Bassiste, compositeur, mais aussi et surtout ingénieur du son et producer (pardon, réalisateur artistique !) de talent, nombreux sont les qualificatifs pour définir Jack Douglas. Enfant du rock avant tout, ce New-Yorkais d’origine a traversé les époques auprès de (très) grands artistes, sans jamais perdre la foi ni la passion de ses débuts. Rencontre dans les locaux de Jukebox lors de sa venue à Paris.
Bonjour Jack ! C’est une sacrée opportunité de t’avoir ici à Paris ! Peux-tu nous dire ce que tu fais en France en ce moment ? Sur quoi travailles-tu ?
Oh « Mais qu’est ce que je fais ici ??!! » (Rires) En fait, mon ami Danny Terbeche est venu me voir au Festival de Cannes et m’a dit : « j’ai un super groupe en ce moment, un groupe de rock français ! », ce à quoi j’ai répondu « Mais ça n’existe pas ! » (Rires) C’est vrai qu’il y a des groupes français, qui font du rock principalement, mais quand tu penses « rock », tu ne penses pas à des groupes français ! En tout cas, pas à l’étranger… Puis il m’a dit : « Non, vraiment, écoute ! » et il m’a envoyé une maquette. Et c’était très bon ; je veux dire, c’était vraiment très bon ! J’ai rencontré le chanteur et, vraiment, il vit ce qu’il chante et ce qu’il chante, c’est sa vie. Du coup j’ai dit : « OK, je le fais, je viens à Paris pour l’été, mais tu fais tout le sale boulot : tu réserves le studio, tu fais tout ce qu’il faut ! »
Et me voilà ! Tout s’est super bien passé, le studio s’est avéré être vraiment bien. Il m’a semblé familier, car c’est un studio qui ressemble à un genre de studio Westlake du milieu des années 70… Donc c’était un peu comme si j’étais à New York en 1975, ou à LA, dans un des Record Plant ou Westlake ! Le design est très similaire : même écoute, même bass traps… Ça m’a paru familier. La pièce est un peu petite, mais je n’ai pas enregistré le groupe live ; on a fait les batteries, les basses puis les overdubs… En fait je n’ai pas vu grand-chose de Paris parce que je suis resté principalement au nord de la ville, mais j’ai eu quelques jours off et j’ai tout fait, je suis allé dans les musées… J’ai passé un super moment à Paris. Je retourne à New York demain ; je suis quand même resté presque 2 mois ici !
Quand les Beatles sont arrivés, ça sonnait « vrai » à nouveau, comme une chose dans laquelle je voulais être impliqué, parce que c’était différent.
J’aimerais revenir à tes débuts. Tu es né à New York, j’ai lu que tu avais commencé ta carrière en tant que musicien ; tu es même parti jouer dans des groupes en Angleterre… Est-ce que tu peux nous en dire plus sur cette période, quand tu étais musicien ? J’ai lu que tu avais même composé pour la campagne de Robert Kennedy ?
Oui, en fait j’ai commencé à écrire des chansons de campagne pour Robert Kennedy. J’avais 15 ans à peine et j’ai fait ça parce que je jouais de la folk. En 1964, c’est ce que les gens recherchaient, la folk était très populaire ; tu pouvais sans problème monter sur scène avec une guitare et chauffer la foule à un meeting politique pour chanter toutes ces chansons contre tel type… et pour tel mec. Ensuite on jouait de « vraies » chansons puis arrivait Robert Kennedy pour faire son discours. Ils voulaient que les jeunes participent à ce genre de manifestations, mais ils ne savaient pas que je n’avais que 15 ans ! Quand j’ai fini ça, je suis retourné à l’école pour terminer ma dernière année de lycée. Ensuite j’ai changé, les Beatles sont devenus populaires et je me suis écarté de la folk. J’ai vendu ma vieille Gibson acoustique. Avec le peu d’argent que je me suis fait, j’ai acheté une Gibson Les Paul Custom noire de 1954. Je crois qu’elle m’a coûté 175 dollars. Aujourd’hui, si je l’avais encore, je crois qu’elle en vaudrait 175 000 !!! (Rires) Je l’ai vendue plus tard pour acheter une basse, mais c’était une très belle guitare !
Après ça, avec mon groupe, on a eu un contrat et on a sorti notre premier single chez Crombi Records. On a eu un hit et après l’école, pendant que j’essayais de décrocher un diplôme, je jouais dans des groupes. J’ai joué avec les Angels, tu sais (fredonnant) : « My boyfriend’s back… » J’ai joué avec Chuck Berry, j’ai été bassiste dans le groupe de Chuck Berry. J’étais tout le temps sur la route, à jouer dans des groupes différents… et avec des gens différents.
En 1965, je suis allé en Angleterre avec un des membres d’un groupe dans lequel je jouais ; on y est allé en bateau à vapeur ! C’était le moyen le moins cher pour aller à Liverpool, mais c’était vraiment peu confortable ! On a traversé l’Atlantique au Nord, au milieu de l’hiver et c’était terrible… vraiment terrible ! Je ne peux pas te dire à quel point c’était horrible, mais ça l’était ! Quand nous sommes arrivés en Angleterre, on s’est fait refouler. On avait nos guitares, mais on n’avait pas de permis de travail… et on était venu pour travailler ! Je me suis donc enfui, je me suis échappé du bateau ! J’ai acheté l’album Rubber Soul le jour de sa sortie, à Liverpool. C’était super excitant. J’ai vu un bureau du journal local, j’y suis entré et je leur ai raconté mon histoire. Ils m’ont dit : « Hey, mais c’est une super histoire ! On aime ça ! Retourne sur le bateau et demain on va faire un sujet. On va venir prendre des photos et faire tout ça tant que le bateau est à quai, pour 5 jours ! » Mon ami, lui, ne pensait pas me revoir, parce que je m’étais échappé du bateau. Mais j’y suis retourné rapidement ; c’était très simple en fait, je n’ai rien eu à faire, juste à marcher et y retourner. Mais il était très étonné de me voir, avec cet album à la main et je lui ai dit : « On va être sauvé ». Le lendemain on a fait la une. Les journaux sont venus, nous étions en couverture de tous les journaux ; ils avaient même appelé la TV, il y avait des filles avec des pancartes qui défilaient devant le bateau — pour de faux, bien sûr ! — « Libérez les Yankees ! »
Un jour avant que le bateau ne reparte, les services d’immigration sont venus nous dire : « Les gars, vous savez que vous avez mis une sacrée pagaille ici ? On va vous faire un visa pour que vous restiez 60 jours, mais pas de guitares, pas d’amplis ! » On a donc dit « OK, on renvoie nos instruments. » Le mec du journal nous a tout de suite placés dans un groupe et il voulait écrire une histoire… Après environ un mois à jouer, un type vient un jour à un café me demander un autographe, pour lui et son pote qui était resté dans la voiture… On est sorti et là on est tombé sur les services d’immigration. Ils nous ont attrapés, menottés, attachés dans le train, renvoyés à Londres, puis à Southampton, puis expulsés ! Mais ça a fait beaucoup de bruit avant que je ne parte ! (Rires)
C’était une aventure incroyable pour un jeune homme ; j’avais vraiment envie de voir ce qu’il se passait à Liverpool. C’était important pour moi, musicalement. Je voulais comprendre ce que je jouais. Je suis allé à la Cavern, j’ai vu des groupes jouer à la Cavern…
Subitement, au début des années 60, le rock est devenu quelque chose de fabriqué, c’est devenu un gros business. Je ne voulais plus en entendre parler. C’est presque un peu comme aujourd’hui en fait, tous ces trucs « fabriqués » et qui ne sonnent pas « vrais »…
Tu es en train de nous dire que tu as senti le changement, le passage de la folk au début du rock à ce moment-là…?
Oui, en fait le début du rock était bien avant, dans les années 50, mais… Je suivais ça et j’aimais beaucoup le rock des débuts : Jerry Lee Lewis, Buddy Holly et les Everly Brothers, Little Richards, les Coasters… Tout ça, pour moi, quand j’étais jeune, c’était très important. Et puis, subitement, au début des années 60, le rock est devenu quelque chose de fabriqué, c’est devenu un gros business, Fabian et Franky Avalon… Je ne voulais plus en entendre parler. C’est presque un peu comme aujourd’hui en fait, tous ces trucs « fabriqués » et qui ne sonnent pas « vrais ». Je me suis donc tourné vers le jazz, la folk et le blues et c’est devenu plus important pour moi que ce faux rock…
Mais quand les Beatles sont arrivés, ça sonnait « vrai » de nouveau. Ça sonnait comme une chose dans laquelle je voulais être impliqué, parce que c’était différent. Idem pour les Stones. Quand je suis allé en Angleterre, j’ai pu écouter ce qui sonnait pour moi comme du bon blues américain complètement remanié. Du coup j’étais un peu du genre : « Hey, vous voyez, ils savent ! C’est bon ! » Les guitaristes étaient vraiment bons, pas comme cette daube qu’on nous servait aux États-Unis… Les Anglais ont tout changé ; le rock anglais a tout changé aux États-Unis. Je pouvais donc rentrer et devenir un musicien professionnel à nouveau. D’ailleurs, quand je suis rentré aux États-Unis, tout le monde pensait que j’étais une pointure parce que j’étais allé à Liverpool, peu importe le fait qu’ils m’aient expulsé ou non ! (Rires) Ils me disaient : « Wow, tu es allé là-bas ?! » Tous ces groupes sont venus me voir pour me dire : « Tu veux jouer dans mon groupe ?! » Et mon ami aussi ! Il est entré dans un groupe qui a bien marché.
En 1969, on s’est retrouvé à New York et je lui ai demandé comment il allait. Il m’a répondu : « Oh ça va bien, mais je cherche un peu à faire autre chose ! » Je lui ai répondu que moi aussi et lui ai demandé : « As-tu écouté ce groupe, Led Zeppelin ? » et m’a répondu que oui, il avait écouté et qu’il trouvait ça vraiment bien ! Le premier album venait juste de sortir aux États-Unis, ça n’était pas encore vraiment populaire à ce moment-là, mais je me suis dit : « Ce groupe est important. Ah, encore ! Un nouveau palier de franchi ! » Je lui ai donc dit : » OK, formons un groupe qui va sonner comme ça, à New York ! » Avec un orgue Hammond — ce qui connotait un peu « l’esprit New York » —, mais on a fini par jouer ça, ce genre de musique un peu orientée blues… J’avais 4 amplis basse Sunn. J’en avais 2 sur scène et 2 que j’avais en spare donc je me suis dit : « Je vais jouer sur les 4 en même temps ! » Mon pote avait 4 Marshall Plexi aussi. Pareil, il était dans un gros groupe qui s’appelait les Soul Survivors et donc il en avait 2 pour la scène et 2 en backup. On s’est donc dit qu’on allait tous les mettre sur scène en même temps et jouer super fort ! On voulait se trouver un batteur avec deux grosses caisses et c’était bon !
Et c’est ce qu’on a fait ; ce groupe s’appelait Privilege… On est allé dans un club un jour et on leur a dit : « OK, on joue gratuitement le soir si vous nous laissez répéter la journée. » Ça leur convenait donc on a commencé à inviter des labels à venir nous écouter. On a joué à peu près 2, 3 semaines, on écrivait nos propres chansons et puis les Isley Brothers sont venus un soir, par hasard, parce qu’ils habitaient pas très loin du club. Ils se sont assis et se sont mis à écouter. On a fait notre set et ils sont venus nous voir après le concert en nous disant : « On vient de monter un label, on aimerait vous signer. » On s’est dit : « OK, on n’a même pas besoin de chercher un label, on va signer avec les Isley Brothers ! » On a donc signé avec eux et on y est allé. On a fait un très bon album, Privilege. On a tout enregistré principalement aux Studios A & R de Phil Ramone. C’était vraiment bien, un studio de qualité avec un 8 pistes ; hey, à l’époque, ça faisait beaucoup !! (Rires) Ça sonnait superbement bien, il y avait un super ingénieur là-bas. Ils nous ont dit : « OK, revenez dans, disons 10 jours le temps qu’on le mixe. Vous revenez pour écouter. » On leur a dit que c’était OK pour nous.
On est donc partis et ils ont écouté… Ils nous avaient signés parce qu’ils voulaient du rock sur leur label ; eux étaient plutôt orientés R&B, donc ils ne comprenaient pas vraiment le rock. Ils ont écouté et se sont dit que c’était un peu « vide ». Ils ont voulu rajouter des congas, ils ont donc appelé un percussionniste… On avait un chanteur lead et moi qui faisais les chœurs ; ils ont voulu rajouter des chœurs donc ils ont appelé des choristes… « Peut-être on devrait mettre des cuivres sur un titre et en faire un single ? » Ils ont finalement mis des cuivres sur deux titres… « Toutes les ballades ont besoin de cordes ! » Donc ils ont appelé une section de cordes… À un moment je me suis demandé ce qu’il se passait. Ça faisait deux semaines qu’on n’avait plus de nouvelles. Au final, on a reçu un coup de fil de leur part et on a filé au studio. On s’est assis et on a écouté et… franchement j’ai cru qu’ils s’étaient trompés de bande, qu’ils avaient mis la bande d’un autre artiste ! (Rires) Je me tourne, je regarde le batteur, il était presque en train de pleurer ! D’un seul coup le guitariste se penche vers moi et me dit : « c’est complètement pourri ! Il faut que tu leur parles ! » Du coup je vais voir Kelly Isley et je lui dis : « Hey, Kelly, le percussionniste, c’est Jimmy Meline, pas vrai ? » — Oui, oui, c’est Jimmy Meline ! « Non, parce que je le connais, je connais ce qu’il fait, c’est vraiment bien… Et les choristes, ce sont les nanas qui chantent sur vos productions ? » — Oui, oui… « Ah, bien et… L’arrangement de cuivres…? » D’un seul coup, il me dit : « OK, qu’est ce qu’il y a ? »
Je lui ai rappelé que, quand il nous avait signés, il nous avait dit qu’il voulait vraiment du « bon Rock n’Roll » sur leur label, avec un bon gros son. » Et là je lui dis que ça n’est pas nous… que ça ne nous ressemble plus ! Il se tourne vers moi et me dit : « Quoi, tu n’aimes pas ?! » Je lui réponds : « Tu sais… la rythmique et les voix… c’est tout ce dont tu as besoin ! » On avait joué live et ça sonnait franchement bien ; les mises à plat sonnaient super bien. Je me suis dit : « OK, il le prend bien, ça va bien se passer ! » Il s’est redressé et m’a balancé : « OK, va te faire f*** ! Tu sais combien tout ça m’a coûté ?! » Je lui ai répondu : « Oui, je pense, bien plus que les deux semaines qu’on a passées à enregistrer ! » Il a failli continuer à m’insulter puis il s’est levé et a quitté la pièce. Et les autres Isley Brothers avec lui. Je me suis tourné vers le guitariste et je lui ai dit : « Tu vois, ça s’est bien passé, non ?! » (Rires)
Rudolph Isley — le plus âgé de tous, celui qui à mon avis était le plus correct et qui avait le meilleur niveau — vint me voir juste après, en me pointant du doigt, et me dit : « Je te donne 2 jours. Tu le mixes TOI ! » (l’air surpris) — Moi ? « TU le mixes ! Tu as ouvert ta bouche, tu mixes cet album ! » Et il est parti. Je me suis donc dit que je devais le mixer… Je suis allé voir l’ingénieur et lui ai demandé si on pouvait le faire en 2 jours. Il m’a dit : « Est-ce que vous avez aimé les mises à plat ? » Je lui ai répondu — Bien sûr ! Utilisons-les ! Sauf que nous ne pouvions pas, car elles avaient été tournées en 7,5 ips sur une bande 1/4"… L’ingénieur voulait les refaire en 30 ips pour avoir un meilleur son. On a dit Ok.
Le lendemain je suis allé au studio et me suis assis à côté de lui. C’était une superbe console à lampes, pas de faders, que des gros potentiomètres rotatifs. Je me suis assis et lui ai demandé : « Est-ce que ça te va si on commence par la basse ? Parce que c’est l’instrument que je connais le mieux et tout ceci est nouveau pour moi… » Il était d’accord. J’ai donc monté la basse et là il me dit : « J’aime bien commencer par la batterie, mais vas-y, fais à ton aise… » J’ai regardé en haut de la console — je ne savais pas comment ça s’appelait à l’époque ! —, mais j’ai regardé en haut de la tranche et j’ai vu un switch où c’était écrit « 30, 60, 80, 100, 120 » avec « + et — » jusqu’à 10, de chaque côté. Je monte donc la basse et mets le switch sur 30 — on était sur les grosses enceintes Altec — je mets sur 30 et fais +4 et je n’entends aucune différence ! Je mets le switch sur 60 et fais +6 et j’ai commencé à entendre un petit « Huh » (mimant une onde sonore) « M*** ! » Je mets sur 80 et +10. Là d’un coup la basse se met à faire « Blllllllrrrrrllll !! » (mimant un haut-parleur qui sort de l’enceinte) et les enceintes à faire comme ça ! J’écoute je me dis : « Wow, ça sonne super ! » L’ingénieur se tourne vers moi et me dit : « Mais qu’est ce que tu fais là ? Haaaa ! » (Rires) Cette journée a été, je crois, son pire cauchemar. J’étais terrible, je crois que je l’ai rendu fou. Quand j’ai voulu mettre les batteries, j’ai vu les potentiomètres en haut et j’ai vu des chiffres avec des « k » à côté « Woooh ! Mais qu’est ce que c’est que ce k ??! » Je l’ai mis sur 8k et j’ai boosté de 10 dB et les cymbales arrachaient les oreilles ! J’adorais ça aussi ! Il m’a détesté, je crois qu’il a eu envie de me tuer !
Le jour d’après, il m’a dit : « OK on va finir demain parce qu’on n’a rien fait pour l’instant » Je lui ai répondu que j’étais dans ma période d’apprentissage. Il m’a alors dit : « Demain je le fais avec toi si tu restes assis dans la chaise là et que tu n’ouvres pas la bouche une seule fois ! Juste, tu regardes. » Je l’ai donc regardé mixer et c’était un maître, Tony May. Un maître, vraiment ! Il avait des racks de Pultec — je ne savais même pas ce que c’était — des racks de Fairchild, des LA2A, des 1176, que du superbe matériel à lampe… Et puis il ne mixait qu’un refrain. Un seul refrain, et quand il était bon, il le tournait. Ensuite il faisait le deuxième refrain. Ensuite il mixait les couplets, et à la fin il éditait le tout pour avoir la chanson complète. Chaque partie était mixée comme il fallait. Il faisait des automations de toms et tout… Quand je l’ai vu, je me suis dit que ce mec était incroyable. La façon qu’il avait de faire était vraiment géniale. J’ai tellement aimé travailler avec lui que, quand le groupe est revenu pour écouter, ils m’ont félicité, mais je leur ai dit : « Hey mais je n’ai rien à voir avec ça ! Ca sonne super, mais ça n’est pas moi ! » L’album est toujours disponible aujourd’hui, je crois…
Au final je parle au groupe et leur dis : « Vous savez quoi ? Je quitte le groupe ! » (Rires) Là, ils me demandent pourquoi. « Parce que je veux faire ça ! » (montrant la console) J’ai donc demandé à Tony May s’il avait un job pour moi. Il m’a répondu direct : « Tu rigoles ? Je ne te laisserai jamais m’approcher ! Sincèrement, tu es un cauchemar ! » (Rires) Et là il me dit qu’un de ses amis vient juste d’ouvrir un studio en bas de la rue qui s’appelle The Record Plant et que si j’y vais de sa part, je pourrais peut-être avoir un boulot. J’ai donc couru jusqu’au Record Plant et j’ai vu ce gars en combinaison de travail, assis là où, plus tard, il y aurait la réception — le bâtiment était encore en construction — et je lui ai dit que je cherchais du travail. Là il me répond : « Et tu saurais nettoyer les toilettes aussi ?! » — Bien sûr!. Et là il me dit : « OK, tu es le concierge du studio ! » Je lui demande quand je commence et là il me répond « Demain ! ». J’étais là au bon endroit, au bon moment…
Mais pour aller dans la régie, on devait passer par la salle de prise. J’ouvre la porte, rentre avec les bandes, il y a de la fumée partout et là, de la fumée sort Jimi Hendrix ! Il a un joint dans sa main et là il me propose un joint !! « Hey, tu en veux…? » Et là je me dis « Wow, je suis vraiment au bon endroit ! » (Rires) Je savais que j’étais là où les choses se faisaient. C’est là-bas que j’y ai rencontré Eddie Kramer ; on est amis depuis un million d’années maintenant ! Mais je savais que j’étais au bon endroit. C’était là que je voulais être. À un moment, j’y habitais presque ; je travaillais comme un dingue. J’étais obnubilé par l’editing et je suis devenu vraiment bon. Quand je suis arrivé aux archives, il y avait le responsable des bandes et moi j’étais assistant-ingénieur ET responsable de la gestion des bandes. Mon point fort, c’est que je savais bien éditer les bandes. En fait, j’ai appris un vieux truc d’un gars qui faisait des jingles et que, parfois, j’assistais. Il était super rapide ; à l’époque on devait faire des pubs avec orchestre, le tout en 3 heures, enregistré, mixé, fini ! Je regardais ce mec travailler ; il était super rapide, il faisait tout, il installait l’orchestre… et moi je l’assistais. J’arrivais le matin, là je découvrais que j’avais 60 musiciens… Toutes les chaises, les micros… pour 60 personnes, tu vois le truc ? Il y avait une section rythmique complète, un orchestre entier, des chanteurs et un annonceur. Boom ! En 3 heures mixé, plié ! Et le soir c’était à la radio où à la TV ; c’était aussi rapide. Du coup, je le regardais monter la bande, il faisait ça (bougeant les bobineaux), il ne mettait aucun repère ! Il bougeait les bobineaux, prenait un bout de bande, la mettait, il la coupait, prenait un autre bout de bande, la mettait, la coupait, collait les 2 ensemble et c’était fait ! C’était parfait, tout le temps ! Un jour, j’ai fini par lui demander comment il faisait. Il m’a répondu : « Oh c’est très simple ! La distance entre le cabestan et la tête de lecture est la même qu’entre le début du bloc de montage et la première coupe. » Ça a été conçu de cette façon ! Le magnétophone « standard » était un Ampex 300, ils ont donc conçu le bloc de montage de cette façon et c’est toujours comme ça. Il m’a donc expliqué : « Je prends la bande au niveau du cabestan, je coupe à ce niveau-là, je sais que ce sera là ! C’est toujours pareil ! » J’ai trouvé ça génial. J’ai commencé à faire des montages, j’ai beaucoup pratiqué et j’ai fini par éditer comme ça. Les clients venaient dans la salle de montage où je faisais mes edits. Ils s’asseyaient, je montais de cette façon et ils faisaient : » Oh! Mais qu’est ce que tu fais ???! » — Oh, ne vous en faites pas… Je mettais les morceaux ensemble et ils pensaient que j’étais un petit génie. Mais c’était juste une simple astuce ! Et c’est parce que j’étais un bon monteur que je me suis retrouvé à faire l’album Imagine… Mais je suis désolé, je ne m’arrête pas et tu as certainement d’autres questions !C’est comme ça que j’ai commencé, à l’été 1969. J’étais un concierge épouvantable, ils ont au final embauché un véritable gardien qualifié, mais pour commencer, ça allait. Ensuite ils m’ont fait un peu tout faire. La journée ils enregistraient le festival de Woodstock. Ils emmenaient les bandes par hélicoptère à un endroit où un van les attendait pour charger les bandes et les ramener au studio. Ensuite les artistes venaient au Record Plant pour faire les overdubs et corriger les petites erreurs. Le van s’arrêtait devant le studio, je courais avec mon diable, chargeais les bandes et courais les rapporter dans les studios. Je ne savais même pas qui ou quoi, c’était juste écrit « Studio A, B ou C » je ne savais même pas pour quel artiste ! Un jour je vais dans le studio A avec un tas de bandes et d’un seul coup (inspirant) « Wow, on dirait de l’herbe ! » (Rires) et je pouvais entendre un gros « ZZzzziiii » Je me suis dit que je connaissais ce son, que c’était un gros buzz de Marshall !
Les Anglais ont tout changé ; le rock anglais a tout changé aux États-Unis.
Non, au contraire, c’est parfait ! Je me demandais juste ; une partie de ton apprentissage s’est faite à l’Institute of Audio Research, c’est vrai ? Qu’as-tu appris ? C’était la première année, non ?
C’était la première école, oui. J’avais ce job au Record Plant et je me suis dit : « OK, il faut que j’en sache un peu plus si je veux évoluer. » J’ai donc regardé dans le Village Voice et j’ai vu cette première école. Parce qu’avant il n’y avait que le RCA Institute et la seule formation audio était « Speaker à la TV » ! (Rires) Rien à voir ! Le type avait placé une annonce : « Vous apprendrez la technique des studios et les microphones… » Je me souviens, c’était la première année, dans une salle d’hôtel à Times Square. Même pas une école, juste un hôtel ! Je suis allé là-bas et il y avait à peu près 30 personnes et le formateur nous a dit : « Est-ce que tout le monde connaît son algèbre ? » Pour moi, il n’y avait pas de problème, j’avais un bon niveau en maths. Il nous dit donc : « Si vous avez des problèmes avec l’algèbre, vous allez avoir du mal à suivre parce que nous allons étudier tout un tas de théories et si jamais vous n’êtes pas au point, je vous rembourse ! » Le lendemain on était 4 ! (Rires) On était seulement 4 dans cette première année ! Et Rob Fabroni était avec moi dans cette classe. Depuis il a travaillé avec les Stones, il a longtemps travaillé avec Keith. Il y avait deux autres mecs aussi… s’ils ne sont pas à la retraite, leur carrière doit bien se porter encore aujourd’hui !
3 fois par semaine, on allait passer 3 à 4 heures dans cette salle d’hôtel. Ils nous faisaient étudier et ensuite — parce que tous les studios se trouvaient à Times Square à l’époque — ils nous sortaient de la classe et nous emmenaient dans les studios. Je connaissais un paquet d’ingénieurs du temps où je faisais les sessions de studio. Donc j’arrivais et ils se moquaient de moi : » Ooh, Jack est un étudiant maintenant ! Il n’arrive plus à trouver du boulot en tant que bassiste…! » (Rires) C’était marrant, mais c’était une bonne chose d’aller dans ces studios. Et comme au Record Plant ils voyaient que j’avais vraiment envie d’apprendre, ils me montraient encore plus de choses. Des gens comme Roy Cicala ou Shelley Yakus m’ont pris comme assistant, m’ont montré comment le matériel fonctionnait, comme fonctionnaient les étages de gain… Comment obtenir un son qui soit gros, mais fidèle, tu vois, ils étaient du genre « Il faut d’abord écouter les instruments dans la pièce, ne présume rien sur tel ou tel microphone ! Quand tu entends quelqu’un, comment sa voix sonne-t-elle ?… » Ils voulaient que je connaisse le son des instruments. « Quand tu sors dans la rue, je veux que tu écoutes le son dans la rue, que tu identifies quelles fréquences composent ces sons… Le métro, la circulation, le vent dans les arbres, n’importe quoi, je m’en fiche, je veux que tu y penses ! Rentre à la maison, écris-le sur un bout de papier ! » (feignant d’écrire) « OK, bruit de foule… hmm de 500 à 1200… » Ce genre de trucs ! « Montre-moi ce que tu as trouvé ! Ah, ça c’est bon ici, pas ça, ça c’est bien… » Ils m’ont vraiment aidé.
Une de tes questions est « Quel est ton pire souvenir de studio ? » Je le sais, je l’ai vue, je l’ai lu, j’ai triché ! (Rires), mais une des pires choses qui m’est arrivée… Avant que je devienne un « véritable » ingénieur, j’étais le gars qui enregistrait les démos. Je me souviens avoir fait des démos avec Billy Joel, ce qui lui a valu d’être signé par la suite. Il est venu, il a joué du piano, il a chanté et il a eu ce très gros contrat ! Mais je me souviens faire les démos cette fois-ci pour Patti LaBelle. Patti vient faire ses démos et à l’époque on faisait ça sur 4 pistes. Ils ont insisté pour que je fasse ces démos sur 4 pistes, comme ça je pouvais faire des premixes. Il fallait que ça sonne tout de suite sur le 4 pistes. En fait, il n’y avait qu’une seule piste pour faire les overdubs ! Et si par hasard tu avais d’autres overdubs à faire, il fallait certainement les faire sur une seule piste du 4 pistes ! Bref, ils ont vraiment insisté pour qu’on fasse ça sur 4 pistes…
Ce qui est très limité pour nous aujourd’hui !
Oui, mais c’était génial ! Tu devais utiliser tous tes périphériques quand tu enregistrais, tous tes échos ; tout était très basique. La section rythmique devait être sur une seule piste…
Tout devait être enregistré !
Oui, c’est comme ça qu’on a appris ! Dès que j’ai commencé à me débrouiller, à faire en sorte que ça sonne, je me suis retrouvé à faire ce projet avec Patti LaBelle. Elle avait un super groupe, du bon R&B, je trouvais qu’ils avaient un super groove ! Quand on a fait ce 4 titres, on avait une console 4 bus, une très belle console à lampes avec un 4 pistes Ampex 350. Et j’avais la télécommande juste là (désignant le bout de la console derrière lui). Enfin bref, ils enregistrent le titre et je me dis « Je crois que c’est le meilleur truc que j’aie fait, ça sonne vraiment bien ! » Chaque instrument me semblait… « solide », tu vois ? Quand tu fais ça, que tout colle parfaitement ensemble, le pied et la basse ensemble, et avec le reste, ça envoie ! Je me suis dit : » Quand Patti va arriver, elle va vraiment aimer ça. Elle va tellement aimer la maquette qu’elle va vouloir qu’on enregistre l’album ensemble ! Huh ! » (Rires)
Là arrive Patti, avec le groupe, le bassiste aussi.Je crois que le bassiste était Chuck Rainey, un mec très connu. Il tient une bière dans sa main. Il entre dans la régie, fait le tour et je dis à Patti : « Franchement, je trouve que c’était une très belle prise, vraie, j’ai très envie de vous la faire écouter ! » Le bassiste vient vers moi et pose sa bière juste là (à côté de la télécommande…) « J’ai vraiment hâte de vous faire écouter ! » et là je vais pour appuyer sur le bouton Play de la télécommande et… ma main tape dans la bière… La bière se renverse partout, sur les transfos de la console… Et là d’un seul coup la console est en flammes ! « POW ! » Des flammes de partout !! Et la console est en feu ! Tout est en feu partout ! La console commençait à fondre carrément, les panneaux latéraux commençaient à fondre, j’ai vraiment commencé à paniquer ! D’un seul coup (toussant), il s’est mis à y avoir de la fumée ! J’ai couru à l’extérieur de la régie, je suis allé chercher un extincteur et (mimant l’utilisation d’un extincteur) « Psssccchhht !!! »… J’ai bousillé la console… tout était foutu…
Le propriétaire du studio est arrivé, il a regardé partout dans la régie et il a dit : « Tu es viré. C’est pas compliqué, tu es viré ! Va-t-en !! » — Oh, mais je suis tellement désolé… « TIRE-TOI !!! » Je suis donc parti, je suis rentré à la maison… Peu après, Roy Cicala arrive dans le studio et il lui demande ce qu’il s’est passé. le propriétaire lui dit : « Ton mec, là, il a tout foiré, il a détruit la régie ! » — Ah ouais, vraiment ? Tu veux dire, cette veille console ?! » Le propriétaire lui répond que oui, j’ai tout détruit. Roy finit par lui dire : « OK, allons écouter la bande. Qu’est ce qu’il y a dessus ? » Le propriétaire lui répond qu’ils n’ont pas écouté la bande et qu’il ne voit pas pourquoi ils iraient écouter la bande. Roy insiste. Ils prennent donc la bande avec eux, vont dans un autre studio et écoutent la bande. Roy lui dit : « C’est bon ! C’est très très bon !! », ce à quoi Chris répond : « Et alors ?! » Roy lui explique : « OK, ce gars, grâce à son travail, il te le revaudra 100 fois. Ta console, c’est ce qu’elle vaut. Donc tu le rappelles et tu lui dis de revenir. La console est perdue, mais lui il te le revaudra 100 fois. Ça sonne super bien ce qu’il a fait. Il a des oreilles. Et en plus il aime ça. Alors si tu ne veux pas le perdre… » Et moi de mon côté, j’étais en train de me dire que ma carrière était finie ! D’un coup, le téléphone sonne : « Reviens ! » (Rires) Ce fut une grosse surprise pour moi. Ils m’ont même donné une augmentation. Je gagnais 65 dollars la semaine et je crois qu’ils m’en donnaient 70 après !
Le point positif de tout cela, ajouté au fait que j’étais bon en editing, s’est vraiment vu au moment de faire l’album Imagine. Ils m’ont dit : « Il va y avoir beaucoup d’editing. » Et là le studio leur a répondu : « Oh, prenez Jack, on va le mettre dans une pièce et il fera tous les montages. » En fait John avait enregistré beaucoup de choses sur son 2 pistes, pas en stéréo, mais plutôt du genre piste 1, voix et piste 2, guitare ou piste 1, voix et piste 2, piano. Bien sûr il voulait faire du montage sur les chansons. Je devais donc d’abord transférer sur le 2 pouces, couper la bande 2 pouces ; il y avait tout un tas de notes dans la boîte de la bande 1/4 pouce. John avait écrit : « Après le refrain 1, un temps après ce mot, place le refrain 3 au même endroit. » Mais il fallait le faire après le transfert ! Je transférai donc à travers les Dolbys vers le multipiste. Pendant une semaine, les séances allaient bon train, ils avaient réservé tous les studios. Il y avait des séances dans les deux autres studios, mais moi j’étais en dehors de tout ça ; j’étais dans le même bâtiment, au même étage, mais dans une autre pièce. Je suis dans une salle à écouter les chansons avant tout le monde. Je fais les transferts, je ne vois personne, je fais juste mon job. Mais c’est bien, je fais partie du projet !
Dans le weekend, la porte s’ouvre et je vois arriver John Lennon qui entre dans la pièce. Ma pièce ! (étonné) Bien sûr, tu le sais, je suis un grand fan, c’est dément ! Et là il me dit : « Ca t’ennuie si je reste ici quelques minutes, j’ai besoin de rester à l’écart de tout ça pendant un moment ? » Et moi, je suis là : « Euh, ah, euh oui, bien sûr, assis-toi ! Je suis le gars qui fait tous les editings ! » Là il me répond qu’il sait, que je fais un super job, il me remercie… Et il s’assoit sur le canapé de l’autre côté de la console et je continue mon travail. Tout ce que je vois ce sont ses baskets sur le rebord de la fenêtre et de la fumée qui vient de sa cigarette. Je continue mon boulot et lui il est là, assis, à fumer tranquille. Au bout de 10–15 min, je finis par lui dire : « Hum hum, tu sais, je suis allé à Liverpool ! » Il bouge la tête et me dit : « Tu es allé à Liverpool ? Mais d’où viens-tu ? » Je lui ai dit que j’étais de New York, que j’étais né et que j’avais grandi à New York, mais que j’étais allé à Liverpool parce que je voulais y faire de la musique. Là il me répond : « Ah ouais, vraiment ? Parce que c’est comme si tous les gens de là-bas veulent venir ici ! Je n’y crois pas que tu sois allé là-bas, c’est vraiment drôle ! Mais comment ça s’est passé pour toi là-bas ? As-tu réussi à y faire de la musique ?! » Là je lui réponds que ça s’est passé, bien et mal à la fois, que j’ai passé un super moment là-bas, mais qu’on a fini par m’expulser et qu’avant ça, ça avait fait beaucoup de bruit… Là il me dit : « Vraiment ? Tu faisais partie de ces Yankees complètement fous qui étaient dans les journaux ?! » Je lui ai dit qu’il s’agissait de nous. Dans une des photos, sur la couverture du journal de Liverpool, j’avais ma Les Paul de 54 à la main. Il me regarde et me dit : « Les Paul Custom de 54, c’est ça ? » Je lui dis : « Oui ! » Et là il me fait : « Je n’arrive pas à croire que je te rencontre ! C’est incroyable ! » (Rires) On a regardé toutes vos photos, on a suivi vos aventures et on se disait : « Wow, c’est vraiment cool ! » On s’est bien marré « Mais qu’est-ce que ces blaireaux viennent faire ici ?! » Je n’y crois pas, je te rencontre ! Tous ces endroits dans lesquels je suis allé, et finalement c’est ici que je te rencontre ! » Il était très étonné. « C’est trop cool ! Quand tu as fini, passe me voir au studio ! », là où ils enregistraient. Je vais donc au studio, j’ouvre la porte de la régie et tous les gars qui bossaient sur la session m’ont regardé du genre « Mais qu’est ce que tu fous ici ? Tu n’es pas censé être là ! » J’étais à deux doigts de leur dire « Hey, je suis avec lui ! » quand d’un seul coup John se lève et me dit : « Hey, Jack, viens, entre ! » Je reste assis et après la séance, il me demande où j’habite. Je lui dis que j’habite à East Village. « Oh, j’habite à West Village ! je te ramène chez toi ! » (très étonné) J’ai accepté. Je rentre dans la limousine, et là il me dit : « Écoute, on vient juste d’emménager à New York, dans le quartier de West Village. Est-ce que tu connais un endroit où on pourrait aller tard le soir ? Un endroit où on ne serait pas reconnus, où on pourrait prendre un thé ou manger un morceau, tu vois le genre ? » Bien sûr, je connaissais plein d’endroits comme ça, c’est ma vie, je vis ici ! Là je leur dis : « OK, on va au Pink Tea Cup » ou un endroit dans le genre. On y va, je fais un tour et dit (au manager du restaurant) : « Je suis avec quelqu’un de spécial, j’aurais besoin d’aller dans la salle du fond… » Pas de problème. On va au fond du bar et là, tous les soirs après les séances il est là : « Allez Jack, on y va ! » Un jour il me demande mon numéro de téléphone. Après il m’appelle : « Hey, comment ça va ? » C’est dingue ! (Rires) « Qu’est ce que tu fais ce soir ? » — Oh, je ne sais pas… « Allez viens, on va à une soirée ! » Ils aimaient bien m’avoir près d’eux, avoir un New-Yorkais avec eux. Donc au départ nous étions amis puis il m’a demandé de travailler avec Yoko et lui sur un projet. C’était donc d’abord de l’amitié et après, tu vois… Grâce à eux, je commençais à avoir des projets de réalisation et il était là « Bien, bien ! » Il m’encourageait beaucoup…
C’est une belle histoire !
Oui ! Tout ça parce que je suis allé à Liverpool ! (Rires) Il y a une photo sur le net. La photo où je suis avec ma guitare, je crois que tu peux la trouver sur le net.
Rudolph Isley vint me voir juste après et, en me pointant du doigt, il me dit : « Je te donne 2 jours. Tu mixes l’album TOI ! »
C’est donc comme ça que tu as commencé avec John Lennon… L’autre « nom » — que l’on ne peut oublier de mentionner quand on évoque ta carrière — est Aerosmith. Comment t’es-tu retrouvé à travailler avec eux ?
Eh bien, pour Aerosmith… en fait ce que je faisais c’est que j’avais fait les prises du premier album des New York Dolls, réalisé par Todd Rundgren. Et ça n’a pas été une bonne combinaison. Je suis un mec de New York, je trainais pas mal chez Max à Kansas City, je connaissais tout le monde, Patti Smith, Lou Reed, tout le monde. Ils faisaient partie de ce que je vivais à New York. Donc je connaissais tout le monde là-bas. Quand ils ont voulu faire l’album, le label a dit : » Oh mais on voudrait Todd Rundgren à la réalisation, c’est vraiment un réalisateur qui a le vent en poupe ! » ce à quoi les Dolls ont répondu : « Oui, mais est-ce qu’on pourrait au moins bosser avec Jack pour les prises ? Quelqu’un à qui on pourrait parler et qui nous connaît ? » Je me suis donc retrouvé à enregistrer l’album, ce qui a rapidement déplu à Todd. Il n’était pas à l’aise avec le groupe, il ne venait plus aux séances… Parfois, il appelait et me demandait comment ça allait. Les mecs du groupe étaient vraiment à l’ouest et bien hardcore comme tu peux t’en douter ! Mais bon, d’une certaine manière, on a réussi à faire cet album alors que personne ne pensait le voir fini un jour. Ils n’avaient aucune discipline, ils n’étaient pas professionnels, ils étaient défoncés la plupart du temps, drogués, c’était le bordel ! Mais on a réussi à faire cet album qui est devenu un classique ! Todd est revenu pour le mixer, mais il n’était pas présent aux séances la plupart du temps…
Les managers des New York Dolls étaient très contents de moi, car je n’avais rien dit au label ; je suis resté très discret sur ce qu’il se passait en studio. Quand le label appelait, je leur disais que Todd était avec nous, mais qu’il était allé chercher quelque chose à manger, qu’ils ne devaient pas s’inquiéter, que tout se passait super bien ! Mais le management était plutôt du genre : » Ouf, on ne pensait pas que cet album pouvait être terminé ! On est vraiment content de toi ! Peut-être voudrais-tu jeter une oreille sur nos nouveaux protégés ? » qui étaient Aerosmith… Je leur ai demandé de m’envoyer à Boston pour les écouter. Et grâce à mon amour pour les Yardbirds, après le concert, on s’est assis et on a parlé de Jimmy Page et de Eric Clapton et du son de guitare, de l’influence qu’a eu le groupe… Il s’est avéré qu’on avait tellement de choses en commun, le groupe et moi-même, que ça a tout de suite fonctionné entre nous. C’est là qu’on a commencé une grande relation de travail. Puis on est devenus amis, on sortait pas mal ensemble… À certains moments ça a pu créer de gros problèmes, mais… (Rires) Pas depuis quelques années ! Depuis quelque temps on s’est bien calmé ! (Rires)
Tu as fait un paquet d’albums avec eux…
Oui, j’ai fait plein d’albums avec eux au cours de ma carrière. J’ai produit Alice Cooper ; j’ai fait les prises d’Alice Cooper et Bob Ezrin ne voulait pas faire le dernier album avec le groupe ; il était focalisé uniquement sur Alice. J’ai travaillé sur Billion Dollar Babies et School’s Out et là il m’a dit : « tu les produis ». J’ai donc commencé par réaliser un album seulement, c’était un gros album puis Aerosmith… J’ai découvert Cheap Trick dans un bowling, ils jouaient au milieu de nulle part. Je les ai fait signer puis Patti Smith me dit : « Allez Jack, faisons un album ! » Ça s’est fait comme ça, de fil en aiguille, et c’est comme ça que j’ai fait mon truc. En même temps je faisais d’autres choses, car à l’école j’ai été formé en tant que compositeur. Je faisais donc d’autres trucs à côté comme écrire des musiques pour des émissions de télé, ou pour des pubs, mais sous un autre nom. Mon nom est « Jack Douglas », mais « Jack » est un surnom pour « John »… « John Douglas » c’est mon nom et « Jack Douglas », mon surnom… J’ai donc fait tous ces autres projets en tant que « John Douglas » parce qu’à l’époque, si tu faisais d’autres trucs, tu étais un vendu ! Tu vois ce que je veux dire ? « Oh, tu fais une musique de pub pour la radio ?! T’es un vendu ! » Aujourd’hui tout est plus cool, mais à l’époque… Je faisais donc des émissions de TV, j’écrivais de la musique pour ça et le faisais en tant que John !
C’était un peu comme avoir un jumeau !? (Rires)
Oui, c’est ce type-là ! (Rires) Le même gars en fait… Mais c’était bien pratique quand je devais faire les arrangements pour mes groupes, je savais le faire.
Moi aussi j’ai été un amateur à une époque. (…) J’enregistrais mon groupe et je trouvais que c’était la meilleure chose au monde !
Tu es multitâche ! J’aimerais aborder l’aspect un peu plus technique des choses ; parler un peu de l’équipement que tu utilises, les choses avec lesquelles tu aimes travailler. Tu as beaucoup travaillé au Record Plant à tes débuts et depuis je suis sûr que tu as découvert plein de studios. As-tu ton propre studio aujourd’hui ? Est-ce que tu as ta propre installation quelque part ?
Oui, j’ai mon propre studio, à Los Angeles, au Swing House. C’est équipé d’une API et c’est rempli de périphériques ! Dans un des studios, on a une Neve 8058 et dans l’autre une API. On peut enregistrer dans une cabine et mixer dans l’autre. Mais tu sais, j’utilise beaucoup de périphériques, de préamplis micro ; je veux dire, avec la Neve déjà, on a plein de beaux préamplis micro. Mais parfois ça peut sonner un peu « sale », certains instruments ne fonctionnent pas de manière optimale avec ces préamplis et là j’utilise des périphériques externes. Il y a des trucs que j’aime In the Box, comme les plug-ins Waves. J’adore le Decapitator de chez SoundToys ! Il y a plein de super trucs, mais généralement je préfère éclater un mix sur une console et utiliser un maximum de trucs. J’aime écouter quel instrument je suis en train d’enregistrer et quel préampli je veux utiliser ; il y a tellement de super préamplis micro, tellement beaux, tellement musicaux…
Lesquels aimes-tu utiliser ? J’ai lu que, dans les nouveautés, tu aimais les Grace Design par exemple…?
Oh oui ! Mais tu sais je finis souvent avec un 1073 !! (Rires) Un 1073, 2 compresseurs, un 1176 et un LA2A et un Neumann U48, qui est un 47 avec une polarité bidirectionnelle. Pour les voix.
Que du vintage en somme ?!
Oui, c’est vrai… C’est vrai que j’aime ce son. Les harmoniques… Il me semble que ça marche pour tout le monde en fait, tu sais. Sauf pour John ; John utilisait un 67. C’est marrant parce que quand tu regardes toutes ces photos cultes de John et Paul en train de chanter, il y a avait un 47 ou un 48. Quand tu les vois chanter face à face, c’est un 48. Mais j’avais un U67 quand je l’ai enregistré à Hit Factory. Quand j’ai mis différents micros pour qu’il essaie, le 67 était parfait pour sa voix. J’avais l’impression qu’il chantait à côté de moi. Et il aimait le son de sa voix dans son casque. Et moi aussi, beaucoup. Les 67 sont top.
Et en ce qui concerne les nouveaux trucs ?
J’aime beaucoup les Peluso. Ils font de très bonnes copies de 47 et 67. Je peux même dire, leur 67 sont devenus mes micros de prédilection pour faire des overheads. J’ai deux micros appairés, ils sont sublimes.
Et chez Microtech Gefell ?
Ah ouais, je les adore ! J’ai été amené à utiliser des Gefell pas mal de fois… J’ai cette barre de couple que j’utilise essentiellement avec… je ne me souviens plus de la référence, mais ils ressemblent à des cornets de glace ! (M300) J’ai une paire de ces micros, l’image stéréo sur les overheads est parfaite. C’est comme si tu voyais les fûts et les cymbales dans les micros d’overheads. Et c’est le son que je préfère, comme si je pouvais le voir, comme si je pouvais le toucher. J’aime entendre la basse comme si c’était un énorme câble bien épais que je peux prendre dans ma main ! (Rires) C’est le son que j’aime. J’aime aussi beaucoup les micros à ruban…
Comme… les Royer ?
Oui, le nouveau Royer, celui qui est alimenté, le 122, c’est ça ? Sur les guitares c’est juste parfait. Quand je me retrouve à utiliser plusieurs micros, je suis vraiment exigeant pour obtenir une phase correcte. Je vais bouger d’un centimètre et je vais regarder Brian (assistant du Studio Marcadet, où Jack a enregistré Blackrain) ou Huard (l’ingénieur maison de Spring House, qui travaille beaucoup avec Jack), Jim Messina (ingénieur de Aerosmith et collaborateur de Jack Douglas de longue date) ou n’importe quelle personne avec qui je suis en train de travailler et je vais leur dire : » Hmm, oui, on y est, non… on y est presque ! » Je suis très exigeant avec ça. Je peux avoir 5 micros en même temps, mais quand je commence à mixer, je peux changer le son de la rythmique sur le refrain par rapport au couplet. J’aime bien avoir ça, avoir cette combinaison. J’aime bien utiliser des couples de micros. J’ai la chance à Spring House d’avoir une pièce isolée de cette taille (10 mètres carré) et une plus grande pièce, plus brillante donc je peux avoir un stack Marshall ou un ampli boutique et avoir un petit Fender Twin à l’ancienne dans la petite cabine, et les avoir en même temps. J’utilise le Little Labs STD pour gérer les longues distances de câbles. J’aime beaucoup ce truc.
Pareil avec les batteries. J’ai 2 kits que j’aime beaucoup. Un de chez Ludwig, un VistaLite avec une très vieille caisse claire fine. Et l’autre kit — assez difficile à avoir d’ailleurs — vient d’une marque qui s’appelle RedRock et qui vient d’Australie. Ils les font dans un bois très spécial, je crois que c’est du Jarrah Wood ou un truc dans le genre, très fin. J’ai deux caisses claires de chez eux, une de 5 pouces et une de 7 pouces de profondeur, et elles sonnent superbement bien. Juste énormes et bien claires, l’accastillage est super, la grosse caisse, les toms sont super… C’est très différent d’une VistaLite, qui est tout en plastique avec une caisse claire un peu « molle » par rapport à un kit fait dans un bois rare, très bien réglé… Ce sont des batteries faites à la main, qui affichent un prix exorbitant, mais… quand un batteur s’assoit derrière le kit, il me demande forcément d’où ça vient ! « Des batteries du pays des kangourous mon cher, ça vient d’Australie, qu’est ce que je peux te dire de plus ??! »
Et j’ai cette vieille grosse caisse Ludwig, qui fait à peu près 1 m de haut, 60 cm de large que je mets devant la grosse caisse, à 30 cm, dans laquelle je mets un 47. Ensuite je fais un tunnel et je prends mes micros à ruban, et ça fait comme un résonateur « Boom ! Boom ! », ce vieux son de grosse caisse. Donc une grosse caisse est vraiment tendue, l’autre est juste « boomy » et devant celle-là je mets un ruban. Même les micros à ruban chinois pas chers sonnent pas mal ! Vraiment ! Les Cascade, ils ont un son que j’aime bien. J’utilise des Cascade devant les amplis parfois, juste pour essayer quelque chose de différent d’un Royer… Mais j’ai souvent un 47 ou un 57 avec moi ; je sais que je peux compter dessus !
Est-ce que tu enregistres toujours sur bande ?
J’utilise le système CLASP. Mais tu sais ça dépend de quel genre de musique je dois enregistrer. Si c’est du rock, j’enregistre sur bande. J’ai 3 systèmes CLASP ; quand on a fait l’album d’Aerosmith, on avait un 16 pistes Studer A800 qui tournait à 15 ips, uniquement pour les batteries. Ensuite on avait un 24 pistes qui tournait à 30 ips pour tout le reste, à l’exception de la basse qui elle était enregistrée sur une machine mono à 7,5 ips. Je n’avais pas à me soucier de la synchro ou quoi que ce soit, le CLASP s’en charge… Je disais parfois : « Oh désolé, je rembobine ! », je rembobinais la machine et réutilisais la bande. La bande est difficile à trouver, mais ils en refont aujourd’hui, tous les types de bandes. Il y a quelques fabricants que j’ai eu la chance de découvrir, ou même des gens qui vendent de la bande archivée, comme neuve. J’aime beaucoup les vieilles Ampex, quand je peux en avoir. Je viens juste d’acheter un Studer — celui juste avant le A800 — le même qu’ils utilisaient pour Led Zeppelin… Il sonne comme un bon Studer, bien fat. C’est une A quelque chose, je ne me souviens plus. Je l’ai eu pour rien du tout ! Mais je crois que plus les gens vont se pencher sur le CLASP, plus on va voir la cote grimper. J’ai vu un Studer A827, les prix ont déjà monté. Et tu vois, il y a un an à peu près, je l’ai eu pour presque rien. Juste parce qu’il y a le CLASP, ça change tout. Je veux dire, si tu aimes le son…
Eh oui, je mixe sur bande aussi, je mixe sur un ATR 1/2 pouce et en parallèle je couche mes mixes dans Pro Tools comme ça, quand je vais au mastering — oui parce que je vais à toutes les sessions de mastering — j’emmène les deux versions et l’ingénieur de mastering charge les deux dans son logiciel, ensuite j’écoute et je prends la version que je préfère, celle qui me paraît la mieux. Ah oui, j’avais l’habitude d’utiliser une autre machine aussi ; j’avais un vieil Ampex 300 1/4 pouce à lampes qui est un vrai bolide, je peux vraiment rentrer dedans en termes de niveaux. Il n’y a même plus de vumètres ; je les ai enlevés ! Ils ne me servaient à rien ! Je rentrais dedans super fort, je prenais une bande 1/4 pouce — je ne l’utilise plus aujourd’hui, car c’est vraiment trop pénible à entretenir —, mais il m’est souvent arrivé de me dire : « OK, on va utiliser tous les refrains qui viennent de ce 1/4 » ! » Je m’en fiche. L’intro peut venir de Pro Tools, les couplets peuvent provenir du 1/2 pouce, mais les refrains viendront de celui-ci, parce qu’il y a ce petit crunch… Aujourd’hui il existe des plug-ins de simulation de bande qui sonnent très proche de cette sonorité… Ça ne vaut plus la peine pour moi d’effectuer des travaux de maintenance sur cette machine.
Lesquels aimes-tu utiliser ? Les Waves Kramer Tape… Ou les UAD ?…
Sur mon convertisseur, j’ai un réglage de simulation de bande. Ça marche très bien aussi ! J’ai un Lavry, le Blue. Parfois, j’enclenche cette fonction et : « Woooh ça sonne super bien ce truc ! »
C’est très stimulant, car il y a tellement de genres de musiques que les gens peuvent écouter qu’ils ne pouvaient pas écouter auparavant…
Super ! Parlons un peu de ton point de vue à propos de l’industrie musicale actuelle. Comment vois-tu les choses aujourd’hui, tant d’un point de vue technique, humain que financier ? Qu’est ce qu’il manque d’après toi aujourd’hui ?
Je ne pense pas qu’il manque quoi que ce soit aujourd’hui… Je veux dire, c’est très excitant, car il y a tellement de genres de musiques que les gens peuvent écouter ce qu’ils ne pouvaient pas écouter auparavant… Il fallait être un passionné pour aller dans un magasin de disques et trouver quelque chose de particulier. Il fallait aller chez un spécialiste ; aujourd’hui on peut trouver à peu près tout ce qu’on veut… sur le net. L’inconvénient de tout ça, c’est qu’on ne paie pas l’artiste pour ça. Les gens mettent la musique à disposition, il suffit juste de la partager puis de la télécharger et tout est gratuit ! C’est le côté triste de la chose : c’est vraiment dur pour un artiste de gagner sa vie grâce à la musique enregistrée. Tu sais, la musique enregistrée est devenue pour moi un moyen de vendre des places de concert, mais enregistrer de la musique aujourd’hui n’a jamais été aussi excitant. Il y a bien plus de styles de musiques qu’avant donc ça me plaît !
Je suis aussi très enthousiaste à l’idée que des amateurs puissent faire de la bonne musique chez eux. Je ne suis pas en compétition avec eux ; je suis en compétition avec moi-même. Je suis toujours très heureux d’entendre ce que quelqu’un est en train de faire. J’aime quand on sort un nouveau truc et que les gens le mixent. Ou quand par exemple un DJ remixe un titre, c’est super. Beaucoup voient cela d’un mauvais œil quand des amateurs s’enregistrent à la maison, mais je n’oublie pas que moi aussi j’ai été un amateur à une époque. J’avais une petite machine Crown avec laquelle j’enregistrais mon groupe et je trouvais que c’était la meilleure chose au monde ! Je pense que c’est bien.
J’aime la technologie, on est au mieux, on peut choisir de travailler comme on veut. On peut aller beaucoup plus vite à faire un disque aujourd’hui qu’avant. Regarde, un album d’Aerosmith prend pratiquement un an à faire parce qu’ils ont le budget pour le faire et parce qu’ils peuvent prendre leurs marques et réfléchir à l’album, parfois un peu trop même… Mais c’est un luxe qu’ils aiment s’offrir ; ils aiment le processus d’enregistrement. Ils ont envie de prendre un an pour faire un album. Ils veulent ça ; c’est amusant pour eux ! Et après ils repartent sur la route et ils se refont un paquet de dollars ! (Rires), mais tu vois, avec Michael Monroe, j’ai fait cet album, il est très populaire. Mais à faire, ça n’a rien coûté. Littéralement, le studio nous a coûté 8000 dollars et avec le recul c’était très sympa à faire ; parce qu’on a pu y aller à fond dans cet album. On arrivait tous les matins vers 10 h, on commençait à bosser puis on s’en allait avant de devenir fou, quand tes oreilles te lâchent, tu sais vers 22–23h. Boom ! Tu travailles, tu réfléchis à ce que tu as fait, tu reviens et tu bosses ! Et avec les technologies d’aujourd’hui, si tu connais bien ton matériel, tu fais les choses comme il faut, rapidement…
En gros tu es en train de nous dire qu’aujourd’hui nous disposons de tous les outils que nous voulons avoir ?
C’est ça !
John Lennon m’a regardé et il a dit : « Je pense qu’on tient un bon album là. Maman !! Dis au monde qu’on est en train de faire un album ! »
OK, terminons par le questionnaire à la Bernard Pivot…
Quel est ton meilleur souvenir d’enregistrement ? S’il y en a un !
Oh… réaliser un album de John Lennon… Parce que personne ne savait qu’on était en train de faire un disque. Parce qu’il ne se savait pas s’il allait marcher ou non. Parce qu’il était resté en retrait pendant un moment. On enregistrait donc en secret. Et le jour où nous avons fait les voix de Watching the Wheels, il est entré, il s’est assis à côté de moi, il a écouté et j’ai pensé : « C’est pas mal du tout !… » Il m’a regardé et il a dit : « Je pense qu’on tient un bon album là. Maman !! Dis au monde qu’on est en train de faire un album ! » C’était juste… J’ai pensé : « Oh, mon Dieu, je travaille avec lui ! »… C’est incroyable. Ce fut une expérience extraordinaire.
Et ton pire souvenir ? Celui avec Patti LaBelle…? (Rires)
Oh que oui ! (Rires)
Avec quel artiste voudrais-tu travailler aujourd’hui ?
J’ai toujours eu envie de bosser avec les Stones… (Rires)
Ah oui ? Et pourquoi donc, tiens ? (Rires)
Simplement parce que j’aime leur musique ! J’aime les personnages du groupe. Je les connais tous, mais on n’a jamais été amenés à faire un disque ensemble. Je veux dire, il y a plein de super artistes, mais, pour moi, ce serait génial de faire un disque avec eux.
Tu es engagé pour travailler avec un artiste, mais tu as le droit de n’emporter que 5 instruments/périphériques avec toi. Que prends-tu ?
Oh c’est simple. Un couple de 57 !
OK ça fait 2 mais disons que non, ça ne fait qu’un élément ! (Rires)
Un couple de 57 ! Deux 1073, deux 1176. Où j’en suis ? J’y suis déjà ? Ah oui, un 4 pistes ! (Rires) Ça y est c’est bon !
Pas d’enceintes ?!
Non, un casque ! Pas de place, pas de régie donc au casque !
Enfin, dernière question : as-tu une citation en musique, un leitmotiv que tu aimes employer ?
Non… je veux dire, la seule chose à propos de ce que je fais c’est d’être là. Beaucoup de gens ne le font pas… Ils ne sont pas « présents ». Tu te dois de venir au studio d’abord. Chaque fois que je commence un projet — et je fais ça depuis un moment — je suis inquiet et j’ai peur. Je me remets en cause. Quand ça, ça s’arrêtera, j’arrêterai de faire des disques. Donc je me pointe, je suis super enthousiaste, jamais blasé de quoi que ce soit. Je suis du genre : » Wow, ça va être vraiment cool ! » Et qui sait, peut-être qu’un jour j’arriverai à avoir le son que j’ai dans ma tête que j’essaie d’obtenir. Peut-être que ce sera LE « truc que je cherche depuis toujours ». Je suis sans cesse à la recherche de ça, CE son, la caisse claire parfaite, la grosse caisse parfaite, le disque parfait. Je ne l’obtiens jamais !
Mais toutes ces choses me stimulent et me poussent à travailler sur un projet. Quand j’aurai perdu la flamme, je resterai chez moi à écrire des musiques de film. Mais c’est l’excitation et la peur qui font que je continue !