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Culture / Société
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Le futur de la sono existe... et il est marseillais ! Interview de Julien Feuillet et Solal Bouchet de Pikip Solar Speakers

Dans une période à problèmes, on trouve forcément des gens qui se grattent la tête pour trouver des solutions. La preuve avec l'équipe de Pikip qui n'a pas attendu que le mot sobriété soit à la mode pour inventer une sono d'avenir...

Interview de Julien Feuillet et Solal Bouchet de Pikip Solar Speakers : Le futur de la sono existe... et il est marseillais !
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Créée par Julien Feuillet et Maatea Stabile, la société marseillaise Pikip propose depuis plus de cinq ans des solu­tions de diffu­sion solaires, et donc auto­nomes sur le plan éner­gé­tique : un projet qui coche telle­ment de cases dans ses usages comme dans sa philo­so­phie qu’il a été cité en exemple par le Shift Project. Il n’y avait donc pas moyen de passer ce Mois vert sans s’en­tre­te­nir avec Julien, ingé­nieur en éner­gie, et Solal Bouchet, ingé­nieur en élec­troa­cous­tique, pour en savoir plus sur leur démarche qui dessine, à n’en pas douter, le futur de la sono et du spec­tacle vivant… 

Making of a spea­ker

Comment est née l’idée de Pikip ?

Julien : Je suis ingé­nieur en éner­gie spécia­lisé dans le solaire et j’ai bossé avec des sur des travaux archi­tec­tu­raux, à Paris notam­ment. Comme tout bon vivant, j’aime la fête, j’aime les festi­vals et j’ai toujours baigné là-dedans avec mon groupe de potes. Et c’est vrai que ce rêve d’être auto­nome sur une sono­ri­sa­tion pro et de ne dépendre de personnes, c’est quelque chose qui était dans nos esprits depuis depuis plusieurs années. Et puis voilà, le BTP a eu raison de moi. J’ai j’ai posé ma démis­sion et je me suis lancé dans ce projet, au début juste pour m’amu­ser quoi, pour m’oc­cu­per.

J’étais dans ma cave à Paris, près de Répu­blique, et j’ai commencé un petit peu à mesu­rer tout ça. Et je me suis très vite rendu compte que si on voulait faire quelque chose de pro, c’est à dire avec des puis­sances et une qualité, une fiabi­lité et une auto­no­mie qui parlent aux pros, bran­cher des enceintes lambda sur des marques lambda derrière des panneaux solaires, ça ne suffi­rait pas. Il fallait creu­ser un petit peu les appels de puis­sance, la notion de rende­ment… Et je me suis très vite rendu compte que le projet avait ses limites si on reste cloi­sonné à ça.

j’étais tout seul dans ma cave, entre les bagnoles qui se garent à envoyer de la grosse techno dans un parking qui faisait peur aux vieux

yung-pad twk-puget-credit-fabrice-serrario dsc6527Julien : À cette époque, j’ha­bi­tais à côté de la Maison du Haut Parleur à Paris et j’ai pu rencon­trer notre mentor qui nous apporte encore ses durs conseils aujour­d’hui : David Rous­seau, soit Monsieur Basses fréquences en Île-de-France, qui m’a orienté vers les voix du théâtre. Sans me prémâ­cher le travail, il m’a dit « tiens, regarde ça et va t’amu­ser. On se retrouve dans six mois… » Six mois après, on se retrouve et entre temps, j’avais pu trou­ver six voix du théâtre que je suis allé cher­cher dans un cinéma à Boulogne qui allait être démoli. Puis j’ai pu commen­cer à mesu­rer les bécanes et voir qu’en effet, travailler sur le rende­ment des caisses pouvait rendre le projet viable. J’ai alors fait le premier module qui était Booth V0 : j’étais tout seul dans ma cave, entre les bagnoles qui se garent à envoyer de la grosse techno dans un parking qui faisait peur aux vieux. Et j’ai proposé tout de suite ce produit à des collec­tifs pari­siens de l’un­der­ground techno, sachant que l’objec­tif était assez élevé parce qu’avec eux, il fallait que ça cogne fort et que ça cogne long­temps pour les afters qui tiennent jusqu’à 14 h le lende­main. Et il se trouve que ça a marché : tout le monde était content. On a fait des premières sorties à Bagno­let, puis ensuite avec des collec­tifs Micro­cli­mat, Inter­Pa­name, etc. Et de là on s’est dit : plutôt que de rester sur une petite inven­tion, pourquoi ne pas en faire une acti­vité ? Et le projet a grandi. On a fondé la boîte en 2017 et le projet a grandi comme ça.

l’éner­gie la plus écolo­gique est celle qui n’est pas consom­mée.

subwoofer-pikip-vtl118Ce que je souligne, c’est qu’on est vrai­ment allé cher­cher dans les tech­no­lo­gies du passé donc, à savoir les voix du théâtre et leur très haut rende­ment, conçues à une époque où les les ingé­nieurs n’avaient pas la puis­sance d’am­pli­fi­ca­tion actuelle et se posaient la ques­tion de comment produire une grosse pres­sion acous­tique avec très peu d’éner­gie. Et nous c’était typique­ment notre enjeu puisque l’idée n’est pas de sommer des panneaux solaires en veux tu en voilà, ou d’ar­ri­ver avec une demi-tonne de batte­rie. L’idée, c’est plutôt de se poser les ques­tions de notre consom­ma­tion et de trou­ver l’ap­port en éner­gie adéquat pour ça. Dans ma forma­tion univer­si­taire sur les éner­gies, c’est quelque chose que l’ADEME nous disait en 2005 : l’éner­gie la plus écolo­gique est celle qui n’est pas consom­mée.

On regarde donc d’abord sa conso, on réduit sa conso et ensuite on trouve l’éner­gie néces­saire car on ne veut pas sola­ri­ser coûte que coûte et créer des SUV élec­triques. Et c’est vrai que depuis quelques années, notam­ment l’an­née dernière, où le mot sobriété est d’un coup apparu sur toutes les lèvres, on se rend compte que ce sont des ques­tions qu’on se pose déjà depuis très long­temps. On est du coup ravi de voir que main­te­nant il y a une prise de conscience, même si ce n’est pas dans des condi­tions super posi­tives. Au moins y-t-il une prise de conscience sur cette notion de sobriété appliquée à l’évé­ne­men­tiel. Et c’est là qu’on inter­vient…

Bran­ché sur le soleil

Vos produits ont-ils fait l’objet de brevets tech­no­lo­giques ?

Julien : On a un brevet sur l’ar­chi­tec­ture élec­trique, et plus préci­sé­ment sur nos étages d’ali­men­ta­tion, ce qui nous permet de bypas­ser des trans­for­ma­tions d’éner­gie. En gros, on a un super rende­ment sur la chaîne éner­gé­tique totale puisqu’on va réduire au maxi­mum les trans­for­ma­tions. Ça nous permet aujour­d’hui de pouvoir déjà absor­ber les crètes sans avoir à surdi­men­sion­ner un groupe élec­tro­gène ou un ondu­leur pour des alimen­ta­tions de quelques milli­se­condes d’im­pact dans le bas. On arrive à gérer ça avec une puis­sance moindre, de sorte qu’on n’est pas obligé de surdi­men­sionné l’ali­men­ta­tion pour répondre à quelques milli­se­condes d’ap­pels.

À l’heure actuelle, quel genre de dispo­si­tifs vous pouvez sono­ri­ser ? Vu votre tech­no­lo­gie, on ne peut pas parler de puis­sance, mais pour sur quelle taille d’éve­ne­ments peut on utili­ser vos solu­tions et sur quelle durée ?

Julien : Tu fais très bien de souli­gner ce que tu dis sur la puis­sance car on se bat depuis le début là-dessus. On nous demande : « vous avez combien de kilos ? » Ben oui, si on parle de kilos en puis­sance AES, c’est qu’on va pouvoir donner une puis­sance de façade, mais l’im­por­tant pour nous, c’est qu’avec très peu d’éner­gie, on va avoir beau­coup de pres­sion acous­tique. Donc c’est vrai que la notion de puis­sance, on essaie un peu de la nuan­cer, non pas de la sortir du jargon parce que ce qu’elle a quand même son impor­tance, mais on essaie de rame­ner à la notion de rende­ment, de pres­sion acous­tique…

Sur le Booth pensé pour un usage DJing (deux vinyles, deux cd, une DJM, la diff et une petite lumière), on arrive à 12 h d’au­to­no­mie.

twk-puget-credit-fabrice-serrario dsc6427Quant à l’au­to­no­mie, il faut savoir que le système est un trip­tyque : on produit, on stocke et en consomme dans le même objet. Nos machines sont donc char­gées au solaire : très souvent, on les récu­père de presta, on les laisse dehors le lende­main et ensuite on les range. Une jour­née suffit pour les rechar­ger, de sorte qu’elle arrivent sur site géné­ra­le­ment char­gées, sachant que de toute façon, elles se chargent sur site aussi et elles sont dimen­sion­nées pour commen­cer la nuit à 100 %. En fait, la produc­tion d’éner­gie va toujours être supé­rieure à la puis­sance de sortie.

L’au­to­no­mie, c’est ça : tu as un réser­voir dont tu peux choi­sir la taille (sachant qu’un réser­voir énorme, ce n’est pas notre but), comment le remplir plus ou moins vite, comment le vider, là encore plus ou moins vite. Aujour­d’hui il se remplit plus vite que ce qui se vide, ce qui nous permet de commen­cer la nuit à 100 % sachant qu’une fois le soleil couché, on va avoir une auto­no­mie qui va de 8 à 12 h, selon l’usage. Sur le booth, par exemple, pensé pour un usage DJing (deux vinyles, deux cd, une djm, la diff et une petite lumière), on arrive à 12 h d’au­to­no­mie.

12 h ! De quoi épui­ser les gens sur la piste quand même ! ;)

Julien : Oui, en sachant qu’on a cette auto­no­mie en propo­sant une diffu­sion jusqu’à 800 à 1000 personnes parce que le rende­ment du Woofer (un double 15 pouces chargé sur un pavillon avec un gros BR profilé à l’ar­rière) est juste incroya­ble… On arrive donc à avoir une auto­no­mie qui nous fait même souvent rigo­ler : quand on vient cher­cher le matos le lende­main vers midi, on est parfois à 100 % parce qu’il a repris le soleil le matin….

Dans quelle mesure est-on dépen­dant de la météo pour char­ger ?

scenes-nomade-deambulation-paris-sonorisation-maad93Julien : On est forcé­ment dépen­dant et on aura un temps de charge plus court à Marseille qu’à Lille. Main­te­nant, on peut compen­ser ça par plus de panneaux. Je te parlais du module Booth mais sur notre module Stage, qui sort du DJing pour s’ou­vrir au Live band, on va avoir une auto­no­mie qui va être plutôt de six à huit heures parce qu’on maîtrise moins ce qui est bran­ché sur notre système : claviers, console du régis­seur, acces­soires, ampli guitare et basse. On arrive souvent à propo­ser nos wedges pour compen­ser ça, mais on maîtrise moins la consom­ma­tion, ce qui n’em­pêche pas de tenir entre 6 et 8 h sans soleil toujours.

Ce système, on le propose avec deux panneaux solaires, ce qui permet de rechar­ger en une jour­née pour être à 100 % la nuit. Mais ça ne marche ainsi que pour le quart sud. Pour une presta plutôt dans le nord, je propo­se­rai là deux panneaux solaires de plus pour être sûr de compen­ser le manque d’en­so­leille­ment ou une météo un peu capri­cieuse

Repen­ser les notions de puis­sance et de rende­ment

le bass reflex permet d’étendre la réponse du haut parleur dans le grave, mais aussi d’aug­men­ter gran­de­ment le rende­ment.

b1a8beed-5094-47c6-b467-30137e25c45eIl y a un gros travail qui est fait du côté élec­trique, mais je crois qu’il y a aussi un gros travail qui est fait du côté de de la caisse et de l’en­ceinte même…

Solal : On travaille à plusieurs niveaux. Il y a un côté plus théo­rique où on essaie de quan­ti­fier le rende­ment parce que ce sont des notions qui ne sont pas trop couvertes dans la litté­ra­ture. On a d’ailleurs fait un article qui a été publié dans le jour­nal de l’AES, on a sorti un livre blanc aussi, sur ce sujet de la quan­ti­fi­ca­tion, ce qui permet de savoir entre deux enceintes laquelle a le plus de rende­ment : parce ça semble évident, mais en fait ça ne l’est pas du tout ! Et par ailleurs, il y a un travail de recherche plus appliquée qui est de compa­rer les méthodes qui existent pour augmen­ter le rende­ment en acous­tique et opti­mi­ser les méthodes qui semblent de plus appro­priées. On a deux méthodes de base : les pavillons et le bass reflex qui permet donc d’étendre la réponse du haut parleur dans le grave, mais aussi d’aug­men­ter gran­de­ment le rende­ment. C’est un aspect dont on parle assez peu souvent, mais ça crée en fait des pics dans l’im­pé­dance.

Disons que le pavillon nous permet d’aug­men­ter le rende­ment au dessus de 80–100 Hz et en dessous de ça, on utilise du bass reflex qui permet d’aug­men­ter le rende­ment autour de 40 60 Hz. Sur le sub enfin, on recourt à un réso­na­teur quart d’onde (trans­mis­sion line) qui lui permet d’aug­men­ter le rende­ment entre 80 et 120 Hz. On essaie en gros de travailler avec ces charges acous­tiques là, que nous n’avons pas inven­tées et qui existent depuis 100 ans, en les utili­sant quand il faut, où il faut, et en opti­mi­sant le tout pour avoir du rende­ment partout.

pikip-solar-speakers-sound-system-autonome-subwoofer-bass-prosound-stagesound-sounddesign-livesound-loudspeakers-7En plus de ça, on a des évents bass reflex parti­cu­liers. D’ha­bi­tude, les évents sont droits et ça fonc­tionne très bien à bas niveau, mais dès que tu montes en niveau, il y a des tour­billons acous­tiques qui se créent dedans, de sorte que l’éner­gie que tu envoies n’est pas resti­tuée sous forme de son. Concrè­te­ment, si tu montes six dB sur la console, acous­tique­ment tu n’au­ras que deux ou trois dB… C’est pour cela qu’on a déve­loppé ces évents qui sont un peu incur­vés et qui, pour des raisons un peu compliquées de ther­mo­dy­na­mique, limitent les tour­billons. Grâce à ça, quand tu montes de six dB sur ta console, tu obtiens une hausse de 5 à 5,5 dB acous­tiques. Grâce à cela, on a la même réponse en fréquence, que ça soit à 80 dB ou à 120 dB et on a un rende­ment qui est quasi­ment le même aussi quel que soit le niveau. Mais pour plus d’in­fos là dessus, n’hé­si­tez pas à aller consul­ter la partie news de notre site où l’on trouve quelques articles tech­niques…

Les amphi­théâtres antiques grecs sont connus pour leur incroyable diffu­sion du son. Est ce que l’ave­nir du live, dans le sillage de ce que vous faites, ce n’est pas aussi repen­ser les salles pour qu’elles soient moins dépen­dantes de l’éner­gie envoyée ?

Solal : C’est une très bonne ques­tion et ça serait bien. Mais malheu­reu­se­ment je ne pense pas car dans les amphi­théâtres ou les opéras, il y a un temps de réver­bé­ra­tion qui est mons­trueux, et c’est quelque chose qu’on ne veut pas, qu’on cherche même à atté­nuer. Mais ça reste une piste de recherche inté­res­sante en acous­tique, d’es­sayer d’avoir un truc qui sonne bien tout en atté­nuant pas trop l’éner­gie.

pendant le premier confi­ne­ment, on a pu conti­nuer à bosser parce que juste­ment on était pas sourcé par la Chine.

Des préoc­cu­pa­tions qui font éco…

Atelier-Lot2-01Comment inté­grez-vous les problé­ma­tiques écolo­giques dans la concep­tion de vos produits ?

Julien : C’est quelque chose qu’on prend en consi­dé­ra­tion depuis le début. Je viens du milieu de l’éner­gie et du BTP où j’ai vu juste­ment quan­tité d’aber­ra­tions sur ce point, et du green­wa­shing en veux tu en voilà. Or, c’est un sujet qui pour moi est crucial. Déjà, on fait tout en France et on est vrai­ment sur de l’ar­ti­sa­nat : des petites séries sans produc­tion exagé­rée. On travaille sur du bois, sur de l’acier prin­ci­pa­le­ment, avec très peu de plas­tique, en essayant de réduire au maxi­mum les chinoi­se­ries. Sur le booth, seules les roues sont chinoises mais pour tout le reste, on ne travaille qu’avec des fabri­cants euro­péens, dans une volonté d’avoir moins d’im­pact sur le trans­port. On va avoir plus de qualité aussi, plus de garan­tie : pendant le premier confi­ne­ment, on a pu conti­nuer à bosser parce que juste­ment on n’était pas sourcé par la Chine.

Avec des demi-tonnes de batte­ries et des mètres carrés de panneaux solaires dans une volonté de tout sola­ri­ser, on peut certes dire « on a émis zéro », mais ce n’est valable que sur une petite partie du cycle de vie du produit. Car si on dézoome pour consi­dé­rer l’em­preinte dans sa globa­lité, le bilan est catas­tro­phique.

Pour ce qui est de la partie panneaux solaires, on travaille aussi avec une des dernières boites euro­péennes qui le fait encore en Slové­nie et on arrive à être meilleurs forcé­ment qu’un panneau chinois qui a traversé la terre entière et qui surtout a été fabriqué grâce à une éner­gie qui produit beau­coup de CO2 (le bouquet éner­gé­tique chinois émet beau­coup de CO2 car il repose essen­tiel­le­ment sur des éner­gies fossiles).

Face à cela, notre force aussi, c’est le fait qu’on consomme moins : 10 à 15 fois moins par rapport aux autres fabri­cants, ce qui nous permet d’avoir moins de panneaux solaires. Donc là aussi on va avoir un impact un peu plus posi­tif. D’ailleurs pour ce qui est de l’im­pact, on va faire une analyse de cycle de vie du Booth sur le prochain lot de produc­tion pour vrai­ment pouvoir quan­ti­fier où sont nos nos points forts et où sont nos points faibles, parce qu’il faut prendre le cycle global du produit.

Quand on voit par exemple des demi-tonnes de batte­ries et des mètres et des mètres carrés de panneaux solaires dans une volonté de tout sola­ri­ser et de faire des SUV élec­triques, on peut certes dire « on a émis zéro », mais ce n’est valable que sur une petite partie du cycle de vie du produit. Car si on dézoome pour consi­dé­rer l’em­preinte dans sa globa­lité, le bilan est catas­tro­phique. Or, j’y reviens : quand on parle de sobriété, l’enjeu est surtout de ne pas consom­mer. On est d’ailleurs cité dans le rapport du Shift Projet juste­ment parce que notre approche de faire de l’éco­no­mie de ressources et d’éner­gie a été jugée comme perti­nente. On en était très fiers !

PikiP-solar-speakers-twerkistan-marseille-pujet-blockparty-djbooth-solarsoundsystem-soundsystem-solarenergy-pikipbooth-2En fait, vous pouvez au mieux sono­ri­ser des événe­ments de 3000 personnes, c’est ça ?

Julien : C’est ça. On s’est fixé cet objec­tif de 3000 et à la base, on était même plutôt sur du 1000 – 1500. Pourquoi ? Parce que comme l’ex­plique le Shift Project, l’im­pact d’un festi­val renvoie à plein de choses, plein de briques. Nous n’avons pas la préten­tion de chan­ger le monde, mais de parti­ci­per à ce chan­ge­ment en étant une des briques. Or les émis­sions des événe­ments, c’est avant tout le trans­port du public. Donc, notre mission à nous, c’est de propo­ser un outil de qualité pour des jauges plutôt inti­mistes.

on a fait deux fois 1500 personnes pour la Gay Pride à Long­champ : ça équi­va­lait à l’éner­gie consom­mée pour prendre un bain chaud.

C’est préci­sé­ment là où je voulais en venir. Selon le Shift Project, 80% des émis­sions d’un gros festi­val sont liées au trans­port des festi­va­liers. Pour réduire cela dans une démarche de sobriété, il faut donc réduire les événe­ments : penser plus petit, plus local…

Julien : Oui, c’est vrai­ment notre volonté depuis le début. Après, je ne te cache pas qu’il y a aussi un enjeu tech­nique : tu as forcé­ment un pic à un moment où tu te retrouves à avoir trop de batte­ries, trop de panneaux solaires, trop de logis­tique de sorte que ton impact devient tota­le­ment discu­table. Il y a donc un seuil à ne pas dépas­ser parce que resti­tuer une pres­sion acous­tique sur une audience plus grosse, ça voudrait dire passer sur d’autres tech­no­lo­gies, notam­ment du Line Array qui est très éner­gi­vore puisqu’il implique énor­mé­ment de trans­duc­teurs. Aujour­d’hui on a réussi à propo­ser quelque chose qui fonc­tionne avec 1500 personnes, et pour pous­ser jusqu’à 3000, on a sorti un sub. On a des têtes aussi à venir courant 2023 qui seront stackables pour pouvoir monter les jauges…

IMG 20220702 205132Pour donner des exemples, l’été dernier, on a fait deux fois 1500 personnes pour la Gay Pride à Long­champ : ça équi­va­lait à l’éner­gie consom­mée pour prendre un bain chaud. Une autre fois, on a fait 800 personnes avec l’équi­valent de la consom­ma­tion d’un four pendant une demi-heure : soit une four­née de cookies… Dernier exemple au Delta : cinq jours de midi à minuit et sur la puis­sance qui a été consom­mée, ça équi­vaut à 25 kilo­mètres en Smart élec­trique, sachant que la consom­ma­tion ne doit rien au réseau élec­trique grâce au solaire ; on peut parler de consom­ma­tion nulle du coup…

Ces exemples sont impor­tants pour l’ima­gi­naire des gens, parce qu’on travaille certes avec les pros, mais aussi avec le public et quand tu fais une presta, c’est génial de voir une personne du public qui fait le tour, voit qu’il n’y a pas de câble d’ali­men­ta­tion, comprend qu’il y a des panneaux, il se cherche, il pose des ques­tions et ensuite, il va cher­cher tout le monde pour leur montrer. Et ces gens deviennent tout de suite des ambas­sa­deurs ou des ambas­sa­drices. Ce qu’il y a de génial aussi, c’est que ces personnes en rentrant chez elles se disent que c’est possible de faire les choses diffé­rem­ment.

image-45Si la tech­no­lo­gie du solaire s’est large­ment amélio­rée en termes de rende­ment, on sait aussi que les panneaux vieillissent. Quelle est la durée de vie des dispo­si­tifs que vous vous commer­cia­li­sez ?

Julien : Le panneau solaire, il faut savoir que c’est vrai­ment miné­ral, donc il n’y a pas d’usure comme tu peux en avoir sur une éolienne. Le verre va certes deve­nir poreux, donc tu vas perdre un petit peu en absorp­tion en augmen­tant les réflexions, mais un panneau est aujour­d’hui garanti 25 ans en produc­tion, c’était à dire que le fabri­cant s’en­gage à ce que dans 25 ans, tu produises encore 80 à 100 % de l’éner­gie annon­cée. Mais dans les faits, j’ai vu des instal­la­tions qui avaient 40 ans qui n’avaient pas bougé.

Et côté recy­clage, comment cela se passe-t-il ?

Julien : Pour l’es­sen­tiel, c’est du verre, de l’alu et du sili­cium, avec un peu de terres rares comme du manga­nèse pour opti­mi­ser les semi-conduc­teurs. Mais les trois maté­riaux prin­ci­paux, c’est ce qu’on sait le plus recy­cler, sachant que les filières sont en place.

D’où vient cette idée du coup que les panneaux perdraient en effi­ca­cité très vite et seraient très peu recy­clables ?

Julien : Il y a derrière ces idées un peu de diabo­li­sa­tion venue du lobbying du pétrole ou du nucléaire. J’ai même entendu des trucs dingues sur l’éo­lien qui ralen­ti­rait la course de la terre ou ferait tour­ner le lait des vaches…

J’ima­gine que c’est le cas si tu attaches la vache aux pales, mais il faut déjà arri­ver à la monter là-haut ! (rires)

Julien : En tout cas pour le solaire, on est sur trois des maté­riaux que l’on recycle le mieux avec une durée de vie d’une quaran­taine d’an­nées, de sorte que le panneau, s’il a été fabriqué en Europe, il rentre au bout de trois ans dans de l’éner­gie grise, c’est-à-dire qu’il a compensé les gaz à effet de serre qu’a engen­drés sa fabri­ca­tion… C’est donc une éner­gie qui fait sens et qui fait sens pour notre cas précis où nous bossons beau­coup sur des événe­ments en exté­rieur.

IMG 20220805 124441Il me semble en outre que tout ce que vous déve­lop­pez en termes d’op­ti­mi­sa­tion du rende­ment acous­tique ou de la consom­ma­tion élec­trique, on en béné­fi­cie en bran­chant vos enceintes sur le secteur ?

Julien : Exac­te­ment, d’ailleurs nos machines se chargent aussi sur le secteur. On a la chance en France d’être sur un bouquet éner­gé­tique essen­tiel­le­ment nucléaire, de sorte que du point de vue des émis­sions, ce n’est pas décon­nant de faire ça et c’est forcé­ment mieux que d’uti­li­ser un groupe élec­tro­gène. Après le solaire m’amène à moi une vraie satis­fac­tion : quand tu vois que ta machine elle fait sa vie, elle se charge, elle se décharge, que c’est un objet auto­suf­fi­sant. Je me régale de voir, quand on vient recher­cher le matos après un événe­ment, que la batte­rie est déjà rechar­gée à 100%.

Vous venez de sortir un livre blanc de réfé­rence sur la mesure d’en­ceintes de sono. Quels sont les prochains projets pour Pikip ?

Solal : On est en train de travailler sur une caisse à cour­bure constante. Certains appellent ça du matri­ciel, d’autres du curvi­ligne, et c’est une techno qui nous permet­trait de faire des jauges un peu plus impor­tantes de 3000 personnes, mais surtout de gérer des espaces plus complexes qu’une fosse, avec la possi­bi­lité d’ar­ro­ser des gradins par exemple. On est aussi en train de passer d’am­plis italiens à des amplis français qui nous permet­tront d’avoir un circuit encore plus court.

Julien : Et côté éner­gie, on étoffe la gamme sur des géné­ra­trices pures pour répondre à une demande de certains de nos clients d’être auto­nome sur les événe­ments au-delà de la diff, en leur permet­tant par exemple de pouvoir bran­cher les tireuses à bière… Sur la partie « prêcher la bonne parole », on a effec­ti­ve­ment ce livre blanc conçu pour être un outil de déci­sion pour l’or­ga­ni­sa­teur ou l’or­ga­ni­sa­trice qui ne va pas plus forcé­ment se baser sur la répu­ta­tion d’une marque ou sur les goûts de la direc­tion tech­nique, mais pourra vouloir aussi inté­grer la notion de consom­ma­tion d’éner­gie. On a dû créer le mode de calcul qui n’exis­tait pas et on adore­rait voir ces étiquettes sur les enceintes de tous les fabri­cants. Enfin, on fait aussi de la forma­tion dans l’au­dio en four­nis­sant des données aux forma­teurs qui vont sensi­bi­li­ser les futurs direc­teurs ou direc­trices tech­niques, les futurs ingé­nieur·e·s du son sur les notions de rende­ment, d’ef­fi­ca­cité acous­tique.

on se rend compte que là où on mettait autre­fois deux lampes de 500 Watts, on va avoir aujour­d’hui des lampes de 100 Watts, mais on va en mettre dix !

Les tech­no­lo­gies que vous promou­vez comme vos solu­tions vont à l’in­verse des grands produc­teurs d’éner­gie qui ne sont toujours pas dans la sobriété. Sans verser dans la para­noïa, rencon­trez-vous des résis­tances sur le marché à ce niveau-là ?

Julien : Oui, d’au­tant qu’un marché se met en place pour élec­tri­fier l’exis­tant. Je pour­rais prendre l’exemple de la voiture : on avait du ther­mique, on passe tout à l’élec­trique, ce qui est a priori génial, sauf que quand on dézoome, on se rend compte que l’im­pact écolo­gique n’est vrai­ment pas terrible parce que l’enjeu, ce n’était peut-être pas de tout passer à l’élec­trique. La ques­tion à se poser, c’était plutôt « comment se déplace-t-on ? » Et de voir notre champ d’ac­tion sur le moyen de dépla­ce­ment.

C’est un petit peu ce qu’on essaie de mettre en avant, de ne pas repro­duire ce genre de modèle. Aujour­d’hui, l’enjeu dans l’évé­ne­men­tiel, ce n’est pas d’ar­ri­ver avec une tonne de batte­ries, mais plutôt de se deman­der comment on consomme la quan­tité d’éner­gie dont on dispose. Donc on sort forcé­ment du domaine de l’acous­tique puisqu’on doit prendre en compte le chaud/froid qui est très éner­gi­vore, mais aussi la lumière aussi qui a connu sa révo­lu­tion avec la LED… Sauf qu’on se rend compte que là où on mettait autre­fois deux lampes de 500 Watts, on va avoir aujour­d’hui des lampes de 100 Watts, mais on va en mettre dix !

Oui, c’est le problème de l’ef­fet rebond observé par Jevons au XIXe…

PikiP-Solar-Speakers-sound-system-autonome-prosound-stagesound-soundengineer-livesound-loudspeakers-1Julien : Oui ! En tout cas, on sait que les problé­ma­tiques que nous nous posons nous, tous les acteurs vont être amenés à se les poser, que ce soit sur le système chaud/froid ou l’éclai­rage, et c’est tout cela qui fera qu’on ira vers une sobriété plus globa­le… Et pour reve­nir à ta ques­tion, les freins que l’on rencontre à ce niveau-là aujour­d’hui, c’est plutôt une tendance à vouloir tout passer à l’élec­trique sans se préoc­cu­per de la consom­ma­tion. Et puis il y les habi­tudes aussi, la résis­tance au chan­ge­ment. Au début, tu peux avoir une réti­cence de la part de la direc­tion tech­nique ou du régis­seur géné­ral, pas forcé­ment des ingé son parce qu’en se bala­dant sur le site, ils comprennent vite qu’il y a un travail acous­tique qui est sérieux derrière. Du coup, on invite sans cesse les déci­deurs à passer à l’ate­lier, à écou­ter les systèmes pour voir comment ils fonc­tionnent. Et en géné­ral, ce qui se passe, c’est qu’une fois qu’ils ont essayé, ils deviennent fans. Sur Marseille, on a été super bien accueilli par toute la scène tech­nique et pour te donner une idée, pour fêter nos cinq ans, on a fait une belle session d’écoute pour montrer les nouveaux produits : on avait tous les direc­teurs tech­niques, les plus gros de Marseille, qui étaient présents et qui ont été les derniers à partir. Donc voilà, on y arrive petit à petit. Mais c’est vrai que pour répondre à ta ques­tion, le premier gros frein c’est les a priori et et le chan­ge­ment d’ha­bi­tudes.

des tech­no­lo­gies émer­gentes comme des batte­ries au sodium, françaises en plus, qui vont arri­ver prochai­ne­ment sur le marché

Parmi les nombreuses problé­ma­tiques écolo­giques auxquelles nous devons faire face, il y a aussi la raré­fac­tion des ressources, et en parti­cu­lier des terres rares ou précieuses. C’est une chose à laquelle vous êtes déjà confron­tés ? Vous l’an­ti­ci­pez ?

Julien : Je fais de la veille sur les nouvelles tech­nos, et notam­ment sur le talon d’Achille du stockage, à savoir le lithium. On a été pendant long­temps sur du plomb recy­clé puis traité, des batte­ries qui sont fondues et dont les compo­sants sont remis à neuf. Donc on travaillait sur des maté­riaux qui ne sont pas extraits, qui sont déjà là. On a dû passer un peu à contre­cœur sur du lithium parce que sur les modules, nos amplis auto­nomes, sur les AEA, pour la logis­tique, on ne pouvait pas se permettre de faire des caisses trop lourdes pour les personnes qui font la manu­ten­tion. Mais pour moi, en effet, le lithium, c’est une tech­no­lo­gie dont je ne suis pas fière et qui a ses limites. Mais tu as des tech­no­lo­gies émer­gentes comme des batte­ries au sodium, par exemple, françaises en plus, qui vont arri­ver prochai­ne­ment sur le marché… Donc voilà, on est en veille sur ça.

Mais de toute façon, de manière plus globale sur les écono­mies de ressources, notre prin­ci­pal levier d’ac­tion demeure la sobriété : on va utili­ser 1000 Watts / heure de batte­rie quand sur d’autres projets simi­laires, on serait plutôt sur du 10 000 voire plus. Or cette écono­mie d’éner­gie, elle se retrouve aussi sur le stockage et sur les panneaux solaires. On travaille donc vrai­ment sur l’éco­no­mie de ressources à notre niveau et au final, ce n’est pas bête parce qu’on arrive à être compé­ti­tifs parce que des batte­ries c’est très cher. Outre le côté écolo­gique, quand tu arrives au même résul­tat avec une batte­rie au lieu de cinq, ça te permet aussi… d’exis­ter tout simple­ment ! De toute façon, l’éco­lo­gie doit deve­nir inté­res­sante finan­ciè­re­ment. Et je ne parle pas de plan­ter des arbres pour compen­ser. Je parle vrai­ment du fait que si tu fais de l’éco­no­mie de ressources et que tu sources bien tes maté­riaux, tu peux être compé­ti­tif…

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