Eve Audio, encore une marque allemande sur le marché des moniteurs, nous propose ses nouvelles enceintes SC2070. Retour sur la genèse de ce modèle et sa relation avec Adam, puis écoute attentive du fruit défendu : le grave.
Dans un marché du moniteur de studio décidément très prolifique, voici le nouveau venu de la marque berlinoise Eve Audio. Après les modèles de chez Neumann et Adam récemment écoutés, c’est la troisième marque d’outre-Rhin qui nous propose de la nouveauté en quelques mois. Plus généralement, cette catégorie d’enceintes deux voies avec un haut-parleur 6.5 '' ou 7 '' voit constamment de nouvelles propositions arriver, et on en a testé un grand nombre depuis un an et demi. Pour situer un peu ce modèle sur le marché, elles sont vendues 1099 € l’unité, ce qui les place au-dessus des Adam A7V, mais en dessous des Focal Solo6 ou des Neumann KH150. Eve Audio est une jeune marque, puisque créée en 2011, qui se consacre exclusivement aux enceintes de studio ou home-studio. Comme on pouvait s’y attendre, elle est étroitement liée à Adam, son fondateur étant un ancien patron de la marque compatriote et désormais concurrente. La série SC, pour SilverCone, est la première et principale de la firme avec quatorze modèles différents, de la petite enceinte de bureau SC203 à la trois voies « twin » SC4070. La paire de moniteurs que nous allons tester ici est l’évolution des précédents SC207 sortis en 2012 dès les débuts de la marque.
Quand Eve ressemble à Adam
On sort les enceintes de leur carton, et on est frappés par la ressemblance du tweeter avec celui des Adam A7X qu’on connaît bien. Pour le reste, le design des SC est assez simple : de grosses boîtes noires profondes, aux angles coupés, avec tout de même cette petite originalité d’avoir une petite plaque gris métallique en dessous du haut-parleur. Cette plaque qui affiche le logo de la marque et le nom du modèle, accueille aussi un petit potentiomètre, dont on va vite se rendre compte que c’est l’unique outil de réglage sur ce modèle. Contrairement à beaucoup de moniteurs de studio, le panneau arrière est minimaliste et ne propose presque pas d’options de réglages : deux entrées XLR et RCA, un interrupteur et trois petits sélecteurs. Deux de ces sélecteurs permettent de bloquer les réglages de volume et de filtres présents à l’avant, le troisième de choisir le niveau d’entrée entre +7 et +22dBu. Il va donc falloir s’en remettre à ce petit potentiomètre sur la plaque métallique pour configurer la paire de moniteurs comme on le souhaite. Il faut mentionner aussi à ce stade qu’Eve Audio ne propose pas pour ces moniteurs de logiciel de contrôle à distance du DSP, ce qui est pourtant devenu récurrent depuis quelques mois chez les marques concurrentes (Neumann, Adam, IK Multimedia…). On trouve assez appréciable que l’outil de réglage de volume et filtres soit à l’avant et non à l’arrière des enceintes : en fonction du placement des enceintes dans la pièce cela peut devenir un peu compliqué d’accéder à l’arrière une fois installées, et c’est toujours bien d’entendre depuis l’avant quand on effectue les réglages. Mais les expériences très probantes avec certains logiciels de configurations proposés par d’autres marques (on pense à Neumann, ou au partenariat d’Adam avec SonarWorks) nous font regretter qu’Eve Audio n’ait pas suivi cette mode. Pour ce qui est de la conception des enceintes, la marque insiste beaucoup sur le tweeter, qui utilise la technologie Air Motion Transformer RS7, et élargit son champ de fréquences vers le bas jusqu’à 1800 Hz, agissant ainsi davantage sur les hauts médiums. Le haut-parleur grave est une structure en nid d’abeilles, de matériaux composites, et deux amplificateurs de classe D sont cachés dans ces grosses boîtes noires. Un évent pour le bass reflex se situe à l’arrière.
Un SilverCone tourné vers le bas
On branche les moniteurs, on lance un premier morceau pour écouter (en l’occurrence 15 Step de Radiohead), et la première impression est assez radicale : l’ensemble est plutôt agréable, mais il y a une dose d’infrabasses ou de « sub » impressionnante, voire excessive ! On est dans une régie de studio, traitée acoustiquement avec un bass trap de plusieurs dizaines de centimètres, de l’air derrière les enceintes ; on a écouté une dizaine de paires de moniteurs différents dans cet espace cette dernière année, et c’est la première fois qu’on ressent à ce point les fréquences infrabasses. Si on veut le prendre du bon côté, on dira que ces enceintes descendent très bas pour des haut-parleurs de cette taille, si on est moins positifs, on remarquera que c’est déséquilibré. Quoi qu’il en soit, c’est le moment d’explorer les réglages proposés pour compenser cette tendance. Le potentiomètre nous sert d’abord à régler le volume de chaque enceinte, et il a quelques caractéristiques surprenantes. Il est cranté, mais les repères visuels s’effectuent par des diodes qui ont chacune plusieurs niveaux de luminosité : celles situées autour du 0 en ont deux, tandis que d’autres ont quatre niveaux… un peu déstabilisant. En appuyant sur le potentiomètre, on accède à quatre filtres : High, Mid, Desk et Low. D’emblée, on va s’intéresser au filtre grave qui pourrait nous permettre de régler cet excédent tout en bas du spectre, mais celui-ci agit très haut à partir de 300 Hz, et même en le baissant de manière radicale on conserve de l’infrabasse alors qu’on perd de la matière entre 100 Hz et 300 Hz, qu’on voudrait garder. Le filtre appelé Desk pourrait nous intéresser, mais il agit en atténuation autour de 170 Hz, ce qui n’est pas la bande de fréquence qu’on trouve excessive, et en augmentation autour de 80 Hz, ce qui ne va pas nous arranger non plus. En toute franchise, ces différents filtres ne nous aident pas beaucoup, et pour ne rien arranger, la navigation avec ce petit potentiomètre unique est un peu laborieuse : il faut appuyer puis tourner jusqu’au bon filtre, puis appuyer à nouveau puis tourner pour changer de réglage, tout ça une enceinte après l’autre et de près car c’est écrit tout petit, et il n’y a pas de possibilité de bypass des réglages pour comparer rapidement avec ou sans les filtres. Sur des morceaux dont le grave ne descend pas aussi bas, on est moins gêné par les infrabasses et on trouve le son vraiment agréable, avec une profondeur intéressante et une belle précision dans le haut du spectre.
Pour vérifier nos oreilles et nos impressions, on décide de faire appel à la technologie et à l’intelligence artificielle. Avec l’aide du micro de mesure et du logiciel SoundID Reference, on prend la mesure des enceintes dans notre pièce. Après une quarantaine de mesures à différents points autour du point d’écoute, on obtient un graphique qui présente une courbe plutôt conforme à nos impressions : une bosse très nette tout en bas du spectre entre 40 Hz et 50 Hz, un creux juste au-dessus autour de 100 Hz, la réponse en fréquence n’est pas du tout linéaire dans le bas du spectre. On est plus étonné de constater une deuxième bosse dans les bas médiums autour de 200 – 300 Hz. Précisons qu’on a effectué les mêmes mesures dans ce même espace avec différentes enceintes il y a quelques mois, les Adam A7V et A7X, et les Genelec 1030A, et que c’est bien la première fois qu’on constate cette bosse dans les infrabasses.
Ecoute comparative en chansons
Au travers de quelques œuvres musicales, on va confronter nos impressions et nos ressentis avec deux autres paires de moniteurs de références qu’on a au studio, les Adam A7X et les Genelec 1030A qui sont tous deux de format comparable.
Radiohead – 15 Step
En faisant quelques réglages inspirés par les résultats du SoundID (médiums autour de 1 kHz augmentés, graves et desk un peu atténués), on se lance dans cette première écoute d’une chanson dont on connaît très bien le mix. Le surplus de grave est évident, et chaque coup de grosse caisse nous le rappelle. Hormis ça, le reste du spectre semble plutôt équilibré, et les hauts médiums et aigus sont à la fois précis et doux. L’image stéréo est large alors que les deux enceintes ne sont espacées que d’un mètre dix, et on ressent bien les différentes profondeurs de champ. Au regard de ce dont on a l’habitude avec les Genelec, on ressent un peu moins de présence et de mordant, mais ça n’est pas forcément un mal. En comparaison avec les A7X, la précision des SC2070 est très appréciable dans le haut du spectre.
Lou Reed – Walk on the wild side
Sur cette chanson, où le grave est un enjeu bien moindre, car il n’y a pas grand-chose en dessous de 50 Hz, on se concentre davantage sur le médium et on perçoit plus clairement la bosse autour de 200 et 300 Hz. La densité dans le bas médium semble plutôt être un trait commun à (presque) toutes les paires de moniteurs que nous avons testées ces derniers mois, par rapport à nos enceintes qui sont d’une autre génération. Dans l’ensemble c’est très agréable, l’image stéréo est claire, mais on regrette un léger manque de présence.
Moderat – A new error
On avait hâte d’arriver à cette écoute parce que les enceintes vont ici être confrontées à un mix très riche en sub (infrabasses), sur ce morceau électro dont les basses synthés descendent profondément dans le grave. Et nos craintes sont confirmées, la bosse est évidente et gênante à l’écoute. La présence de fréquences très basses pour des enceintes de ce calibre peut être un atout pour travailler sur de la musique électronique, mais quand leur niveau est excessif et qu’aucun réglage ne permet vraiment de les atténuer, ça devient un peu problématique. Pour illustrer nos propos, on va faire une petite analyse du spectre sur une minute, entre 1' et 2'. À nouveau, on constate clairement une bosse autour de 47 Hz, et un spectre globalement plus fort en dessous de 500 Hz. La même mesure avec nos deux paires de moniteurs références nous montre une courbe nettement moins haute en dessous de 100 Hz, et globalement un peu moins de graves.
Conclusion
Cette paire de moniteurs Eve Audio a des qualités, une belle précision en haut, une largeur et une profondeur agréables, mais elle a aussi de vrais défauts. L’excès de graves tout en bas du spectre et le manque de réglages qui permettraient d’atténuer cette bande de fréquences sans baisser celles situées juste au-dessus, sont assez regrettables. Les deux enceintes représentent un budget de plus de 2000 €, ce qui n’est pas rien, et pour ce prix-là on aurait aimé avoir un logiciel qui permette de contrôler le DSP et peut-être de corriger cette bosse dans les infrabasses.