Dans une période à problèmes, on trouve forcément des gens qui se grattent la tête pour trouver des solutions. La preuve avec l'équipe de Pikip qui n'a pas attendu que le mot sobriété soit à la mode pour inventer une sono d'avenir...
Créée par Julien Feuillet et Maatea Stabile, la société marseillaise Pikip propose depuis plus de cinq ans des solutions de diffusion solaires, et donc autonomes sur le plan énergétique : un projet qui coche tellement de cases dans ses usages comme dans sa philosophie qu’il a été cité en exemple par le Shift Project. Il n’y avait donc pas moyen de passer ce Mois vert sans s’entretenir avec Julien, ingénieur en énergie, et Solal Bouchet, ingénieur en électroacoustique, pour en savoir plus sur leur démarche qui dessine, à n’en pas douter, le futur de la sono et du spectacle vivant…
Making of a speaker
Comment est née l’idée de Pikip ?
Julien : Je suis ingénieur en énergie spécialisé dans le solaire et j’ai bossé avec des sur des travaux architecturaux, à Paris notamment. Comme tout bon vivant, j’aime la fête, j’aime les festivals et j’ai toujours baigné là-dedans avec mon groupe de potes. Et c’est vrai que ce rêve d’être autonome sur une sonorisation pro et de ne dépendre de personnes, c’est quelque chose qui était dans nos esprits depuis depuis plusieurs années. Et puis voilà, le BTP a eu raison de moi. J’ai j’ai posé ma démission et je me suis lancé dans ce projet, au début juste pour m’amuser quoi, pour m’occuper.
J’étais dans ma cave à Paris, près de République, et j’ai commencé un petit peu à mesurer tout ça. Et je me suis très vite rendu compte que si on voulait faire quelque chose de pro, c’est à dire avec des puissances et une qualité, une fiabilité et une autonomie qui parlent aux pros, brancher des enceintes lambda sur des marques lambda derrière des panneaux solaires, ça ne suffirait pas. Il fallait creuser un petit peu les appels de puissance, la notion de rendement… Et je me suis très vite rendu compte que le projet avait ses limites si on reste cloisonné à ça.
Julien : À cette époque, j’habitais à côté de la Maison du Haut Parleur à Paris et j’ai pu rencontrer notre mentor qui nous apporte encore ses durs conseils aujourd’hui : David Rousseau, soit Monsieur Basses fréquences en Île-de-France, qui m’a orienté vers les voix du théâtre. Sans me prémâcher le travail, il m’a dit « tiens, regarde ça et va t’amuser. On se retrouve dans six mois… » Six mois après, on se retrouve et entre temps, j’avais pu trouver six voix du théâtre que je suis allé chercher dans un cinéma à Boulogne qui allait être démoli. Puis j’ai pu commencer à mesurer les bécanes et voir qu’en effet, travailler sur le rendement des caisses pouvait rendre le projet viable. J’ai alors fait le premier module qui était Booth V0 : j’étais tout seul dans ma cave, entre les bagnoles qui se garent à envoyer de la grosse techno dans un parking qui faisait peur aux vieux. Et j’ai proposé tout de suite ce produit à des collectifs parisiens de l’underground techno, sachant que l’objectif était assez élevé parce qu’avec eux, il fallait que ça cogne fort et que ça cogne longtemps pour les afters qui tiennent jusqu’à 14 h le lendemain. Et il se trouve que ça a marché : tout le monde était content. On a fait des premières sorties à Bagnolet, puis ensuite avec des collectifs Microclimat, InterPaname, etc. Et de là on s’est dit : plutôt que de rester sur une petite invention, pourquoi ne pas en faire une activité ? Et le projet a grandi. On a fondé la boîte en 2017 et le projet a grandi comme ça.
Ce que je souligne, c’est qu’on est vraiment allé chercher dans les technologies du passé donc, à savoir les voix du théâtre et leur très haut rendement, conçues à une époque où les les ingénieurs n’avaient pas la puissance d’amplification actuelle et se posaient la question de comment produire une grosse pression acoustique avec très peu d’énergie. Et nous c’était typiquement notre enjeu puisque l’idée n’est pas de sommer des panneaux solaires en veux tu en voilà, ou d’arriver avec une demi-tonne de batterie. L’idée, c’est plutôt de se poser les questions de notre consommation et de trouver l’apport en énergie adéquat pour ça. Dans ma formation universitaire sur les énergies, c’est quelque chose que l’ADEME nous disait en 2005 : l’énergie la plus écologique est celle qui n’est pas consommée.
On regarde donc d’abord sa conso, on réduit sa conso et ensuite on trouve l’énergie nécessaire car on ne veut pas solariser coûte que coûte et créer des SUV électriques. Et c’est vrai que depuis quelques années, notamment l’année dernière, où le mot sobriété est d’un coup apparu sur toutes les lèvres, on se rend compte que ce sont des questions qu’on se pose déjà depuis très longtemps. On est du coup ravi de voir que maintenant il y a une prise de conscience, même si ce n’est pas dans des conditions super positives. Au moins y-t-il une prise de conscience sur cette notion de sobriété appliquée à l’événementiel. Et c’est là qu’on intervient…
Branché sur le soleil
Vos produits ont-ils fait l’objet de brevets technologiques ?
Julien : On a un brevet sur l’architecture électrique, et plus précisément sur nos étages d’alimentation, ce qui nous permet de bypasser des transformations d’énergie. En gros, on a un super rendement sur la chaîne énergétique totale puisqu’on va réduire au maximum les transformations. Ça nous permet aujourd’hui de pouvoir déjà absorber les crètes sans avoir à surdimensionner un groupe électrogène ou un onduleur pour des alimentations de quelques millisecondes d’impact dans le bas. On arrive à gérer ça avec une puissance moindre, de sorte qu’on n’est pas obligé de surdimensionné l’alimentation pour répondre à quelques millisecondes d’appels.
À l’heure actuelle, quel genre de dispositifs vous pouvez sonoriser ? Vu votre technologie, on ne peut pas parler de puissance, mais pour sur quelle taille d’évenements peut on utiliser vos solutions et sur quelle durée ?
Julien : Tu fais très bien de souligner ce que tu dis sur la puissance car on se bat depuis le début là-dessus. On nous demande : « vous avez combien de kilos ? » Ben oui, si on parle de kilos en puissance AES, c’est qu’on va pouvoir donner une puissance de façade, mais l’important pour nous, c’est qu’avec très peu d’énergie, on va avoir beaucoup de pression acoustique. Donc c’est vrai que la notion de puissance, on essaie un peu de la nuancer, non pas de la sortir du jargon parce que ce qu’elle a quand même son importance, mais on essaie de ramener à la notion de rendement, de pression acoustique…
Quant à l’autonomie, il faut savoir que le système est un triptyque : on produit, on stocke et en consomme dans le même objet. Nos machines sont donc chargées au solaire : très souvent, on les récupère de presta, on les laisse dehors le lendemain et ensuite on les range. Une journée suffit pour les recharger, de sorte qu’elle arrivent sur site généralement chargées, sachant que de toute façon, elles se chargent sur site aussi et elles sont dimensionnées pour commencer la nuit à 100 %. En fait, la production d’énergie va toujours être supérieure à la puissance de sortie.
L’autonomie, c’est ça : tu as un réservoir dont tu peux choisir la taille (sachant qu’un réservoir énorme, ce n’est pas notre but), comment le remplir plus ou moins vite, comment le vider, là encore plus ou moins vite. Aujourd’hui il se remplit plus vite que ce qui se vide, ce qui nous permet de commencer la nuit à 100 % sachant qu’une fois le soleil couché, on va avoir une autonomie qui va de 8 à 12 h, selon l’usage. Sur le booth, par exemple, pensé pour un usage DJing (deux vinyles, deux cd, une djm, la diff et une petite lumière), on arrive à 12 h d’autonomie.
12 h ! De quoi épuiser les gens sur la piste quand même ! ;)
Julien : Oui, en sachant qu’on a cette autonomie en proposant une diffusion jusqu’à 800 à 1000 personnes parce que le rendement du Woofer (un double 15 pouces chargé sur un pavillon avec un gros BR profilé à l’arrière) est juste incroyable… On arrive donc à avoir une autonomie qui nous fait même souvent rigoler : quand on vient chercher le matos le lendemain vers midi, on est parfois à 100 % parce qu’il a repris le soleil le matin….
Dans quelle mesure est-on dépendant de la météo pour charger ?
Julien : On est forcément dépendant et on aura un temps de charge plus court à Marseille qu’à Lille. Maintenant, on peut compenser ça par plus de panneaux. Je te parlais du module Booth mais sur notre module Stage, qui sort du DJing pour s’ouvrir au Live band, on va avoir une autonomie qui va être plutôt de six à huit heures parce qu’on maîtrise moins ce qui est branché sur notre système : claviers, console du régisseur, accessoires, ampli guitare et basse. On arrive souvent à proposer nos wedges pour compenser ça, mais on maîtrise moins la consommation, ce qui n’empêche pas de tenir entre 6 et 8 h sans soleil toujours.
Ce système, on le propose avec deux panneaux solaires, ce qui permet de recharger en une journée pour être à 100 % la nuit. Mais ça ne marche ainsi que pour le quart sud. Pour une presta plutôt dans le nord, je proposerai là deux panneaux solaires de plus pour être sûr de compenser le manque d’ensoleillement ou une météo un peu capricieuse
Repenser les notions de puissance et de rendement
Il y a un gros travail qui est fait du côté électrique, mais je crois qu’il y a aussi un gros travail qui est fait du côté de de la caisse et de l’enceinte même…
Solal : On travaille à plusieurs niveaux. Il y a un côté plus théorique où on essaie de quantifier le rendement parce que ce sont des notions qui ne sont pas trop couvertes dans la littérature. On a d’ailleurs fait un article qui a été publié dans le journal de l’AES, on a sorti un livre blanc aussi, sur ce sujet de la quantification, ce qui permet de savoir entre deux enceintes laquelle a le plus de rendement : parce ça semble évident, mais en fait ça ne l’est pas du tout ! Et par ailleurs, il y a un travail de recherche plus appliquée qui est de comparer les méthodes qui existent pour augmenter le rendement en acoustique et optimiser les méthodes qui semblent de plus appropriées. On a deux méthodes de base : les pavillons et le bass reflex qui permet donc d’étendre la réponse du haut parleur dans le grave, mais aussi d’augmenter grandement le rendement. C’est un aspect dont on parle assez peu souvent, mais ça crée en fait des pics dans l’impédance.
Disons que le pavillon nous permet d’augmenter le rendement au dessus de 80–100 Hz et en dessous de ça, on utilise du bass reflex qui permet d’augmenter le rendement autour de 40 60 Hz. Sur le sub enfin, on recourt à un résonateur quart d’onde (transmission line) qui lui permet d’augmenter le rendement entre 80 et 120 Hz. On essaie en gros de travailler avec ces charges acoustiques là, que nous n’avons pas inventées et qui existent depuis 100 ans, en les utilisant quand il faut, où il faut, et en optimisant le tout pour avoir du rendement partout.
En plus de ça, on a des évents bass reflex particuliers. D’habitude, les évents sont droits et ça fonctionne très bien à bas niveau, mais dès que tu montes en niveau, il y a des tourbillons acoustiques qui se créent dedans, de sorte que l’énergie que tu envoies n’est pas restituée sous forme de son. Concrètement, si tu montes six dB sur la console, acoustiquement tu n’auras que deux ou trois dB… C’est pour cela qu’on a développé ces évents qui sont un peu incurvés et qui, pour des raisons un peu compliquées de thermodynamique, limitent les tourbillons. Grâce à ça, quand tu montes de six dB sur ta console, tu obtiens une hausse de 5 à 5,5 dB acoustiques. Grâce à cela, on a la même réponse en fréquence, que ça soit à 80 dB ou à 120 dB et on a un rendement qui est quasiment le même aussi quel que soit le niveau. Mais pour plus d’infos là dessus, n’hésitez pas à aller consulter la partie news de notre site où l’on trouve quelques articles techniques…
Les amphithéâtres antiques grecs sont connus pour leur incroyable diffusion du son. Est ce que l’avenir du live, dans le sillage de ce que vous faites, ce n’est pas aussi repenser les salles pour qu’elles soient moins dépendantes de l’énergie envoyée ?
Solal : C’est une très bonne question et ça serait bien. Mais malheureusement je ne pense pas car dans les amphithéâtres ou les opéras, il y a un temps de réverbération qui est monstrueux, et c’est quelque chose qu’on ne veut pas, qu’on cherche même à atténuer. Mais ça reste une piste de recherche intéressante en acoustique, d’essayer d’avoir un truc qui sonne bien tout en atténuant pas trop l’énergie.
Des préoccupations qui font éco…
Comment intégrez-vous les problématiques écologiques dans la conception de vos produits ?
Julien : C’est quelque chose qu’on prend en considération depuis le début. Je viens du milieu de l’énergie et du BTP où j’ai vu justement quantité d’aberrations sur ce point, et du greenwashing en veux tu en voilà. Or, c’est un sujet qui pour moi est crucial. Déjà, on fait tout en France et on est vraiment sur de l’artisanat : des petites séries sans production exagérée. On travaille sur du bois, sur de l’acier principalement, avec très peu de plastique, en essayant de réduire au maximum les chinoiseries. Sur le booth, seules les roues sont chinoises mais pour tout le reste, on ne travaille qu’avec des fabricants européens, dans une volonté d’avoir moins d’impact sur le transport. On va avoir plus de qualité aussi, plus de garantie : pendant le premier confinement, on a pu continuer à bosser parce que justement on n’était pas sourcé par la Chine.
Pour ce qui est de la partie panneaux solaires, on travaille aussi avec une des dernières boites européennes qui le fait encore en Slovénie et on arrive à être meilleurs forcément qu’un panneau chinois qui a traversé la terre entière et qui surtout a été fabriqué grâce à une énergie qui produit beaucoup de CO2 (le bouquet énergétique chinois émet beaucoup de CO2 car il repose essentiellement sur des énergies fossiles).
Face à cela, notre force aussi, c’est le fait qu’on consomme moins : 10 à 15 fois moins par rapport aux autres fabricants, ce qui nous permet d’avoir moins de panneaux solaires. Donc là aussi on va avoir un impact un peu plus positif. D’ailleurs pour ce qui est de l’impact, on va faire une analyse de cycle de vie du Booth sur le prochain lot de production pour vraiment pouvoir quantifier où sont nos nos points forts et où sont nos points faibles, parce qu’il faut prendre le cycle global du produit.
Quand on voit par exemple des demi-tonnes de batteries et des mètres et des mètres carrés de panneaux solaires dans une volonté de tout solariser et de faire des SUV électriques, on peut certes dire « on a émis zéro », mais ce n’est valable que sur une petite partie du cycle de vie du produit. Car si on dézoome pour considérer l’empreinte dans sa globalité, le bilan est catastrophique. Or, j’y reviens : quand on parle de sobriété, l’enjeu est surtout de ne pas consommer. On est d’ailleurs cité dans le rapport du Shift Projet justement parce que notre approche de faire de l’économie de ressources et d’énergie a été jugée comme pertinente. On en était très fiers !
En fait, vous pouvez au mieux sonoriser des événements de 3000 personnes, c’est ça ?
Julien : C’est ça. On s’est fixé cet objectif de 3000 et à la base, on était même plutôt sur du 1000 – 1500. Pourquoi ? Parce que comme l’explique le Shift Project, l’impact d’un festival renvoie à plein de choses, plein de briques. Nous n’avons pas la prétention de changer le monde, mais de participer à ce changement en étant une des briques. Or les émissions des événements, c’est avant tout le transport du public. Donc, notre mission à nous, c’est de proposer un outil de qualité pour des jauges plutôt intimistes.
C’est précisément là où je voulais en venir. Selon le Shift Project, 80% des émissions d’un gros festival sont liées au transport des festivaliers. Pour réduire cela dans une démarche de sobriété, il faut donc réduire les événements : penser plus petit, plus local…
Julien : Oui, c’est vraiment notre volonté depuis le début. Après, je ne te cache pas qu’il y a aussi un enjeu technique : tu as forcément un pic à un moment où tu te retrouves à avoir trop de batteries, trop de panneaux solaires, trop de logistique de sorte que ton impact devient totalement discutable. Il y a donc un seuil à ne pas dépasser parce que restituer une pression acoustique sur une audience plus grosse, ça voudrait dire passer sur d’autres technologies, notamment du Line Array qui est très énergivore puisqu’il implique énormément de transducteurs. Aujourd’hui on a réussi à proposer quelque chose qui fonctionne avec 1500 personnes, et pour pousser jusqu’à 3000, on a sorti un sub. On a des têtes aussi à venir courant 2023 qui seront stackables pour pouvoir monter les jauges…
Pour donner des exemples, l’été dernier, on a fait deux fois 1500 personnes pour la Gay Pride à Longchamp : ça équivalait à l’énergie consommée pour prendre un bain chaud. Une autre fois, on a fait 800 personnes avec l’équivalent de la consommation d’un four pendant une demi-heure : soit une fournée de cookies… Dernier exemple au Delta : cinq jours de midi à minuit et sur la puissance qui a été consommée, ça équivaut à 25 kilomètres en Smart électrique, sachant que la consommation ne doit rien au réseau électrique grâce au solaire ; on peut parler de consommation nulle du coup…
Ces exemples sont importants pour l’imaginaire des gens, parce qu’on travaille certes avec les pros, mais aussi avec le public et quand tu fais une presta, c’est génial de voir une personne du public qui fait le tour, voit qu’il n’y a pas de câble d’alimentation, comprend qu’il y a des panneaux, il se cherche, il pose des questions et ensuite, il va chercher tout le monde pour leur montrer. Et ces gens deviennent tout de suite des ambassadeurs ou des ambassadrices. Ce qu’il y a de génial aussi, c’est que ces personnes en rentrant chez elles se disent que c’est possible de faire les choses différemment.
Si la technologie du solaire s’est largement améliorée en termes de rendement, on sait aussi que les panneaux vieillissent. Quelle est la durée de vie des dispositifs que vous vous commercialisez ?
Julien : Le panneau solaire, il faut savoir que c’est vraiment minéral, donc il n’y a pas d’usure comme tu peux en avoir sur une éolienne. Le verre va certes devenir poreux, donc tu vas perdre un petit peu en absorption en augmentant les réflexions, mais un panneau est aujourd’hui garanti 25 ans en production, c’était à dire que le fabricant s’engage à ce que dans 25 ans, tu produises encore 80 à 100 % de l’énergie annoncée. Mais dans les faits, j’ai vu des installations qui avaient 40 ans qui n’avaient pas bougé.
Et côté recyclage, comment cela se passe-t-il ?
Julien : Pour l’essentiel, c’est du verre, de l’alu et du silicium, avec un peu de terres rares comme du manganèse pour optimiser les semi-conducteurs. Mais les trois matériaux principaux, c’est ce qu’on sait le plus recycler, sachant que les filières sont en place.
D’où vient cette idée du coup que les panneaux perdraient en efficacité très vite et seraient très peu recyclables ?
Julien : Il y a derrière ces idées un peu de diabolisation venue du lobbying du pétrole ou du nucléaire. J’ai même entendu des trucs dingues sur l’éolien qui ralentirait la course de la terre ou ferait tourner le lait des vaches…
J’imagine que c’est le cas si tu attaches la vache aux pales, mais il faut déjà arriver à la monter là-haut ! (rires)
Julien : En tout cas pour le solaire, on est sur trois des matériaux que l’on recycle le mieux avec une durée de vie d’une quarantaine d’années, de sorte que le panneau, s’il a été fabriqué en Europe, il rentre au bout de trois ans dans de l’énergie grise, c’est-à-dire qu’il a compensé les gaz à effet de serre qu’a engendrés sa fabrication… C’est donc une énergie qui fait sens et qui fait sens pour notre cas précis où nous bossons beaucoup sur des événements en extérieur.
Il me semble en outre que tout ce que vous développez en termes d’optimisation du rendement acoustique ou de la consommation électrique, on en bénéficie en branchant vos enceintes sur le secteur ?
Julien : Exactement, d’ailleurs nos machines se chargent aussi sur le secteur. On a la chance en France d’être sur un bouquet énergétique essentiellement nucléaire, de sorte que du point de vue des émissions, ce n’est pas déconnant de faire ça et c’est forcément mieux que d’utiliser un groupe électrogène. Après le solaire m’amène à moi une vraie satisfaction : quand tu vois que ta machine elle fait sa vie, elle se charge, elle se décharge, que c’est un objet autosuffisant. Je me régale de voir, quand on vient rechercher le matos après un événement, que la batterie est déjà rechargée à 100%.
Vous venez de sortir un livre blanc de référence sur la mesure d’enceintes de sono. Quels sont les prochains projets pour Pikip ?
Solal : On est en train de travailler sur une caisse à courbure constante. Certains appellent ça du matriciel, d’autres du curviligne, et c’est une techno qui nous permettrait de faire des jauges un peu plus importantes de 3000 personnes, mais surtout de gérer des espaces plus complexes qu’une fosse, avec la possibilité d’arroser des gradins par exemple. On est aussi en train de passer d’amplis italiens à des amplis français qui nous permettront d’avoir un circuit encore plus court.
Julien : Et côté énergie, on étoffe la gamme sur des génératrices pures pour répondre à une demande de certains de nos clients d’être autonome sur les événements au-delà de la diff, en leur permettant par exemple de pouvoir brancher les tireuses à bière… Sur la partie « prêcher la bonne parole », on a effectivement ce livre blanc conçu pour être un outil de décision pour l’organisateur ou l’organisatrice qui ne va pas plus forcément se baser sur la réputation d’une marque ou sur les goûts de la direction technique, mais pourra vouloir aussi intégrer la notion de consommation d’énergie. On a dû créer le mode de calcul qui n’existait pas et on adorerait voir ces étiquettes sur les enceintes de tous les fabricants. Enfin, on fait aussi de la formation dans l’audio en fournissant des données aux formateurs qui vont sensibiliser les futurs directeurs ou directrices techniques, les futurs ingénieur·e·s du son sur les notions de rendement, d’efficacité acoustique.
Les technologies que vous promouvez comme vos solutions vont à l’inverse des grands producteurs d’énergie qui ne sont toujours pas dans la sobriété. Sans verser dans la paranoïa, rencontrez-vous des résistances sur le marché à ce niveau-là ?
Julien : Oui, d’autant qu’un marché se met en place pour électrifier l’existant. Je pourrais prendre l’exemple de la voiture : on avait du thermique, on passe tout à l’électrique, ce qui est a priori génial, sauf que quand on dézoome, on se rend compte que l’impact écologique n’est vraiment pas terrible parce que l’enjeu, ce n’était peut-être pas de tout passer à l’électrique. La question à se poser, c’était plutôt « comment se déplace-t-on ? » Et de voir notre champ d’action sur le moyen de déplacement.
C’est un petit peu ce qu’on essaie de mettre en avant, de ne pas reproduire ce genre de modèle. Aujourd’hui, l’enjeu dans l’événementiel, ce n’est pas d’arriver avec une tonne de batteries, mais plutôt de se demander comment on consomme la quantité d’énergie dont on dispose. Donc on sort forcément du domaine de l’acoustique puisqu’on doit prendre en compte le chaud/froid qui est très énergivore, mais aussi la lumière aussi qui a connu sa révolution avec la LED… Sauf qu’on se rend compte que là où on mettait autrefois deux lampes de 500 Watts, on va avoir aujourd’hui des lampes de 100 Watts, mais on va en mettre dix !
Oui, c’est le problème de l’effet rebond observé par Jevons au XIXe…
Julien : Oui ! En tout cas, on sait que les problématiques que nous nous posons nous, tous les acteurs vont être amenés à se les poser, que ce soit sur le système chaud/froid ou l’éclairage, et c’est tout cela qui fera qu’on ira vers une sobriété plus globale… Et pour revenir à ta question, les freins que l’on rencontre à ce niveau-là aujourd’hui, c’est plutôt une tendance à vouloir tout passer à l’électrique sans se préoccuper de la consommation. Et puis il y les habitudes aussi, la résistance au changement. Au début, tu peux avoir une réticence de la part de la direction technique ou du régisseur général, pas forcément des ingé son parce qu’en se baladant sur le site, ils comprennent vite qu’il y a un travail acoustique qui est sérieux derrière. Du coup, on invite sans cesse les décideurs à passer à l’atelier, à écouter les systèmes pour voir comment ils fonctionnent. Et en général, ce qui se passe, c’est qu’une fois qu’ils ont essayé, ils deviennent fans. Sur Marseille, on a été super bien accueilli par toute la scène technique et pour te donner une idée, pour fêter nos cinq ans, on a fait une belle session d’écoute pour montrer les nouveaux produits : on avait tous les directeurs techniques, les plus gros de Marseille, qui étaient présents et qui ont été les derniers à partir. Donc voilà, on y arrive petit à petit. Mais c’est vrai que pour répondre à ta question, le premier gros frein c’est les a priori et et le changement d’habitudes.
Parmi les nombreuses problématiques écologiques auxquelles nous devons faire face, il y a aussi la raréfaction des ressources, et en particulier des terres rares ou précieuses. C’est une chose à laquelle vous êtes déjà confrontés ? Vous l’anticipez ?
Julien : Je fais de la veille sur les nouvelles technos, et notamment sur le talon d’Achille du stockage, à savoir le lithium. On a été pendant longtemps sur du plomb recyclé puis traité, des batteries qui sont fondues et dont les composants sont remis à neuf. Donc on travaillait sur des matériaux qui ne sont pas extraits, qui sont déjà là. On a dû passer un peu à contrecœur sur du lithium parce que sur les modules, nos amplis autonomes, sur les AEA, pour la logistique, on ne pouvait pas se permettre de faire des caisses trop lourdes pour les personnes qui font la manutention. Mais pour moi, en effet, le lithium, c’est une technologie dont je ne suis pas fière et qui a ses limites. Mais tu as des technologies émergentes comme des batteries au sodium, par exemple, françaises en plus, qui vont arriver prochainement sur le marché… Donc voilà, on est en veille sur ça.
Mais de toute façon, de manière plus globale sur les économies de ressources, notre principal levier d’action demeure la sobriété : on va utiliser 1000 Watts / heure de batterie quand sur d’autres projets similaires, on serait plutôt sur du 10 000 voire plus. Or cette économie d’énergie, elle se retrouve aussi sur le stockage et sur les panneaux solaires. On travaille donc vraiment sur l’économie de ressources à notre niveau et au final, ce n’est pas bête parce qu’on arrive à être compétitifs parce que des batteries c’est très cher. Outre le côté écologique, quand tu arrives au même résultat avec une batterie au lieu de cinq, ça te permet aussi… d’exister tout simplement ! De toute façon, l’écologie doit devenir intéressante financièrement. Et je ne parle pas de planter des arbres pour compenser. Je parle vraiment du fait que si tu fais de l’économie de ressources et que tu sources bien tes matériaux, tu peux être compétitif…