Devenus incontournables dans la simulation d'amplificateurs pour la guitare et la basse électriques, les finlandais de Neural DSP ont sorti en 2020 un plug-in dédié au guitariste de funk Cory Wong et aux sons plutôt cleans.
La société Neural DSP a été fondée par Douglas Castro en 2018, avant concepteur des pédales Darkglass Electronics à Helsinki dédiées à la basse électrique, dans le seul et unique but selon ses dires était de permettre la création et la production du simulateur hardware Quad Cortex, que les gens ont pu commencer à tester depuis peu en 2021. Dans le même temps, pour financer son développement et travailler sur la technologie de simulation qui y est embarquée, les développeurs n’ont pas chômé et ont sorti à ce jour une douzaine de plug-ins à un rythme effréné, avec d’un côté des produits dédiés à la basse (Darkglass Ultra et Parallax), des plug-ins de simulation d’un amplificateur particulier (récemment le Soldano SLO-100, un certain nombre d’appareils de la marque Fortin ou le Omega Ampworks Granophyre), et des plug-ins réalisés en partenariat avec des artistes pour reproduire leur son mais pas que, la fameuse série de plug-ins Archetype.
Tous ces produits sont quand même plutôt orientés gros sons et saturations, à l’exception du « Archetype: Cory Wong » dont il est question ici, aussi insolite que le célèbre guitariste de funk qui a collaboré avec la marque pour concevoir le sujet de notre test. Difficile en effet en 2021 d’être passé à côté de ce phénomène venu du Minneapolis de Prince à la main droite désarticulée, qui doit autant à Earth Wind and Fire, aux Red Hot Chili Peppers qu’au jazz, et qu’on a vraiment découvert avec le groupe de funk Vulfpeck. Préparez votre 4ème position de pickup sur vos Stratocasters, et voyons ce que ça donne…
Let’s groove tonight
Le plug-in est disponible aux formats VST, VST3, Standalone, Audio Unit, et AAX en 64 bits seulement, pour les dernières versions de Windows et mac OS. Le système de protection et de gestion des licences est le iLok de PACE, qui nécessite un dongle ou l’utilisation du iLok Cloud et donc d’une connexion à internet.
Il se présente à nous avec une interface épurée commune à tous les produits Neural DSP, qui donne accès à un nombre limité d’effets et d’amplificateurs, que l’on peut activer ou désactiver par sections d’un simple clic droit (pre FX, amplis, EQ graphique, enceinte, post FX), dans l’optique du simple mais efficace. Il est également possible d’y modifier les volumes d’entrées et de sortie, de rendre le plug-in stéréo en un clic (coucou IK Multimedia), d’activer un noise-gate plutôt efficace en changeant son seuil de déclenchement en dB, de régler son instrument via la section accordeur intégrée bienvenue, ou d’utiliser un métronome dans la version standalone.
On peut naviguer dans son système de présets globaux via une liste déroulante, qui est plutôt bien fourni et pratique. On y notera en effet la contribution de guests comme le guitariste Rabea Massaad, avec évidemment des entrées signées Cory Wong correspondant à différents morceaux de ses derniers albums, ou à des configurations qu’il utilise en live. On appréciera le soin apporté sur le réglage du volume de sortie d’un préset à un autre pendant la navigation, et on regrettera simplement qu’il n’y ait pas de section préset dédiée pour régler chaque effet disponible séparément…
A l’usage, le plug-in est facile d’accès et clair, ça sonne assez rapidement sans nous écraser sous les options. On notera que le rendu final est fortement dépendant du type de guitare utilisée, plus que pour des des sonorités « high gain », et que certains présets sont réalisés pour sonner d’une certaine manière avec certaines guitares et « pickups » plutôt qu’avec d’autres, ce qui peut parfois être frustrant. On regrettera également la charge CPU consommée par le plug-in un peu élevée, même en qualité normale (ce qui correspond en gros à un réglage de l’oversampling), et des choses un peu bizarres qui se passent avec la gestion de la latence du plug-in, surtout lorsqu’on mixe plusieurs pistes qui utilisent la même prise. Néanmoins, sur cette partie là les choses sont censées s’améliorer très prochainement, Neural DSP ayant finalisé des modifications sur le moteur audio de leurs simulations, moteur qui est en cours de portage sur tous les plug-ins de la gamme et qui est déjà utilisé dans leurs deux produits les plus récents.
What is Clean? Tell me tell me
Parlons maintenant un peu plus des différents éléments modélisés. Les 3 modèles d’amplificateurs guitare disponibles s’intitulent « D.I. Funk Console », « The Clean Machine » et « The Amp Snob ». Contrairement à la plupart des simulateurs présents sur le marché, les amplificateurs simulés ici ne correspondent pas à des modèles existants dans la réalité, comme souvent chez Neural DSP avec les séries Archetype, car ils ont été « tweakés » à l’envi par les développeurs, ici à la demande de Cory Wong pour lui fournir les sonorités qui l’intéressaient le plus.
Et le premier modèle n’est même pas une simulation d’ampli guitare mais une modélisation de tranche de console à tube, façon boite de direct, qui va certes réchauffer le son en provenance de la guitare mais surtout lui apporter des modifications tonales très limitées par rapport à ce que ferait un amplificateur guitare traditionnel. En effet, il n’est pas rare – comme sur les sons de basse – d’utiliser le signal direct de la guitare en enregistrement pour avoir un rendu façon « funk », à la Jamiroquai ou Nile Rodgers. Le modèle propose pas mal d’options pour rendre ce son brut plus intéressant ou facile à mixer, notamment du gain, de la compression, et des réglages coupe-bas, coupe-haut et boost sur certaines fréquences variables, tandis que les modèles suivants ont des réglages plus classiques.
Le second modèle lui a été développé sur la base d’un Roland Jazz Chorus JC 120 (mais sans le chorus malheureusement) dont le modèle mathématique a été modifié pour sonner un peu plus tube et moins transistors, « Solid State meets Tube » selon Cory Wong. On est donc sur quelque chose de moins droit à mi chemin entre le JC 120 premier canal et un son de type Fender Twin Reverb qui peut très légèrement cruncher sur la fin de la course des réglages de volume et sonner assez gros avant d’en arriver là.
Le dernier modèle enfin est assez singulier également puisqu’il est basé sur le fameux amplificateur Dumble ODS, en version modifiée pour ne pas changer les habitudes pour sonner le mieux possible en clean, avec en bonus un deuxième canal drive.
Ces deux amplis qui ne correspondent à rien dans la réalité sont un peu déstabilisants à caractériser mais sonnent plutôt bien, notamment avec les pédales fournies ou avec la réserve du gain du canal drive du Amp Snob qui peut aller taper dans des territoires plus distordus entre un Plexi et un JCM 800.
Parmi les effets proposés et placés avant l’amplificateur, le compresseur est particulièrement efficace sur les sons clairs, qu’on utilise souvent pour égaliser le volume sonore généré par chacune des cordes les unes par rapport aux autres. Il est très fortement inspiré de la Wampler Ego préférée de Cory Wong, avec son réglage Blend en plus de la quantité de compression pour mixer signal compressé et signal d’origine. Le plug-in propose également une Tube Screamer-like, une pédale d’overdrive un peu plus énervée, un « envelope filter » façon Mu-Tron III bien connu des amateurs de funk – qui déplace un filtre passe-bande résonant en fonction du signal d’entrée et des paramètres de la pédale – et surtout une pédale de wah wah qui a sa section dédiée et qu’on avait pas encore vue dans un plug-in Neural DSP avant. Celle-ci peut être utilisée avec une pédale d’expression en MIDI bien évidemment, ou être jouée en mode « auto-wah », à la façon de l’envelope filter mais avec moins de réglages.
En post FX, Archetype: Cory Wong propose un égaliseur graphique 9 bandes comme dans tous les plug-ins Neural DSP, ainsi qu’un délai stéréo à modélisation analogique (BBD), et une réverb typée « Plate » avec un switch « Shimmer » qui a tendance à s’activer un peu instantanément dans le son de réverb, ce que personnellement je ne trouve pas très joli, je préfère quand l’élévation du pitch se fait de manière progressive, sur des attaques lentes.
Quant à la section enceintes, elle propose de mixer la sortie de deux moteurs de convolution axés sur une centaine de réponses impulsionnelles (ou IRs en anglais mais pas « impulses »), qui avaient été réalisées par Adam « Nolly » Getgood pour son plug-in de la série Archetype, dont certaines seulement auraient été sélectionnées par Cory Wong selon ses goûts. On y retrouve des réglages classiques de choix de microphones, de position dans l’espace, de volume et de panning, un switch d’inversion de phase, et le choix parmi 3 enceintes modélisées en interne et associées par défaut avec les 3 modèles d’amplificateurs correspondants. Là on sait pas trop à quoi tout ça correspond (type d’enceinte, de haut parleur etc.) ce qui rend la navigation un peu difficile pour chercher un son particulier, mais pas plus que dans d’autres plug-ins équivalents, les choix disponibles étant limités, et qu’il est possible de charger ses propres IRs externes. On regrettera que cette section soit basée exclusivement sur la lecture (et l’interpolation) de réponses impulsionnelles sans modélisation de la saturation des enceintes comme on peut le voir chez certains concurrents.
Isn’t Clean Lovely
Parlons maintenant du son ! La première remarque qu’on se fait en jouant avec c’est que ça sonne plutôt bien ! Le compresseur fait très bien son travail et on aura tendance à l’utiliser pas mal pour avoir un son « bien fat », en jouant sur les réglages compression et surtout sur le blend qui est assez intéressant. Le plug-in réagit bien à la dynamique de jeu, à condition d’y envoyer un signal de qualité et d’utiliser une résolution de 24 bits minimum surtout si on veut jouer avec le potard de volume.
Pour information, il convient de suivre un certain nombre de règles pour tester correctement un simulateur d’amplificateur guitare, telle que jouer avec une latence de jeu la plus basse possible (en dessous de 5 ms), avec une entrée instrument de qualité, point qui pourra être compensé en utilisant l’entrée ligne avec une boite de direct externe. Ensuite, on veillera à découpler le test du simulateur d’amplificateur et du simulateur d’enceinte, pour ne pas comparer des pommes et des poires à chaque changement de réglage. Idéalement, on essaiera d’utiliser quelque chose de fixe en simulateur d’enceinte, soit en utilisant toujours le même réglage dans le plug-in, soit en utilisant une section enceinte extérieure, ou encore en utilisant une vraie enceinte guitare via un amplificateur de puissance transparent connecté à la sortie de la carte son. En effet, l’aspect diffusion du son est extrêmement important pour le plaisir de jeu. Jouer de la guitare électrique au casque n’est pas toujours des plus agréables pour certains. Même avec des enceintes de monitoring, et un volume sonore suffisant, il ne faudra pas oublier que le son qui sort d’un simulateur d’enceintes est celui qu’on aurait en studio devant la table de mixage dans la cabine d’enregistrement et non devant la vraie enceinte…
Ecoutons maintenant une première démo réalisée dans un style funk incountournable, avec mon interface RME Babyface, plusieurs guitares dont une Dean Z 79 avec des pickups SP Custom, et une Fender Stratocaster Player Series, ainsi que mes basses Fender Squier Precision et ma 10:15 Zangetsu en 5 cordes. Précisons qu’aucun chouchou n’a été maltraité pendant ces enregistrements.
Question qui se pose alors assez rapidement, est-ce que le plug-in est suffisamment polyvalent au niveau des sons clairs, et permet-il de faire autre chose que du Cory Wong ou du funk ? En effet, il n’existe pas un seul type de son clair possible dans tous les styles de musiques, et on se demande forcément à l’utilisation du plug-in quelles sont là dessus ses limites. Le premier modèle permet d’obtenir un type de son assez typé, tandis que le premier canal de l’Amp Snob et le Clean Machine correspondent en gros à différentes versions du son clair classique de l’ampli à lampes avec un côté moins « dans la face » du Clean Machine lié à son inspiration première issue d’un amplificateur « solid state ». A l’usage, et surtout avec les bonnes guitares, il me semble qu’on peut couvrir pas mal de styles de musique avec, notamment si on joue avec l’égaliseur 9 bandes qui est présent dans tous les plug-ins Neural DSP, si on occulte l’absence des chorus, trémolos et réverbs à ressorts qu’on trouve avec des amplis classiques du son clair, mais qu’on pourra avoir avec d’autres plug-ins extérieurs. Les deux démos suivantes ont été enregistrées uniquement avec le plug-in, un léger chorus additionnel, et un peu de Bluecat Audio Acoufiend. L’effet Shimmer est « corrigé » – rendu plus progressif – en utilisant la pédale de réverb seule sur un bus de retour, pour traiter des pistes qui ont déjà un peu de réverb sans Shimmer.
- Ambient Machine02:57
- Bachata Strat01:31
Parlons à présent d’une première surprise à la vue des présets disponibles dans le plug-in, la présence de présets pour la basse réalisés également par Cory Wong ! Cela suggère qu’il est tout à fait possible de brancher une basse dedans et d’obtenir des sonorités pertinentes, ce qui est parfaitement compréhensible à la vue de la modélisation de la tranche de console / boite de directe à tubes. Pour créer des sons de basse « produits », il est en effet habituel de mixer deux voire trois versions différentes d’une même partie de basse, à savoir la partie directe mais réchauffée un poil si possible, une partie repiquée sur un ampli ou passée à travers un simulateur, et une dernière partie qui rajoute une composante avec de la distorsion si nécessaire, avec la première version de la prise qui est souvent suffisante en fonction du style de musique visée. En désactivant la simulation d’enceintes, le premier modèle du plug-in Cory Wong fait parfaitement l’affaire pour la partie directe, et on peut s’amuser à obtenir des sons distordus avec les pédales d’overdrive. Malheureusement, le nombre de présets disponibles pour la basse est limité dans le plug-in, et les deux autres modèles ou l’usage de la section enceinte dans ce contexte sont moins recommandés. Les démos suivantes utilisent plusieurs de ces présets de manière successive.
- Heavy Bass00:20
- Sir Duke01:09
Et bien évidemment, le plug-in peut produire des sonorités saturées pour la guitare. La présence de deux pédales d’overdrive, ainsi que les réglages de gain sur les modèles d’amplificateurs, notamment le dernier canal de l’Amp Snob, permettent d’aller jouer sur le terrain du blues ou du hard rock sans problèmes, de rajouter des parties Lead saturées comme le fait un Cory Wong sur album à l’occasion et comme on peut le constater via les présets qu’il propose. La combinaison de l’amplificateur Dumble et de la Tube Screamer fait d’ailleurs penser direct au son d’un Stevie Ray Vaughan, ou aux versions énervées des JCM 800 lorsqu’on utilise le canal drive en plus de la pédale d’overdrive. Par contre, on reste forcément assez loin des territoires high gain même dans cette configuration. En revanche, j’ai été surpris une deuxième fois par le rendu de celui-ci avec les potards de volume et de master à fond (oui je sais désolé), il sonne un peu fuzzy et un peu gras, le rendu est vraiment intéressant et singulier je trouve !
Conclusion
Le plug-in Archetype: Cory Wong de Neural DSP est un ovni dans le paysage des simulateurs d’amplificateurs, qui fait bien son travail, et a le mérite d’être simple à utiliser, de sonner très bien, de potentiellement ravir les fans du guitariste ainsi que les musiciens qui jouent avec un faible niveau de saturation. Bien qu’il ne soit pas si facile à appréhender les premières heures à cause du manque de repères sur les modèles d’amplificateurs proposés, ou de la complexité de réglage de la partie enceintes, on peut également se contenter de jouer avec les nombreux présets proposés de très bonne facture et qui couvrent pas mal de besoins. On appréciera aussi la qualité et les réglages du compresseur, ainsi que l’accent « funk » avec le modèle D.I. Funk Console ou les effets associés proposés.
Au niveau du rendu sonore, il conviendra d’apporter une attention particulière sur les guitares utilisées avec, chose qui peut être compensée en partie si vous possédez par exemple le plug-in Re-Guitar de Blue Cat Audio (et qu’on a déjà testé dans nos colonnes). Jusqu’à maintenant, mes références en matière de son clair étaient plutôt du côté du S-Gear de Scuffham Amps, des plug-ins Fender chez Universal Audio, ou dans certains modèles des Fender Collections de IK Multimedia Amplitube, voire le préset par défaut du Archetype Plini chez le même développeur. Mais ce nouveau plug-in s’en sort à mon avis plutôt bien face à ses concurrents, voire même face à des solutions hardware, pas simplement les grosses moutures mais aussi les pédales de préamplificateur façon Strymon Iridium ou Two Notes Le Clean. Pour la basse, on s’amusera avec bien évidemment, mais pour moi ce plug-in est loin d’être suffisant et on s’orientera plutôt vers des solutions dédiées, notamment chez Neural DSP qui sait bien faire dans ce domaine avec le background Darkglass Electronics, ou avec mes petits chouchous freeware chez TSE et Ignite Amps dédiés à la 4(5) cordes.
Pour être tatillon, j’aurais probablement été moins décontenancé si le modèle numéro 2 d’amplificateur avait été remplacé par deux modèles stricts Roland Jazz Chorus et Fender Twin Reverb par exemple, avec les effets associés en interne. Je trouve aussi que les effets fournis en pré et post FX sont un peu légers en quantité, même si ça a l’avantage de rendre le plug-in plus simple à utiliser tout seul. Et surtout la section enceinte est peut être un peu moins soignée que le reste de mon point de vue, bien qu’elle fasse son travail. On peut se contenter des réglages par défaut avec le couplage proposé amplificateur / enceinte, et on peut la désactiver pour utiliser ce que l’on veut à l’extérieur pour les plus exigeants, ou lire ses réponses impulsionnelles préférées dedans.
En tout cas, je pense que je vais passer pas mal de temps avec cet excellent plug-in et ses amplis modélisés plutôt originaux dans les prochaines semaines ! Et je pense que j’adorerais voir un nouveau plug-in du même genre mais dédié aux sons Crunch, avec du Plexi, du Vox AC30 et des pédales de fuzz !