À l’occasion de la sortie de sa V Collection 4, Arturia a inclus deux nouveaux instruments : le Matrix-12 V et le Solina V. C’est ce dernier que nous testons aujourd’hui.
Parmi les instruments iconiques, l’Eminent Solina String Ensemble (aussi sorti sous la bannière de ARP, doté dans un premier temps du nom de ARP Model 2100 String Ensemble SE-IV) a une place de choix, tant on a pu le retrouver durant toutes les décennies depuis sa sortie en 1974. On peut même revenir un peu en arrière, jusqu’en 1972, année de sortie de l’Eminent 310 Unique, premier orgue domestique intégrant le principe de la ligne de retard BBD (Bucket Brigade Device, inventé en 1969 par Leo Sangster et Kees Teer du Philips Research Labs, une création fondamentale pour un certain nombre de développements industriels) afin de produire ce type de son. Le constructeur implanté aux Pays-Bas a vite compris que ses « cordes » et effets d’ensemble pouvaient rencontrer un grand succès auprès des groupes rock, pop, progressifs, s’il pouvait en proposer une version portable. Enter Solina et la diffusion massive de sonorités qui sont devenues des standards.
Pour être juste, il faut cependant préciser que l’idée de construire un instrument dédié revient à Ken Freeman, qui a présenté son premier synthé polyphonique dédié aux cordes en 1972, puis la version finale, le Freeman String Symphonizer, en 1973 (pensons aussi au Mellotron, même si sa production sonore repose sur l’équivalent d’échantillons plutôt que de traditionnels oscillateurs).
|
Depuis, de nombreux constructeurs se sont engouffrés dans la brèche et ont proposé leurs propres versions d’un instrument spécialisé, de Elka à Roland, de Crumar à Korg, de Logan à Yamaha, etc. Jusqu’à des machines plus récentes, comme le Streichfett de Waldorf (test de l’ami synthwalker ici).
Du côté audionumérique, les versions virtuelles ont aussi incarné une vision de l’instrument, qu’elles soient à base d’échantillonnage comme la VSM de GForce (dont le test se trouve ici) ou le String Machines d’UVI (non testé), ou de modélisation/synthèse, comme le Strings Dream Synthesizer de NuSofting ou le Solina V, qui fait l’objet de ce test.
Introducing Arturia Solina V
À l’occasion de la sortie de la V Collection 4, l’éditeur/fabricant inaugure un nouveau système d’autorisation, non plus basé sur le fameux e-Licenser (racheté par Steinberg, et son système de clé USB ou de dongle virtuel sur le disque dur), mais sur un système propriétaire. On télécharge une première application nommée WelcomeApp, et à partir de cette dernière on choisit quel instrument installer. L’installation comprend l’Arturia Software Center (l’équivalent d’un Service Center chez Native, pour donner une idée) qui fonctionnera de pair avec votre compte Arturia (obligatoire), et vous permettra d’installer et activer vos instruments sur cinq ordinateurs, l’idée étant de n’en utiliser qu’un à la fois. Un net progrès par rapport à l’e-licenser…
L’éditeur propose une version autonome, et des plugs compatibles AAX, AU et VST 2 et 3, pour les systèmes Mac (minimum 10.8) et Windows (minimum Win7).
Solina Alonsi
L’interface graphique, comme souvent chez Arturia, est réussie dans son aspect hyperréaliste, elle est aussi imposante et non-redimensionnable. Elle reprend à la lettre et quasi dans l’ordre la répartition des commandes, entre les quatre faders (Volume Bass, Crescendo, Sustain Length et Volume (Upper)) et les sept boutons poussoirs (registres inférieurs, Contrabass et Cello, et supérieurs, Viola, Violin, Trumpet et Horn, ainsi que le fameux Ensemble, qui peut être mono ou stéréo). Rappelons en effet que l’original permettait de jouer deux parties séparées. Sur cette première partie de l’interface, Arturia a simplement transformé le rotatif de volume en fader, et ajouté les deux traditionnelles molettes de Pitch et de modulation.
Comme souvent aussi chez l’éditeur, un panneau supplémentaire a été ajouté, qui permet un accès à de nombreuses fonctions et réglages non disponibles sur l’original. On note tout de suite trois ajouts sur l’interface principale corrélés à l’ouverture du panneau : deux réglages de taux d’action des molettes, trois réglages de dosage des effets (FX1, 2 et Rev), ainsi qu’un registre supplémentaire, Humana. Ce dernier rappelle immédiatement le nom « Vox Humana », fameux préset du Polymoog (inclus après la première version), et pour cause, puisqu’il s’agit de son émulation.
Les autres apports sont le fonctionnement en mode polyphonique ou paraphonique, une section Master gérant réactions à l’Aftertouch et à la vélocité, un LFO très complet avec multiples formes d’ondes, Synchro, Retrig, retard, assignations pour produire Tremolo ou Vibrato, etc. Ensuite une partie Bass Section offre un filtre résonant et son générateur d’enveloppe, ainsi qu’un arpégiateur avec possibilité de synchro et plusieurs modes de répartition des notes. On continue avec un Upper Resonator, ensemble de trois filtres résonants, configurables globalement en Hi, Lo et Band-Pass, avec leur gain respectif.
On termine avec la section Effects, permettant d’utiliser deux effets simultanés à choisir pour le premier module entre Phaser Dual Stage et Chorus (façon analogique avec trois modes), pour le second entre délai analogique ou numérique. Évidemment, les différents réglages changent suivant l’effet choisi. Dernier module, une réverbe à convolution, dont il faudra surveiller la consommation CPU, offrant 24 présets, y compris la réverbe de l’Eminent 310 (une réverbe à ressort sur l’original, avec réglage via un fader placé sur la droite de l’orgue). Rappelons que c’est d’ailleurs avec ce dernier instrument, et non pas un Solina, que Jarre a signé son premier album. Le nom des présets peut faire penser aux multi-effets Roland DEP-5 et RSP-550, à la pédale Boss RV-2 (la première pédale de réverbe numérique) et le préset King Medium à la pédale Danelectro Spring King (ou pas…).
Du son, rien que du son
Évidemment, dès que l’on reçoit un synthé virtuel, quel qu’il soit, le premier réflexe est de jouer, sans chercher forcément à en comprendre le pourquoi du comment, à moins d’une architecture particulière. Ce n’est pas le cas là, l’interface est suffisamment claire pour s’y retrouver tout de suite, et s’enchaînent rapidement les parties issues de classiques, afin de vérifier la pertinence des présets et de l’instrument.
Profitons-en pour rappeler que le Solina V emploie la technique de modélisation physique, comme l’explique (longuement) l’éditeur dans son mode d’emploi. Les exemples suivants utilisent les présets souvent modifiés, avec uniquement les effets inclus, avec un réglage de latence très élevé (voir Bilan).
Bilan
Sans offrir toutes les caractéristiques de l’original (où est le souffle de l’instrument et des effets…), le Solina V est une recréation plaisante de cet instrument mythique, augmentée de possibilités d’édition et d’effets non présents, qui ne limitent pas (trop) l’instrument à des sonorités uniques. Un gros défaut tout de même, l’impossibilité de travailler en faible latence avec la réverbe, celle-ci affiche une consommation CPU hors norme : j’ai été obligé de travailler à 1024 échantillons en jeu direct, autant dire que c’est ingérable. On gagnera donc tout à la désactiver (seulement possible via le rotatif en position 0) et à utiliser un autre logiciel… NDLR : le souci a été corrigé dans la dernière mise à jour.
Deux approches s’opposent parmi les copies réussies, le sampling pour la VSM (on ne parlera pas du produit UVI, puisque non testé ici), le seul réel concurrent payant du Solina, et la modélisation retenue par Arturia. Le choix se fera en fonction des qualités et défauts que l’on prête à l’une ou l’autre des techniques, que l’on ne rappellera pas ici. Les deux sont à peu près au même tarif, l’un très spécialisé (Solina V), l’autre plus polyvalent dans la restitution des machines légendaires. Les possesseurs de Reaktor pourront aussi se diriger vers le déjà ancien (2007) mais très réussi Ensemble (gratuit, qui plus est) créé par Hugo Portillo, le Solina-V String Ensemble V1, mis à disposition dans la Reaktor User Library.
Bref, l’embarras du choix. On peut cependant télécharger une version de démo chez Arturia, ce qui permettra de se faire une idée plus personnelle des capacités de l’instrument. Ce qui n’est hélas pas le cas chez son concurrent de GForce, malgré ses trois pages de démos audio.