Présenté au NAMM 2019, le Sirin est un Minitaur doté d’une tessiture étendue dans le registre aigu. Construit en série limitée, ce piaf fait-il le poids face au taurillon ?
La célèbre pédale basse Taurus a débuté sa carrière en 1976. Déclinée en Taurus II quelques années plus tard, trente ans passeront avant que Moog ne présente une incarnation modernisée, la Taurus III, produite à 1500 exemplaires. Il s’agit d’un synthé sous forme de gros pédalier d’une octave basé sur deux VCO linéaires à ondes en dent de scie, qui lui confèrent un son très particulier dans les graves, sans annulation de phase quand on accorde leur battement. L’instrument est classieux, cher, rare, lourd et encombrant. Deux ans plus tard, Moog Music lance le Minitaur, un module qui tient dans la main, pour une fraction du prix, conservant le bas de spectre et apportant une longue série d’améliorations tout au long de sa carrière. Toutefois, comme ses ancêtres Taurus, le Minitaur a une limite liée au pilotage linéaire de ses VCO : la transposition vers le haut, bloquée à 523 Hz, la tension de commande nécessaire devenant trop élevée pour aller au-delà. Pas bien grave, dira-t-on, pour un synthé orienté basses… Mais sept ans plus tard, au NAMM 2019, Moog Music présente un nouveau module, créé à l’occasion d’une exposition à L.A. (The House of Electronics) et produit en série limitée de 2500 exemplaires. Repoussant la limite de 523 Hz tout en reprenant les caractéristiques du Minitaur, le Sirin conserve-t-il cette identité sonore qui a fait la réputation des Taurus ?
- 01 Taurus 100:26
- 02 Taurus 300:12
- 03 Detuned00:22
- 04 Saw Square00:14
- 05 Rez Sync00:22
- 06 Ultra V00:26
- 07 Mixed 5th00:20
- 08 Sq Sync00:19
- 09 Hi Sq00:41
- 10 Hi Saw00:32
- 11 Hi Voice00:22
- 12 Self Possible00:33
Petit oiseau
Le Sirin reprend la physionomie, les dimensions et le poids du Minitaur. Ce « messager analogique de joie » est construit tout en acier naturel brossé. Il affiche 1,2 kg sur la bascule, pour 222 × 130 × 79 mm. A l’intérieur, on découvre une petite carte audio couverte de composants montés en surface, hormis quelques embases de jacks traversants. Surprise, c’est une carte sérigraphiée « Minitaur Rev B millésimée 2012 » ! La qualité de construction est très bonne, mise à part la finition de la tôlerie (trous non taraudés, visserie métal basique, flancs plutôt vifs !). Les commandes, identiques à celles du Minitaur, sont réparties sur la face avant légèrement oblique quand on pose le module à plat. Il s’agit de 17 potentiomètres de bonne dimension typiquement Moog, d’un petit ajustable pour l’accordage global et de 4 boutons-poussoirs rétroéclairés. Les potentiomètres sont vissés au panneau, ce qui leur assure confort et précision. Deux diodes permettent de visualiser l’activité MIDI et le battement du LFO ; sur le Sirin, tout ce qui s’allume est de couleur ambre.
Chaque section de synthèse est délimitée par une sérigraphie claire et un fond coloré, plus voyant mais moins classe que le noir du Minitaur ; une affaire de goût ! Toujours pas d’écran pour visualiser les noms de programmes, paramètres ou valeurs, ni pour éditer les fonctions cachées. Il faudra travailler à l’oreille, de tête ou avec l’éditeur maison gratuit. Autre point d’ergonomie à souligner : au cours de la carrière du Minitaur, bon nombre de réglages ont été ajoutés ; le Sirin en bénéficie évidemment. La plupart sont accessibles en façade en maintenant la touche Glide et en tournant l’un des potentiomètres. Hélas, les concepteurs n’ont pas profité de l’occasion pour ajouter le nom de ces fonctions secondaires sur le nouveau Lexan… pas très malin ! Idem pour le mode d’emploi, qui se contente de lister au début les fonctions développées au cours du temps pour le Minitaur et de copier-coller ensuite le manuel initial en remplaçant simplement le nom de la machine. Surprenant de la part de Moog…
Connexions variées
L’ensemble de la connectique est situé à l’arrière, sur un panneau astucieusement placé en léger retrait (attention à ne pas se couper avec la tranche des flancs !). D’abord l’audio : sortie casque mini-jack stéréo, sortie mono et entrée mono, toutes deux au format jack 6,35 TS. L’entrée audio permet de traiter des sources externes via le VCF et le VCA (en maintenant une note enfoncée ou en envoyant une tension de 5V dans l’entrée Gate). On trouve ensuite 3 prises CV (pitch à 1V/Octave, filtre et volume) et une prise Gate, le tout au format jack 6,35 : ceci permet de piloter le Sirin avec des synthés modulaires, pédales ou séquenceurs analogiques. Les commandes CV/Gate et MIDI peuvent fonctionner simultanément.
On trouve aussi une entrée MIDI DIN (mais pas de sortie, dommage) et une prise USB type B (cette fois, avec entrée et sortie MIDI « Class Compliant »). Le Sirin est ainsi capable de réassigner ses entrées CV/Gate vers n’importe quel paramètre interne ou de les convertir en signaux MIDI sur des CC au choix (conversion CV -> MIDI via la sortie USB). Enfin, on trouve une borne pour alimentation 12V DC universelle, synonyme d’alimentation externe. La connectique est solidement vissée à la carcasse, merci. Ah, mais au fait, il est où l’interrupteur marche/arrêt ? Euh, ben, toujours pas trouvé, patron… ah ben là, on est mal !
Territoires étendus
Dans un contexte d’abondance de synthés analogiques monodiques plus ou moins copiés sur les premiers synthés Moog, on peut se demander quel est l’intérêt d’un module de type Taurus. Réponse, le son si particulier dans les basses, cette ampleur incroyable pour un son grave monophonique, lié à la conception des VCO et à leur mode d’accordage : pas de pincement ou d’annulation de phase comme sur un synthé classique, le son reste gros, vibrant, généreux. Une sorte de « Oumph » auquel seules des enceintes costaudes dans les basses fréquences rendront justice. Le niveau de sortie est très élevé. L’absence de Sub-VCO ne pose pas de problème. Les enveloppes claquent plus que sur les Taurus et la synchro des VCO permet d’aller visiter de plus vastes territoires sonores. Comparé à un Minitaur, le son est identique dans les graves, que ce soit avec les ondes en dent de scie ou carrées ; on trouve sur la toile un comparatif montrant des différences dans l’onde carrée, mais la carte interne possède deux ajustables pour calibrer cette onde sur chaque VCO, ce qui peut expliquer des différences d’un modèle à l’autre. Comparé à la Taurus III, on est vraiment très proche tant qu’on reste dans le registre bas, les ondes en dent de scie et les mêmes plages d’enveloppes, bien évidemment.
L’objet du Sirin étant de monter bien plus haut que le reste de la famille Taurus, qu’en est-il dans les aigus ? Eh bien il peut être tranchant comme une serre de rapace ou tout doux comme un duvet d’oisillon. La rapidité des enveloppes et le velouté du filtre font comme toujours des merveilles dans ce registre, prouvant une nouvelle fois qu’un Moog (hormis un membre de la famille Taurus) n’est pas fait que pour les basses. La mémoire interne renferme 128 emplacements. On y accède en maintenant la touche Glide et en appuyant sur les touches de forme d’onde des VCO pour incrémenter/décrémenter. Avec les touches Glide + Release, on peut sauvegarder le programme en cours. On peut aussi dumper des programmes ou banques via MIDI, par exemple via l’éditeur/bibliothécaire maison gratuit pour gérer les sons avec précision. Le Sirin émet (via USB) et reçoit (via USB et DIN) des CC MIDI pour tous ses paramètres, avec une résolution de 7 ou 14 bits, de quoi éviter les effets d’escalier, cool.
Prise de hauteur
Le Sirin reprend la même architecture sonore que le Minitaur dans sa dernière version d’OS (2.2.1 à ce stade). On part de deux VCO auxquels on peut mélanger un signal audio externe, le tout passant dans un VCF puis un VCA. Chaque VCO est capable de produire les ondes dent de scie (pour les sons typiques Taurus) et carré fixe, sélectionnables par deux poussoirs. La PWM n’est toujours pas au programme. Le VCO2 peut être désaccordé du VCO1 sur plus ou moins une octave, avec un potentiomètre dédié. Avec la touche Glide enfoncée et le même potentiomètre, on peut régler le battement de manière ultra précise ; ce battement reste constant quelle que soit la fréquence des VCO, alors que le désaccordage varie. L’accordage général de la machine se fait quant à lui via un petit potentiomètre situé en façade sous le logo.
Comme sur les précédents Taurus et Minitaur, les VCO sont commandés avec des tensions linéaires (Hz/Volt). La différence sur le Sirin, c’est le circuit de pilotage des VCO (toujours en Hz/Volt). Il permet de dépasser la limite supérieure de C5 (523 Hz) en étendant la tessiture jusque D8 (4698,64 Hz). Dans les graves, il descend à 20,60 Hz (E0), soit le début du spectre audio (pour mémoire, le MIDI va de C-1 à G9, un piano de A0 à C8). Nous avons contacté les concepteurs du Sirin chez Moog Music pour savoir quels circuits avaient été modifiés ; réponse courte : le dispositif de pilotage des VCO, tout le reste est identique au Minitaur. Nous n’en saurons pas plus ; peut-être qu’au final, ce ne sont que quelques valeurs de composants et un paramétrage différent du logiciel qui commande le pitch ! Les VCO peuvent se synchroniser. Corollaire intéressant, il est possible de ne moduler que le pitch du VCO2, pour les effets caractéristiques de balayage de synchro. Dernier point, un paramètre permet de redéclencher de cycle des deux VCO à chaque nouvelle note, pour plus d’impact ; il est uniquement accessible via CC MIDI et l’éditeur.
Filtre classique
L’étage de mixage permet de doser précisément le niveau des deux VCO et de l’entrée audio (combinaison Glide + potentiomètre VCO1 LVL, avec une plage de réglage de 0 à 200 % du gain unitaire) avant d’attaquer le VCF. En poussant les niveaux, on fait légèrement et musicalement saturer le filtre. Il s’agit du traditionnel filtre passe-bas 4 pôles en échelle de transistor, tiré du célèbre module 904. La plage de fréquences varie de 20 Hz à 20 kHz, avec une réponse des commandes parfaitement lisse, sans effet d’escalier. Pour ce faire, toutes les commandes continues bénéficient d’un scan à une fréquence très élevée suivi d’un atténuateur pour éliminer les effets d’escalier.
Lorsque la fréquence de coupure du filtre est réglée à zéro, rien ne passe. La modulation de fréquence par l’enveloppe dédiée est bipolaire. Le filtre entre en auto-oscillation dès qu’on dépasse environ 80 % de gain sur la résonance. Le reste des fréquences semble un peu moins écrasé que sur des filtres de même conception, mais un peu quand même. Toujours en auto-oscillation, on peut jouer du filtre (onde sinus pure) en réduisant le volume des VCO à zéro et en réglant le suivi de clavier à 100 %. Ce dernier réglage est uniquement possible via CC MIDI (de 0 à 200 %) ; ce serait bien que Moog améliore les choses sur ce point, comme pour les autres paramètres cachés, tant qu’il reste des potentiomètres disponibles. L’action de la vélocité sur le filtre est également accessible via CC MIDI. On termine par le VCA et son potentiomètre de volume final (non mémorisable). Là aussi, l’action de la vélocité sur le volume est uniquement accessible via CC MIDI, tout comme le réglage de priorité de note (haute, basse, dernière note jouée). Mais c’est mieux que rien !
Modulations basiques
Le pitch des VCO peut être modulé par un Glide, avec activation et réglage de vitesse en façade. On choisit le type de Glide uniquement par CC MIDI (pente linéaire constante, temps linéaire constant, pente exponentielle), tout comme son mode de réponse (permanent ou legato). Un mode chromatique (discret) aurait été apprécié, c’est une fonction assez rarement prévue et pourtant si sympathique… Le Sirin offre aussi deux enveloppes AHDSR. Les temps de Decay et Release peuvent être réglés séparément, tout comme le temps de Hold, par usage combiné de la touche Glide + potentiomètre. On apprécie le punch de ces enveloppes, dont les temps ont une plage de réponse confortable de 1 ms à 30 secondes. L’enveloppe de VCF peut être routée vers les VCO via le LFO, alors que la seconde enveloppe est dédiée au VCA. Signalons que les deux enveloppes peuvent être ou non redéclenchées (détaché ou legato) et que l’enveloppe de VCF dispose d’un délai (réglages là encore accessibles par combinaison Glide + potentiomètre).
Passons au LFO, en exemplaire unique. Il peut moduler les VCO et le VCF. Le nombre de forme d’ondes a été revu : triangle, carré, rampe, dent de scie, S&H et enveloppe du VCF ; cette dernière position permet donc à l’enveloppe de VCF de moduler le pitch, en particulier celui de VCO2 seul, très utile pour la hard-synchro, comme déjà dit ! Ce choix se fait aussi par combinaison Glide + potentiomètre. La plage de fréquence est confortable, de 0,01 à 100 Hz. Le cycle peut être synchronisé à l’horloge MIDI, suivant différentes divisions temporelles : de 4T à 1/64, en passant par les valeurs ternaires et pointées. Ce réglage se fait via CC MIDI. La quantité d’action du LFO est conditionnée par la position de la molette de modulation (elle est prioritaire sur les réglages faits avec les potentiomètres VCO et VCF). On peut aussi forcer le cycle du LFO ou le laisser osciller librement (réglage via CC MIDI). Pour finir le chapitre, il n’y a pas plus d’arpégiateurs que sur le Minitaur. Un ensemble de modulations très classique et très basique…
Valeur sereine
Le Sirin est une réussite. Conservant l’essence sonore de la série Taurus, il offre les qualités du Minitaur tout en élargissant la tessiture de trois octaves vers le haut. Du coup, il touche un territoire sonore plus confortable, des grosses basses sans compromis aux leads analogiques suraigus. Nous en apprécions la spontanéité, la fluidité, les mémoires, les CC MIDI, la compacité et la robustesse, à défaut de la finition de la carrosserie. Nous reprochons au constructeur, outre l’absence de PWM dans les VCO et de modulations évoluées, de ne pas avoir sérigraphié les fonctions secondaires et de ne pas avoir ajouté l’accès direct à certains paramètres cruciaux, tels que le suivi de clavier ou les assignations de vélocité.
Vient alors le moment des interrogations avant achat, en particulier le débat Sirin versus Minitaur. Quand on part de zéro en synthé analogique mono, le grain conjugué à la large tessiture donne l’avantage au Sirin. Quand on a déjà un synthé analogique mono couvrant les aigus, un Minitaur suffit ; la réciproque est vraie : si on a déjà un Minitaur, mieux vaut le garder et prendre un autre synthé analogique mono qui apportera un grain différent sur toute la tessiture. Revendre son Minitaur pour prendre un Sirin est un mauvais calcul financier. Bref, on n’a pas fini de se prendre la tête, car ce petit oiseau bariolé ne demande qu’à sortir de sa cage pour faire trembler les murs et briser les vitres.