Vous connaissez l'histoire : Dieu plongea Adam dans un profond sommeil, il prit une de ses côtes et forma Eve à partir de cette dernière. Un serpent, un fruit défendu et une chute plus tard, Adam « connut » Eve, et elle fut la première enceinte du monde...
Le rapport avec l’audio ? Il est aussi simple que romanesque : Roland Stenz, cofondateur et longtemps PDG d’Adam Audio, l’un des plus éminents fabricants d’enceintes de monitoring, a été débarqué de sa propre compagnie par son associé majoritaire parce qu’ils n’étaient pas tout à fait raccord en termes de stratégie sur l’évolution de la marque. Peu de temps après, son épouse Kerstin Mischke lui emboîte le pas, après avoir passé 11 ans en tant que directrice des ventes internationales d’Adam Audio, et ils fondent tous deux la marque… Eve Audio ! Au programme : tout ce que les utilisateurs d’Adam connaissent bien, à savoir une gamme relativement étendue allant du petit moniteur de proximité aux grosses enceintes 4 voies en passant par les subs, et bien évidemment sur chaque enceinte, un tweeter à ruban pour s’occuper du haut du spectre…
Alors quoi ? On prend les mêmes et on recommence ? Non, pas tout à fait, puisqu’Eve Audio, en dehors d’une ergonomie sensiblement différente et d’un son qui lui est propre, propose aussi quelques originalités en termes de conception dont cette SC305 qui nous occupe : une enceinte horizontale 3 voies basée sur deux woofers de 5" en plus du tweeter à ruban !
La chose ne manque pas d’intriguer car sur ce genre de petits gabarits à 5", l’écrasante majorité des constructeurs opte pour des deux voies verticales. Eve innove donc avec ces petites 3 voies embarquant 3 amplis de 50 Watts chacun, dont il convient de faire le tour avant de passer à l’écoute.
Mensurations
Large de 42,5 cm, haute de 18 cm et profonde de 25 cm pour un poids de 8,5 kg, l’enceinte propose ainsi deux woofers de 5" disposés de part et d’autre d’un tweeter à ruban AMT RS3 en façade, qui peut-être protégé ou non par une petite grille magnétique fournie. Sous le tweeter, un encodeur rotatif push cerné de 24 LEDs orangées permet d’accéder aux réglages du moniteur.
En effet, rien ou presque ne se passe en face arrière qui se résume au strict minimum : connecteur pour le cordon d’alimentation avec sélecteur de voltage, bouton de mise sous tension, embase XLR et prise RCA pour l’entrée audio, et 3 mini-switchs : les deux premiers pour bloquer en position fixe les réglages du volume et des filtres qui se paramètrent en face avant (pratique une fois qu’on a calibré son enceinte et qu’on ne veut pas modifier les réglages lors d’une manipulation malencontreuse du potard en façade), et le dernier pour déterminer lequel des deux woofers sera attribué aux basses, en sachant que l’autre sera du coup affecté aux médiums (Eve recommande d’ailleurs que ce dernier soit situé sur l’intérieur de l’enceinte). Masqué par un petit cache en caoutchouc, une prise à broche est également présente mais le manuel n’en fait pas mention vu que cette connectique n’est utilisée que par le constructeur pour effectuer la maintenance des enceintes. Dernier détail capital à noter sur l’arrière : la présence d’un évent. Il faudra donc veiller à ne pas placer les SC305 trop près d’un mur sous peine d’obtenir du gros n’importe quoi dans le bas.
Retournons maintenant en face avant pour nous intéresser de plus près au fameux encodeur rotatif push qui concentre tous les réglages et fonctions nécessaires à l’utilisation, à commencer par la mise en service. Lorsque l’enceinte est allumée en face arrière, elle est par défaut en mode Stand By : on en sort d’une simple pression sur l’encodeur, et on y retourne en pressant l’encodeur 3 secondes. L’avantage ? On peut presque éteindre ses enceintes en face avant, le mode Stand By ne consommant qu’un Watt par heure. Si l’on se contente de pressions courtes sur l’encodeur lorsque l’enceinte est allumée, on accède alors à 5 réglages différents : Volume, LED, Low, Desk et High.
Potard à tout faire
Activé par défaut, le premier et le plus utile concerne évidemment le volume, et propose une course qui n’est pas linéaire : de –80 à –48 dB, on progresse ainsi par pas de 2 dB, de –48 à –20 dB par pas de 1 dB, et de –20 à 0 dB par pas de 0,5 dB. Vu que le potard est légèrement cranté, il est facile de régler exactement les deux enceintes au même niveau sans se prendre la tête. On notera également qu’au minimum de ce volume, l’enceinte commute en mute. Bref, la SC305 est plutôt bien foutue sur ce point.
Une nouvelle pression courte sur le potard permet de passer en mode LED, pour paramétrer le comportement des diodes encerclant le potentiomètre en mode volume, à choisir parmi 4 modes : Bright Ring (toutes les LEDs brillent de tous leurs feux jusqu’à la valeur du volume), Bright Point (seule la LED correspondant à la valeur du volume est allumée), Dim Ring (toutes les LEDs brillent faiblement jusqu’à la valeur du volume mais sont réactives au niveau sonore), Dim Point (seule la LED correspondant à la valeur du volume brille faiblement mais elle est réactive au niveau sonore).
Finissons avec les 3 filtres paramétrables : un Low-Shelf pour tout ce qui se situe au-dessous de 300 Hz et un High-Shelf pour tout ce qui se situe au-dessus de 3 kHz, les deux étant réglables sur une plage s’étendant de –5 à +3 dB. Et enfin un filtre nommé « Desk » au comportement plus complexe : de 0 dB à –5 dB, il atténue les fréquences se situant autour de 300 Hz (soit une plage de fréquences qui s’avère souvent problématique lorsque les enceintes sont posées sur une console ou une surface similaire, d’où le nom « desk »), tandis que de 0 à 3 dB, il booste les fréquences se situant autour de 80 Hz, au cas où l’utilisateur chercherait à obtenir plus de punch dans le bas. Précisons que tous ces filtres se règlent par pas de 0,5 dB grâce à l’encodeur, ce qui s’avère assez précis quand nombre de concurrents proposent des corrections autrement moins fines via un système de switchs.
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Au-delà de cet aspect pratique de l’encodeur, soulignons quand même le côté gadget de certaines de ces fonctions : le paramétrage des LEDs notamment. Avouons aussi qu’avoir accès aux filtres en face avant ne présente qu’un intérêt limité pour nombre d’utilisateurs : on les règle à l’installation de l’enceinte pour ne plus y toucher ensuite (à moins d’avoir un usage nomade de ses écoutes, auquel cas on pourra apprécier le système). Espérons en tout cas que cette sophistication vieillisse bien, car elle représente un surcoût que beaucoup auraient probablement mieux aimé investir dans des évents en face avant…
Avant de passer à l’écoute proprement dite, précisons que la qualité de fabrication de l’enceinte ne souffre aucun reproche, tandis que la sobriété de son look et le soin apporté à sa finition n’ont rien d’un scandale esthétique : arrêtes arrondies, caisse noire réhaussée par un discret bandeau d’aluminium et un woofer gris. La SC305 a de quoi se fondre discrètement dans n’importe quel studio ou Home Studio…
Eve, lève-toi !
Afin d’écouter ces enceintes, nous les avons placées à côté des Egg de sE Electronics. Les SC305 étant de par leur configuration (3 voies avec des 5 pouces) assez originales, il nous a été difficile de trouver de vraies concurrentes. Les Egg et les SC305 ont comme seul point commun leur prix, ce qui est déjà pas mal. Mis à part cela, tout est différent : deux voies contre trois, 6,5 pouces contre 5, amplification externe contre intégrée, forme ovoïdale contre cubique. Bref, rien ne lie les deux enceintes et pourtant…
Miles Davis – Seven Steps to Heaven
Dès les premières secondes, on se rend compte que la spatialisation est vraiment très bonne sur les 305 et pour ne rien gâcher, le sweet spot est large : lorsque nous bougeons la tête et nous nous déplaçons légèrement, le son ne change pas. La dynamique du morceau est aussi respectée, il y a du détail mais aucune agressivité. C’est un bonheur à écouter. En ce qui concerne le spectre, les 305 semblent avoir un bas autour des 90/100 Hz un peu plus poussé que les Egg. À notre grande surprise, les différences entre les deux enceintes sont minimes, même si on entend que les Eve favorisent (légèrement) les hautes fréquences situées au-dessus de 5 kHz tandis que les Egg mettent les bas médiums (entre 200 et 500 Hz) plus en avant. Dans le haut médium, chacune a ses petites bosses et ses petits creux, mais cela reste assez assez droit. Les enceintes sont au même prix, et ça s’entend.
Strauss – Ainsi parlait Zarathoustra
L’introduction du morceau, avec la note tenue de l’orgue nous informe sur le caractère de chaque enceinte. Ainsi, sur les Egg les harmoniques ressortent plus grâce au bas médium tandis que les 305 favorisent plus la note fondamentale. Pendant le reste du morceau, il est très difficile de les départager car elles sont en vérité toutes les deux très bonnes. Sur les attaques des timbales, les Eve marquent un peu plus le coup, et sur la note tenue finale de l’orgue, qui fait habituellement ressortir aisément les différences entre les enceintes, il est très difficile de les départager, même si on peut constater la même chose que sur l’intro.
Stevie Wonder – Master Blaster
Ici, on entend plus clairement les fréquences situées au-dessus de 5kHz sur les Eve, notamment sur le charley de l’intro et les cymbales. Le bas des Egg est en revanche plus sec, on sent que ça coupe plus haut (sous 45 Hz, il n’y a plus personne). Le kick ressort bien plus sur les Eve parce qu’elles descendent plus bas. Concernant le dynamique, c’est parfait sur les deux. Les SC305 de par leurs aigus et basses plus accentués embellissent légèrement le tout et sont un peu plus flatteuses. Sur les voix et les cuivres, on entend que les bosses des hauts médiums sont placées à différents endroits, plus haut sur les Egg (vers 2,5 kHz) et à 1,5 kHz environ sur les Eve. Ces dernières ayant un filtre de crossover à 3 kHz, on comprend aisément ce résultat. La voix de Stevie Wonder nous semble légèrement plus intelligible sur les Egg.
Metallica – Enter Sandman
Sur les toms de l’introduction, le haut du spectre des Eve met en valeur la brillance des attaques, tandis que sur les Egg, elles sont plus sèches. Quand ça part, on entend clairement le surplus de brillance (5 kHz et plus) sur les SC305. Sur la caisse claire, les Egg ont plus de dynamique et cette dernière ressort plus facilement. Dernier détail : le champ stéréo nous parait plus large sur les Eve.
Gorillaz – Feel Good Inc.
Une des notes de la basse semble tomber sur une fréquence (60 Hz environ) qui ressort plus sur les Egg. Du coup, sur ce morceau, le bas semble bizarrement plus développé. Les Egg sont plus nerveuses, le kick ressort plus. D’une manière générale, le bas descend moins bas sur les Egg mais semble plus tenu. On retrouve globalement les mêmes caractéristiques que sur les autres morceaux.
Conclusion
Ce test nous a plutôt réjouis plus plusieurs raisons : Eve Audio est une bonne marque d’enceintes de plus et ça, c’est toujours une bonne chose, la concurrence étant souvent bénéfique pour l’utilisateur final. De plus, cette nouvelle enseigne, si elle reste assez classique, sait se démarquer sur certains modèles comme celui que nous avons testé aujourd’hui : une petite trois voies munie de haut-parleurs 5 pouces, c’est une très bonne idée que peu de constructeurs ont eue jusqu’à présent !
Certains choix ergonomiques nous semblent discutables, notamment le potard cranté multifonctions qui a ses avantages mais aussi ses inconvénients. De plus, l’évent situé à l’arrière peut être un frein pour ceux disposant d’une petite pièce.
Concernant le son à proprement parler, la SC305 nous a vraiment convaincus. Le son est relativement droit, avec cependant des aigus très légèrement en avant, mais rien de pénalisant ou d’irrattrapable avec les filtres intégrés. L’image stéréo et la dynamique sont aussi de premier ordre, ce qui fait des SC305 des enceintes qui n’ont absolument pas à rougir de la concurrence dans cette gamme de prix (2000 € la paire environ).