Après Grand Pianos, c’est Upright Pianos, la banque dédiée aux pianos droits, qui bénéficie du nouveau moteur audio de l’éditeur Synthogy. Revue de détail.
Des pianos, des pianos, oui, toujours des pianos… On continue, après l’Ivory II Grand Pianos (voir test ici), les Granny Piano, Bowed Grand Piano, Plucked Grand Piano, Emotional Piano et Montclarion Hall Piano de Tonehammer (test ici), le Alicia’s Keys de Native Instruments (voir test ici) et les Kawai Ex-Pro, Old Black Grand et autres 88 notes d’AcousticsampleS (voir test ici), avec la deuxième mouture de la banque Upright Pianos de l’éditeur Synthogy, dédiée aux pianos droits.
Lors de la sortie de la première version en 2008, l’éditeur avait fait forte impression, en proposant pas moins de quatre pianos, un récent Yamaha U5, un A.M. Hume datant de 1914, un Packard de 1915 et un Tack Piano du tout début des années 1900 (piano dont les marteaux sont garnis de clous ou de punaises à l’endroit frappant les cordes). 50 Go de contenu, plus de 5000 échantillons et jusqu’à 10 couches de vélocité, la majeure partie des formats d’instruments virtuels et une version standalone caractérisaient cette banque qui était l’une des toutes premières à se consacrer avec de tels moyens à l’instrument. Voyons ce que nous réserve la version II.
Introducing Synthogy Ivory II Upright Pianos
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La nouvelle version se présente sous forme de 12 DVD (prévoir un petit peu de temps d’installation…), offre une version standalone et des plugs AU, VST et RTAS du moteur Ivory II commun à toutes les banques de l’éditeur, le tout compatible PC et Mac, 32 et 64 bits. Le tout toujours autorisé via iLok.
On utilise l’application dédiée pour l’installation, l’Ivory Library Installer, installation ne présentant pas d’autre particularité que d’être longue. Une fois placée dans le dossier conseillé (Ivory Items), la banque propose les mêmes quatre pianos que ceux de la première version, mais considérablement augmentés, puisqu’on dispose maintenant de jusqu’à 16 layers de vélocité (nombre variant suivant les modèles) et de plus 84 Go de contenu…
On ne reviendra pas sur toutes les fonctions dont la majeure partie a été détaillée dans le test de l’Ivory II Grand Pianos (voir ici). Rappelons simplement quelques changements comme l’Harmonic Resonance Modeling, modélisation de la résonance sympathique des cordes, au rendu très réaliste. Chaque note tenue résonnera si une note en relation harmonique est jouée. Puis le Half Pedaling, qui permet de retrouver l’action d’une véritable pédale de maintien, sous réserve d’utiliser une pédale et un clavier compatibles. Ou encore Silent Key Vel qui donne la possibilité de définir une vélocité ne produisant aucun son, comme sur un vrai piano. Fonction particulièrement utile en ce qui concerne la résonance via la technique de jeu commune en musique contemporaine, consistant à plaquer un accord de façon muette et de le faire résonner en jouant d’autres notes en harmonie. Enfin, la fonction Tuning Table qui permet de programmer des accords maison, via messages Midi ou modification d’un fichier texte.
Comparaison Le tour d’horizon des pianos virtuels commençant à prendre de l’ampleur, plusieurs fichiers Midi type réalisés au fur et à mesure des premiers articles sont maintenant utilisables. On les retrouvera donc de test en test, afin de faciliter les comparaisons entre instruments et éditeurs. |
Tous les exemples illustrant l’article sont réalisés à partir des nombreux presets fournis, à l’exception de ceux utilisant un chorus. En revanche, EQ et réverbe interne sont sollicités, ainsi que les différents réglages de résonance, bruits de pédale et de touches, timbre, Timbre Shift et largeur stéréo.
Old Timer…
Commençons par le premier des pianos présentés (chronologiquement), le genuine tack piano, appelé par chez nous “piano punaise”, qui est selon l’éditeur, un piano datant des années 1900, pas tout à fait accordé, et dont les feutres ont été garnis de véritables punaises métalliques, dans le respect de la tradition.
Le Keyset, élément fondamental de l’instrument, peut offrir jusqu’à 10 layers de vélocité, avec un minimum de quatre, l’interface affichant, de plus, clairement le poids des échantillons dits “de base” et celui des échantillons de relâchement et de la pédale una corda. On peut aussi ne charger que les cinq couches hautes ou basses (en termes de vélocité).
Bien entendu, ce type de piano est à son aise dans le répertoire du cinéma muet, comme dans cet extrait de “Mysterious – Burglar Music”, issu du Sam Fox Moving Picture Music, Vol 1 de J.S. Zamecnik (domaine public) :
Ou dans les ambiances blues, bastringue ou boogie (extrait de “Triplets Bass Boogie” de Claude Bolling) :
Le piano, sans être le plus nuancé des quatre, offre quand même une belle présence :
Des variations de dynamique assez grandes (sachant qu’on peut adapter la courbe de réponse au clavier, ainsi que la plage dynamique) :
Et le passage des vélocités reste tout à fait appréciable :
On notera l’action de la résonance avec accord plaqué muet :
L’instrument se prête aussi aux passages plus intimistes, même si ce n’est pas sa destination première :
Sans oublier qu’il peut aussi être utilisé en musique classique (romantique ici) :
On peut être surpris, mais ce serait oublier que l’immense Glenn Gould avait demandé à Steinway de lui préparer un piano à punaise à partir d’un “petit” Concert, qu’il nomma “Harpsipiano”, et dont la sonorité se rapprochait effectivement du harpsichord, qu’il utilisa par exemple dans cette version enregistrée pour la télévision en 1960 du “Contrepoint 4” de L’Art de la Fugue de Bach. Notez le commentaire expliquant le son via les vieilles techniques d’enregistrement…
Pour finir, la reprise de l’hommage déjà utilisé dans les différents tests, utilisant deux occurrences du piano :
Loin d’être démodé ou seulement connoté western, ce type d’instrument a toujours eu sa place dans le rock ou la pop (voire le jazz, jusque chez Weather Report…), des Doors à Jon Brion. Sa présence au sein du bundle de Synthogy est donc bienvenue, et un outil créatif de plus à la disposition du compositeur.
Piano bar…
On continue avec un piano directement extrait de l’atmosphère enfumée du Cheers, un bar apparemment réputé de Boston. Le piano lui-même est quasi une pièce de musée, datant de 1915, soit 19 ans après que la firme Packard Piano & Organ Company ait mis des pianos à son catalogue. Les pianos de la marque étaient réputés pour leur très grande qualité de fabrication, ainsi que celle des bois utilisés.
Le piano échantillonné par Synthogy a été accordé dans un esprit “honky-tonk”, et affiche clairement une personnalité très marquée, moins métallique et resserrée que celle du Tack Piano, mais offrant quand même une attaque très particulière et bénéficie cette fois de jusqu’à 14 couches de vélocité.
Ce piano est lui aussi adapté au répertoire du cinéma muet, en reprenant “Mysterious – Burglar Music” :
Et bien sûr le boogie :
On entend dans l’exemple suivant son attaque un brin métallique :
Le nombre de layers permet plus de variations de dynamique :
Ce qui s’entend bien évidemment dans le passage des vélocités. On peut reprocher un saut trop brusque dans le bruit de mécanique sur les vélocités les plus fortes :
L’exemple suivant fait entendre l’action de la résonance avec accord plaqué muet :
Quand on ne l’attaque pas à forte vélocité, le piano offre un son très “brumeux”, “cotonneux”, qui donne une belle qualité à des ambiances nostalgiques ou douces :
Son utilisation sur une pièce de Rimsky-Korsakov n’est pas non plus dénuée d’intérêt :
Pour finir, le morceau utilisant deux pianos :
Les plus attentifs auront remarqué la présence sur certains exemples de bruits de craquements, de siège et autres “parasites” sonores. Il s’agit du layer Cleaks and Crunks, et sa déclinaison Random Creaks and Clunks, qui peuvent être activés dans la partie Synth Layer, et donc pour chaque piano (y compris les Grand. Un Bösendorfer qui couine, ça n’a pas de prix…). Sur les 88 notes du clavier, on dispose ainsi de tout un ensemble ajoutant au réalisme (voire à l’hyper-réalisme, dans le même sens que celui de l’illustration, c’est-à-dire une fausse vraie réalité…). Certains ne couvrent qu’une seule touche, d’autres ont été resamplés sur plusieurs notes :
On peut détourner ces échantillons, pour en faire des éléments de rythmique plutôt intéressants :
Leur activation en mode Random empêche une trop grande régularité nuisible à la recherche de réalisme.
Quasi jumeau, mais différent…
On passe à un autre ancêtre, puisque le piano A.M. Hume échantillonné par l’éditeur date de 1914. Ce piano a été fabriqué par M. Steinert & Sons, dans l’une de ses deux usines de Leominster, dans le Massachusetts. Steinert, en plus d’être un facteur de pianos, était un revendeur agréé Steinways & Sons, et, pour éviter toute confusion, a vendu quelque temps ses pianos sous les marques Jewett, Curtis, Woodbury, Berkshire et A.M. Hume (d’après le nom de son directeur de l’époque, Archibald Hume). Le nom M. Steinert & Sons a été réutilisé à partir de 1916. Des pianos à la réputation de très bonne qualité ; le modèle retenu par l’éditeur est 100 % d’origine.
On passe un cap en termes de layers, puisque l’on peut disposer de jusqu’à 16 couches de vélocité, ce qui se ressent bien sûr dans la dynamique globale de l’instrument.
On commence avec “Mysterious – Burglar Music” :
Le boogie montre un son ferme, équilibré, avec une attaque nette et suffisamment de corps sans être envahissant :
Attaque qui lui permet toujours d’être bien défini, même sur des passages affirmés :
La dynamique est plus large, bien sûr, nombre de layers oblige :
Ce que confirme le passage des vélocités avec cependant un petit reproche sur la trop grande similitude du bruit de mécanique sur les vélocités élevées…
Pour suivre, l’action de la résonance avec accord plaqué muet :
Son bel équilibre en fait un piano très intime quand joué dans les vélocités moyennes :
Il se comporte très bien sur la pièce romantique :
Pour finir, le morceau utilisant deux pianos :
Un très beau piano, pour le moment le plus équilibré, ce qui est aussi logique vu l’orientation des deux précédents. Du classique au moderne, il sait se faire entendre, avec cette clarté de l’attaque, qui n’est pas pour autant métallique ou désagréable comme on peut en trouver sur certains pianos et banques d’échantillons.
Contemporain…
On finit avec le piano moderne de la bibliothèque, un Yamaha U5 (pas de date de fabrication précisée, mais la fabrication a été arrêtée en 2006 si je ne me buse). Considéré comme le haut de gamme chez le facteur japonais, le piano a bénéficié de tous les petits soins nécessaires en termes d’accord et de préparation. L’original bénéficiait d’une pédale de sostenuto (ce qui n’est pas le cas de tous les pianos droits, ni à queue d’ailleurs), ce qui ne pose pas de problèmes dans la version logicielle, puisque le moteur Ivory II reconnaît parfaitement le numéro de contrôleur 66, et qu’il suffit de le paramétrer sur votre clavier-maître, en lieu et place, ou en complément, de la pédale de sustain traditionnelle (Midi CC 64). Là aussi l’éditeur nous gratifie de 16 couches de vélocité.
“Mysterious – Burglar Music”, s’il n’est pas autant “raccord” qu’avec les pianos plus anciens, montre quand même la dynamique très large de l’instrument :
Le boogie montre le son caractéristique Yamaha (on aime ou pas), équilibré et avec cette attaque propre aux instruments du facteur, qui nécessite parfois une certaine force dans les doigts et un poignet en béton dans la réalité :
L’impact du piano est vraiment très particulier :
Grâce aux nombreux layers, la plage de nuances est très large, mais le son reste toujours défini et brillant, avec la qualité de résonance des pianos haut de gamme de la marque :
Le passage des vélocités montre une belle régularité :
L’exemple suivant fait entendre l’action de la résonance avec accord plaqué muet :
Son bel équilibre fonctionne bien sur cette pièce en demi-teintes, même si je préfère le son du Vintage dans ce cas précis, le Modern étant plus brillant que désiré :
Sur le Rimsky-Korsakov, aidé par l’Ambience du standalone, il se comporte presque comme un piano à queue, quart voire demi :
Sur le morceau utilisant deux pianos, sa brillance tranchante place définitivement en avant la mélodie :
Indéniablement un très beau rendu de ce piano d’exception. Dans la réalité, il est à l’aise dans tous les contextes, et sa version virtuelle ne l’est pas moins. Mon goût particulier m’emmènerait vers des pianos plus doux, moins brillants, mais les amoureux du son Yamaha seront comblés.
Bilan
Un petit rappel avant de conclure : chacune des 88 notes bénéficie de ses propres échantillons (donc jusqu’à 16 couches de vélocités), ces derniers n’étant pas bouclés, ce qui offre de belles résonances suivant les modèles de piano (on “entend” le bois).
Difficile de trouver des reproches autres que les quelques déjà mentionnés. L’éditeur réussit encore une fois son pari, en proposant la banque la plus complète sur le sujet à l’heure actuelle. Son prix, autour de 250 euros, en fait un instrument relativement abordable compte tenu de la richesse et du détail de l’échantillonnage. Il faut en avoir l’usage, sachant que d’autres solutions existent, et qu’elles sont régulièrement passées en revue sur AF.
Mais pour le professionnel à la recherche de pianos d’exception, qui ne demanderont qu’un temps minimal de réglages (c’est quasiment du prêt à jouer, avec juste le réglage de sensibilité à ajuster selon les claviers de commande), qui sonnent parfaitement sur toute l’étendue du clavier, et se placent dans un mix en deux temps trois mouvements, le temps de la réflexion devrait être très court.