Bien que titulaire d'un diplôme en Production Musicale et Ingénierie Audio de l'université de Berkley, Todd Whitelock dit que c'est en apprenant sur le tas qu'il a pu devenir l'un des ingés son les plus cotés dans le monde du jazz. Whitelock, qui fait aussi des sessions de musiques classique et pop ainsi que de musiques de film et des albums tirés de comédies musicales, a débuté professionnellement comme ingé son dans les légendaires studios Power Station à New York, un grand studio à vocation commerciale (désormais connu sous le nom de studios Avatar).
“Je me suis trouvé être l’un des rares assistants à Power Station à vouloir travailler spécifiquement sur les projets jazz, ” se souvient-il. “Le studio s’était fait un nom grâce à ses fameux sons de batterie sur des disques de rock qui étaient en tête des charts. Les autres assistants voulaient travailler sur le prochain Bon Jovi, et moi sur le prochain Pat Metheny.”
Après la faillite des studios Power Station, Whitelock a commencé à travailler comme assistant chez Sony Classical Production à New York, leque a ensuite fusionné avec les studios Sony Music de New York. Il a continué à y travailler pendant quinze ans, gravissant les échelons d’assistant jusqu’au rang d’ingénieur du son en chef.
À la fermeture des studios Sony en 2007, il est devenu indépendant et n’a depuis jamais manqué de travail. Il a fait des sessions pour des grands tels que Wynton Marsalis, Herbie Hancock, Chick Corea, Stanley Jordan, Harry Connick Jr. et de nombreux autres. Il a récemment eu en charge Live at the Village Vanguard du bassiste mondialement connu Christian McBride, un album qui permit à McBride de se voir décerner un Grammy. Whitelock lui-même compte à ce jour six Grammy Awards dans son escarcelle.
Audiofanzine a eu l’opportunité de s’entretenir avec Whitelock et nous avons beaucoup parlé de l’enregistrement de sessions jazz, à la fois en live et en studio.
Vous avez réalisé l’enregistrement qui a permis à Christian McBride de décrocher un Grammy ?
Il a gagné la récompense dans la catégorie de la meilleure performance solo de jazz instrumental pour Cherokee. Il a joué au Vanguard [NDLR: le Village Vanguard, un célèbre club de jazz new-yorkais] pendant deux semaines. On a enregistré une semaine avec son quintet Inside Straight, puis une semaine avec son trio. Et c’est de cette dernière semaine qu’est né l’enregistrement. Le Vanguard, c’est une salle où j’avais déjà enregistré entre autres Marcus Roberts et Wynton Marsalis. L’espace [pour le matériel d’enregistrement] y est très limité, on avait tout juste la place de mettre une table et les câbles couraient le long des tuyaux. C’est probablement l’une des salles où il est le plus difficile d’enregistrer du fait de l’espace qui y est tellement restreint.
En live, vous enregistrez du coup en utilisant les micros qui alimentent la sono de la salle ?
Dans ce cas précis c’est leur sono qui a utilisé mes micros, parce que leur système de sonorisation est très moyen et il a fallu utiliser mes micros pour alimenter à la fois l’enregistrement mais aussi la sono et le monitoring de la salle. Sur des scènes plus grandes, je suspends des micros de façon à ce que ceux de la sono et les miens cohabitent, sachant que chaque application nécessite des micros aux caractéristiques radicalement différentes.
En général, pour du live, vous mettez un micro de proximité sur chaque instrument ?
C’est impératif à cause de la repisse sur scène, mais aussi pour capter plus de détails dans le résultat final après le mixage. Quant à Christian, comme beaucoup de légendes du jazz, il vénère le Vanguard où il est artiste résident pendant deux semaines chaque mois de décembre depuis environ six ans. Il m’avait dit qu’il voulait que ça sonne exactement comme le Vanguard du point de vue des spectateurs. C’est une super salle dans le sens où le son y est à la fois tellement intime, précis et naturel. C’est vraiment le lieu idéal pour un trio de jazz. Plus vous y mettez d’instruments et plus le son devient dense. Mais je n’allais pas m’y pointer avec juste des micros d’ambiance en disant « voilà, c’est ce qu’on entend quand on est au beau milieu de la salle. » Je savais que Christian voudrait que le son et le ressenti soient les mêmes pour son public et pour lui. Au final il faut savoir ce que l’artiste attend du mixage final (c’est un peu comme en studio, dès l’instant où la finalité est que ça finisse sur un disque), ne pas se contenter de simples prises d’ambiance.
Dans le contexte d’un live comme celui-ci, comment gérez-vous les micros d’ambiance ?
Dans une grande salle, je suspends des micros omnidirectionnels à gauche, au centre et à droite pour m’assurer que je couvre la plus grande superficie possible. Au Vanguard, j’ai aussi disposé un micro cardioïde stéréo à l’arrière, le dos au bar de façon à avoir une vraie disposition en surround. Par contre, j’ai toujours besoin de mettre des micros à l’intérieur du piano ainsi que des micros de proximité sur les fûts de la batterie, parce que pour le mixage final j’aurai besoin de détails sonores à ajouter au son ambiant. C’est l’avantage avec l’enregistrement en multipistes, ça permet de capter un maximum de détails et de voir ensuite ce qu’on en fait. À ce niveau, j’ai vraiment de la chance, même si je me souviens que quelques-uns des meilleurs enregistrements réalisés au Vanguard l’ont été par Rudy Van Gelder avec deux micros fixés au plafond et un enregistreur de deux pistes Wollensak posé sur ses genoux.
Donc au mixage vous avez combiné prises d’ambiance et sources de proximité ?
Vu que le trio lui-même jouait de façon tellement équilibrée, je n’ai pas eu beaucoup de boulot au mixage. Je prenais les micros de proximité qui marchaient le mieux, avec le moins de repisse, je vérifiais les compatibilités de leurs phases, et j’équilibrais avec les micros d’ambiance omnidirectionnels de façon à donner autant que possible une sensation d’ouverture du son, vu que c’était ce que Christian avait demandé. Ce qui trahit les prises d’ambiance, c’est la batterie et sa réverbération. Une batterie sonne bien plus « contenue » quand on est dans la même pièce que quand on l’entend une fois enregistrée. On entend des réflexions sonores naturelles qui dépendent de l’endroit où vous êtes placé dans la salle. À ce niveau-là, un micro ne pardonne pas lorsqu’il s’agit du temps de transmission du signal.
Lors d’un enregistrement live, utilisez-vous les mêmes micros qu’en studio pour chaque instrument spécifique ?
Pas tellement, parce que j’ai besoin d’une directivité plus serrée. Bien sûr, en studio (parce que j’ai aussi enregistré Christian en studio), je peux mettre un superbe micro à lampe avec une directivité cardioïde, ou même omni dans certains cas, ça dépend de la qualité de l’isolation. Je ne pourrais jamais me permettre ça sur scène, tout ce qu’on entendrait seraient la batterie et la repisse de la sono.
Donc vous devez utiliser des modèles hypercardioïdes et supercardioïdes ?
En fait, pour la contrebasse, j’obtiens mes meilleurs résultats avec des micros en figure en 8, comme des micros à ruban. La directivité d’un micro à ruban est étroite à l’avant et l’arrière et rejette les signaux latéraux, avec des médiums doux qui flattent les sonorités de la plupart des instruments acoustiques.
Sur une contrebasse, où le positionnez-vous la plupart du temps ?
Je cherche le « sweet spot » à l’oreille autour du chevalet. En fonction du type de ruban, je dirais que ça peut être n’importe où entre le bas de la touche et juste en dessous de chevalet. En studio, j’utilise deux micros différents. En général, l’un est un micro cardioïde à lampe que je mets en dessous du chevalet, l’autre un micro à ruban pointant vers le bas de la touche, parce qu’un micro à ruban apporte beaucoup de présence et de douceur au son et permet d’arrondir les bruits typiques du jeu au doigt que les contrebassistes détestent qu’on entende. Mais pour le mixage final, j’ai besoin de garder un peu de cette attaque, alors il faut bien trouver un compromis.
En général, à quelle distance de la contrebasse le micro se trouve-t-il pour un enregistrement en live ?
Bien trop près, je vous l’assure [Rires]. Je dirais à environ une quinzaine de centimètres des cordes. Si le contrebassiste utilise un archet, alors il faut faire des compromis. Mais s’il ne joue à l’archet que sur un seul morceau, alors c’est au contrebassiste que je demande de faire un compromis et de se pencher un peu vers l’arrière quand il utilise son archet. Parce que je ne veux pas sacrifier l’ensemble de la captation en reculant le micro de sept ou huit centimètres de plus.
Mais en studio, vous reculeriez un peu plus le micro ?
Oui. Vous le reculez pour que l’instrument ait l’opportunité de résonner et de sonner de façon naturelle, surtout une contrebasse parce que les notes graves et leurs fondamentales mettent plus longtemps à se former.
À quelle distance en général ?
Je dirais que le micro vers le chevalet reste proche, pareil, aux environs d’une quinzaine de centimètres pour avoir un son plus direct, mais pour ce qui est du micro du haut, je le recule d’une trentaine de centimètres de façon à ce qu’il restitue l’instrument dans son ensemble. Évidemment, chaque instrument est différent et il faut toujours passer du temps avec musicien et son instrument dans la cabine ou la pièce pour jauger leur interaction.
Vous ne pointez pas les micros vers les ouïes ?
En studio, non, ce n’est pas là qu’on obtient le son d’ensemble. Maintenant, en live, dans le cas de Christian, il utilise une marque de micros que j’aime beaucoup, des AMT (Applied Music Technology). Ce sont des micros à pince avec une capsule hypercardioïde au bout d’un col-de-cygne. Ça a bien marché pour enregistrer au Vanguard, avec un micro à ruban pointant vers le chevalet et l’AMT vers l’ouïe, que j’utilisais aussi pour alimenter la sono en lieu et place d’une boîte de direct. La combinaison « micro embarqué + D.I. », c’est généralement ce qu’un joueur de jazz vous demandera d’éviter à tout prix parce que l’un comme l’autre sonnent très artificiels. Mais ils offrent un signal clair, et parfois le volume sonore sur la scène est tellement important qu’essayer de pousser un micro extérieur plus fort pour alimenter la sono ne fait qu’empirer les choses.
En général, comment enregistrez-vous la contrebasse de Christian en studio ?
Lui comme moi aimons bien utiliser un U47 en très bon état pour le chevalet. Et encore une fois, j’aime bien avoir les sonorités d’un micro à ruban dans le mixage. J’obtiens de très bons résultats avec le micro à ruban cardioïde KU4 d’AEA, je l’aime beaucoup et c’est celui que j’ai utilisé au Vanguard. Il y a un nouveau modèle à ruban que j’aime aussi particulièrement, il est produit par un fabricant originaire de Detroit du nom de Mesanovic, c’est leur M2 [Model 2]. C’est un micro au spectre très large que j’utilise de plus en plus, sachant que le recours aux rubans est en train de devenir un automatisme chez moi. Pendant longtemps ce n’était pas forcément le cas mais je me suis rendu compte de la présence que ces micros apportent aux enregistrements. Même sur des overheads de batterie, ils apportent de la dynamique et des médiums. Ils marchent bien pour les fûts, et ils atténuent en quelque sorte les cymbales. Bien sûr, je parle ici d’un usage en studio et je ne les prendrais pas forcément pour des overheads en live, à cause de la repisse de la sono au-dessus des cymbales.
Du coup, en live, quelle est votre configuration habituelle pour enregistrer une batterie ?
Uniquement un micro pour la grosse caisse, un pour le charleston, un pour la caisse claire, un pour chacun des fûts et deux overheads. Pour l’album de Christian, j’avais pris des [Neumann] KM140 en overheads et le [Neumann] KM84 pour la caisse claire, avec des [Shure] SM98 fixés aux fûts et un Soundelux U195 sur la grosse caisse. Le but était de pouvoir amener la batterie dans le mix avec une vraie clarté, vu que je suis obligé de surcompenser la quantité de repisse captée par chacun des autres micros sur la scène, de même que le retard des micros d’ambiance, que j’aligne temporellement dans le mix mais qui conservent la marque sonore de la batterie dans le lointain.
Dans ce genre de situation, en temps normal, combien de micros utilisez-vous pour la batterie ?
Pour enregistrer Christian, je devais avoir huit pistes de batterie, en comptant les micros clipsés aux fûts pour capter tous les détails et l’attaque du jeu en « fills » du batteur. Normalement, je n’intègre au mixage que les courts passages où il y a des fills, sinon le reste du temps, on n’a rien d’autre que le son des cymbales captées du dessous en arrière plan.
Utilisez-vous les overheads comme base pour votre son avant d’ajouter les autres micros ?
Oui, avec une batterie de jazz on peut faire comme ça, à moins qu’il n’y ait trop de repisse provenant des retours et/ou de la sono et qu’il faille compenser tout cela. Beaucoup de kits de batterie pour le jazz sont petits, mais tellement bien accordés qu’ils sont bien captés par une simple paire d’overheads. Quand j’enregistre Wynton et le Jazz At Lincoln Center Orchestra en live au Rose Hall, tout ce que j’ai, ce sont la grosse caisse, la caisse claire et les overheads.
Le live de Christian McBride n’a qu’un piano, une contrebasse et une batterie, mais si vous aviez un saxo ou une trompette qui sonnent fort sur la scène, est-ce que ça modifierait votre façon d’enregistrer ?
Oui, bien sûr. Je devrais probablement mettre les micros plus près. Je devrais peut-être même changer les micros que j’utilise pour les overheads à cause de ça. Mais n’oubliez pas qu’ils sont là, en l’air, et qu’ils dominent dans le mixage, alors il faut être sûr d’apprécier leur type de repisse et de pouvoir les gérer. Après tout, la « bonne » repisse, ça existe.
Et en studio, utilisez-vous le même nombre de micros pour la batterie ?
J’en utilise bien plus. L’isolation du studio me permet d’être un peu plus créatif. Mais ça ne veut pas dire que j’utilise tout pendant le mixage. Cela signifie que j’ajoute aussi des micros à ruban en overheads, en fonction du genre de musique qui doit être enregistré. Si celle-ci est entraînante et pleine d’énergie, j’utiliserai des micros à ruban pour adoucir un peu tout ça. S’il y a beaucoup de crashes et de fills, ça va être super avec un micro à ruban. Mais si c’est une ballade, que le batteur utilise des balais et que vous voulez que le son de la ride soit cristallin, dans ce cas le son du micro à ruban sera un peu trop sombre. Que j’enregistre dans une cabine isolée ou dans une grande salle, j’aime bien avoir tout un éventail de micros, et enregistrer sur plein de pistes fait qu’au besoin je peux avoir deux sons de batterie différents. Même s’ils n’émanent que d’un seul batteur jouant sur un même kit, la dynamique qu’ils apportent selon la chanson peut être extrêmement différente et au moment du mixage on peut faire appel à la solution qui parait la plus adaptée au morceau.
Vos micros à ruban pour overheads sont-ils en configuration « appairés et espacés » ?
Tout à fait. Je les place en fonction du nombre de cymbales, ou de la taille du kit. L’un des sons que je préfère pour les overheads, je l’obtiens avec des micros Coles.
Des 4038 ?
Exactement. Et ils marchent mieux quand ils pointent pile vers le bas. Je trouve que la configuration Blumlein ne donne pas le meilleur résultat. Je l’ai essayée auparavant, mais elle rend la spatialisation plus compliquée et ne permet pas de rendre le son de la ride aussi vivant là où il devrait l’être, ni le charley de l’autre côté. Donc oui, en les faisant en quelque sorte pointer pile vers le bas, c’est la meilleurs orientation. L’autre chose, selon la pièce, que la batterie soit dans la pièce principale ou dans une cabine isolée, c’est que j’utilise un [AKG] C24 stéréo pour la prise d’ambiance. Parfois je le mets derrière la tête du batteur pour capter sa perception. Je mets aussi deux micros d’ambiance plus éloignés.
Peut-on dire que pour enregistrer du jazz, il s’agit moins de chercher à créer un son que de capter un son de façon réaliste ?
C’est ça. J’ajouterai que beaucoup d’artistes (et ça dépend du style qu’ils recherchent) veulent que le son soit aussi direct que possible, un son dans l’esprit “Rudy Van Gelder / Blue Note”. Mais il y a des artistes qui vont vous dire « faites du neuf », ou « faisons quelque chose de différent. »
Prenons les prises de piano. Combien de micros utilisez-vous sur un piano de studio ?
Deux à l’intérieur, deux à l’extérieur. Souvent en configuration ORTF à l’intérieur avec des micros à condensateurs et petits diaphragmes. J’adore le Schoeps MK-4 et le DPA 4011, mais c’est le piano qui va déterminer quel modèle utiliser en fonction de la brillance de son timbre. En général, je les place de façon à capter une sorte de son de proximité et une perspective qui correspondent à ce que la plupart des pianistes veulent, et ce qu’ils veulent entendre au casque. Et je dispose aussi des micros à l’extérieur du couvercle (ouvert au maximum), à peu près à la hauteur où l’on récupère les harmoniques et en exagérant un peu la « panoramisation ».
Également en configuration stéréo ?
Oui, mais juste des micros cardioïdes espacés, l’un à gauche l’autre à droite. Parfois, quand je peux, j’utilise le [Sennheiser] MKH 800 Twin, qui possède deux capsules cardioïdes collées ensemble mais avec des sorties séparées. Une capsule avant, une autre arrière et on enregistre deux canaux. Grâce aux faders, ça permet en quelque sorte d’avoir une influence sur la directivité, pour doser le son venant de l’arrière de l’instrument et l’ambiance de la pièce.
Je suppose que pour enregistrer un live vous ne pouvez pas utiliser les micros en dehors du piano, à cause de la repisse ?
Je les mets à l’intérieur du coup, mais le spectre n’est pas aussi large.
Utilisez-vous un micro pour les graves et un pour les aigus ?
Si on les sépare on perd beaucoup de médiums. On les utilise en quelque sorte en conjonction l’un avec l’autre, et on essaie d’en mettre un en plein milieu et l’autre tout près de là où les cordes aiguës rentrent dans le cadre pour capter surtout les aigus et les graves. En live, j’opte pour une configuration XY quand le couvercle n’est que légèrement ouvert, le micro est plus petit et la réponse en fréquences est limitée du fait de cette faible ouverture. J’ai aussi enregistré en ORTF avec des KM84 sur une barre de couplage à l’intérieur, ou des 4011 juste à l’intérieur du couvercle, et j’aime beaucoup. Encore une fois ça dépend de plein de choses, de la proximité entre les musiciens sur scène, des instruments, et du placement des retours de scène.
Et concernant la captation d’un saxo, quelle est la différence entre le live et le studio ?
Pour le live, on peut utiliser le micro à pince du saxophoniste parce qu’il en apporte toujours un. J’en ai entendu des bons comme des mauvais. Mais j’ai aussi utilisé d’autres micros. Dans le cas de Steve Wilson, qui jouait au sein d’Inside Straight avec Christian, j’avais amené un Neumann TLM67 et il avait fallu que je le positionne au plus près de lui, de côté, afin que son corps fasse obstacle au son de la batterie.
Et vers où le micro pointe-t-il ?
Dans ce cas précis, il vise probablement le bord supérieur du pavillon. La prise de côté a très bien marché, en mélangeant le signal à celui de son micro à pince dès qu’il sortait trop de l’axe. Mais en studio, ça dépend du saxophoniste. J’ai enregistré un album d’Aaron Diehl sur lequel il y avait un saxophoniste de légende, c’était un album hommage d’Aaron aux grands que sont Joe Temperly and Benny Golson, qui jouent sur leurs morceaux respectifs. On avait un sax alto, un sax ténor et un sax baryton. Donc je changeais les micros. Comme c’était aux studios Avatar, j’avais la possibilité d’utiliser un bon [Neumann] U47 à lampe pour commencer, et si pour une raison ou une autre le son sonnait trop « lampe » ou la couleur n’allait pas, je prenais un Telefunken 251 que j’adore. Encore une fois, l’avantaghe d’être à Avatar, c’est que l’on peut choisir entre un Telefunken 251 ou un magnifique Neumann U47, et de se rabattre sur un bon [AKG] C12 si aucun ne convient pour l’instrument.
Choix cornélien. [Rires] Donc un seul micro en studio ?
Un seul c’est mieux, parce qu’ainsi, on n’a pas de problème de phase. Le son est plus ouvert et on peut capter autant de nuances de jeu de bouche que le musicien peut espérer. Certains n’en veulent pas, mais d’autres aiment bien qu’on entende le son subtil de l’attaque de anche.
Et de quelle façon le dirigez-vous ?
Dans la plupart des cas, pratiquement comme un micro pour voix, pointé vers le bas. Je le suspends comme un overhead, puis je le positionne selon un angle de 45 degrés en direction de l’instrument. Probablement avec un peu de recul de façon à ce que le musicien puisse remuer un peu. Pas de façon à ce qu’il risque de se cogner la tête s’il se penche, mais d’une façon qui permette de capter le son du haut de l’anche tandis que le bas de la capsule captera le pavillon. Ça donne une bonne image sonore. Parfois, se mettre de l’autre côté fait que les gars sortent plus facilement de la bonne zone. Si vous vous alignez sur leur bouche, vous ne les perdez pas. Si au contraire vous essayez de viser pile le pavillon et qu’ils bougent vers la gauche ou la droite, ils sortent de l’axe. L’alignement est crucial.
J’ai cru comprendre que vous utilisez du matériel de chez Dangerous Music pour le mixage en MAO ?
Ça pourrait très bien être tout autre chose. Quand [le studio] Sony a fermé en 2007, j’ai perdu ma salle de mixage favorite. En même temps, les budgets de production diminuaient et je ne pouvais pas me permettre d’acheter de grosses consoles de mixage. C’est donc par nécessité que je suis passé au mixage en MAO, et j’ai parlé avec mon collègue et néanmoins ami Damon Whittemore (de ValveTone Recording) qui partage les locaux de Fab DuPont aux studios Flux, et qui avait complété la configuration de matériel de chez Dangerous de Fab (Dangerous Master / 2-Bus+ / Mixer / Monitor ST / Compressor, Bax EQ etc.) avec du super matériel vintage qu’il possédait, comme une vieille console de broadcasting de chez Neve et de très bons égaliseurs et compresseurs à lampes et toute une collection de transformateurs. Il a insisté pour que je passe tester leurs locaux pour mon projet suivant, qui était à l’époque Seeds from the Underground de Kenny Garret. Le résultat m’a emballé, mixer en MAO puis faire ressortir tout ça au studio Flux via du matériel de chez Dangerous nous avait offert un son plus clair, j’ai découvert que ça ouvrait le champ stéréo en évitant de passer par les kilométres de routage d’une grosse console. Ce que j’adore à la Fabulous Room c’est que pour la conversion je peux choisir de passer par des Aurora de Lynx, ou les C8, ou l’Universal Audio Apollo. Fab bosse avec Dangerous, il bosse aussi avec d’autres fabricants, donc j’ai l’opportunité d’en entendre, du matériel. Quel que soit le mix, j’aime beaucoup le Dangerous Compressor. J’ai la chance d’avoir un compresseur dédié uniquement à la batterie. Donc je fais une sommation de la batterie et je la fais passer par une chaîne qui comporte un Dangerous Bax EQ et un Dangerous Compressor. Ça marche tout aussi bien pour le piano et d’autres sources dynamiques qui nécessitent de la transparence et que l’on peut limiter sans appliquer beaucoup de compression. Et puis, vu que le Dangerous Compressor est très rapide, je n’entends quasiment pas son temps de relâchement.
Fab Dupont ?
Oui, Fab DuPont. Sa Fabulous Room, c’est la principale salle dans laquelle je mixe. Ça doit faire environ huit ou neuf ans que j’y travaille. En plus d’avoir des oreilles extraordinaires, il a une excellente intuition quant aux tendances à suivre en matière de matériel et de pratiques d’enregistrement. Ses échanges avec des fabricants comme Dangerous, Focal, UAD, et Lauten Microphones m’ont permis de participer à leurs essais de R&D, à son invitation. Sans ses conseils, je n’aurais jamais découvert autant de matériel aussi fantastique.
Utilisez-vous Pro Tools ?
Oui, Pro Tools. Et j’ai aussi un système Sequoia pour le mastering. Il se trouve que j’ai utilisé un système Sequoia pour le Live at the Village Vanguard de Christian McBride. C’était l’enregistreur multipiste principal, avec un Tascam X48 comme enregistreur secondaire au cas où.
Merci beaucoup, Todd, d’avoir partagé autant d’informations avec nous sur vos techniques !
De rien ! Je suis heureux d’avoir eu la chance de m’entretenir avec Audiofanzine.
Vous pouvez consulter ici la liste complète des crédits de Todd Whitelock