Cette semaine, je vous propose de découvrir une technique de travail qui vous permettra dans certains cas bien spécifiques d'améliorer significativement la qualité de vos captations. Cette façon de procéder n'a pas réellement de nom à ma connaissance, aussi, pour les besoins de cet article, je l'ai baptisée "l'enregistrement par parties". Certains peuvent croire que je fais probablement allusion à la méthode dite du "punch in / punch out", pourtant il n'en est rien et nous aborderons d'ailleurs celle-ci à l'occasion d'un prochain épisode. Mais alors, de quoi s'agit-il exactement ? C'est ce que nous allons voir de ce pas...
Partie Time
L’enregistrement par parties est une technique somme toute simple à comprendre : lorsque vous avez un instrument dont le son change de façon drastique à une ou plusieurs reprises dans un morceau, au lieu de l’enregistrer d’une seule traite, vous allez capter séparément ces différentes sections. Pour être plus clair, voyons cela au travers d’un exemple concret.
Imaginons une guitare électrique jouant un arpège en son clair sur les couplets, puis passant à des power chords dégoulinants de distorsion lors des refrains. En situation live, le guitariste passerait du couplet au refrain en activant simplement une pédale de disto ou en changeant de canal sur son ampli, puis reviendrait au son clair en effectuant la manoeuvre inverse le moment venu. Or ici, je vous propose de lui faire enregistrer dans un premier temps toutes les parties « cleans » sur une piste, puis, dans un second temps, toutes les parties saturées sur une autre piste.
Mais quel est l’intérêt de la manoeuvre ? Eh bien tout d’abord, cela permet d’éviter les erreurs de « timing » lors du déclenchement des éventuels effets contribuant au changement sonore de l’instrument. Si nous reprenons l’exemple précédent, il peut arriver que le guitariste soit légèrement en avance ou en retard lors de l’activation / désactivation de la distorsion. Avec l’énergie d’une performance live, cela peut parfois passer relativement inaperçu. Sur un enregistrement en revanche, même les oreilles les moins averties repéreront la bavure au bout d’un tout petit nombre d’écoutes ! Avec un enregistrement par parties, ce problème est tout simplement absent de fait.
Deuxième avantage, et pas des moindres, l’enregistrement par parties vous permettra d’optimiser la captation pour chacune des sections. En effet, non seulement vous pourrez à chaque fois optimiser les niveaux d’enregistrement, mais vous aurez également l’occasion de travailler votre son à la source de façon plus pertinente. Concrètement avec l’exemple de la guitare électrique évoqué plus haut, cela pourrait se traduire par la guitare en micro chevalet et l’utilisation d’un micro statique à large membrane placé à une quinzaine de centimètres de l’ampli pour un son équilibré, aéré et cristallin sur les arpèges, alors que sur les refrains, vous basculerez la guitare sur le micro manche en employant un micro dynamique collé au HP de l’ampli pour jouer avec l’effet de proximité et obtenir un son saturé bien gras. Plutôt intéressant, n’est-ce pas ?
Enfin, le dernier avantage interviendra lorsque vous attaquerez le mixage. Rappelez-vous que cette technique s’emploie sur les instruments dont le son change de façon drastique à un moment donné ou à un autre, ce qui dénote au niveau de la composition une certaine envie de rupture et de contraste dans la narration. Avec l’optimisation de la captation pour chacune des parties, vous vous assurez déjà une certaine efficacité dans cette rupture. Mais dites-vous bien qu’avec chacune des parties enregistrées sur des pistes différentes, il vous sera possible de renforcer encore plus l’impact de ce contraste en appliquant des traitements différents pour chacune d’entre elles, qu’il s’agisse de l’EQ, de la gestion dynamique, des réverbes et / ou delays, ou même simplement des volumes ou panoramiques. Elle n’est pas belle la vie ?
Bien sûr, cette méthode a aussi plusieurs inconvénients. En premier lieu, sa mise en pratique nécessite un travail supplémentaire de la part de l’instrumentiste car, de fait, il n’a certainement pas l’habitude de jouer ces sections de façon séparées. Ainsi, il lui faudra probablement s’exercer afin de conserver son « engagement » et rester à tout prix dans l’esprit du morceau pour chacune des parties. Un musicien rompu à la pratique de l’enregistrement en studio n’aura certainement aucun problème avec ça mais il me semble important de souligner la chose pour les moins aguerris d’entre vous. En effet, l’interprétation reste à mes yeux le principal vecteur émotionnel d’une musique, alors à quoi bon mettre en oeuvre cette technique pour gagner en qualité sonore et en impact si c’est au détriment du jeu ? La narration n’en ressortirait pas gagnante, ce qui irait à l’encontre du but de la manoeuvre…
Ensuite, toujours du point de vue narratif, il faut bien garder à l’esprit que l’enregistrement par parties implique certaines choses qui ne sont pas forcément désirables selon « l’histoire musicale » que vous cherchez à raconter. Pour mieux comprendre mon propos, je vous invite à lire ou relire cet article de notre guide du mixage. Si nous reprenons l’analogie cinématographique, utiliser l’enregistrement par parties en lieu et place d’une captation en continu revient quelque part à introduire un nouveau personnage dans le scénario… À vous de voir si cela est cohérent avec votre « script musical ».
Dans le même ordre d’idée, mais abordé de façon plus simple, nous pourrions dire qu’un enregistrement continu puise son énergie dans son aspect « performance live réaliste » alors que l’enregistrement par parties privilégie l’aspect « titre produit » pour atteindre une plus grande puissance sonore. Tout est donc une question de direction artistique finalement, ni plus, ni moins.
Pour conclure, sachez que l’utilisation de cette technique peut également induire un travail supplémentaire d’arrangement au niveau des articulations entre chaque partie… Mais nous verrons cela la semaine prochaine !