Dans l’épisode précédent, nous avons vu comment apprendre à connaitre sur le bout des doigts les outils nécessaires à tout bon mixage. Mais savoir comment fonctionne des traitements audio ne veut absolument pas dire que l’on sait mixer ! Certes, cela fera bientôt trois ans que nous explorons l’ensemble des techniques de base semaine après semaine. Cependant, il me semble ne jamais avoir clairement exposé une méthode d’apprentissage simple de cet art ô combien complexe… Vieux motard que j’aimais !
Rappelez-vous lorsque vous usiez vos fonds de culotte sur les bancs de l’école. Votre professeur vous faisait-il apprendre en commençant directement par une interrogation ? Bien sûr que non, le schéma classique se décompose plutôt comme suit : leçon, puis exercices, et enfin interro.
Pour prendre une analogie un peu plus « joviale », transposons cela au domaine musical avec l’apprentissage d’un instrument de musique. Une fois encore, personne ne commence par jouer sur scène et/ou par composer « Ze Tube ». Il faut à nouveau en passer par des leçons, puis il y a les exercices (gammes, techniques de jeu, reprises, etc.), tout ça pour arriver au Graal de la scène ou de la compo qui décoiffe mamie.
Eh bien comme vous vous en doutez, le propos de cet épisode est de vous expliquer qu’en matière de mixage, c’est exactement la même tisane. Si nous considérons cette série d’articles comme l’équivalent des leçons et le mixage de l’un de vos morceaux comme une sorte de passage sur les planches, vous noterez qu’il nous reste à aborder le chapitre concernant les exercices. Aussi vaste soit-il, le sujet peut se décomposer en trois actes selon moi.
Il y a tout d’abord les exos de base qui correspondent à l’assimilation des gammes et autres techniques de jeu. D’une certaine façon, ce travail a déjà été entamé lors de l’apprentissage de vos outils. Cependant, il convient ici de plus vous focaliser sur le but sonore à atteindre plutôt que sur l’outil en soi. Pour ce faire, rien de plus simple !
Exercices pratiques
Choisissez en premier lieu une seule piste audio et essayez de lui appliquer une à une toutes les techniques vues lors des chapitres consacrés à l’égalisation, le traitement de la dynamique, etc. Pour être plus clair, prenez par exemple une ligne de basse et faites en sorte de lui donner du punch ou au contraire de la rondeur à l’aide de votre compresseur de prédilection. Une fois cela fait, recommencez la manœuvre avec une piste audio d’un autre type (caisse claire, chant, etc.), d’un autre genre musical et/ou à différents tempi.
Rien qu’avec ça, il y a de quoi s’occuper un bon moment… Et ce n’est que le début ! L’étape suivante consiste a travailler cette fois-ci sur deux pistes en simultané : basse/grosse caisse, chant/guitare, etc. Cette fois-ci, le but de la manœuvre est de vous exercer au maniement de la notion de contraste dont je vous ai maintes fois parlé. Par exemple, vous pouvez développer votre sens du contraste spatial en essayant de placer l’un des deux éléments au loin. Cela se traduira forcément par une proximité accrue de l’autre élément. Tentez d’abord de travailler cela uniquement au moyen du volume, de la panoramique, de l’égalisation et de la compression. Puis, intégrez alors des réverbérations et/ou des delays afin de peaufiner le tout. Bien sûr, il est encore une fois nécessaire de s’exercer avec différents couples d’instruments, dans différents genres et à différents tempi.
L’apprentissage du mixage via le plagiat ou le remixage
Je me souviens parfaitement des premiers morceaux que j’ai appris à jouer lorsque j’ai touché ma première guitare au milieu des années 90. Bien que fan absolu de feu Jeff Buckley, mes doigts n’étaient absolument pas capables de se lancer à l’assaut de l’intro de « Grace » et j’ai dû me contenter pendant un temps du « Zombie » des Cranberries ou bien encore de l’arpège de « Don’t cry » des Guns N’ Roses. De plus, j’avais déjà à l’époque des idées de compositions bien alambiquées. Mais encore une fois, j’ai dû faire mes armes sur des morceaux beaucoup plus « simples », largement inspirés de « classiques », avant de pouvoir sortir avec exactitude les accords tarabiscotés qui trottaient dans ma petite caboche.
Mais quel est donc le rapport avec le Schmilblick ? Eh bien, absolument tout mon capitaine, car pour arriver à sortir les visions de mixages que vous avez en tête, il convient de suivre le même cheminement, à une vache près…
Depuis toujours, l’imitation au sens noble du terme est l’une des meilleures formes d’apprentissage qui soit. Ainsi, l’aspirant guitariste que j’étais s’est d’abord fait la main sur des reprises.
En matière de mixage, la démarche de l’apprenti ingénieur du son se doit d’être similaire, même si cela est moins évident de prime abord. L’idéal serait d’avoir accès aux pistes brutes de morceaux connus afin de pouvoir tenter d’obtenir un mixage au plus proche de l’original. Cependant, même s’il est possible de dénicher sur la toile quelques « stems » de monuments tels que le « Moonage Daydream » de Bowie, l’offre est plus que maigrichonne, sans parler de la qualité sonore assez limitée des fichiers sources.
Heureusement, il existe des sites internet donnant accès aux versions multipistes de titres peu ou pas connus, mais dont le mix est plus qu’honorable, et ce, dans tous les styles musicaux. Je ne citerai pas ici les offres commerciales du genre, une simple recherche sur le web vous en indiquera certainement plus qu’il n’en faut ; en revanche, je vous invite à jeter un œil ici. Ce site regroupe un nombre impressionnant de morceaux disponibles gratuitement, vous y trouverez certainement votre bonheur pour commencer, quelle que soit votre esthétique musicale de prédilection.
Notez qu’à l’instar du guitariste néophyte qui passe d’une reprise à l’autre en augmentant petit à petit la difficulté, il vaut mieux aborder cet exercice d’imitation de mix de façon progressive. Pour être plus clair, ne vous lancez pas d’entrée de jeu sur le travail d’un titre comportant 99 pistes audio. Privilégiez en premier lieu l’étude du mixage de morceaux « simples » et lorsque vous vous sentirez plus à votre aise, il sera toujours temps d’enchainer sur quelque chose de plus cossu.
Une fois que vous serez rompu à l’exercice, le troisième acte de votre apprentissage devrait une fois de plus s’articuler autour d’une démarche analogue à celle du jeune guitariste que j’étais. Plutôt que de vous frotter directement au mixage de votre futur chef-d’œuvre, dont l’originalité débridée hante vos nuits et qui devrait sans aucun doute révolutionner l’univers musical actuel, préférez travailler dans un premier temps sur vos compos plus « conventionnelles » en n’hésitant surtout pas à vous inspirer de la pâte sonore de grands classiques. En procédant ainsi, vous développerez petit à petit votre « instinct phonique » qui vous permettra à moyen terme d’extirper les plus beaux bruits naviguant entre vos deux oreilles !
La meilleure façon pour apprendre à mixer
À moins de tomber sur un fan de Radiohead ou une personne particulièrement contrariante, tout le monde répondra à cette question du tac au tac sans même réfléchir : 2 + 2 = 4. Cette évidence tient du réflexe, au même titre que le fait de respirer, sauf qu’il s’agit là d’un automatisme acquis et non pas d’un mécanisme inné. Vous n’êtes pas venu au monde en sachant que deux plus deux font quatre, vous l’avez appris, et cet apprentissage a été fait de façon à ce que cette association soit aujourd’hui instinctive. Ne serait-ce pas magnifique si vous pouviez rendre le processus de mixage aussi naturel que cela ? Eh bien figurez-vous que c’est possible, ce n’est même pas si compliqué que ça, à condition d’être un minimum patient et rigoureux…
Comment avez-vous appris que deux plus deux faisaient quatre ? Il y a de fortes chances pour que vous ne vous en souveniez même pas tant cela remonte ! Mais pensez-vous que vous avez seulement passé une matinée complète dessus en primaire pour enchainer directement sur la suite ? Et vous souvenez-vous aussi facilement de la primitive de 1/x que vous avez certainement dû voir lors de la préparation du Bac ? Bien sûr que non. Que pouvons-nous en conclure ? Tout simplement que pour retenir quelque chose sur la durée au point que cela devienne un réflexe, le bachotage n’est clairement pas une méthode à privilégier. Plutôt que de passer plusieurs heures d’un trait sur un sujet, mieux vaut répartir son effort dans le temps en répétant le travail à chaque fois. Pour prendre un exemple concret dans le cadre du mixage, au lieu de brûler cinq heures d’une journée à apprendre le fonctionnement d’un compresseur, préférez distribuer la charge en ne faisant qu’une session d’apprentissage d’une demi-heure pendant dix jours. Cette façon de procéder est effectivement plus longue et il est parfois difficile de s’y tenir, d’où la patience et la rigueur dont je parlais plus haut, mais à la longue, je vous assure que c’est on ne peut plus payant !
Afin d’enfoncer un peu plus le clou, laissez-moi terminer avec une métaphore qu’un ami féru de neurosciences m’a contée récemment. Le cerveau est en quelque sorte comme un champ de hautes herbes. Lorsque nous apprenons quelque chose, cette idée fait son chemin dans ce champ et couche l’herbe sur son passage. Mais avec le temps, les herbes se relèvent toujours… Quand bien même aurions-nous piétiné avec force pendant des heures lors de l’unique traversée, le chemin finira par disparaître. Alors que si nous arpentons régulièrement ce chemin, ne serait-ce qu’une seule fois par jour pendant à peine quelques minutes, non seulement les herbes n’ont plus l’occasion de remonter, mais à force, le chemin tracé deviendra plus large, donc plus facilement praticable, et les herbes finiront par tout bonnement disparaître. En bref, répétitions et régularité sont les clefs, en matière d’apprentissage du mixage comme ailleurs !
Sur ce, rendez-vous au prochain épisode !