Ils reviennent ! Les moniteurs Rokit 5, vus et revus, envahissent à nouveau le marché avec une cinquième génération. Ce nouveau modèle de la marque de Nashville Tennessee sera-t-il reçu 5 sur 5 ? On écoute, et on vous raconte.
5e génération
Les iconiques moniteurs Krk Rokit reviennent ! C’est déjà la cinquième génération pour cette série ultra-populaire chez les home-studistes. La marque à la bichromie noir et jaune si particulière appartient maintenant à la famille Gibson, mais reste presque exclusivement sur son marché des enceintes de monitoring, et même dans son segment des moniteurs bon marché. La série Rokit, probablement la plus identifiée et répandue, est un « best-seller » et se décline en trois modèles : 5, 7 et 8 par taille (en pouces) de haut-parleurs. Il se trouve qu’on a une paire de Rokit 5 au studio, première génération sortie il y a près de vingt ans ! Elle ne sert plus vraiment, mais elle nous a rendu de fiers services et on garde une certaine affection et même de l’estime pour cette paire pas chère, mais qui « fait le job », comme on dit. La paire de Rokit 5 est actuellement vendue un peu moins de 400 €.
Le Jaune et le Noir
Pas de grande surprise en sortant les enceintes de leurs cartons, la marque reste fidèle à ses couleurs et à sa charte visuelle. Tout est extrêmement simple, et on remarque juste le petit écran digital à l’arrière avec un rotatif… Les dernières Krk qu’on avait essayées étaient restées dans l’ancien monde analogique, mais celles-ci intègrent donc un traitement numérique. On n’avait pas eu l’occasion de les tester, mais on apprend que la génération précédente de Rokit intégrait déjà un DSP avec des options d’égalisation. La fonction première de ce processeur serait de nous proposer trois profils distincts d’égalisation, appelés « Voicing Modes » : Mix qui présente une réponse en fréquences et phase linéaires, Create avec une égalisation plus flatteuse pour composer ou pour une écoute non analytique, et enfin Focus qui se concentre sur les fréquences médiums. Pour l’essentiel, les Rokit 5 sont donc des moniteurs deux voies, avec un tweeter 1'' en dôme de soie, un haut-parleur 5 '' en kevlar et un bass réflex. Une biamplification classe D distribue respectivement 20 W et 35 W aux deux voies, pour un niveau maximal mesuré à 104 dB SPL. La réponse en fréquences est annoncée entre 54 Hz et 30 kHz, donc pour mixer des grosses basses, il faudra évidemment aller voir ailleurs ! Les 30 kHz interrogent aussi, car rares sont les enceintes pour lesquelles les constructeurs affirment monter au-delà de 20 kHz, a priori dans des hauteurs que nos oreilles humaines ne permettent pas d’entendre. Les deux haut-parleurs sont protégés par des grilles métalliques, et on trouve un pad isolant en mousse très dense sous chaque enceinte. Pour revenir sur le DSP, Krk nous informe aussi qu’il permet d’accéder à 25 préréglages d’égalisation, et il semble qu’on pourrait même corriger les enceintes en fonction de la pièce, avec une application. Si vous n’avez pas encore pris connaissance de cela, c’est la grande tendance dans l’univers du monitoring de studio, de proposer des outils de correction en fonction des mesures effectuées dans la pièce (Adam & Sonarworks, Neumann, IK Multimedia, Genelec…). Voici qui nous éloigne franchement de nos Rokit de 2005 !
Rokit around the clock
On commence par les installer dans la régie du studio, fièrement posées sur notre console Amek. Le branchement est simplissime, XLR et Schuko, un interrupteur pour allumer, le petit logo Krk face avant qui s’illumine et c’est parti. On se rend vite compte que le niveau qui sort des Rokit est assez nettement en dessous des autres paires qu’on a dans cette régie et qui nous serviront de référence. On va donc passer derrière les enceintes et prendre contact avec ces réglages DSP, pour essayer de les mettre au même niveau. Ce petit écran rétroéclairé ne s’avère pas très pratique quand on est passé derrière l’enceinte, dans un espace exigu : on ne voit pas grand-chose si on n’est pas vraiment en face, ça fait mal aux yeux quand on est trop près… Cela nous permet tout de même de régler rapidement le niveau, et on peut faire cela de manière très précise, à 0,1 dB près, sur une échelle extrêmement large qui va de — 70 dB à + 11 dB ! On peut maintenant faire connaissance avec ces moniteurs, sur le mode sélectionné par défaut, Mix. Au premier abord, on a la confirmation que le grave n’est pas très généreux. En revanche, on perçoit un niveau important de fréquences médiums, et probablement des zones particulières qui occupent beaucoup de place et laissent assez peu respirer. Gardons tout de même en tête que ces moniteurs sont dans une gamme de prix très abordable, et qu’il faut les considérer en tant que tels, ne pas avoir d’attentes trop élevées. Si l’image stéréo est assez nette, on manque un peu de profondeur. Ce mode Mix affiche une égalisation à plat, c’est donc celui qu’on choisirait a priori dans un studio ou home studio, mais on va tout de même écouter les autres. Le mode Create, qui propose une courbe d’égalisation qui augmente les graves (autour de 50 – 60 Hz), baisse considérablement les médiums (autour de 1 à 2 kHz), et augmente à nouveau les aigus en pente douce entre 10 kHz et 20 kHz. En effet, cette écoute est plus agréable et ressemble davantage aux équilibres auxquels on est habitués, sur les morceaux qu’on écoute et avec nos divers moniteurs de référence. Le grave manque tout de même d’homogénéité et on garde une certaine présence du bas médium. Allons maintenant jeter une oreille au troisième mode proposé, Focus. L’égalisation est ici concentrée sur les fréquences médiums, autour de 1 kHz, ce qui nous semble appuyer encore plus sur une tendance déjà présente chez ces moniteurs dans leur réglage par défaut. On pense aux Solo 6 de Focal qui proposaient aussi un « Focus », pour remplacer par exemple des Mixcubes ou autres moniteurs une voie, qui peuvent être utiles en mix pour se rapprocher de certaines conditions d’écoutes très différentes des moniteurs de studio. Mais chez Focal, la proposition se distinguait encore bien plus nettement des caractéristiques de base des enceintes, n’utilisait effectivement plus qu’une voie, et surtout, on pouvait activer ou désactiver le Focus depuis le point d’écoute grâce à un footswitch. Ici, il faut passer derrière les deux moniteurs pour changer de mode, donc on peut moins facilement s’en servir de manière ponctuelle, or travailler de manière continue avec ce Mode ne nous semble pas très pertinent. On va donc revenir sur Mix et aller explorer quelques possibilités d’égalisation plus fine.
Un sacré médium
Radiohead — 15 step
On se lance donc dans les écoutes après un premier réglage d’égalisation. Pour éclaircir un peu le spectre, et contrer cette nette dominante médium, on a appliqué un shelf dans les graves (+2 dB à 60 Hz) et un autre dans les aigus (+2 dB à 10 kHz). Voici le fonctionnement de cette égalisation : une première section Low Eq nous propose 5 options dans les graves, trois dans le négatif, une neutre et une en positif, puis une deuxième section High Eq nous propose également 5 options, deux en négatif, une neutre et deux en positif. Cinq fois cinq nous donnent donc les 25 combinaisons et possibles égalisations. Le réglage que nous avons choisi ici est plutôt convaincant, et rend justice à cet arrangement riche et complexe. On entend encore une dose importante de bas médiums dans la voix et la guitare électrique, et les transitoires sont bien moins saillantes que sur nos paires de référence, mais l’équilibre global est plutôt convenable.
Moderat — A new error
On utilise souvent ce titre pour tester les fréquences graves d’un système, et là le constat est évidemment un peu dur pour les Rokit. Nos paires de référence sont les Genelec 1030A et les Adam A7X. Les Krk restent limitées dans le bas du spectre, comparées à celles-ci, mais c’est assez logique : elles ne boxent pas dans la même catégorie que les 1030A, et les A7X ont tendance à générer un grave et un bas médium généreux, voire excessif. Dans les fréquences aiguës également, on sent que les Rokit plafonnent, les transitoires manquent un peu de précision, d’explosivité.
Kendrick Lamar — Alright
On change notre fusil d’épaule, et on va cette fois comparer les nouvelles Rokit à leurs ancêtres de première génération. Les G5 génèrent en effet une densité dans le médium qu’on ne trouve pas chez les G1. Même si aucune des deux paires ne descend très bas, les graves sonnent tout de même plus homogènes et consistants chez les G1, et cela a sans doute à voir avec ce médium un peu envahissant dans la nouvelle génération. Au final, on est au regret de constater qu’on préfère légèrement les anciennes, dont le spectre nous semble se déployer de manière plus lisible.
L’App Krk
La marque nous avait parlé d’une application qui permettrait d’adapter les moniteurs à la pièce, on va donc aller découvrir cela avec curiosité. Autant vous le dire tout de suite, on n’est pas chez Sonarworks ici. C’est donc une application sur téléphone qui prend des mesures avec le micro du téléphone (on va rappeler ici qu’il n’est probablement pas d’une grande précision, et qu’il enregistrera des informations très différentes selon les modèles), interprétées pour vous conseiller, par exemple, des choix d’égalisation. La mesure du bruit rose par notre vieil iPhone débouche donc sur le conseil de baisser les graves de 2 dB et de laisser les aigus à plat. Ceci ne correspond pas franchement à ce que nos oreilles nous ont indiqué, donc on passera notre chemin. Bien sûr, c’est une application gratuite avec une paire de moniteurs bon marché, mais franchement, on se demande si cela apporte vraiment quelque chose.
Des mesures
On décide de procéder à quelques mesures avec des outils un peu plus sérieux qu’un téléphone, pour y voir plus clair. Avec un micro de mesure Neumann, on demande à un analyseur de fréquences de nous dessiner une courbe pour un bruit blanc, puis un bruit rose. Dans les deux cas, on constate une dose importante de bas médiums, entre 200 et 500 Hz, puis à notre grand étonnement, un trou entre 500 Hz et 700 Hz suivi d’un deuxième autour, de 1 kHz. Dans le haut médium, à partir de 1,5 kHz jusqu’à environ 5 kHz, on observe une deuxième zone au niveau important, puis dans les aigus, la courbe baisse franchement autour de 10 kHz. On a donc bien deux bandes de fréquences, bas médiums et haut médiums, qui dominent clairement, avec tout de même un creux important entre les deux. Comme on pouvait s’y attendre, le grave en dessous de 100 Hz n’est pas très présent et le haut au-delà de 10 kHz est un peu en dessous.