Le Behringer 2600 se positionne comme un clone amélioré de l’ARP 2600, accessible aux musiciens pas forcément fortunés, bricoleurs ou collectionneurs. Un bon plan ?

Aussi prestigieux que le Minimoog, l’ARP 2600 est un synthé semi-modulaire produit entre 1971 et 1980. Avec son grand pupitre vertical à HP intégrés et son clavier quatre octaves, il est aussi à l’aise dans les sons musicaux que les bruitages. On lui doit autant les basses fermées de certains titres signés JMJ que les joyeux gazouillis de R2D2, ce qui permet au passage d’enterrer une fois pour toutes la légende urbaine selon laquelle le son proviendraient d’un OB-1 (qui date de 1979, soit deux ans après la sortie du premier Star Wars). L’ARP 2600 a été décliné en 4 modèles et 9 révisions : 2600 « Blue Marvin » (bleu tout alu, filtre 4012), 2600C « Gray Meanie » (gris tout alu, filtre 4012), 2600P (gris en suitcase, 4 révisions avec différents VCO de qualité variable, filtre 4012) et 2601 (3 révisions, passage à partir de la V2 du filtre 4012 au 4072 suite à un contentieux avec Moog et aux couleurs orange sur fond noir). Les versions les plus convoitées sont celles à base de filtre 4012, plus gras et plus ouvert, le 4072 étant limité à 12 kHz suite à une erreur de conception.
Aujourd’hui, soit un demi-siècle plus tard (!), les amateurs d’ARP 2600 ont plusieurs alternatives pour se rassasier : les collectionneurs fortunés et chanceux peuvent craquer pour un modèle vintage (à choisir judicieusement), les nostalgiques moins aventureux mais tout de même fortunés opter pour un clone signé ARP fabriqué par Korg (série limitée à 1 000 exemplaires), les un poil moins fortunés se tourner sur le clone de 2600 d’Antonus et les bricoleurs avertis se lancer dans la construction d’un clone TTSH (Two Thousand Six Hundred). Mais pour le peu fortuné pas du tout bricoleur, c’est-à-dire le commun des musiciens, il n’y avait jusque-là pas trop de possibilités. Jusqu’à ce que Behringer se lance dans un clonage de 2600, pour une fraction du prix. A vos patches !
Black rack
Tous les réglages ou presque sont continus, y compris l’accordage grossier des VCO. C’est assez perturbant pour ceux qui ont l’habitude des réglages discrets par pieds et demi-tons. Cela nécessite dextérité et précision pour bien doser tout cela. De même, il faut un certain temps pour s’habituer au fonctionnement par défaut de l’appareil : signaux audio et modulations précâblés, réglage des curseurs situés au-dessus des entrées… puis compréhension du câblage qu’on ne manquera pas de mettre en œuvre (pour refaire les sons de basse fermée d’Equinoxe et Chronologie, pas besoin de patcher ?). On remarque aussi 31 capuchons caoutchouc amovibles : ils permettent l’accès à tous les ajustables depuis la façade. Un mot sur la qualité de construction, qui nous semble très bonne : carrosserie tout en métal, curseur offrant une bonne résistance, connectique sertie (mais pas vissée). Cela nous donne donc un poids de 4,9 kg pour 482 × 354 × 110 mm. Comme on peut le voir sur les photos, le 2600 est rackable, il occupera exactement 8U en format 19 pouces.
Architecture générale
Le 2600 comprend une vingtaine de modules analogiques purs : 3 VCO, 1 mélangeur pré-VCF, 1 VCF, 1 VCA, 1 mélangeur post-VCA, 1 enveloppe AR, 1 enveloppe ADSR, 1 portamento, 1 générateur de CV duophonique, 1 LFO, 1 portamento, 1 préampli, 1 suiveur d’enveloppe, 1 modulateur en anneau, 1 générateur de bruit, 4 processeurs de tensions et 1 S&H ; c’est peu ou prou ce qu’on retrouve sur un ensemble 2600 + clavier 3620, hormis les touches.
Mais l’utilisateur peut décider de chambouler tout ou partie de cette belle harmonie, au moyen de cordons de brassage : par exemple, envoyer la dent de scie du VCO1 dans le filtre (plutôt que l’impulsion), moduler la PW du VCO2 par le LFO (plutôt que le bruit) ou encore piloter la fréquence du filtre avec l’enveloppe AR (plutôt que l’ADSR). Dès que l’on connecte un cordon à l’une des prises 3,5 mm, on remplace la connexion préétablie. Les processeurs de tensions permettent de mélanger et/ou doser plusieurs signaux pour en fabriquer des plus complexes. C’est aussi l’occasion de router des signaux sonores ou des modulations à partir de / vers un système modulaire plus vaste (modules de synthèse, modulations, séquenceurs, etc.). A chaque étage sonore, le 2600 offre des possibilités d’interconnexions. Revers de la médaille, aucun réglage n’est mémorisable ou pilotable en CC MIDI : le son et les modulations passent physiquement par les composants, la seule partie numérique concerne le pilotage MIDI des notes et du pitchbend. L’appli Synth Tool permet de régler la priorité de note (basse, haute, dernière) et l’étendue de pitchbend ; elle permet aussi de recalibrer la machine (procédure manuelle) et mettre à jour l’OS.
Etat de l’ARP
Pour notre part, nous avons apprécié le grain des VCO, la musicalité du filtre 4012 et la rapidité extrême des enveloppes. Sans oublier les possibilités infinies de câblage, qui n’ont de limite que l’imagination de l’utilisateur. Côté réverbe modélisée, la qualité est très correcte, le signal entrant n’est pas noyé. Elle a tendance à saturer quand on pousse trop le niveau d’entrée, il faudra être là encore fin sur les réglages… Quant aux modèles « Blue Marvin » et « Gray Meanie », la qualité sonore de la réverbe à ressort authentique est plus convaincante, avec des vibrations métalliques typiques. Les derniers exemples audio « Bench » alternent le 2600 de base et le Gray Meanie, avec différents réglages d’effets (« Blend » empile quant à lui les deux 2600 !). Si la différence des réverbes saute aux oreilles, on ne note en revanche pas d’écart flagrant lié aux AO premium. Au global, le comportement typique de l’ARP 2600 nous semble avoir été méticuleusement analysé et bien reproduit par les développeurs, chapeau ! Nous avons pu échanger pas mal de temps avec une partie de l’équipe et il faut avouer qu’ils se sont bien pris la tête pour y parvenir. Cela a représenté un travail considérable, bien plus complexe que cloner un synthé compact entièrement précablé et basique comme un Model D ! Dernier point, le 2600 tient parfaitement l’accordage.

- B2600_1audio 00 Switched-On B_106:24
- B2600_1audio 01 Chrono Bass 1&2_101:54
- B2600_1audio 03 Low Bass_100:40
- B2600_1audio 04 Rez Bass_100:20
- B2600_1audio 05 Squares_101:03
- B2600_1audio 06 Grey PWM_100:34
- B2600_1audio 07 Magnetic Dry_100:30
- B2600_1audio 08 Magnetic Spring_100:30
- B2600_1audio 09 Dont Go Saw_100:27
- B2600_1audio 10 Dont Go PWM_100:27
- B2600_1audio 11 Arp Laser_101:03
- B2600_1audio 12 Blackstar Fifth_100:59
- B2600_1audio 13 Solo Voice_100:29
- B2600_1audio 14 Soft Duo_100:36
- B2600_1audio 15 Pick Duo_100:34
- B2600_1audio 16 S&H Game_103:03
- B2600_1audio 17 Porte Nawak01:00
- B2600_1audio 18 Noisy Winds01:36
- B2600_1audio 19 Noisy Bloups01:44
- B2600_1audio 20 Filter FM01:25
- B2600_1audio JD 1 Voice01:07
- B2600_1audio JD 2 Noises06:46
- B2600_1audio JD 3 Noises02:33
- B2600_1audio JD 4 Noises01:42
- B2600_1audio JD 5 Noises03:15
- B2600_1audio JD 6 Noises00:40
- B2600_1audio JD 7 Noises01:40

- Orange & Gray Bench101:07
- Orange & Gray Bench200:41
- Orange & Gray Bench300:38
- Orange & Gray Blend00:21
Sources sonores
Allez, on descend dans la synthèse. Commençons par les 3 VCO. Le premier est capable de produire simultanément une onde impulsion variable (routée par défaut vers le mixeur) et une onde dent de scie. On peut prélever les signaux en sortie de VCO pour les envoyer dans n’importe quelle entrée (audio ou pas). On peut modifier la largeur d’impulsion à la main (contrairement à l’ARP2600 dont l’onde carrée est fixe).
Les fréquences des VCO2 sont modulables par 4 sources prédéfinies (suivi de clavier, S&H, ADSR, impulsion du VCO1) et celles du VCO3 par 4 autres sources prédéfinies (suivi de clavier, bruit, ADSR, sinus du VCO2). Les largeurs d’impulsion des VCO 2 et 3 sont cette fois modulables par une source prédéfinie (bruit pour le VCO2 et ADSR pour le VCO3), que l’on peut évidemment remplacer par ce qu’on veut avec un cordon. Tous les oscillateurs peuvent être accordés entre 10 Hz et 10 kHz en continu (réglages grossier et fin). Pour chacun, on peut déconnecter le suivi de clavier, ce qui les change en LFO (0,03 à 30 Hz). Le générateur de bruit possède un niveau ajustable et une couleur variable en continu (rouge à blanc). Amélioration remarquable par rapport à l’ARP 2600, il est maintenant possible de synchroniser les VCO 2 et 3 au VCO1. Cela donne accès des territoires sonores étendus, merci.
Filtre au choix
Le filtre dispose aussi de 3 entrées de modulation de fréquence. Elles sont précablées sur le suivi de clavier, l’ADSR et l’onde sinus du VCO2 (FM audio). Même principe que pour les modulations des VCO, on peut les substituer avec ce qu’on veut, en basse fréquence ou en audio ; il ne faut d’ailleurs surtout pas se priver de moduler le filtre par des sources audio discontinues, c’est comme ça qu’on fabrique la voix de R2D2 avec une résonance en auto-oscillation.
Elle est également routée par défaut au VCA, qui possède un réglage de gain initial, 2 entrées audio précablées (VCF donc, ainsi que la sortie du modulateur en anneau) et 2 entrées de modulation précablées (AR linéaire et ADSR exponentielle), là encore toutes substituables. En sortie, un mixeur final permet de doser deux sources (VCF et VCA par défaut) ; il débouche sur 2 entrées post-fader et une sortie mélangée. On arrive ensuite au réglage de panoramique et au bus stéréo vers la réverbe (simulée ou authentique suivant modèle, rappelons-le). Elle possède une entrée substituable (mixeur final par défaut), deux curseurs de niveau (canaux gauche et droit), deux entrées gauche/droite pour mélange d’un signal stéréo externe sur le circuit de retour et une sortie mono directe.
Modulations totales
Allez, on passe aux processeurs de tension. Le premier crée un ou plusieurs signaux complexes en multipliant plusieurs sources vers plusieurs destinations, avec quatre points d’entrée/sorties combinables au choix. Juste en-dessous, il y a trois autres processeurs : l’un mélange deux signaux entrants, les atténue de 10 V, les module par un signal asservi au suivi de clavier et inverse le tout (cf. photo, ce sera plus simple !). Le suivant ajoute 10V au signal entrant et inverse le tout en sortie. Le dernier lisse le signal entrant suivant un temps ajustable ; il est optimisé pour le suiveur d’enveloppe. Il nous reste à parler du S&H, assez élaboré. Il est produit par le bruit interne (substituable) et une horloge. Il dispose d’un niveau ajustable, d’une vitesse ajustable, d’une entrée horloge, d’une sortie horloge et d’une sortie de modulation. Sa vitesse contrôle aussi l’interrupteur voisin, capable d’alterner soit un signal entrant vers deux sorties, soit deux signaux entrants vers une sortie. Pour utilisateur averti !
Conclusion
Tout comme l’ARP 2600, le 2600 Behringer est un pursang qui nécessite pas mal de patience et de finesse pour être dressé. Ce clone est bluffant, tant sur le plan sonore que comportemental. Les modèles « Blue Marvin » et « Gray Meanie » en série limitée sont évidemment plus tentants, avec leurs AO de qualité premium, la véritable réverbe à ressort et le look imparable. L’interface utilisateur est très agréable, même si elle diffère de l’originelle, par sa compacité et sa disposition. Si on perd la réverbe à ressort sur le modèle de base, les HP et l’alimentation interne, on gagne en revanche un certain nombre d’améliorations bienvenues dans les sections VCO et VCF. Le 2600 n’est pas adapté à celui qui a l’habitude de travailler avec des mémoires ou des automations, tout se fait à la main et en fonction de l’inspiration du moment. D’autant que la parfaite continuité des commandes rend difficile la reproduction à l’identique d’un son donné à plusieurs reprises. Mais c’est le propre du 2600, comme tout modulaire, avec cette fois un prix défiant toute concurrence et une disponibilité garantie. Une nouvelle référence à suivre dans le milieu semi-modulaire et un nouveau standard qualité/prix, qui mérite largement l’Award Audiofanzine éponyme.