Après avoir brutalisé le monde du synthé matériel, Arturia entend bien mettre de la couleur dans nos logiciels avec Pigments, une sorte de synthé somme qu’on espère haut en couleur.
En presque vingt ans d’existence, le moins que l’on puisse dire, c’est que la société grenobloise Arturia a fait du chemin malgré une forme de gentille schizophrénie dont témoigne son catalogue. Du côté logiciel, la marque n’a en effet eu de cesse de reproduire des synthés de légende construits par d’autres, tandis que du côté matériel, elle a tout misé avec la famille Brute sur des designs originaux au caractère bien trempé. C’est dire si ce Pigments marque un tournant dans l’histoire d’Arturia car si l’on excepte l’antédiluvien Storm qui tenait plus de la Workstation façon Reason, l’excellente boîte à rythmes Spark et le non moins excellent expandeur Analog Lab proposant un Best of de presets issus de la V-Collection, il est ni plus ni moins le premier synthé logiciel de la marque qui ne soit pas une émulation mais repose sur un design original.
Notez que le mot « original » est à prendre ici au sens premier du terme, car le concept sur lequel il repose n’a rien de fondamentalement nouveau, bien au contraire : il s’agit d’un synthé hybride dont les deux générateurs sonores peuvent au choix se baser sur de classiques oscillateurs à modélisation analogique ou sur des tables d’ondes, tout cela étant ensuite soumis aux traditionnels outils de la synthèse soustractive : filtres, modulations et effets. Bref, on se retrouve face à un concept qui n’a rien de bien rare sur le marché, surtout qu’après les succès phénoménaux de Massive et Serum, quantité de développeurs ont réalisé des synthés à tables d’ondes, jusqu’aux éditeurs de STAN. À la faveur de ce qui semble être un véritable effet de mode, on dénombre ainsi sur le papier une petite trentaine de synthés à tables d’ondes sans parler de l’offre Freeware.
Arturia n’est toutefois pas né de la dernière pluie et vous vous doutez bien que s’il se place sur un marché aussi concurrentiel, l’éditeur a fourbi ses armes pour s’élever au-dessus de la mêlée. C’est donc dans le diable et ses détails qu’il va falloir examiner ce Pigments, après avoir installé le logiciel disponible sous Mac comme PC aux formats VST, AU et AAX, mais aussi en version autonome.
Pour la vidéo, c’est juste en dessous. Et pour le texte, c’est encore plus en dessous :
Dans le courant d’une onde épurée…
À l’instar d’un Serum, l’écran qui nous accueille présente les deux générateurs sonores et deux filtres dans la partie haut tandis que tout le bas de l’interface est dédié aux modulations et macros. Les effets et outils de séquence (séquenceur et arpégiateur) disposent quant à eux de leur propre page accessible depuis un jeu d’onglet.
Offrant la possibilité de naviguer dans les sons via une arborescence ou par tags, le navigateur de presets est le même que sur tous les produits Arturia, tout comme les préférences, la possibilité d’agrandir ou rétrécir l’interface par pas de 10%, ou encore le MIDI Learn. Graphiquement, on reste dans les canons Arturiens avec un mélange de gris sombres, de blanc et de bleu turquoise assaisonnés à la sauce Flat Design. Tout est clair, lisible et en dehors des modulateurs qui agitent leurs ondes colorées sur le patch par défaut (d’où le nom de Pigments), disons que nous sommes face à une austérité classe et de bon goût.
Ce tour global achevé, voyons ce qu’il en est à présent des différents modules qui composent la bête en commençant logiquement par ses générateurs sonores.
Engine bleu
Évidemment, on retrouve aussi dans ces derniers le dosage du signal envoyé vers chacun des deux filtres que propose Pigments et vers lesquels il convient à présent de nous diriger.
Filtres d’amour
Précisons que nos deux amis peuvent être routés en série ou en parallèle avec – et c’est intelligent – la possibilité d’avoir des états intermédiaires entre ces deux routings (qui sont donc finalement eux-mêmes parallèles). Avec un seul et unique potard, il fallait y penser !
Tu pensais qu’estait Seq estait mais Seq pas ça qu’estait *
En marge des habituelles options d’ordre de lecture, résolution, swing, on notera deux choses intéressantes. La première, c’est que vous pouvez définir le nombre de pas pour chaque ligne, ce qui permet de générer simplement de lentes évolutions de votre arpège ou votre séquence en jouant sur la polyrythmie des paramètres. La seconde tient dans la possibilité d’utiliser le hasard pour redéfinir toute ou partie de la séquence ou de l’arpège à un intervalle que vous choisirez. Chaque ligne dispose ainsi d’un petit dé qui, de 0 à 100 %, permet de définir comment sera affectée la ligne à chaque régénération du motif. C’est vraiment très efficace et, en conjonction avec la longueur variable des lignes, cela devrait vous permettre de faire varier vos séquences autant que vous le souhaitez.
Et puisqu’on parle de variations, l’heure est venue d’évoquer le plus gros point fort du logiciel : ses modulations.
Modulations
La moitié basse de l’interface est dévolue aux 23 sources de modulations (!) que propose Pigments et qui lui donnent son nom. 23 oscilloscopes permettent en effet de visualiser le signal créé par chaque modulateur, sachant que la couleur de leur forme d’onde dépend de la nature de la modulation effectuée. En fuchsia, on dispose ainsi des 5 modulations liées au contrôleur MIDI, en orange de 3 enveloppes, en jaune de 3 LFO, en vert de 3 fonctions, en violet de 3 générateurs aléatoires, en pourpre de 2 combinateurs, et en bleu de 4 macros.
S’il parait inutile de s’attarder sur les classiques contrôles physiques, les enveloppes ou les LFO, les autres types de modulations méritent plus d’attention.
Finissons enfin par les quatre macros qui, comme vous vous en doutez, sont là pour simplifier le jeu avec Pigments. Vous pouvez en effet assigner à chaque macro plusieurs paramètres du synthé pour interagir avec eux via un simple bouton. L’éditeur a d’ailleurs fait de notables efforts pour proposer des macros prêtes à l’emploi pour tous les presets de Pigments : merci pour ça.
En entendre de toutes les couleurs
Les fonctionnalités, c’est bien beau me direz-vous. Mais sur le terrain du son, que vaut ce Pigments ? Je vous renvoie à la vidéo pour vous faire une idée, ainsi qu’aux extraits suivants comme à la page de l’éditeur :
![](https://img.audiofanzine.com/images/u/audio/484429.png)
- bass(2)00:08
- bass(5)00:08
- bass(6)00:08
- bass500:08
- bass600:08
- bassnuts00:08
- brass00:08
- groove00:08
- groove200:08
- keysglitch00:08
- synth(6)00:08
- PIGMENTcarp01:32
- PIGMENTSopt00:33
- PigmentWHOLE(2)02:28
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le spectre couvert par l’instrument est large, des basses et nappes conventionnelles à des choses nettement plus barrées, des séquences surprenantes, des effets.
Puissant, polyvalent et simple d’accès, ce Pigments n’aurait-il aucun gros défaut ?
Conclusion
Il n’y a en effet pas grand-chose à reprocher au dernier-né d’Arturia qui parvient sans problème à se hisser dans le peloton de tête des synthés à tables d’ondes sur un marché pourtant très disputé. L’utilisation de l’aléatoire comme les contraintes harmoniques ou les impressionnantes possibilités de modulation font de Pigments un instrument puissant mais qui demeure toujours musical. Pour ne rien gâcher, les concepteurs d’Arturia ont soigné l’ergonomie, de sorte qu’on ne se sent pas perdu face au monstre en dépit de sa richesse. C’est le genre de synthé avec lequel on pourrait apprendre la synthèse.
Certes, on aurait aimé disposer d’un peu plus d’infos sur qui module quoi sans avoir à jouer de la souris pour s’en assurer mais à bien y regarder, il n’y a pas vraiment de gros grief à formuler à l’encontre de Pigments dont le seul défaut tiendrait dans le petit manque d’originalité de l’éditeur sur le choix de la synthèse utilisée pour cet instrument.
Comme nous le rappelions en intro, depuis les succès de Massive et Serum, des dizaines de synthés à table d’ondes ont vu le jour, certains étant même fournis dans les bundles des séquenceurs. De fait, ce n’est pas tant sur ce registre qu’on attendait les Grenoblois qui ont par ailleurs des technologies bien moins courantes dans leurs cartons : après avoir modélisé toute la crème de la synthèse mais aussi des orgues à roues phoniques ou des pianos acoustiques et électriques, on rêvait de les voir chatouiller AAS sur le terrain de la modélisation physique par exemple. Ca ne sera donc pas pour cette fois même si on est, du coup, impatient de voir la suite…
Reste à parler du prix qui suit la grille habituelle d’Arturia comme les bonnes habitudes marketing de l’éditeur. Les 200 euros réclamés de base peuvent sembler un tantinet élevés en regard de la concurrence (150 en période promotionnelle) mais en fonction des produits dont vous disposez déjà, vous disposez d’importantes ristournes depuis votre espace utilisateur, sachant que les promos ne sont pas rares non plus du côté de Grenoble. Enfin, une version d’essai non bridée de 80 jours est proposée, de sorte que je vous recommande chaudement d’essayer vous-même ce Pigments dont la palette pourrait bien se marier à merveille avec toutes vos compos.
![On refait le patch : les tests vidéo d'Audiofanzine](https://static.audiofanzine.com/images/audiofanzine/tv/orlp.png)