Annoncé depuis 2 ans, le Dominion X est enfin disponible au format module ; voyons s’il est un concurrent sérieux dans un univers de synthés analogiques monophoniques en totale expansion…
Dans le monde de la synthèse sonore, la société berlinoise unipersonnelle MFB est réputée pour concevoir des modules analogiques, boîtes à rythmes et séquenceurs bon marché de taille réduite. En fait, elle existe depuis plus de 35 ans et a commencé par développer des produits vidéo. Sa première BAR, la MFB-501, remonte d’ailleurs à 1980 ! En 2001, elle présente son premier synthé, le MFB-Synth ; après un beau succès, il est alors décliné en versions Lite, II et PolyLite. Vient alors une série de modules, suivie par la série « zwerg », de nouveaux synthés / semi-modulaires / BAR / séquenceurs. Manfred Fricke le prolifique a parfois des temps de développement plus ou moins bien contrôlés. C’est ainsi que le Dominion X nous a été dévoilé pour la première fois à la Musikmesse de Francfort il y a deux ans, dans un état de prototype. C’est une version évoluée du savoir-faire de MFB, regroupant ses meilleurs modules et de nouveaux développements. Il devait à l’origine être équipé d’un filtre Shippmann, mais le business en a voulu autrement. Aujourd’hui, il est enfin disponible pour un test, décliné en deux versions de filtres : X et X SED. C’est la seconde que nous avons reçue…
Tout dans la face
Le Dominion X est un synthé analogique monophonique à mémoires présenté sous forme de module. La construction est meilleure que sur les modules en plastoc cheap habituels de la marque. Ici, il y a des flancs en bois, des tranches avant / arrière en métal, mais une façade en matériau composite peint. C’est mieux mais encore limite, surtout au regard du prix. Le format est compact et le poids léger, ce qui en fait un compagnon de scène idéal. La machine est couverte de commandes soigneusement alignées : 30 potards, 17 sélecteurs multiples rotatifs, un mini-afficheur 3 LED 7 segments + 3 points et 6 petits boutons ronds, dont 4 surmontés d’une LED. Tout cela est bien serré. La résistance des potards est molle et l’ancrage acceptable.
Il n’y a aucun menu caché, ce qui facilite la prise en main ; sauf pour comprendre une ou deux fonctions (comme la gestion des mémoires), il n’y a pas besoin d’ouvrir le manuel ; heureusement car il est cheap, se contentant de décrire les paramètres. Les potards ne fonctionnent qu’en mode saut, bof bof. Pour programmer ses propres sons, il existe un mode manuel, accessible avec le potard Value. C’est ce même potard qui permet de gérer les mémoires, en conjonction avec un autre sélecteur et le bouton Enter : on tourne le potard pour choisir une banque, on appuie sur Enter, puis on choisit un n° de 1 à 32, puis re-Enter.
La connectique est répartie sur la façade et le panneau arrière. En façade, ce sont 9 entrées mini-jacks : 3 CV pour chaque VCO (format 1 V/Octave, l’entrée CV du VCO1 contrôlant les 3 VCO lorsqu’elle est connectée seule), Gate (5 Volts), FM VCO (se substitue au VCO3 comme source de FM), Sync (se substitue au VCO1 comme source de synchro), Mixer (source audio substituée au générateur de bruit), CV VCF (contrôle la coupure du filtre en 0–5 Volts) et CV VCA (contrôle du volume en 0–5 Volts), pas mal ! Sur le panneau arrière, on trouve la borne pour alimentation externe (bloc extrême cheap), l’interrupteur secteur poussoir, un trio Midi, un jack d’insertion pour effet externe et une sortie audio mono. Rien de transcendant cette fois…
Son of the bitch
La mémoire interne renferme 128 mémoires déjà chargées d’usine avec des basses, leads, effets spéciaux et percussions. Certains programmes sont bien fichus et illustrent bien les possibilités de la petite bête, en particulier la richesse des VCO, VCF et modulations. Disons-le tout de suite, il est impossible de transmettre les valeurs des commandes en CC, ni de contrôler les paramètres de synthèse en retour… dommage pour une machine sous contrôle numérique.
Heureusement qu’on se rattrape question sons. Dans ce domaine, le Dominion ne déçoit pas, bien au contraire. Il excelle dans les basses profondes avec beaucoup de caractère, parfois bien trash, parfois bien rondes. Le filtre SED y est pour beaucoup dans ce dernier cas, comme nous le verrons plus tard. La vélocité permet de moduler pas mal de paramètres, rendant le son très expressif. On peut facilement créer des sons métalliques, grâce aux modulateurs en anneau sophistiqués. De même, de grosses synchros ont mis le voisin dans un état d’humeur exécrable, il commence à m’em…der lui ! Il faut dire que le Dominion X est particulièrement gâté dans ce domaine. Nous avons aussi fait quelques sons FM convaincants, à base des 3 VCO transformés en opérateurs. Les effets spéciaux tirent profit des possibilités de modulations originales, vive le numérique ! Moins sympa, les effets de pas liés au pilotage numérique des paramètres sont audibles, notamment lorsque la résonance du filtre est poussée, on se croirait sur un bon vieux Prophet-5, dommage…
- Bass1 00:40
- Bass2 00:25
- Bass3 00:23
- Bed 00:25
- FM1 00:36
- FM2 00:17
- Fretless 00:19
- Fuck\'d Fifre 00:11
- ModVel 00:16
- Ring\'d 00:15
- SOS 00:18
- Sync\'d 00:12
- VCOs 00:31
- Ashiz 00:17
Salade de VCO
Le Dominion X est un synthé analogique à chaîne classique VCO – VCF – VCA. Le manuel annonce 5 à 10 minutes de stabilisation pour ses oscillateurs contrôlés en tension, mais le site internet MFB précise curieusement un contrôle de l’accord par le processeur, va savoir !
Les VCO sont plus complexes que ce que l’on trouve habituellement : chacun offre 3 ondes de base (triangle, dent de scie, impulsion) à symétrie variable. Le triangle peut se transformer en sinus, la dent de scie en triangle et l’impulsion sont à largeur variable (50 à 95%). Cette transition est réglable en continu et peut être modulée par le LFO1 ou en manuel. Le pitch de chaque VCO est accordable de 4 à 32 pieds par octave et par demi-ton (+ ou – 6 ; + ou – 13 suivant le VCO), puis modulable par l’un des 2 LFO ou l’enveloppe de filtre. Il existe aussi une position de modulation où le volume pré-mixage de chaque VCO est modulé par le LFO1.
Chaque VCO peut être modulé en anneau avec son voisin : respectivement VCO1 et VCO2, VCO2 et VCO3, VCO3 et VCO2. On peut aussi synchroniser tout ce beau monde : ainsi, le VCO1 peut agir sur le VCO2, le VCO3 ou les deux en même temps. Mais ce n’est pas tout, puisque le VCO3 peut moduler en FM le VCO1, le VCO2 ou les deux, avec une intensité programmable. Super ! Pour agrémenter le jeu, on peut faire intervenir un glide à temps ou vitesse constante (au choix), avec courbes logarithmique, linéaire ou exponentielle. Un mode legato est également présent, avec redéclenchement des enveloppes ou fonctionnement libre.
Dirty Domi
Chaque VCO est envoyé dans un mixeur, ainsi qu’un générateur de bruit blanc interne. Ce générateur est coupé lorsqu’on connecte une prise à l’entrée audio pour injecter un signal externe dans le mixeur. Chaque source dispose d’un niveau séparé programmable. À niveaux élevés, on crée une saturation légère dans le filtre, qu’on va pouvoir accentuer en réinjectant la sortie audio en entrée de filtre (feedback réglable). C’est maintenant que les Dominion X et X SED vont différer.
Le Dominion X SED offre 6 modes de filtrage gérés par 2 VCF distincts mais non simultanés : d’abord, un filtre MFB multimode 2 pôles à résonance constante, avec réponses passe-bas, passe-bande, réjection et passe-haut ; ensuite, un filtre SED passe-bas 2 et 4 pôles à résonance non linéaire ; il est basé sur des transistors et décrit comme un filtre « au son Roland / SSM » (?). Nous avons créé des exemples audio de chaque filtre en fin de liste de la fenêtre idoine, avec variation de la fréquence de coupure sous 3 niveaux de résonance pour chacun (0%, 50%, 100%). Les 2 modes SED offrent une coloration très musicale et une résonance maîtrisée ; ils apportent un grain plus vintage que moderne, complétant à merveille les filtres MFB, au caractère bien trempé, bien crades et sifflants… avec les deux variétés de filtres, on a deux caractères très distincts, bien au-delà du modèle X standard.
Ce dernier propose un VCF MFB multimode résonant. Il fonctionne suivant 6 modes possibles : passe-bas 4 pôles, passe-bas 3 pôles, passe-bas 2 pôles, passe-bande 2 pôles, réjection 2 pôles, passe-haut 2 pôles. Ici, le son reste bien crade quel que soit le filtre. Sur chaque modèle, on peut régler le suivi de clavier (0, 50%, 100%), la modulation par l’enveloppe 1 (Contour), avec inverseur. Il y a même un bus de modulation additionnel, à choisir parmi 4 sources : LFO1, LFO2, VCO2, VCO3, avec quantité dosable. Sympa…
- W Filter2 SED2 00:44
- W Filter1 SED4 00:43
- W Filter3 LP2 00:42
- W Filter4 BP2 00:46
- W Filter5 NO2 00:45
- W Filter6 HP2 00:45
Modulations originales
Le Dominion X offre des possibilités de modulation très intéressantes, voire originales. À commencer par les 2 enveloppes ADSR. L’une est préassignée au VCF, mais peut également moduler le pitch de chaque VCO ; l’autre est assignée au VCA sans autre choix.
Ces enveloppes sont assez rapides, elles cliquent, sans pour autant claquer comme un Moog. Viennent ensuite 2 LFO complexes dont la fréquence varie de 0,1 à 100 Hz ; les formes d’onde disponibles sont le sinus, le triangle, la dent de scie, la rampe, le carré et le S&H ; l’oscillation est libre ou redéclenchée à chaque appui de note ; la vitesse peut dépendre du suivi de clavier, ce qui est excellent (et laisse supposer que le LFO est numérique) ; le LFO peut aussi être basculé du mode cyclique en coup unique ; par contre, pas le moindre fondu ni de synchro de la vitesse au tempo.
Un troisième LFO simplifié à onde triangulaire peut être assigné à l’une des 5 destinations suivantes : pitch global, VCO2, VCO2+3, VCF et VCA. La quantité de modulation est définie par un potard et dépend de la position de la molette de modulation (ou du CC Midi n°1) ; si le potard est à zéro (position Off), il n’y a pas de modulation mais un contrôle direct de la destination choisie. Enfin, la vélocité peut moduler 11 destinations simultanées, avec quantités distinctes bipolaires : VCA, VCF, résonance, ADSR1 vers VCF, vitesse des LFO (1 ou 2), symétrie des formes d’onde (VCO1, 2 ou 3) et vitesse des enveloppes (1 ou 2), cool !
Verdict
Au final, le Dominion X est un module analogique monophonique surprenant. La façade regorge de commandes et la prise en main est immédiate. Avec une section VCO musclée et un tas de modulations très originales, les territoires sonores couverts sont vastes. C’est encore plus vrai pour le modèle SED, dont le filtre additionnel est plus musical, avec un petit côté vintage, alors que le premier est plus agressif. La petite déception concerne la partie numérique, qui gère les mémoires (avec lourdeur), les notes Midi, quelques contrôleurs physiques, les dumps et les changements de programme ; mais pour ceux qui veulent automatiser, il faudra se contenter de quelques entrées CV, comme au bon vieux temps. La compacité et le poids plume destinent le Dominion X à la scène, mais il se sentira bien en studio où il apportera un son original dans un espace réduit.
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