Après le PolyD, Behringer présente le MonoPoly, un synthé paraphonique à 4 VCO, logé dans un solide panneau inclinable d’acier et de bois, pour un tarif très serré. Eclipsera-t-il le modèle vintage éponyme de Korg ?
Bien parti pour cloner tous les synthés vintage remarquables, Behringer vient de présenter le MonoPoly. C’est en 1981 que Korg présente le Mono/Poly (avec un /), un synthé compact conçu pour apporter un gros son et une pseudo polyphonie à prix acceptable, à une époque où les véritables synthés polyphoniques sont difficilement accessibles à la plupart des bourses. Le son particulier du Mono/Poly est dû entre autres à ses 4 VCO SSM2033 (introuvables à prix décent) en interaction, cuisinés par un VCF SSM2044 (cloné depuis par Cool Audio, une société sœur de Behringer). Il a donc fallu mener un gros travail de rétro-engineering (un an pour le VCO) pour faire renaître le son authentique et l’expérience de programmation du petit synthé de recherche trapu. Alors tous sur la case départ, c’est parti pour la conquête du monde !
Case départ
Le MonoPoly reprend la même coque que le Poly D, à savoir une construction de métal et de bois, une façade escamotable suivant trois positions, un clavier 3 octaves et 2 molettes opaques. L’objet est très classe et affiche 10,3 kg pour 65 × 36 × 9 cm avec le panneau rabattu. Les commandes en façade, correctement ancrées et espacées, sont identiques à celles du Mono/Poly en type, nombre et organisation. Cela représente 32 potentiomètres, 9 sélecteurs rotatifs, 13 interrupteurs et 6 boutons poussoirs. On aurait aimé quelques améliorations, mais ce n’est pas au plan des commandes qu’il faut les chercher. La résistance des potentiomètres et sélecteurs est très correcte, mis à part les sélecteurs d’ondes qui bougent sur leur axe et les boutons-poussoirs qui tanguent un peu sur leur ressort (ils fonctionnent toutefois très bien).
Évidemment, nous sommes sur une ergonomie un bouton / une fonction, synonyme de prise en main immédiate, d’autant que les commandes sont assez logiquement placées, comme à l’origine : routage des molettes, LFO (MG), PWM, intermodulations des VCO, VCO, mixeur, VCF et enveloppes. Sans oublier les commandes de l’arpégiateur, des modes de voix, du trigger et d’activation des intermodulations des VCO (EFFECTS). Les molettes sont assignables aux VCO (VCO1 ou VCO esclaves en cas d’intermodulations), au pitch global (tous les VCO) ou au VCF, avec une intensité réglable.
Le pitchbend (à ressort) agit directement alors que la molette de modulation pilote l’action du LFO1 sur la destination choisie. Seuls quelques réglages numériques minimes sont accessibles depuis l’application maison Synth Tools (canal MIDI, filtres MIDI, courbe de vélocité, priorité de note, polarité des entrées…). Le clavier, trop mou à notre goût, est sensible à la vélocité mais pas à la pression ; il pourra piloter des appareils MIDI, le synthé interne n’étant pas contrôlable par la vélocité.
Le panneau arrière, relevable, reprend la même connectique que le Mono/Poly de Korg : sortie mono asymétrique, sortie casque, entrée/sortie CV 1V/octave, entrée/sortie Trig (avec commutateur de polarité), entrée pédale vers le pitch, entrée pédale vers le filtre, entrée pédale de commutation pour le portamento et entrée synchro pour l’arpégiateur. Toute cette connectique est au format jack 6,35. S’y ajoutent les prises MIDI : trio DIN et prise USB-B (MIDI, système). Tout est solidement vissé, rien ne bouge. L’alimentation est ici externe, avec un bloc cheap 12 V DC – 1A – centre positif. Au global, c’est nettement moins généreux que sur le PolyD.
Compagnie de distribution d’électricité
Le MonoPoly est un synthé analogique paraphonique à 4 VCO / 1 VCF / 1 VCA. Notre exemplaire de test est immédiatement stable dès l’allumage. Pourtant, Behringer a équipé sa machine d’une fonction Autotune, enclenchable à l’allumage par combinaison de touches (on peut aussi annuler son action après coup). Nous n’avons jamais eu besoin d’accorder le synthé pendant tout son séjour au studio. Les niveaux de sortie sont bons et peuvent être ajustés avec le potentiomètre de volume et un sélecteur de niveau à trois positions. Le Mono/Poly était à l’origine positionné comme synthé de recherche, avec des possibilités d’interaction des VCO très intéressantes, un arpégiateur qui cycle les VCO et des modes de voix permettant de passer de gros sons épais aux accords plus subtiles. Voyons s’il en est de même ici…
Empiler 4 VCO un peu désaccordés permet de peser incontestablement, pour des sons de basse bien gras ou des unissons à PWM énormes. Quand on active la section EFFECTS, tout peut vite partir en live, que ce soit avec les 4 VCO modulés en cascade ou 2 par 2. À nous les textures métalliques, les déchirements effrayants (vive la X-MOD !), les synchros vertigineuses, les accords cuivrés ou les nappes subtiles.
Le filtre est à la fois musical et impitoyable, avec une résonance prononcée qui n’écrase pas les basses fréquences, vraiment à l’aise dans de nombreux domaines. Les enveloppes savent pincer sur les déclins courts et les LFO chatouillent un peu l’audio. Chose amusante, on peut régler chaque VCO de manière très différente (forme d’onde et accordage) pour jouer des accords étranges ou des cycles d’arpèges, comme sur un modulaire.
Afin de pousser les investigations, nous avons squatté un sympathique studio sicilien qui abrite plusieurs centaines de synthés et BAR de toutes les époques : entre les PPG, Moog, Oberheim, Sequential, Octave et Linn, nous avons trouvé un Mono/Poly parfaitement fonctionnel. La similitude visuelle était déjà saisissante, la similitude sonore l’est encore plus, que ce soit dans les VCO, leurs interactions, les PWM, le VCF ou les enveloppes. Le (vénérable) Mono/Poly demande une bonne quinzaine de minutes pour se stabiliser, là où le (jeune) MonoPoly est immédiatement et durablement stable. La principale différence constatée réside dans la réponse du Decay des enveloppes et le dosage bipolaire de l’enveloppe de VCF : les réglages ont la même plage, mais pas la même linéarité. On peut donc avoir les mêmes réponses, mais les deux potentiomètres ne sont pas au même endroit. Cela peut évidemment venir du calibrage de chaque synthé, sachant que deux Mono/Poly vintage ne sont déjà pas étalonnés de la même façon. Par contre, nous avons été surpris par la similitude des autres réglages, sur des machines d’une telle différence d’âge. Bref, l’esprit et le grain du Mono/Poly sont bien là, bravo !
- MonoPoly_1audio 01 Cyclic Arp01:01
- MonoPoly_1audio 02 Poly PWM00:37
- MonoPoly_1audio 03 Porta Sync00:21
- MonoPoly_1audio 04 Basic Arp01:27
- MonoPoly_1audio 05 Poly Porta00:37
- MonoPoly_1audio 06 One VCO00:46
- MonoPoly_1audio 07 Blah Blah00:40
- MonoPoly_1audio 08 Blood Organ01:19
- MonoPoly_1audio 09 Soprano Voice00:24
- MonoPoly_1audio 10 Poly XMod00:34
- MonoPoly_1audio 11 Perky Noise00:22
Les quatre gares
Allez, rentrons maintenant dans la synthèse. Le MonoPoly reflète parfaitement chaque module du Mono/Poly, ni plus, ni moins. On part de 4 VCO identiques, capables de produire 4 formes d’onde (triangle, dent de scie, PWM et PW manuelle) sur 16/8/4/2 pieds. Les 4 VCO sont accordés par un Tune global et un sélecteur d’octave (+/-1). Les VCO 2–3–4 sont chacun dotés d’un potentiomètre d’accordage fin. Un Detune global permet d’élargir le son en écartant les 4 VCO simultanément, particulièrement appréciable en mode unisson. Lorsqu’un oscillateur est réglé sur PWM, il peut être modulé par le LFO1, le LFO2 ou l’enveloppe VCF suivant une intensité ajustable. Lorsqu’un oscillateur est réglé sur PW, le cycle prend une largeur fixe défini par un potentiomètre dédié. C’est donc beaucoup plus souple que la section VCO du PolyD !
Les VCO peuvent être assignés aux notes suivant différents modes : mono, unisson, poly ou accord. Behringer n’a pas oublié le mode de redéclenchement des notes (simple ou multiple) et l’Auto-Damp, permettant de supprimer les notes d’un accord lorsqu’on les relâche une par une en paraphonie. Très originale et responsable de certains sons spécifiques à la machine, la section EFFECTS permet d’intermoduler les VCO dans le domaine audio : synchro, X-Mod ou les deux en même temps. La synchro est une classique Hard Sync, alors que la X-Mod s’apparente à de la modulation d’amplitude. Là où le Mono/Poly se distingue d’autres synthés analogiques, c’est dans le choix du rôle des VCO maîtres / esclaves : soit le VCO1 module les 3 autres, soit le VCO1 module le VCO2 tandis que le VCO3 module le VCO4. Et là, les résultats sont très différents ! On peut aussi moduler la FM des VCO esclaves avec l’enveloppe de filtre ou le LFO1. Nous ne partirons pas sans parler du portamento (polyphonique dans les modes Unisson/Share et Poly, merci croulebarbe et oryjen pour le challenge !) et son potentiomètre de réglage de temps. Une section très intéressante et parfaitement reproduite.
Caisse de communauté
Les 4 VCO ainsi qu’un générateur de bruit blanc sont ensuite dosés séparément dans un mixeur. Pousser les niveaux apporte une légère saturation asymétrique très agréable, avant de rejoindre le VCF commun. Il s’agit d’un filtre passe-bas résonant 4 pôles, dont la fréquence de coupure peut être modulée par une enveloppe, le suivi de clavier (0 à 100%) et le LFO1.
La modulation par l’enveloppe est bipolaire, idéal pour créer des sons à double attaque, super ! Augmenter la résonance n’écrase pas les fréquences basses, nous l’avons dit. La pousser au-delà de 8 fait entrer le filtre en auto-oscillation, où il produit une onde sinus peu criarde. Cela permet au passage de contrôler le bon calibrage du suivi de clavier. Enfin, le son passe par le VCA final, piloté par une seconde enveloppe dédiée, avant de rejoindre la sortie.
Côté modulations, on a 2 LFO et 2 enveloppes. Les LFO sont de conception purement analogique (donc sans synchro au tempo MIDI). Plus complet, le LFO1 offre 4 formes d’ondes (triangle, dent de scie, rampe, carré, mais pas d’aléatoire) et peut osciller de 0,1 à 20 Hz, ce qui n’est pas ultrarapide. Il peut, en direct, affecter la PWM et la FM des VCO esclaves et, via la molette de modulation, les VCO esclaves, le pitch ou le VCF. Le LFO2 ne dispose que d’une onde triangle ; il est assigné à la PWM et définit aussi le tempo de l’arpégiateur. Sa fréquence varie de 0,1 à 30 Hz, ce qui chatouille un peu l’audio. Les enveloppes sont quant à elles de type ADSR et de conception analogique comme sur l’original. La première est préassignée au VCF, mais elle peut également moduler la PWM et la FM des VCO esclaves. La seconde est uniquement assignée au VCA. Pas trop de fioritures dans ce secteur…
Compagnie de distribution des eaux
Comme le Mono/Poly, le MonoPoly intègre un arpégiateur très basique mais toutefois sympathique. Il peut agir sur 1, 2 ou toute la tessiture suivant 3 motifs : haut, bas, alterné (donc pas d’aléatoire là non plus). Le mode Latch permet de faire tourner les arpèges en relâchant les notes. En mode Poly, l’arpégiateur a la particularité de cycler les VCO, alors que leur ordre est réinitialisé lorsqu’on joue au clavier dans le même mode. Cela permet de créer des mini-motifs intéressants en variant les réglages des VCO. Astuce : pour obtenir un pseudo cycle des VCO quand ils sont joués au clavier, il faut se placer en mode Poly, laisser l’arpégiateur activé et régler sa vitesse au minimum. Les notes arpégées peuvent être transmises en MIDI DIN ou USB, merci.
J’achète !
Avec le MonoPoly, Behringer réussit une réédition très fidèle du synthé développé par Korg il y aura bientôt 40 ans. Le synthé ravira les nostalgiques dont le Mono/Poly dort d’un sommeil éternel dans un flight pour cause de panne majeure, en apportant à la fois un son et une interface conformes à l’original. La qualité de construction est excellente et le format très sexy, avec ce chouette panneau inclinable en métal et ces jolis flancs en bois. On retrouve les qualités intrinsèques du Mono/Poly, à savoir le grain généreux du cocktail VCO/VCF, l’entrée CV vers le VCF, les différentes interactions d’oscillateurs, les enveloppes rapides, les modes de voix complets et le sympathique arpégiateur capable de cycler les VCO. On regrette surtout la relative mollesse du clavier et l’alimentation externe cheap. Le MonoPoly est un vrai synthé d’expérimentation qui réserve bien des surprises, avec une prise en main aisée. Lorsqu’on voit la cote atteinte par les Mono/Poly vintage et la difficulté à trouver des VCO SSM2033, l’alternative proposée par Behringer, robuste, fidèle, abordable et MIDI d’origine apparait comme un excellent plan. On évite ainsi de payer la taxe de luxe ou de passer par la case prison, d’où l’Award qualité/prix Audiofanzine 2020.
Tarif annoncé : $699