Continuer chez Translab, c’est une superbe maison, le premier studio de mastering français (fondé en 1976) et toujours une référence. Le cadre est magnifique, les studios sont superbes, et les collègues sont au top. Je me sens à ma place ici, pour le moment je ne bouge pas !
As-tu quelque chose à ajouter ou dont tu aimerais faire part à nos lecteurs ?
Faites-vous confiance. Faites confiance à votre écoute, il n’y a finalement pas vraiment de règle absolue dans le son et donc pas d’interdits tant que ça sonne ! Et même s’il y avait des règles, quand on touche à l’art c’est plutôt cool de les briser non ?
J’aurai aussi quelques remerciements : merci à ceux qui m’ont fait confiance, à mes clients et aux potes du métier, merci à Laurent Lecoq qui m’a transmis la fibre, merci à Translab : Claude Puterflam, Jean-Pierre Janiaud, Alex Gopher et Emanuela Gambardella pour leur accueil et leur confiance, déjà 5 ans, c’est que le début ! Merci à la famille, aux proches évidemment et Big Up à la confrérie ! On n’est rien ni personne tout seul. Et merci à toi et Audiofanzine pour l’invitation !
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Crédits photos : Hushman.