Navigant entre Noire, Colors d’un côté et Keyscape de l’autre, Hammers + Waves entend bien dès son premier produit se faire une place sur le marché du piano virtuel pas comme les autres. Avec de solides arguments, le bougre…
Rien qu’entre Synthogy, Galaxy et Pianoteq, sans parler des myriades d’acteurs qui sont sur ce marché, inutile de dire que les pianos virtuels ne manquent pas. Si certains rechercheront toujours le modèle rare qui n’a pas encore été samplé ou modélisé, d’autres tentent d’emmener l’instrument ailleurs, soit en samplant des pianos hors normes ou préparés (NI The Giant, Una Corda), soit en combinant les samples à un moteur de synthèse ouvrant bien des horizons. C’est ainsi que, dans le sillage de Noire ou Colors de Native Instruments, la toute jeune société Skybox propose Hammers + Waves, une collection de claviers à marteaux dotée de possibilités de traitements et de synthèse. Et vu le profil des gens de Skybox, il y a tout lieu de les prendre sérieux puisque les trois associés jouissent d’une certaine expérience dans l’industrie musicale, que ce soit comme compositeurs, scripteur Kontakt ou ingénieur du son. Dana Nielsen, qui s’est occupé de l’enregistrement, a notamment travaillé avec Metallica, Rihanna, Bob Dylan, Adele, Neil Diamond, Slayer et Weezer, tandis qu’Azrul Saleh a travaillé pour Realitone. Bref, de quoi nous faire lever un sourcil et installer les 53 Go de samples sur notre disque dur pour voir de quoi il retourne… Précisons d’emblée qu’il s’agit d’une banque pour Kontakt Player : inutile de posséder la version complète de Native Instruments pour utiliser cette dernière. À ce prix-là, rien de plus normal…
Et de 10 !
Hammers + Waves propose donc à la base dix claviers à marteaux : Modern Grand et Obscura Grand, samplés à partir d’un C6 de Yamaha, UX Upright, un UX3 de Yamaha, Suitcase 73, un Fender Rhodes, EP200A, un Wurlitzer 200A, Relic Upright et Muted Relic, réalisé à partir d’un Schaff Bros, Dulcitone, J Celeste, enregistré à partir d’un Jenco Celeste, et J Toy Piano, enregistré à partir d’un Vintage Jaymar Toy Piano. Même s’il n’atteint pas l’exshaustivité d’un Spectrasonic Keyscape, le panel est assez varié en termes de sonorités et répond bien au cahier des charges : pas de clavecin vu que la corde y est pincée, pas d’orgue, pas d’instrument à mailloches, juste des instruments à marteaux. Tout juste regrettera-t-on l’omniprésence de Yamaha quand ni Steinway ni Bosendorfer ne sont de la partie par exemple… Cette réserve mise à part, on n’aura aucune réserve concernant le travail de sampling qui a été fait : en utilisant un robot qui frappe chaque touche avec une précision chirurgicale et tout ce qu’il faut de scripts de qualité, Skybox est parvenu à proposer une recréation parfaitement convaincante des instruments, même si les 16 niveaux de vélocité n’atteignent pas les 24 niveaux d’un Synthogy, tandis qu’il n’est pas question ici non plus de proposer de multiples états de pédale. Si les pianos Skybox ne deviendront donc pas la nouvelle référence du sampling 1:1 en la matière, ils ont toutefois bien d’autres choses à proposer.
Le piano à la source…
Chaque instrument se voit doté de la même jolie interface blanche avec cinq potards au bas pour activer les modules d’effets, traitements et animations. Mod permet sans surprise de doser les modulation de volume, panoramique ou pitch, Space permet de doser la réverb et le delay global, mais c’est avec les trois potards du centre qu’on accède aux choses les plus intéressantes : Source définit le niveau du piano de base, tandis que Swarm et Fractals correspondent respectivement à un traitement granulaire de l’instrument et à une version arpégiée de ce dernier. Un clic sur l’un de ces noms permet ensuite d’accéder aux réglages avancés, l’occasion de se rendre compte que sous l’apparente simplicité de l’écran d’accueil se cachent une multitude de possibilités…
Source vous permet donc de paramétrer la version de base du piano, qu’il s’agisse de la réponse à la vélocité de ce dernier ou du dosage des différents éléments contribuant à son réalisme : relâchement, résonances sympathiques, marteaux, étouffoirs, etc. En vis-à-vis de tout cela, on peut aussi accéder à des paramètres rassemblés sous le nom « hyper-realism » et qui sont bien plutôt des façons de personnaliser l’instrument en rajoutant des infra-graves comme sur Noire, des bruits avant la frappe du marteau ou en superposant un son à l’attaque de la note : on est déjà là clairement plus dans le sound design, sachant qu’on peut ajouter un layer différent pour Source et pour Fractal. Dans le même ordre d’idée, on peut aussi rajouter un bruit permanent de type vinyle qui craque ou vieux magnéto à bande… Enfin, on pourra gérer le dosage entre captation proche ou lointaine pour les claviers acoustiques et entre ampli et DI pour les électriques, transposer le piano, jouer sur sa couleur en prononçant ou atténuant sa brillance. Bref, il y a de quoi faire rien que sur Source, alors que nous attendent deux autres moteurs.
De l’arme Fractal au Swarm Fatal
Un clic sur le nom de Fractal et nous voici face au super arpégiateur qui, à partir des mêmes samples, va générer des motifs relativement complexes. Précisons-le, cet outil ne vient pas piloter Source mais agir en parallèle, ce qui peut expliquer la relative gourmandise de l’instrument en terme de RAM ou d’accès disque : on a vite fait de se retrouver avec 90 notes jouant en même temps ! S’il n’y a pas grand chose à dire sur l’arpégiateur en lui-même qui dispose de tout l’attirail de fonctions classiques (dont un certain nombre de presets prêts à l’emploi), on s’intéressera plus au panneau Animation qui en liaison avec un pad X/Y permet d’automatiser simplement des paramètres sonores : on pourra ainsi obtenir des variations plus ou moins sombres ou brillantes des sons générés, et déterminer la vitesse à laquelle travaille l’Animation et qui n’est pas forcément corrélée à la vitesse de l’arpégiateur.
Cette même section d’Animation se retrouve d’ailleurs dans Swarm, le module de synthèse granulaire permettant des générer des textures à partir du même jeu de sample une fois de plus : taille du grain, zone de sélection des grains, enveloppe, on est face à un petit synthé granulaire de base qui va enrichir de traînées plus ou moins envahissante et brillantes le piano Source.
Rien qu’avec tout cela, il y a déjà énormément à faire, vous en conviendrez, surtout qu’on dispose de dix modèles de claviers différents… Sauf que nous n’avons pas encore évoqué le fait que chacun des trois modules, Source, Fractal et Swarm dispose de sa propre section d’effets permettant d’insérer jusqu’à quatre effets à choisir parmi une douzaine. Et que pour chaque module, vous pourrez doser l’envoi vers la section d’effet Master où vous attendent un delay très complet et une réverb à convolution blindée de réponses impulsionnelles. Et je ne vous ai pas parlé de la section Mod qui permet de faire des variations de volume, de panoramique ou de pitch avec la possibilité de doser leur impact sur chacun des trois moteurs… Bref, une belle boucherie au final, mais qui permet miraculeusement de faire des choses toujours très musicales.
Musical after all
On le sent en effet, tout l’équilibre de Hammers + Waves tient dans le fait qu’on dispose d’une architecture assez complexe sans pour autant disposer de trop de réglages. Ce sont des choses que l’on pourra regretter parfois, notamment concernant les effets en insert qui se limitent souvent à un unique contrôle, mais cela permet à l’instrument d’être complexe sans tourner à l’usine à gaz et de ne pas s ‘égarer dans quelque chose de trop bruitiste.
On peut donc obtenir des choses assez sophistiquées, ce qui ravira certains sound designers ou compositeurs de son à l’image, mais dans les faits, ce qui nous est proposé permettra souvent d’enrichir discrètement mais sûrement une partie de clavier un peu terne. Les musiciens de base ne sont donc pas délaissés, d’autant qu’on dispose de tout ce qu’il faut pour assigner des contrôles physiques à toutes les principales fonctions, rendant l’instrument jouable en live… pour peu que vous ayez une bonne machine ! Le seul vrai problème au fond demeure en effet la gourmandise de la bête avec son triple moteur sollicitant des centaines de samples à la seconde. Même sur un gros Macbook Pro avec SSD et de la RAM, ça pique parfois…
Le plaisir est toutefois à ce prix. Il suffit pour s’en convaincre de jouer avec les dizaines de presets proprement tagués qui vous attendent dans un navigateur multicritère. Il y a en vraiment pour tous les goûts et de bon goût, d’autant que l’interface n’est pas sans rappeler ici celle des produits Output, une référence en la matière… C’est d’ailleurs peut-être comme cela qu’on pourrait résumer Hammer + Waves d’ailleurs, comme le fils caché de Spectrasonics et Output.
Conclusion
Hammers + Waves n’est sans doute pas parfait mais il n’en est pas moins excellent car son panel varié d’instruments parfaitement samplés le rend à la fois plus polyvalent qu’un Noire ou qu’un Colors qui se cantonnent aux pianos acoustiques, tandis qu’il offre des possibilités qu’un Keyscape ne saurait offrir que dans le contexte d’Omnisphere… Compte tenu de tout cela, il trouve parfaitement sa place sur le marché avec un prix relativement bien étudié même si certains seraient ravis de pouvoir acquérir les pianos séparément pour ne pas avoir à débourser autant en un coup. Skysoft a frappé fort en tout cas, et pourrait bien être l’Output de l’instrument réaliste qu’on attendait depuis longtemps. Affaire à suivre de très près donc…