UVI fonce en piqué sur le monde de la synthèse virtuelle, en proposant Falcon, un synthé doté de caractéristiques affolantes sur le papier. Si son ascendance semble évidente, voyons ce que cachent toutes les promesses affichées.
Entre reproductions les plus fidèles, ou se voulant telles, de monstres de l’histoire de la synthèse et des versions originales utilisant des techniques plus ou moins inusuelles, se placent des logiciels instruments virtuels, conçus comme des additions de toutes les techniques existantes, ou presque. Les ordinateurs récents, avec leur puissance de calcul phénoménale pour des solutions « domestiques », permettent en effet de mélanger allègrement des synthèses depuis longtemps maîtrisées, mais extrêmement gourmandes en ressources CPU. Les synthèses granulaires ou additives, par exemple, pouvaient mettre rapidement à plat une bécane si l’on se montrait trop généreux sur la précision, le nombre de bandes, d’harmoniques, etc. Et même sur des techniques bien connues et réputées moins consommatrices de ressources, comme la synthèse soustractive, faire tourner un Diva ou certains ensembles Reaktor peut rapidement faire douter de la puissance de son ordi. Il faut alors ouvrir un projet dans sa STAN avec 200 pistes et autant d’EQ, de compresseurs plus une vingtaine de réverbes pour se rassurer…
Mais revenons à nos moutons : un monstre comme Omnisphere, par exemple, mélange allègrement synthèse à base d’échantillonnage, synthèses soustractive, granulaire, FM, etc. MachFive 3 a lui aussi fait très fort du temps de sa sortie (2012, voir le test ici), avec son mélange de synthèses diverses, d’échantillonnage, de possibilités de scripts, d’effets, etc. Reaktor n’est pas mal loti non plus, les possibilités semblant seulement limitées par les ressources CPU qui sont amplement sollicitées.
Nous mettrons volontairement de côté les outils que l’on pourrait qualifier de « simples » échantillonneurs, comme Kontakt, Independence Pro (malgré le nombre de filtres, modulateurs et autres éléments à insérer dans le chemin du signal disponible dans les uns et les autres, permettant une approche quasi modulaire de l’échantillonnage), voire les cas un peu à part comme Tera 3 ou Cube 2 de VirSyn, Alchemy (maintenant chez Apple), Serum de Xfer Records, Iris et Iris 2 d’iZotope et autres synthés mélangeant lecture de tables d’ondes (ce qui correspond ni plus ni moins qu’à une utilisation spécifique d’échantillons) et autres techniques.
Et voici qu’UVI nous présente, sans que l’on s’y attende le moins du monde, un nouveau synthé, un nouvel environnement de synthèse, reprenant des choses que l’on a aperçues, voire clairement identifiées auparavant, avec Falcon.
Introducing UVI Falcon
Vendu 388,79 euros TTC (on appréciera la précision du montant), Falcon devra être téléchargé depuis le site de l’éditeur après achat, en prenant soin de prendre les deux fichiers, l’installeur (à peu près 360 Mo) et la banque de son d’usine (628 Mo, utilisant le format compressé .ufs, spécifique à la plateforme UVI Engine de l’éditeur).
On disposera après installation d’une application autonome et de plug-ins aux formats VST, AU, AAX pour Windows (à partir de Windows 7) et Mac (à partir de Mac OS 10.7), le tout en 64 bits natif (l’audio en interne est géré en 32 bits flottants). Falcon pourra importer directement les banques .ufs, le format de l’éditeur, bien entendu, ainsi que l’AIFF, le Caf, les Wave et Wav64, le SFZ, le SND, le FLAC (le format retenu par UVI pour la gestion de l’audio, le plus rapide en décompression temps réel et permettant un taux de compression jusqu’à 7:1, comme nous l’a fait remarquer le développeur du logiciel), les MP3 et MP4, les formats REX 1 et 2, et le SDII, avec une conversion à la volée, selon toutes les résolutions et fréquences d’échantillonnage. Plutôt complet, n’est-ce pas ?
UVI a adopté le nouveau système iLok License Manager, qui permet d’installer les trois (merci !) autorisations fournies indifféremment sur clé (iLok1 ou 2) ou sur le disque dur. Petit apparté à ce sujet : je ne saurais trop conseiller de prévoir, en cas d’utilisation sur disque dur (en fait, ça ne se limite pas au disque dur, mais à la configuration), l’installation d’une des licences sur une clé iLok de secours. En effet, les gens d’iLok sont quasi injoignables, et ayant eu un problème il y a trois mois avec mon précédent portable (foutu, carte mère HS), j’ai pu récupérer mon HD, mais pas les licences iLok, liées à cet ordi spécifique. Car, pour pouvoir récupérer une licence, il faut la désinstaller de la configuration précédente, or c’est impossible si l’ordi est définitivement hors service. La copie d’une des trois licences sur une clé dédiée permet alors de la transférer en cas de besoin. Dans mon cas, il a fallu rentrer en contact avec les éditeurs, qui m’ont redonné une licence complète (car le fait de désactiver une licence de chez eux désactive toutes les autorisations sur les autres bécanes…). Fin de l’aparté…
Copieuse architecture
Avant de faire le tour du logiciel, il faut tout de suite tenter de répondre à la question qui est passée par toutes les têtes : Falcon est-il MachFive 4 ? En effet, l’architecture, les caractéristiques, le développeur (UVI signe l’UVI Engine au cœur du logiciel de MOTU), tout semble correspondre point par point. Sauf que.
L’UVI Engine en question s’est vu grandement amélioré depuis 2012, date de sortie de MachFive 3. Il présente de nombreuses améliorations, ainsi que des modules de sons, d’effets et de modulations inédits, au sens non intégrés à MachFive. Donc, le client potentiel se retrouve face à ce qui pourrait sembler deux produits semblables, ce qui n’est pas le cas vu les nombreuses améliorations apportées, et, de plus, rien ne dit que MachFive bénéficiera d’une mise à jour (évidemment, il n’a pas été possible d’obtenir confirmation ou infirmation à ce sujet…). Le pavé sur le site d’UVI titré « Conçu pour durer » et insistant sur « _Soyez certain que vos projets continueront de fonctionner dans les hôtes modernes et les futurs systèmes d’exploitation _[…] _vous profiterez de mises à jour régulières qui vous assureront d’avoir toujours une longueur d’avance_ » peut néanmoins être vu comme une des clés de réponse (sous toutes réserves, évidemment).
Passons donc aux nouveautés, puisque les autres éléments sont déjà là depuis MachFive 3, dont on pourra relire le test ici si besoin. Loin d’être un simple lecteur de banques d’échantillons, heureusement d’ailleurs, puisque les développeurs ne se sont pas encore bousculés pour créer des bibliothèques utilisant spécifiquement les possibilités de scripts de l’engin (écrits en LUA, ce qui selon le développeur de Falcon, permet autant de choses que dans Kontakt, par exemple, mais de façon bien plus rapide et pratique que dans l’échantillonneur de Native, le langage utilisé par ce dernier étant propriétaire), Falcon est aussi et surtout un énorme environnement de synthèse, puisqu’incluant pas moins de 15 types d’oscillateurs différents. Son côté sampleur reste bien sûr encore très performant, même si Falcon perd un certain nombre de compatibilités avec les formats d’échantillonneurs plus anciens (Akai, Emu, Kontakt 4, S700, etc.). Ce qui somme toute semble normal, l’architecture utilisant du script maison, des incompatibilités définitives peuvent être constatées.
Au menu des oscillos déjà présents dans la précédente version de l’UVI Engine : Analog, Analog Stack, Drum, FM (quatre opérateurs), Noise, Organ, Wavetable, Sample, Slice, Stretch, Ircam Granular, Ircam Stretch. Sont ajoutés aujourd’hui, Scrub, Ircam Multi Granular et Pluck, plus quelques modifications apportées à Noise (nouveaux types de bruits, Crackle, Logistic, Dust et Velvet), Wavetable (avec la reconnaissance de tables multiples et l’ajout d’un Wave Index permettant de sélectionner le point de lecture, ainsi que l’affichage dans l’écran de la position, visualisation bien pratique), un nouveau mode Unison pour Analog et Wavetable, etc.
Au niveau des effets, pas mal de nouveautés aussi, soit dans l’apparition de nouveaux traitements (Tilt Filter, Redux, Dual Delay, Vowel Filter, etc.) soit dans des modifications/améliorations des modules existants (un pré-délai dans SparkVerb, par exemple) de même que du côté des processeurs MIDI et de modulateurs (lecteur de MIDIfile, Drunk pour ajouter des mouvements aléatoires aux destinations visées, un nouvel ADSR façon vintage ainsi que la possibilité de dessiner ses propres formes d’ondes dans le LFO, une fonction toujours appréciable… et appréciée).
Oscillos à l’envi
Revenons sur les nouveaux oscillateurs. Pluck, d’abord, qui, comme son nom l’indique, est dédié à la synthèse de sons à base de cordes, utilisant un principe de modélisation physique, un algorithme Karplus-Strong modifié par l’éditeur, basé sur un mélange d’échantillon (initialement un bruit blanc, ou cycle unique d’une forme d’onde), de ligne de retard et de synthèse soustractive suivant un circuit en feedback (voir plus d’explications ici).
Falcon permet de partir d’un échantillon de diverses provenances, plus riches que les utilisations originelles dans l’algorithme : ainsi, la bibliothèque d’usine offre six familles d’échantillons, Attack, Basic, Bass, Bowed-Brush, Long-FX et Metal, proposant cycles uniques tout aussi bien que formes d’ondes plus complexes, dont on peut modifier à loisir les points de bouclage (Start et End). Si nécessaire, on peut aussi importer ses propres samples (via glisser-déposer, entre autres), sans obligation d’utiliser un cycle unique, ce qui permet d’emmener Pluck vers d’autres horizons que la simple reproduction de corde pincée ou frappée. On peut ensuite doser les volumes des trois sources d’excitation, échantillon, donc, synthé et bruit. Un réglage Brightness opère comme une PWM, ajoutant de la brillance au son, un module Pick Filter permet d’ajouter un effet de plectre (avec intensité et position), Contour permet de filtrer le son en relation avec Dynamics (qui réagit à la vélocité). Finger permettra de produire des partiels sur la fondamentale, partiels harmoniques ou harmoniques. On pourra simuler la présence d’une ou deux cordes selon plusieurs configurations, et réglages d’accordage grâce à Tuning & Coupling. Enfin, l’éditeur insiste sur sa volonté de produire une chute naturelle du son, et a implémenté à cet effet un module complet, Decay. Au menu, le temps de chute, de brillance ou non (via un Shelf), de perte d’aigus (via un LP) et de release, ainsi que plusieurs types de filtres permettant ces réglages d’amortissement de fréquences (quatre différents, au comportement plus ou moins radical).
Voici quelques exemples à partir des sons de la bibliothèque et de réglages maison autour de sonorités caractéristiques de l’oscillo.
Puis quelques exemples effectués en utilisant des échantillons maison, ainsi que les possibilités de traitement (effets) de Falcon.
Autre oscillateur, complétant les modules utilisant des techniques de l’IRCAM, Scrub. Ce module est semblable au module Granular, les fonctions et paramètres reprenant certaines de ce dernier, et étant de toute façon basé sur le même algorithme (sur les traitements de l’IRCAM, on pourra aussi lire le test de l’IRCAM TS Lab, présentant notamment le SuperVP). Son rôle, comme son nom l’indique, est de permettre un effet de Scrub à partir d’un échantillon, avec réglages notamment de vitesse, position et direction, taille de la fenêtre d’analyse (avec oversampling et recouvrement, attention, gourmandise en CPU augmentant avec les valeurs élevées), et choix d’une option de comportement de l’oscillateur, en fonction des transitoires, de la forme d’onde, de la forme dynamique (Envelope) ou de « phase locking » de l’image stéréo.
Enfin, dernière nouveauté niveau oscillateurs, IRCAM Multi Granular, reprend toutes les fonctions du module IRCAM Granular, en permettant de spécifier un certain nombre de voix simultanées (jusqu’à huit, attention au CPU), et de régler leur position et durée relatives. On trouve aussi deux paramètres supplémentaires, Reverse, qui inverse le sens de lecture des grains (celui de la lecture globale étant réglé avec Direction) et Duration Variation, introduisant des changements de taille des grains. Là encore, sans surprise tant les produits incluant les technologies IRCAM sont performants, l’oscillateur permet bien des choses en termes de sound design. Des heures d’exploration garanties…
Quelques sons passant dans ce nouvel oscillo :
Bilan
Ce test seul ne suffirait pas à détailler tous les changements apportés au moteur inclus à l’origine dans MachFive, et amplement amélioré pour Falcon. L’orientation choisie par UVI est maintenant clairement dirigée vers une synthèse hybride, laissant un peu de côté l’échantillonnage façon grosse banque de sons (même si les options sont toujours disponibles). On peut s’attendre par exemple à des développements par des éditeurs tiers de bibliothèques de sons utilisant toutes les ressources du logiciel en termes de synthèse et d’effets.
Une des grandes forces de Falcon est d’offrir tous les modules IRCAM, bien entendu. Mais le nombre d’oscillos et filtres maison n’est pas à négliger, le savoir-faire de l’éditeur étant reconnu (leur moteur audio était au cœur des premiers produits Spectrasonics, et l’on retrouve toujours trois de ces filtres UVI dans Omnisphere 2, par exemple). Les effets ne sont pas en reste, qu’il s’agisse des réverbes SparkVerb ou de la nouvelle convolution IReverb (livrée avec de très nombreuses IR, dont un certain nombre issues de réverbes matérielles que l’on n’aura aucun mal à identifier, ayant même eu la surprise d’y retrouver mon KSP-8…), des délais et filtres, etc.
On dira pour conclure que Falcon propose un univers de synthèse très intéressant, intégrant de multiples sources et traitements, qui peut être un très bon moyen d’entrée dans un monde multi-synthèse. On pourra parfois souhaiter une ergonomie plus simplifiée à certains endroits (on peut, notamment au début, se perdre dans l’architecture des Parts, Program, Layer, Keygroup, etc., malgré le Tree List), mais l’ergonomie d’ensemble est, elle, très bien conçue. Au vu de toutes ses qualités, on accorde volontiers à Falcon un Award Valeur Sûre.