On peut être un des plus grands fabricants de guitares de tous les temps, décliner un de ses modèles les plus emblématiques et l’appeler Classic pour au final proposer un instrument résolument moderne.
Depuis quelques années déjà, Gibson modernise sa gamme par petites touches, qui finissent par s’accumuler, rendant ainsi ses guitares plus polyvalentes qu’auparavant et bardées de gadgets technologiques révolutionnaires (ou inutiles, selon les points de vue).
Machine Head
Ainsi, la Classic embarque le successeur du Min-ETune, baptisé G-Force et toujours fabriqué par Tronical, accompagné de son adaptateur secteur.
D’ailleurs, de la Junior à la Supreme, toutes les Gibson Les Paul made in USA hors Custom Shop en sont pourvues. Un choix radical, qui fera grincer des dents de nombreux guitaristes peu enclins à embarquer une potentielle cause de panne supplémentaire, d’autant que les premiers contacts peuvent s’avérer effrayants, l’accordage parfait se révélant impossible à obtenir. J’ai tout de même essayé d’enregistrer des extraits au studio en me disant que « ça allait passer », mais une fois rentré chez moi pour les écouter à tête reposée, il a fallu que je me rende à l’évidence et que je jette à la corbeille tout ce qui pouvait impliquer l’utilisation des quatre cordes les plus aiguës…
C’est dans ces cas-là qu’il faut savoir raison garder et se rappeler une règle fondamentale quand on essaye un instrument : ne jamais faire confiance aux cordes d’origine. J’ai donc dû me résoudre à changer ces dernières en profitant de l’occasion pour monter un tirant plus fort (du 11–49 de chez D’Addario) plus adapté à son diapason court, à ses possibilités d’accordages alternatifs, mais aussi à mon goût. Tout comme avec le Min-ETune, les mécaniques bloquantes sont bigrement bien pensées pour placer la corde autour de la tige, mais le toucher du zamak et surtout la sensation d’aller « contre le moteur » lorsqu’on les tourne (dans le sens inverse des mécaniques standard) sont assez désagréables. Néanmoins, l’opération se déroule avec succès et sans douleur.
OK Computer
Aussitôt les cordes changées (et le truss rod resserré d’un bon quart de tour comme prévu), on est immédiatement rassuré quant à la qualité du système. Rien qu’en jouant à vide, on se rend véritablement compte de la présence sonore de l’instrument, autrefois atrophiée par les spaghettis d’origine. Quant au G Force, il se révèle alors très pratique et facile à utiliser, tant et si bien qu’il pourra peut-être devenir un indispensable appendice de tête pour les plus « geekophiles ».
Bref, je l’ai sans doute déjà écrit quelque part, mais je ne saurais que trop vous conseiller d’aller acheter votre LP en magasin et si besoin est, de faire changer les cordes et faire régler le manche en cas de changement de tirant (ce dernier conseil étant valable quel que soit l’instrument) pour vous éviter la rudesse d’une livraison décevante.
Je passerai rapidement sur la reproduction de l’écriture « Les Paul 100 » qui orne tous les modèles 2015 de la marque, car avec tout le respect que l’on doit au très grand Monsieur qu’était L.W. Polfuss, son écriture et la façon dont elle est apposée ne sont pas des plus réussies.
Night in the ruts
Mais ne faisons pas la tête, car sur celle-ci se cache une révolution de petite taille : un tout nouveau sillet ! Le « Zero Fret Adjustable Nut » est en laiton et intègre une frette zéro conçue pour homogénéiser le son entre les notes jouées à vide et celles qui sont frettées. Une bien meilleure idée que le plastique, car en pratique, le métal souffre moins des ravages du temps et des changements de tirant.
Physical graffiti
En bonne Les Paul, le corps et le manche de la Classic sont en acajou et la touche en palissandre poli à l’huile et incrusté de nacre. Le poids reste maîtrisé avec à peine plus de 4 kg sur la balance et c’est le profil Slim Taper qui a été retenu pour le manche, ce qui est une excellente nouvelle pour les grandes mains, les joueurs « académiques » et les shredders. Ajoutez à cela des frettes et un binding impeccables, mais aussi un vernis très confortable bien qu’un peu épais et qui s’accommode plus facilement de la sueur que le nitrocellulosique autrefois de rigueur, et vous avez une combinaison parfaite pour glisser en toute tranquillité.
Côté corps, les amateurs d’andouillette ne seront pas à la fête puisque la table en érable flammé n’affiche qu’un modeste BB (sur une échelle de C à AAAAA), néanmoins, cette dernière est agréable et l’effet « vagues » est respecté, tant qu’on n’y regarde pas de trop près. Rappelons que la notation de l’érable ne concerne que l’esthétique (l’impact sur le son est pratiquement neutre) et que la Classic est le modèle le plus abordable de « vraie Les Paul », comme le dit le fabricant lui-même. C’est sur ce genre de détails que la différence se fait entre les modèles de leur gamme pour justifier les tarifs parfois démesurés de leurs sublimes instruments (certaines Supreme se négocient tout de même plus de 5000 €…). Le véritable point noir se situe autour du corps, car le binding, mal posé sur l’exemplaire testé, risque de se décoller dans les années qui viennent, même s’il m’est impossible de vous faire une photo parlante, car cela ne se sent qu’au toucher. Comme toujours, il faudra vérifier ces détails en magasin avant d’acheter, car chaque exemplaire est unique bien qu’il s’agisse d’instruments de série.
Quant au chevalet, l’incontournable Tune-O-Matic est muni de nouvelles vis en titane, garantissant une meilleure tenue dans le temps et un réglage facilité des harmoniques : encore un bon point pour les guitar tech.
Le tout nouvel étui Gibson de forme rectangulaire n’étant pas encore disponible lors du test, votre serviteur n’a pu se forger sa propre opinion. Sachez tout de même que sa conception est totalement revue, tant au niveau de la finition que des matériaux utilisés.
Music from The Body
Visuellement, la Les Paul reste classique, avec son toggle et ses micros zébra noir et crème toujours sympathiques, d’autant qu’il s’agit d’un Classic 57 au manche et d’un Super 57 au chevalet, tous deux munis d’aimants Alnico 2 réputés pour leur chaleur et leur niveau de sortie raisonnable.
La disposition des boutons est la même qu’en 2014, à savoir un volume par micro, chaque potard pouvant splitter chaque micro à l’aide de push-pulls, une tonalité générale ainsi qu’un mini switch permettant d’activer le boost intégré qui promet 15 dB supplémentaires. Sous le capot (et la pile 9 V de rigueur en cas de boost actif), on voit que la modernité s’est nichée jusque dans les entrailles de la bête puisqu’un circuit imprimé fait son apparition, pour une meilleure finition en termes d’électronique qu’à l’accoutumée, mais des difficultés supplémentaires à prévoir en cas de customisation.
Transformer
On pourrait presque oublier la plaque de protection et l’absence de la petite excroissance métallique qui laisse un trou dans le bois lorsque l’on souhaite la retirer pour des raisons esthétiques. Et ce serait dommage, car sur ce point, Gibson fait très fort en proposant une plaque qui se clipse et se déclipse en un clin d’œil ou comment changer de look en 1,5 seconde chrono.
Enfin, la Classic est livrée avec une photo « avant la sortie d’usine » qui, à l’instar de celle du nouveau-né à la maternité, rappelle avec émotion la naissance de la belle.
Classic & clean
L’esthétique n’étant pas tout, branchons la Classic dans un AC-30 pour voir si la chaleur promise par l’acajou et les micros 57' est au rendez-vous.
- LP manche 00:29
- LP manche Split 00:29
- LP manche Split encore 00:30
- LP manche Split Boost 00:30
- LP manche Boost 00:32
J’ai choisi d’effectuer les mêmes lignes (sauf une, juste parce que j’adore Andy Summers) dans les différentes configurations à partir d’une seule position du toggle car le boost n’est pas qu’un simple bouton à actionner en concert lors des solos, son emplacement se révélant peu propice à cet usage. Par contre, ses 15 dB supplémentaires permettent de transformer assez radicalement le rendu des micros 57 et c’est encore plus criant (sans être criard) en split.
Classic & crunch
Tout cela donne envie de s’encanailler avec un crunch bien sale et c’est ce que nous allons faire de ce pas en position intermédiaire dans ses principales configurations (tout humbucker et tout split). Ma Triamp étalon de chez H&K étant en cours de révision complète, c’est à une Orange Rockerverb (merci Jul !) qu’incombera la sympathique tâche de salir le son de la Gibson.
- LP middle Crunch 00:44
- LP middle Crunch Split 00:46
- LP middle Crunch Split Boost 00:47
- LP middle Crunch Boost 00:49
Qui a dit qu’une Les Paul Classic devait obligatoirement sonner comme une Gibson ? Elle sait heureusement le faire, mais avec les deux micros splités on se rapproche plus d’un son « stratoïde » qu’autre chose. Une polyvalence très appréciable en studio, mais un peu complexe à mettre en œuvre en plein concert.
Classic & sat
Montons maintenant le gain de l’Orange au-delà de midi pour l’écouter avec de la bonne grosse disto des familles, sur le micro chevalet.
- LP Chevalet Sat 00:53
- LP Chevalet Sat Split 00:45
- LP Chevalet Sat Split Boost 00:50
- LP Chevalet Sat Boost 00:51
Les aimants Alnico 2 ne déméritent pas, bien au contraire. J’avoue être assez fan du Super 57 de manière générale, aussi mon avis n’est peut-être pas totalement objectif, mais la musique c’est aussi et parfois surtout une affaire de goûts.
Classic & chorus
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Enfin, toujours sur l’Orange, j’ajoute un petit chorus (Boss CE-5) et baisse le gain afin d’adoucir le crunch et je fais le « tour du locataire » en passant du micro manche splitté à la position intermédiaire (manche splité – chevalet humbucker), puis au micro chevalet en humbucker pour finir en ajoutant le boost.
La Classic brille par sa polyvalence, et je n’ai même pas touché aux volumes ni à la tonalité ! Les adeptes de déphasages pourront entendre d’autres extraits de la Classic dans le test de la Strymon DECO.
Classic & moi ?
Gibson se modernise, et ce n’est pas forcément du goût de tout le monde. Chacun pouvant se faire sa propre opinion sur le sujet, je vous propose de prendre le problème par l’autre bout en distinguant deux types de guitaristes : ceux qui veulent jouer de temps en temps, mais surtout afficher leur belle au mur, les collectionneurs… bref, ceux-là passeront peut-être leur chemin à la vue d’un instrument à la finition perfectible bien que très réussie côté manche et pas aussi « Classic » qu’il n’y paraît.
Mais ceux qui veulent acquérir une Les Paul (1 999 €) dans le but de la jouer en regardant le public ou leurs comparses plutôt que le binding pourront se targuer d’avoir le son en toutes circonstances grâce à ses micros 57 splittables et son boost efficace. Ils apprécieront également son poids raisonnable, son manche en position académique et son accordeur automatique efficace.
Si l’histoire de la Gibson Les Paul vous intéresse, n’hésitez pas à lire cet article !