Dernier logiciel signé Sugar Bytes, Obscurium intrigue par son nom. Puis par son interface, bourrée de points lumineux là où l’on attendrait des potards en tout sens. Que nous a donc concocté l’éditeur ? Audiofanzine fait la lumière sur Obscurium.
S’il est bien une chose qui a au moins été abordée une fois par les différents auteurs des tests sur Audiofanzine, sans mentionner bien sûr ce qui se dit dans les forums, c’est l’absence d’originalité, le manque de prise de risque, le déficit de créativité dont peuvent faire preuve de nombreux éditeurs de logiciels ou de matériels. Car à quoi bon modéliser l’énième version d’un compresseur vintage, ou sortir un paramétrique à 10 bandes (quand n’importe quel paramétrique de votre STAN fait le même boulot, si l’on parle bien de paramétrique et non pas d’arnaque marketing), alors que le marché du freeware comme du logiciel payant est déjà pléthorique ? Bien sûr, proposer du nouveau implique du temps, des moyens humains et financiers, le tout investi dans la recherche et le développement. Il semble parfois plus facile à certains éditeurs de développer des outils innovants, facilité due à leur bonne fortune grâce à un produit ou une technique devenus des standards de l’industrie. Mais il a bien fallu qu’ils les conçoivent à un moment ou un autre, et généralement au début de leur carrière… Il y a en effet peu de chances que l’on amasse suffisamment d’argent en vendant un nouveau 1176 à la création d’une entreprise plutôt qu’un outil de correction de hauteur temps réel, par exemple. Ou une approche totalement différente de la station de travail. Ou tout autre désir de changer nos routines, nos habitudes de musiciens, de producteurs, d’ingénieurs, de techniciens. Bien sûr, il ne s’agit pas non plus de réinventer la roue, ou de transformer ce qui coulait de source en une pratique totalement… impraticable.
Machine de test MacPro Xeon 3,2 GHz |
En ce qui concerne le sound design, la synthèse, sortir des classiques schémas oscillos+filtre+amplis+modulations a du bon. Plusieurs éditeurs se sont lancés dans des outils innovants, tant d’un point de vue technique qu’ergonomique (ne parlons pas ici des environnements comme Max, SuperCollider ou Reaktor, mais de synthés « prêts à l’emploi », ni des outils conçus pour tablettes, nécessairement différents) : l’iRis d’iZotope par exemple, ou les récents synthés de Native inclus dans Komplete 10 (et le toujours vert Absynth…), sans oublier les plus anciens (voire arrêtés) Krishna de Devine Machine, Virtual ANS, MetaSynth de U&I Software, Synplant de Sonic Charge, etc.
Et voilà que Sugar Bytes, déjà responsable des intéressants Cyclop et Unique (sans compter leurs effets, tels qu’Effectrix ou Egoist), toujours à la recherche de solutions ergonomiques différentes, nous présente Obscurium, intrigant nouveau synthétiseur.
Introducing Sugar Bytes Obscurium
Vendu 99 euros chez son éditeur, Obscurium est disponible pour les ordinateurs sous Windows (à partir de XP) et Mac OS X (à partir de 10.6.7), en version 32 et 64 bits, aux formats de plug-ins VST, AU, RTAS (Mac seulement) et AAX, ainsi que sous forme d’application autonome. L’autorisation se fait via un simple numéro de série, ce qui permet d’installer le logiciel sur plusieurs ordinateurs, merci m’sieur l’éditeur.
Du coup, une fois installé, il ne reste plus qu’à l’ouvrir ! Et à effectuer une opération simple, qui prendra plus ou moins de temps selon vos possessions en plug-ins VST : faire abstraction (pour le moment) de l’interface totalement inhabituelle, aller dans l’onglet Sound, cliquer sur le bouton Plugin puis dans le champ Empty, et choisir Rescan All dans le menu déroulant. Pourquoi ? On y revient…
Oscillo surprise
Le moins que l’on puisse dire est que l’interface est assez perturbante, avec tous ces points et agglomérats de couleur vives en lieu et place de modules/sections d’oscillateurs, filtrage, modulateurs, et autres réglages habituels de la synthèse.
Pourtant, ils sont là, mais sous une forme différente et ne sont pas les seuls responsables de la production de son au sein du logiciel. Obscurium, appelé « a timbral organism, a generative synthesizer » par ses concepteurs (mais méfions-nous des concepts…) va faire appel à des automations de la plupart de ses paramètres, via des sources habituelles (et d’autres moins habituelles), mais aussi par l’intermédiaire de gestes simples, comme dessiner une courbe, une forme dans la partie dédiée de l’interface. Mais si les choses étaient aussi simples, cela n’aurait aucun intérêt. Rentrons dans le détail.
Donnons d’abord une version simple du fonctionnement du synthé : on dispose de plusieurs onglets qui offrent différentes fonctions de synthèse ou de déclenchement, puis de 16 Flexible Parameters (la rangée verticale à droite de l’interface, nommés ci-après FP) dépendants de ce qui est retenu comme source sonore (dans l’onglet Oscillateur), qui seront « animés » suivant plusieurs options via la partie centrale, très graphique (partie nommée Motion Sequencer), offrant horizontalement 32 pas de séquence par FP et verticalement l’étendue des valeurs MIDI et/ou d’autres éléments dédiés ; les quatre parties fonctionnent de manière intimement liée. Les FP affichent les éléments susceptibles de modifications, au niveau du Pitch, de la partie Analog, de la FM et du Filter. Mais ils peuvent aussi refléter ce qui est une des grandes forces du logiciel…
Mais ne mettons pas la charrue avant le printemps, et commençons par les onglets : l’onglet Sound donne accès à ce qui constitue l’équivalent de l’oscillateur pour Obscurium. L’oscillateur est constitué d’une partie « Analog », d’une autre FM à trois oscillateurs et d’une sacrée surprise. Du côté Analog, un réglage Spread permet de passer d’une forme d’onde simple à un multiple (typiquement de la SuperSaw, que l’éditeur a implémentée de façon convaincante dans Cyclop). On passe dans l’onglet Pitch pour faire répondre le synthé à ce qui est joué via MIDI seulement (on reviendra sur les particularités de cet onglet), et il suffit de jouer une note pour entendre le résultat. Mais où choisit-on donc la forme d’onde ? Eh bien il suffit de cliquer sur le bouton Wave dans la partie Analog des FP pour afficher le « séquenceur » 32 pas correspondant, qui affiche alors, de haut en bas, la dent de scie et la carrée plus toutes les positions intermédiaires, et de dessiner le mouvement que l’on souhaite effectuer d’une forme d’onde à une autre (ou tout autre position statique) pour entendre le résultat en jouant une note.
Les autres paramètres accessibles dans l’onglet sont Pan Spread, qui permet différents effets de pan en continu, et un chorus, un delay et une réverbe, dont on règle le taux et le dosage Dry/Wet.
Sont disponibles dans les FP (donc modulables) la fréquence de synchro, la largeur d’impulsion et le Mix entre la partie analogique et la FM.Car on dispose bien de synthèse FM, en sélectionnant un des trois algorithmes disponibles, en définissant leur rapport via le bouton Ratio, rapport que l’on peut forcer à être harmonique grâce au bouton… Harmonic. Dans les FP seront disponibles les contrôles des fréquences des porteurs (FMX) ainsi que le taux de modulation des opérateurs (FM1) et le feedback (FM2). Ajoutons à cela un générateur de bruit, nommé… Noise. De même, on peut automatiser la fréquence de coupure, la résonance et le type de filtre (Low, Band et Hi Pass). Et la surprise ?
Eh bien, c’est que l’on peut ouvrir quasiment n’importe quel instrument VST (pas d’AU, dommage) en guise d’oscillateur ! Ce qui ouvre des perspectives sonores hallucinantes, d’autant que les FP correspondent alors à ceux que vous choisirez dans votre synthé préféré (ou que vous ferez choisir aléatoirement par Obscurium, résultats décoiffants garantis…), à l’exception des cinq premiers, Arp, Mod, Pitch, Chord et Poly, qui sont constituants des possibilités de séquence d’Obscurium. Votre synthé ne dispose pas de séquenceur, ou de modulations en nombre suffisant ? Ouvrez-le dans Obscurium, tout simplement. Une idée absolument géniale, qui fonctionne, qui plus est, avec la quasi-totalité des instruments VST installés sur mon ordi. Pour pousser le bouchon le plus loin possible, on peut même ouvrir Obscurium au sein d’Obscurium…
Dot comme commande ?
Les autres onglets réservent eux aussi des surprises. Pitch offre les réglages d’octave, de detune, de glide, et surtout le choix des Scales (gammes, de toutes origines) qui conditionneront la façon dont les FP dédiés au Pitch animeront le son en relation avec les types de Chord Table (jouer une note crée un accord correspondant à la gamme, au mode choisi, selon quatre renversements/constructions différents). On peut aussi demander à Obscurium de ne jouer que ce que l’on joue sur un clavier (externe ou celui inclus) ou ce qu’envoie un séquenceur, en cliquant sur MIDI Only.
L’onglet Mods offre un générateur de forme dynamique à trois segments (AHR), un LFO et un amount pour chacun. Chaque segment peut être modulé par le FP Mod, le LFO par l’enveloppe et vice versa. Même chose du côté de l’onglet Amp Env, offrant une Arp Env, fondamentale pour la production d’arpège en relation avec le FP Arp, et qui offre aussi une MIDI Env, permettant de modifier celle de tout signal MIDI entrant.
Clock contient les réglages concernant le déroulement du séquenceur, du paramètre Clock (divisions rythmiques) au sens de lecture, avec possibilités de séquence de la séquence : chaque pas pouvant avoir une durée individuelle, ainsi qu’une direction changeante. De plus, on peut décider de la lecture des 32 pas du séquenceur en continu (avec ou sans Legato), ou au contraire de passer de pas à pas à chaque changement de note/accord (Step Play) et du taux de Swing (lecture de plus en plus ternaire).
Le Motion Sequencer permet donc d’animer indépendamment les 16 FP, et lui-même peut être animé par la fonction Morph, offrant deux états A et B, le passage de l’un à l’autre se faisant via LFO, Env ou (mini) Sequencer inclus, avec taux d’application sur les 32 pas des 16 lignes, et/ou le passage d’un réglage d’un FP à un autre via le bouton Shift vertical, avec offset (on décide du point de départ du morphing des valeurs), avec choix de morphing en continu, ou via une échelle par crans. Là encore, une excellente idée, parfaitement mise en place et programmable (voir la capture d’écran).
Chaque FP peut être modulé, en plus du Motion Sequencer (ou à la place, car on peut couper la modulation par ce dernier via le triangle d’activation à gauche du nom du FP) par Env ou LFO, via les réglages à droite de son nom, avec plage d’action Min-Max (avec un très utile rappel visuel). Enfin l’éditeur a intégré de multiples outils de dessin, avec fonctions Copy/Paste, Shift, etc., avec une ergonomie extrêmement bien conçue (voir la deuxième vidéo). Il y a quelques autres fonctions et astuces, que l’on trouvera dans le manuel que l’on peut télécharger ici. Il est temps d’écouter de quoi est capable la bête.
Évidemment, en termes de sons, on comprend bien qu’il ne s’agit pas de produire des imitations de tel ou tel instrument acoustique, ou de sonner comme un coucou vintage. Mais voyons plutôt ce que ça donne, en rappelant que l’on peut, si l’on n’est pas satisfait du son intrinsèque de Obscurium (au niveau des oscillos ou des filtres par exemple), charger son synthé favori au gros son analo et lui faire subir tout ce que peut faire le logiciel.
Bilan
Autant le dire tout de suite, je suis très emballé par Obscurium. Le fait de sortir de ses routines de programmation, de jeu est toujours excitant, la nouveauté du geste impliquant une pensée différente (voir Joe Zawinul qui jouait avec un clavier inversé, les aigus à gauche, les graves à droite…). Obscurium ne propose pas un nouveau son, quoique l’utilisation d’instruments d’autres éditeurs, dans le détournement qui peut en être fait, permet des choses relativement inédites, mais bien une façon différente de le produire. Si l’instrument peut donner de très bons résultats dans les mains d’un débutant (même s’il y aura aussi beaucoup de résultats difficilement exploitables), un pratiquant assidu de la synthèse pourra en tirer sciemment des sonorités exceptionnelles.
De plus, l’éditeur ayant déjà porté sur tablette avec beaucoup de réussite quelques-uns de ces produits (Cyclop, Egoist…), nul doute qu’une version iPad/Android d’Obscurium en associant le tactile au principe graphique (qu’on dirait presque pensé par la plateforme) en fera un outil de scène incontournable. C’est déjà, en l’état, une très belle réussite.