Maintes fois imité mais jamais égalé. Cette vérité semble toucher à sa fin concernant le bien nommé Prophet de Sequential Circuits avec la transposition logicielle du mythe par les français d'Arturia.
Compagnie californienne de Dave Smith, l’un des apôtres de la synthèse, Sequential Circuits vit le jour dans un garage de San Jose vers la fin des années 70 avec l’aide d’un ancien de chez Moog et d’une femme d’affaire.
S’il est dit que nul n’est prophète en son pays, ce trio est assurément l’exception qui confirme la règle. En quelques années et présentations au NAMM, ils font de Sequential Circuits le plus gros fabricant américain de synthétiseurs et créent par la même occasion une légende dans l’histoire de la musique électronique.
Installation
L’installation se fait depuis un CD-ROM de la manière la plus classique qui soit. Durant cette étape nous sont proposées les versions que l’ont désire installer :VST, DXi, RTAS ou encore Audio Unit, un mode standalone étant bien entendu présent. Vient ensuite l’authentification : outre la procédure habituelle d’enregistrement via un numéro de série (présent sur une jolie carte, type ‘carte de crédit’), la protection passe par une clé USB Syncrosoft et un logiciel de gestion des licences. L’ensemble de ce processus ne pose pas de problèmes particulier, et c’est tant mieux.
Pour les utilisateurs PC, la configuration minimum recommandée est un processeur cadencé à 1,5Ghz, 512Mo de RAM et bien entendu Windows 98/SE/2000/XP. Même config pour les utilisateurs Mac à ceci près que c’est au minimum OS X 10.2 qui est préconisé par le développeur. Pour clore ce chapitre informatique, précisons que ce test a été réalisé sur un P4 1,6Ghz avec 512Mo de RAM et qu’aucune surcharge CPU ni aucun craquement ou glitch ne sont survenus, même dans le mode le plus gourmand (mode Hybrid avec des presets chargés).
Finissons sur ces détails en précisant que le boîte contient bien sûr 1 CD-ROM (programme d’installation du Prophet V, gestionnaire de licenses Synchrosoft & pilote pour la clé USB) mais surtout une notice extrêmement bien faite et complète, agrémentée de schémas explicatifs très intéressants. Tout juste regrettera-t-on que le manuel fasse référence à des courbes bleues et rouges alors qu’il est en noir et blanc ! Par ailleurs, le livret scindé en trois sections (anglais, français et japonais) présente, pour une raison étrange, des graphiques de tailles différentes selon les langues. Qu’importe toutefois le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse et puisque le plus important dans tout cela demeure quand même le logiciel. Logiciel sur lequel nous allons à présent nous pencher.
3 dogmes
Le Prophet V d’Arturia présente comme particularité de proposer 3 modes de fonctionnement.
- Le mode Prophet 5 émule en toute logique le cultissime clavier sorti en 1978.
- Le mode Prophet VS (Vectorial Synthesis) faisant référence à la série produite de 1986 à 1987, totalement pionnière en son temps de par ses innovations technologiques.
- Le mode Hybrid, qui est en fait la fusion du mode 5 et du mode VS, permettant d’utiliser pleinement toutes les possibilités offertes par les 2 monstres cités précédemment.
Détail sympathique : Lors du passage d’un mode à un autre, l’interface s’anime pour illustrer les modifications qui s’opèrent (on reve qu’un jour le hardware se comporte de la meme façon). Revenons donc au mode Prophet 5 pour détailler le profil du gaillard…
Prophet 5 : le patriarche
Rappelons les caractéristiques de l’original qui, depuis sa création, fit les belles heures de Kraftwerk, Prodigy ou encore Steely Dan, parmi d’autres non moins fameux :
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- 2 oscillateurs
- 1 générateur de bruit blanc
- 1 générateur de bruit rose
- 1 LFO
- 1 filtre de type VCF (passe bas résonnant) pouvant servir de source sonore
- Enveloppe ADSR
- 1 VCA derrière chaque filtre contrôlé par un générateur d’enveloppe ADSR
- La section « Polymod », caractéristique déterminante du son, qui permet l’utilisation de l’enveloppe du filtre ainsi que de l’oscillateur B pour moduler la fréquence et la largeur de l’impulsion de l’oscillateur A, ou dans le même temps d’agir sur la fréquence de coupure du filtre passe-bas.
On retrouve bien entendu toutes ces caractéristiques dans l’émulation proposée, plus quelques ajouts bienvenus. les concepteurs ont en effet rajouté un mode monophonique et un contrôle du sustain, ce qui se traduit par l’apparition d’un Switch Hold et d’un Switch Legato. Une section d’effets comprenant un chorus et un délai complète le tout.
Voyons à présent ce que nous réserve le Prophet V en jeu, quand V veut dire 5. Tout d’abord la ressemblance visuelle est frappante : on ne peut que remarquer la qualité de l’interface graphique qui d’emblée la démarque de ses prédécesseurs et concurrents.
Elle ne souffre d’aucun bug, même durant des automatisations complexes et, chose pratique lors de la manipulation d’un paramètre, une bulle d’aide apparaît et indique la valeur en cours de modification. Un clic sur un des deux logos présents permet d’accéder à un menu succinct d’options concernant l’affichage : c’est simple et bien vu.
Pour ce qui est de la gestion des presets, Arturia a repris sa présentation habituelle qui ne pose aucun souci à l’usage et propose les 40 presets d’origine en prime de ceux développés par les développeurs (Rappelons que via les messages SysEx, le Prophet 5 fut l’un des premiers synthés à permettre la sauvegarde de presets.).
Coté son, c’est une pure merveille. Tout d’abord les basses, les textures sont on ne peut plus alléchantes : on passe sans problème d’un son clinique et agressif à un son très chaud et la signature du grain originel saute aux oreilles. Attention, cela peut paraître évident, mais un Prophet n’est pas un Moog et c’est là tout l’intérêt, car lorsque l’on se ballade de presets en presets, on apprécie de reconnaître les sons typiques qui ornent nombre de productions où le synthé de Sequential Circuits fut vénéré. Les leads sont grinçants et ont cette couleur particulière qui rehausse diaboliquement tout morceau où ils sont utilisés, ils se marient aisément à n’importe quel style musical sans pour autant perdre la bonne parole qu’ils prêchent. Les pads sont somptueux, l’impression de chaleur analogique donne ici ses lettres de noblesse à la technologie TAE avec une impression très organique dans le rendu. Les cloches retentissent d’un son puissant et précis et on est tenté d’en abuser tant il est agréable de les entendre enchanter nos enceintes. Les effets permettent enfin de générer des sons totalement déments.
Pour avoir testé différentes adaptations logicielles, force est de constater que celle-ci écrase littéralement toutes les autres : ça sonne ! Pour vous en convaincre, voici d’ailleurs un morceau exclusivement créé avec des sons issus du Prophet V en mode Prophet 5. Aucune compression ni effet n’ont été utilisés, juste de légères et rares égalisations (l’égaliseur paramétrique natif de Nuendo) afin que le mix soit audible…
- les_ames_damnees.mp3
Prophet VS : le nouveau testament
Synthétiseur d’un concept nouveau pour son époque, dans la lignée des PPG et des Fairlight, le Prophet VS a eu son lot d’adeptes renommés tels Trent Reznor, Brian Eno, Depeche Mode ou même John Carpenter. Par rapport à son ancêtre analogique, il se démarque sur les points suivants :
- Utilisation de formes d’ondes stockées sous la forme d’échantillons numériques.
- Synthèse vectorielle (pour résumer, cela s’approche grandement de la FM).
- Un joystick contrôlant le mélange des 4 formes d’ondes utilisées.
- Une matrice de modulation originale permettant de relier toutes les sources de modulation à tous les paramètres modifiables.
- Enveloppe à 5 points (par rapport aux 4 du principe ADSR) avec association de chaque point à un niveau et à un temps d’action d’un paramètre, incluant une fonction Loop permettant de mettre en boucle certaines parties.
L’émulation d’Arturia reprend évidemment ces caractéristiques dans une interface en tous points semblable à l’original. On retrouve ainsi la section de contrôle du VS permettant de gerer les oscillateurs, les filtres, les envelopes, l’amplification ainsi que le mixage des sources à l’aide du joystick virtuel. Idem pour la matrice de modulation qui incite à de nombreuses expériences sonores. De par les connexions quasi infinies que l’on peut opérer, le VS révèle alors un aspect modulaire très intéressant pour les débutants comme pour les chevronnés de la synthèse car la versatilité dans la manipulation est omniprésente.
Et le son dans tout ça ? Il est froid, glacial même… Du moins, c’est la première impression que l’on a lorsque l’on fait défiler les presets d’usine comme ceux créés pour l’occasion qui, comme ceux du Prohet 5, sont d’excellente facture et représentent parfaitement le potentiel offert. Très proche de la synthèse FM dans le rendu et de toutes ces sonorités en vogue dans les années 80, le VS n’en est pas pour autant obsolète, très loin de là. Après l’impression polaire vient instantanément une admiration devant la précision chirurgicale du son et c’est là que ça devient très intéressant. De par les contrôles possibles grâce à la superbe matrice de modulation, au joystick et à la génialissime gestion des enveloppes, on peut alors faire de cette émulation du VS une véritable arme de glaciation massive.
Du timbre à l’enveloppe…
Le système de gestion des enveloppes à cinq points est, à mon humble avis, la fonctionnalité la plus intéressante. En effet, on a un accès très direct et visuel à ce qui constitue le son. Divisée en deux parties, filtre et amplification, l’interface permet tout comme pour la matrice de manipuler rapidement et intuitivement le son afin d’expérimenter ou façonner rapidement à son idée. La fonction Loop, comme son nom l’indique, fait jouer en boucle certains points, dans le sens désiré.
Pour les adeptes des utilisateurs historiques de la version physique tels Depeche Mode ou Nine Inch Nails ou pour les explorateurs de styles musicaux plus récents tels le Crunk ou le Dirty South, le mode VS est définitivement votre futur meilleur ami. Il excelle dans tous les sons dits éthérés : le grain et les sonorités sont légers mais très incisifs, presque pernicieux tant ils influencent l’ambiance des morceaux où ils sont actifs. On apprécie énormément les basses aux sonorités abruptes, industrielles pour certaines, qui tranchent totalement avec celles du mode testé précédemment.
Quant aux pads et aux leads, ils sont à mon sens le point fort du VS, et apportent pour certains quelque chose de gothique tant les sons brillent par leurs aspects cristallins, mais sombres à la fois. Mais il est aussi tout à fait possible de les utiliser dans des contextes opposés où alors l’aspect limpide du son servira des ambiances légères et aériennes.
Afin de se rendre compte in situ de ce que peut créer le mode Prophet VS, voici comme pour l’exemple précédent une démo mp3 faite uniquement sous le mode VS sans effet ni compression, juste une égalisation de mixage :
Prophet Hybrid : le Messie
En allant encore plus loin que ce que Korg avait fait avec sa Legacy Collection, Arturia nous propose enfin un mode Hybrid, qui cumule dans un seul et même synthé les deux machines de guerre évoquées précédemment.Dans ce mode, l’interface est forcément plus complexe puisqu’Arturia a vraiment tenu à prononcer l’interaction entre les deux émulations. Du coup, en plus des différents contrôles du Prophet 5 et du Prophet VS, on se retrouve avec une matrice de connexion audio, et une matrice de modulation bodybuildée.
Grâce à la première, vous aurez toute latitude pour jouer sur le routing du signal, façon synthé semi-modulaire : outre l’activation ou la désactivation des sorties des oscillateurs, filtres ou générateurs de bruit des synthés, vous pourrez notamment définir si leurs filtres doivent être placés en série ou en parallèle.
Mine de rien, la chose offre déjà un paquet de combinaisons possibles, avec la promesse de nouvelles sonorités à la clé, mais c’est sans compter la matrice de modulation qui, en mode Hybrid, donne un sacré coup de jeune au design du vieux Prophet 5, et un sérieux coup de chaud à ce cher Prophet VS. En plus des paramètres modulables du VS, la matrice offre désormais la possibilité de contrôler l’essentiel des paramètres du Prophet 5 (Fréquence, volume des oscillos, fréquence de coupure du filtre, générateur de bruit, etc.) au moyen d’enveloppes, de LFO mais aussi de contrôleurs que ne géraient pas l’instrument original en 1978, telles la vélocité et l’aftertouch…
C’est alors un déluge sans limites de sources d’inspiration qui s’offre à l’utilisateur : on en bave presque devant son écran lorsque l’on se met à utiliser la palette sonore disponible. Non seulement les deux styles de sons des modes 5 et VS sont présents mais ils sont même transcendés !
C’est une indéniable avancée dans le monde de la synthèse (Note de Los Teignos : A quand un synthé virtuel ‘global’ qui nous permettrait de combiner les filtres d’un Moog ou d’un Prophet 5 avec les LFO d’un Jupiter ou les générateurs sonores d’un DX7 ?), et un facteur déterminant pour la versatilité du logiciel : il est possible de l’utiliser partout et tout le temps. Vous pourrez alors vous mettre à sonner tels les Neptunes ou autres producteurs actuels à succès mérité. Imaginez toutes les possibilités des modes précédents additionnées dans une union parfaite et commencez à entrevoir l’horizon qui s’ouvre à vous, ces sons fantastiques allant du zéro absolu à la lave en fusion, de la violence des éléments à la douceur intra-utérine.
Bref, au-delà des deux émulations réussies du Prophet 5 et de son descendant le VS, c’est sans doute ce mode Hybrid qui se révèle le plus passionnant, parce qu’il s’agit bel et bien d’un nouvel instrument, d’un synthé virtuel qui s’élève au-dessus du débat de la fidélité à l’original, toujours plus ou moins voué à l’échec lorsqu’on parle de vieux coucous analogiques.
Voici d’ailleurs une démo audio du mode Hybrid qui, comme les deux précédents exemples, n’a bénéficié d’aucun traitement en dehors de très légères et rares égalisations :
Conclusion
Arturia surprend une fois de plus le monde de la MAO avec cette émulation de 2 synthétiseurs historiques d’une firme dont la réputation n’est plus à faire. Complété par un mode hybride dont il est difficile de tarir d’éloges, ce 3 en 1 est une réelle réussite. Un outil à posséder absolument si l’on est adepte du son Sequential et si l’on n’a pas forcément les moyens de se payer un original ou la patience de maintenir dans un parfait état de marche une machine analogique.
Avec un prix fixé sous la barre des 200 €, il n’y a donc rien à dire, si ce n’est : « Wahou ! ».