Depuis que la MAO existe, on n’a pas souvenir qu’un logiciel ait fait couler autant d’encre ni suscité autant d’attentes. Il faut dire que la technologie Direct Note Access, exhibée pour la première fois par Celemony au Musikmesse 2008, est de ces Graals qu’on croyait inaccessibles puisqu’elle permet ni plus ni moins d’éditer les différentes notes qui composent un enregistrement audio polyphonique. Du démixage en somme ? Oui et non. Une révolution ? A coup sûr.
Sauf que Melodyne Editor, le premier logiciel à tirer partie de la technologie Direct Note Access (DNA de son petit nom) est enfin commercialisé. Sauf que ça marche…
En terrain connu
Précisons toutefois avant de passer aux choses sérieuses que, contrairement au Melodyne Plug-in initial, la fenêtre du plug est complètement redimensionnable tandis qu’il est possible de zoomer/dézoomer à loisir via un jeu de raccourcis clavier. Ne manque qu’un bouton pour passer en plein écran d’un coup d’un seul pour que ce soit parfait…
Ils sont forts ces allemands
Pour commencer, voyons ce que donne le DNA sur une bête boucle de guitare, plus précisément un La mineur en strumming. Je place le fichier sur une piste, Melodyne en insert de la piste, et après avoir sélectionné l’algo ‘Polyphonique’, effectue la phase de détection sur toute la boucle. Le soft génère dans un premier temps une forme d’onde unique puis affiche un petit cadran qui se remplit à mesure que l’analyse se termine. C’est au terme de cette dernière que le miracle s’accomplit : à la faveur d’une petite animation sympathique, la forme d’onde se divise en plusieurs segments qui se répartissent alors sur la grille du logiciel… Je retrouve ainsi un Mi, un La et un Do, soit les 3 notes de base composant l’accord de La mineur.
Muni de l’outil d’édition de la hauteur, je n’ai alors qu’à cliquer sur un segment pour n’entendre que lui et lui seul, et à cliquer-glisser pour le transposer. Je m’empare alors de toute la ligne de Do et la passe en Do #… de sorte que j’obtiens un La majeur !
Sample original :
Et le La majeur :
Sample original :
Et le même revisité par DNA :
De fait, tant que les sons sont bien distincts, le logiciel s’avère relativement efficace : nous avons ainsi pu jouer avec des boucles de guitare, de piano, de banjo ou de cordes et obtenir des résultats probants. Pour le plaisir, voici d’ailleurs ce qu’il est advenu du Wonderwall d’Oasis ou du Eleanor Rigby des Beatles avec le DNA…
Oasis, c’est bon, c’est bon :
Et cette bonne vieille Eleanor :
En revanche, sur certains types de sons, ça se complique au point d’être inexploitable : riches en harmoniques les guitares électriques saturées ont vite fait de vous placer devant une myriade de minuscules segments audio sans qu’il soit possible de savoir quoi correspond à quoi. Il sera donc difficile d’éditer ce genre de son, en dépit des outils de sélection intelligents proposés par le logiciel.
D’un coup de souris, il est en effet possible à partir d’une note de sélectionner les notes identiques, les mêmes notes dans toutes les octaves, les notes à la quinte supérieure ou inférieure et les notes sur le même temps dans les autres mesures. Cela dit, pour modifier un bon vieux Power Chord, le mode monophonique peut tout à fait faire la blague. Melodyne a déjà fait ses preuves sur ce point.
Cela est d’autant plus vrai qu’on peut couper/copier/coller ou supprimer des segments audio. Rajouter une note à l’octave sur un riff de cuivre pour enrichir une harmonisation ou encore virer toute ou partie d’un instrument, c’est dans bien des cas possibles, comme vous pouvez le voir avec cet extrait :
Sample original :
Et avec quelques notes en plus via copié-collé :
Soulignons aussi que rien ne vous empêche d’aider le logiciel dans sa reconnaissance des notes, et notamment de leur découpage grâce à l’outil dédié? La détection des pitchs n’en sera que plus fine…
Quand la polyphonie se corse
C’est sur ce point que Melodyne se révèle tour à tour bluffant et décevant. Suivant ce qu’on lui soumet, le logiciel se montre en effet plus ou moins performant et on ne sait jamais trop ce que donnera le mode DNA sur un morceau avant d’avoir essayé. Sur les Feuilles Mortes par Miles Davis, il est ainsi possible d’éditer les lignes de trompette et de basse indépendamment, même si des artefacts se font alors entendre dans le haut de la batterie.
Les feuilles mortes :
Et les feuilles ressuscitées :
Ou encore à retirer la note à l’octave pour n’isoler que la partie basse de la contrebasse :
En revanche, sur le Julia des Beatles, on est très loin d’avoir la guitare d’un côté et le chanteur de l’autre, d’où un champ d’application qui ne dépassera pas celui du sound design. De fait, comme on l’a vu avec les notes à l’octave dans les boucles, le logiciel peine à distinguer les notes lorsque ces dernières partagent un contenu trop proche harmonique. De plus, si Melodyne peut désormais se targuer d’être polyphonique, il est encore loin de gérer la multitimbralité : si un saxophone et un violoncelle jouent la même note, Melodyne n’a aucun moyen de distinguer qui fait quoi et ne vous proposera qu’un unique segment audio contenant les deux instruments.
Nous avons pensé un moment qu’en lui proposant un morceau mixé avec des panoramiques extrêmes comme le I’m looking through you des Beatles, le logiciel s’en sortirait mieux, mais ce dernier, à défaut de permettre une édition des deux canaux différents, n’a pas produit de résultats convaincants sur ce point. On est donc encore loin d’avoir atteint le Graal du démixage, même si on ne l’a jamais approché d’aussi près. Pour le cas du morceau des Beatles, rien ne vous empêche en outre de procéder à une édition du canal gauche, puis du canal droit, et de voir ce qu’il en tombe…
Et sur un mix complet et complexe comme celui d’Electric Performers de Air, on ne peut accéder aux arpèges de guitare seuls, même si en bougeant la matière audio dans son placement temporel comme dans sa hauteur tonale, on obtient un résultat tout à fait intéressant en terme de texture sonore. A ce niveau, la technologie de Celemony devient quasiment une nouvelle forme de synthèse…
Conclusion
En attendant une version plus complète qui prenne notamment en charge l’export MIDI des notes, Melodyne Editor est donc chaudement recommandé, que vous soyez ingé son (un pain sur une piste de gratte acoustique est si vite arrivé, et le guitariste est si vite parti), musicien au mètre féru de boucles (dans ces satanés CD de samples, il manque toujours la tonalité exacte dont on aurait besoin), ou encore bidouilleur de son en général. Sûr que vous n’avez pas fini de jouer avec et de découvrir les énormes possibilités d’un tel outil, au point qu’on se demande ce qu’il adviendra des droits d’auteurs des samples ainsi modifiés : si je change toutes les notes d’un phrasé de Miles Davis, est-il pour autant propriétaire de la texture sonore que j’utilise à la fin?
Bref, ce n’est que mon humble avis, mais s’il ne devait y avoir qu’un paquet sous le sapin, ce pourrait bien être celui-là.