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Interview / Podcast
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Interview de Bob Power (A Tribe Called Quest, The Roots, Chaka Kahn) - La musique au pouvoir

La production, les prises, le mixage mais aussi le mastering : Bob Power a touché à tout. Il est dans le circuit depuis assez longtemps pour avoir pu assister aux premières loges au passage de l’analogique au numérique, à la chute de l’industrie du disque, à la montée en puissance d’internet, et pour ainsi dire à tout ce que l’on peut imaginer durant cette période. Il s’est fait une place dans l’industrie musicale grâce à son travail en tant qu’ingénieur du son spécialisé dans le mixage pour le groupe hip-hop culte A Tribe Called Quest, ainsi que pour son travail de réalisation artistique et de mixage pour des artistes estampillés R&B tels qu’Erykah Badu, D'Angelo, Me'Shell Ndegéocello, The Roots ou encore Chaka Kahn, le tout sans jamais avoir manqué de travail. À présent, il enseigne aussi la production musicale au prestigieux Clive Davis Institute of Recorded Music de l’Université de New York (NYU).

Interview de Bob Power (A Tribe Called Quest, The Roots, Chaka Kahn) : La musique au pouvoir

Power ne s’est jamais gêné pour dire ce qu’il pensait. Lorsque nous nous sommes entre­te­nus avec lui récem­ment, il avait plein de remarques perti­nentes à faire sur la produc­tion musi­cale et la tech­no­lo­gie qui lui est asso­ciée.

Vous vous êtes vrai­ment fait connaître en enre­gis­trant et mixant A Tribe Called Quest dans les années 90. Qu’est-ce qui, dans leur musique, était si révo­lu­tion­naire et si origi­nal ?

Power promo Rainbow hires3x2

Ce qui était si spécial avec leur musique, c’est facile à entendre : des construc­tions musi­cales vrai­ment très sophis­tiquées pour l’époque. Ils utili­saient essen­tiel­le­ment des samples, ce qui n’était alors pas si courant, en partie parce que la tech­no­lo­gie ne le permet­tait pas. Les tech­no­lo­gies d’échan­tillon­nage n’étaient pas encore aussi déve­lop­pées.

C’était encore l’époque de l’Akai S900. Niveau réso­lu­tion, c’était du 16 bits ?

Du 12 bits.

C’est vrai.

Et les premiers SP12, c’était du 12 bits.

Sur le plan artis­tique, qu’est-ce qui rendait A Tribe Called Quest si fasci­nant ?

Tout d’abord, et ceci pour n’im­porte quel disque, il faut de super morceaux. Et ils illus­trent parfai­te­ment à quel point il peut y avoir énor­mé­ment de types diffé­rents de bonnes chan­sons, pas besoin de forcé­ment faire du Billy Joel. Leur autre atout, c’était leur capa­cité à assem­bler la musique. Encore une fois, pour l’époque, leur utili­sa­tion des samples était parti­cu­liè­re­ment sophis­tiquée : au lieu d’avoir la même boucle qui se répé­tait de bout en bout, ils recom­bi­naient de façon très travaillée de nombreux éléments qui au départ n’avaient rien à voir. Et puis, les deux MC, Q-Tip et Phife, avaient aussi beau­coup de carac­tère. Ils étaient vrai­ment très complé­men­taires, et leurs styles et leurs messages étaient inté­res­sants à écou­ter. J’ai remas­te­risé quelques-uns de leurs morceaux pour les sorties commé­mo­rant leur 25e anni­ver­saire. C’est fasci­nant de réécou­ter en boucle des chan­sons que j’ai écou­tées il y a 25 ans ; elles ont gardé tout leur charme.

La MPC était-elle déjà sortie à l’époque ?

Pas au début. Au départ, il y avait juste l’EMU SP12 et le S900.

S900
Le S900 d’Akai, l’un des premiers sampleurs utili­sés par A Tribe Called Quest

J’ai eu un S950, et je me rappelle que tout était sauve­gardé sur disquettes, il n’y avait pas encore de disques durs.

C’est vrai, et si vous aviez quelque chose qui était plus long que le temps d’échan­tillon­nage maxi­mum, qui n’était pas parti­cu­liè­re­ment long, on devait alors le sampler en deux morceaux qu’il fallait ensuite envoyer sépa­ré­ment dans le multi­piste.

Je trouve ça inté­res­sant, cette façon dont les évolu­tions tech­no­lo­giques entrainent le déve­lop­pe­ment de nouveaux styles musi­caux.

C’est clair. Il y a un paral­lèle fasci­nant entre le déve­lop­pe­ment des tech­no­lo­gies, notam­ment les tech­no­lo­gies utili­sées pour les instru­ments, et la façon dont la musique popu­laire est conçue et sonne. Et il n’y a aucun style dans lequel ce lien est plus évident que le hip-hop, où l’on a vu les struc­tures des morceaux se complexi­fier avec l’ex­ten­sion des durées des samples.

C’est vrai. Je pense toujours à l’évo­lu­tion du reggae dub, où les effets de délai sont deve­nus si impor­tants dans le son.

Et c’étaient des délais analo­giques, à bande !

Et donc, selon vous, quel a été l’im­pact de la tech­no­lo­gie sur le hip-hop entre cette époque et main­te­nant ?

Disons que ce n’est plus le même monde. À l’époque, tout était très diffi­cile à faire tech­nique­ment. Aux débuts du MIDI, les inter­faces étaient vrai­ment bizarres. Les sampleurs en étaient à leur préhis­toire, pareil pour les séquen­ceurs. Il n’y avait pas d’ins­tru­ment virtuel permet­tant de travailler en MAO, tout repo­sait sur du maté­riel externe. Il fallait se synchro­ni­ser aux bandes, et il fallait forcé­ment enre­gis­trer sur bande vu qu’à l’époque il n’y avait pas de multi­pistes numé­riques. La première version de Pro Tools s’ap­pe­lait Sound Tools, elle ne marchait qu’en stéréo et sonnait affreu­se­ment. On travaillait avec l’en­re­gis­treur de 24 pistes, le synthé et le sampleur, avec une tech­no­lo­gie de séquençage qui commençait tout juste à balbu­tier. Si on compare à notre époque où il suffit presque de lancer sa STAN et d’ap­puyer sur la barre d’es­pace pour que tout marche, on n’est plus du tout dans le même univers, tech­nique­ment parlant.

C’est sûr.

Ce qui est inté­res­sant, c’est que ce qu’il se passe main­te­nant ressemble à ce qui est arrivé aux débuts du MIDI en matière de démo­cra­ti­sa­tion de la produc­tion musi­cale. Ça a popu­la­risé l’en­re­gis­tre­ment musi­cal, n’im­porte qui peut ache­ter un ordi­na­teur portable et obte­nir quelque chose qui ressemble à un morceau, enre­gis­tré par ses soins en une heure et demie. Ceci dit, c’est inté­res­sant de voir à quel point, après tout ce temps, tout semble cyclique : le marché est saturé, il y a plein de choses qui sortent, dont la plupart n’a pas beau­coup d’in­té­rêt. Donc, je suppose qu’au final on en revient toujours à une excel­lente inter­pré­ta­tion d’une très bonne chan­son. Si vous gardez ça en ligne de mire, alors vous vous rendez compte que même si tout a changé, cet aspect n’a pas évolué.

Main­te­nant, la botte de foin est telle­ment énorme que l’ai­guille est obli­gée de faire un marke­ting d’en­fer pour qu’on la remarque, au moins en ligne. Mais c’est vrai que c’est un autre univers, et les labels n’ont plus la même influence qu’au­pa­ra­vant.

Oui, et ils font bien plus atten­tion. Pour ce qui est de l’uti­li­sa­tion de leurs ressources, ils sont bien plus réti­cents et portés sur la stra­té­gie. Ils signent moins d’ar­tistes : 20 ans en arrière, 80% des gens signaient des contrats avec un label dont on n’en­ten­dait jamais parler au final. Aujour­d’hui ils ne peuvent plus se le permettre. Ils ont été rattra­pés par les écono­mies d’échelle, d’une certaine façon.

Aujour­d’hui, est-ce que vous utili­sez davan­tage Logic ou Pro Tools ?

Les deux ! Quasi­ment tout ce que je mixe me parvient sous la forme de projets Pro Tools, contre, je dirais, peut-être 8% sous Logic. Depuis que le format Audio Unit existe, j’ai mes synthés et mes plug-ins prêts à utili­ser sur les deux plate­formes. Le plus souvent, les mêmes plug-ins sont dispo­nibles dans les deux formats, donc ça revient vrai­ment au même. Et puis, depuis que le code audio de Pro Tools a été réécrit, tout sonne telle­ment bien… Tous deux fonc­tionnent en virgule flot­tante, et je crois que leurs trai­te­ments internes se font en 32 bits.

Et est-ce que vous préfé­rez l’un à l’autre ?

Non, je n’ai pas de préfé­rence entre les deux. Même si j’uti­lise en géné­ral Logic pour le MIDI et de nombreuses produc­tions, la plupart du boulot que je fais pour des clients est sous Pro Tools. J’uti­lise Logic depuis sa créa­tion sur Atari. Au départ, il s’ap­pe­lait Crea­tor, puis Nota­tor et la première fois que je l’ai utilisé c’était sur un Atari 1040 parce que je ne pouvais pas me payer un Mac. Ceci dit, c’était une plate­forme incroya­ble­ment fiable. Rudi­men­taire, comme tout ce qui se faisait à l’époque, mais il y avait un port MIDI inté­gré. C’était plutôt impres­sion­nant.

Bob Power homepage
Le site web de Bob Power comporte les cita­tions « Vibe is Every­thing » (« c’est le feeling qui fait tout ») et « I just turn knobs until it sounds good » (« je me contente de tour­ner les patrds jusqu’à ce que ça sonne bien »).

Parlons un peu mixage. Aujour­d’hui vous travaillez sur MAO, c’est bien ça ? Ça doit beau­coup vous chan­ger ?

Ouais, c’est le cas depuis que j’ai cessé de mixer en studio, ça doit faire sept ou huit ans main­te­nant, Ceci dit, je travaillais déjà essen­tiel­le­ment sur MAO avant ça. Je n’uti­lise pas d’in­sert analo­gique sur les pistes indi­vi­duelles, seule­ment un bus stéréo analo­gique. Mon bus stéréo est sympa, avec un Vari-Mu de chez Pendu­lum, un API 2500, des égali­seurs Tube-Tech, des égali­seurs GML, un égali­seur Prism Mase­lec… Ouais, des trucs vrai­ment sympas.

Vous utili­sez encore tout ça ?

Plus vrai­ment. Je l’uti­lise pour le maste­ring, parce que je n’ar­rive toujours pas à obte­nir les mêmes résul­tats en restant exclu­si­ve­ment sur MAO. Ceci dit, j’en­tends dire que certains des grands noms du maste­ring commencent à le faire.

Vrai­ment ? C’est impres­sion­nant !

Oui. Enfin, pour moi c’est une vraie héré­sie, mais ça m’in­té­res­se­rait d’ex­plo­rer cette piste.

OK, je vois. Faites-vous beau­coup de maste­ring, ou est-ce juste une petite part de votre acti­vité ?

Ça compte peut-être pour 15% de mon travail.

Et que pensez-vous de logi­ciels comme Ozone ou autres, avec lesquels il suffit quasi­ment de lancer un preset pour s’ap­pro­cher du but ?

Je pense qu’Ozone est vrai­ment un bon logi­ciel, qui est très en avance sur plein d’as­pects. Quant aux presets, ce ne sont que des presets, c’est bon pour les crétins, pour ce que j’en dis.  

[Rires] Et avez-vous essayé le dernier Ozone, avec la fonc­tion Master Assis­tant qui analyse votre musique et vous propose un « point de départ » ?

Je n’ai pas encore installé la dernière version.

OK.

Je fini­rai bien par le faire parce que ça m’in­té­resse d’en­tendre ce qu’ils ont fait. Ozone a été mon limi­teur préféré pendant long­temps, et c’était bien de tout avoir dans une seule inter­face. Mais le problème avec leur limi­teur, même si je trouve qu’il sonne super­be­ment bien, c’est qu’il n’avait pas de réglages sépa­rés pour les temps d’at­taque et de relâ­che­ment. Il n’y avait qu’un seul réglage, et je n’étais jamais sûr lequel de ces deux para­mètres il affec­tait le plus.

Avec des enceintes de moni­to­ring, la notion de « neutra­lité » n’existe pas. Tech­nique­ment parlant, même l’oreille humaine n’est pas neutre.

Je crois que c’est toujours le cas, mais ils changent l’al­go­rithme de leur limi­teur assez souvent.

Oui, je crois que c’est leur algo­rithme III qui a long­temps été mon favori. Il conserve la profon­deur de manière incroyable. Mais ne pas dispo­ser d’un réglage séparé du temps de relâ­che­ment est tout de même un gros problème, parce que, comme vous le savez proba­ble­ment, le temps de relâ­che­ment et l’ac­tion du limi­teur comptent pour 50% des problèmes de distor­sion.

Attar­dons-nous un peu là-dessus, parce que je pense que nos lecteurs seraient inté­res­sés d’en savoir un petit peu plus à ce sujet.

Eh bien, ce n’est que mon avis et ma propre expé­rience, mais le temps de relâ­che­ment est la cause de beau­coup de distor­sion. Bien sûr, ça peut aussi arri­ver avec l’at­taque. Si on entre avec un signal vrai­ment, vrai­ment très fort, une attaque trop rapide peut complè­te­ment castrer les tran­si­toires. Là, le temps de relâ­che­ment est impor­tant parce que s’il est trop long, on perd toute l’éner­gie de la musique. S’il est trop court, c’est souvent là qu’on se retrouve avec une distor­sion qui craque, parce que le relâ­che­ment du limi­teur se fait de manière vrai­ment tout sauf musi­cale. Il faut souvent le synchro­ni­ser à la dyna­mique qui soutient la musique.

C’est vrai. D’ailleurs beau­coup de limi­teurs ont un réglage auto­ma­tique du relâ­che­ment, n’est-ce pas ?

Oui, c’est vrai. Et en théo­rie, il lit la forme d’onde et ajuste le relâ­che­ment en fonc­tion.

Trou­vez-vous que cette fonc­tion marche plutôt bien ?

Je la désac­tive toujours pour ajus­ter le temps de relâ­che­ment par moi-même, du coup je n’en sais rien. C’est marrant, avec la plupart des compres­seurs de chez Waves, par exemple beau­coup de leurs plus anciens modèles comme le C4, le C6 et le Renais­sance Compres­sor, l’ARC est activé dans le réglage par défaut. Je crois que c’est le réglage auto­ma­tique du temps de relâ­che­ment [ndlr: Auto Release Control], et personne ne sait ça. Je vois mes étudiants qui bougent le réglage du temps de relâ­che­ment alors que cette fonc­tion est toujours acti­vée, et je leur dis : "non, non, il faut d’abord déco­cher cette case, là !".

Si vous deviez donner des conseils à quelqu’un qui commence à monter un studio aujour­d’hui, et qui n’a le budget que pour un seul excellent élément maté­riel, que lui diriez-vous de prendre en prio­rité ? Une super inter­face avec d’ex­cel­lents conver­tis­seurs ou alors un très bon micro ?

Il y a trois éléments qui sont vrai­ment impor­tants. De façon géné­rale, l’in­ter­face et les enceintes de moni­to­ring sont cruciales. Et avec des enceintes, la notion de « neutra­lité » n’existe pas. Tech­nique­ment parlant, même l’oreille humaine n’est pas neutre. Ce que vous en atten­dez, c’est qu’elles vous révèlent tout ce qu’il y a dans le signal, ce que la plupart des enceintes de deux voies n’ar­rivent pas à faire : elles laissent souvent un trou dans les fréquences médianes, et le plus souvent, les graves ne descendent pas assez bas. Ensuite, vous voulez qu’elles repro­duisent tous les éléments de manière à peu près équi­li­brée par rapport au spectre des fréquences. Des enceintes diffé­rentes offrent cela à des degrés diffé­rents et selon les goûts de chacun. On attend aussi qu’elles nous donnent une idée de la façon dont la musique va être retrans­crite sur d’autres systèmes. Mais oui, une inter­face, c’est vrai­ment très impor­tant, aussi bien pour la fidé­lité du signal trans­mis aux enceintes que pour la qualité de la conver­sion.

Quand je produis un groupe de scène, on fait en géné­ral quatre, cinq, six semaines de répé­ti­tions avant d’en­re­gis­trer.

Et les micro­phones ?

Tout le monde pense que les micros sont un élément super sexy, et c’est vrai. On vit actuel­le­ment une sorte de second âge d’or de l’au­dio pro, vu qu’ils font main­te­nant des émula­tions qui, sur beau­coup de plans, surpassent les origi­naux (au moins, ils ne tombent pas en panne). Mais concer­nant les micros, les gens se foca­lisent sur le fait de voir si c’est un micro à lampe, à large ou petit diaphragme et tout ça. Or, avec l’in­ter­face, la partie la plus impor­tante du maté­riel d’en­re­gis­tre­ment c’est le préam­pli des micros, pratique­ment tous ceux qui ont fait ce boulot pendant un certain temps vous le diront. J’ai fait de super enre­gis­tre­ments avec un [Shure SM]57 et des préam­plis micros API parce qu’ils fonc­tionnent vrai­ment très bien ensemble, il se trouve que c’est une combi­nai­son qui sonne super­be­ment bien. Prenez le meilleur des micros au monde, si vous l’as­so­ciez à un préam­pli minable ça va clai­re­ment pour­rir le résul­tat, alors qu’un très bon préam­pli asso­cié à un micro de milieu de gamme sonnera bien mieux.

A présent, vous ensei­gnez la tech­no­lo­gie à l’Uni­ver­sité de New York, c’est bien ça?

J’en­seigne la produc­tion au Clive Davis Insti­tute of Recor­ded Music, au sein de l’Uni­ver­sité de New York. Nick Sansano, l’un des fonda­teurs du dépar­te­ment, s’oc­cupe du domaine de la produc­tion. Il est profes­seur asso­cié et déve­loppe le cursus de produc­tion. J’y suis depuis sept ou huit ans, tout d’abord en tant que profes­seur auxi­liaire et main­te­nant en tant que titu­laire. La plupart de mes heures sont consa­crées à des étudiants de deuxième année, c’est un cours de produc­tion réparti sur toute l’an­née. J’y aborde abso­lu­ment tout, de la façon de régler les préam­plis des micros jusqu’au niveau des musi­ciens en passant par les micros et l’as­pect psycho­lo­gique de la produc­tion. Je donne aussi un cours d’ar­ran­ge­ment musi­cal que j’ai moi-même élaboré, et qui est vrai­ment orienté vers l’ar­ran­ge­ment pour le studio. Souvent, il y a un déca­lage entre ce qui marche en live et ce qui marche en studio.

Pour­tant, on dit souvent que si l’ar­ran­ge­ment d’une chan­son est bon, elle va bien passer à l’en­re­gis­tre­ment, ou que ça faci­li­tera le travail au mixage, et bien rendre en live aussi. Du coup, pourquoi dites-vous cela ? Quels sont les carac­té­ris­tiques d’un arran­ge­ment qui sont davan­tage cruciaux en studio qu’en live ?

Sound Techniques : Bob Power 1

En fait, c’est comme un diagramme de Venn. Les deux se recoupent envi­ron à 50%. Il y a des choses avec lesquelles on peut faire illu­sion en live, mais qui en studio ne marche­ront pas forcé­ment aussi bien. En studio, l’es­sen­tiel, c’est le choix des instru­ments, par exemple prendre une basse de type Jazz ou alors une Preci­sion, choi­sir une Strat ou préfé­rer une guitare à micros doubles pour les arpèges et autres. Mais en live, on a une espèce de grosse bouillie sonore au sein de laquelle l’in­tel­li­gi­bi­lité de chaque instru­ment est moindre, du coup la défi­ni­tion sonore n’est plus si impor­tante au final. L’éner­gie, c’est ça qui compte ! En studio, à l’in­verse, la défi­ni­tion sonore de chaque instru­ment prend une impor­tance critique, et dans le monde moderne, le choix de votre instru­ment et ses carac­té­ris­tiques sonores sont aussi déter­mi­nants que la préci­sion de votre jeu. Pour­tant, si on regarde en arrière, beau­coup des tech­niques que l’on utilise en studio ont pour origines histo­riques des limites tech­no­lo­giques ou écono­miques. On ne double pas les pistes des cuivres parce qu’un jour quelqu’un a dit « tiens, ça sonne mieux comme ça », on le fait parce qu’on n’avait pas les moyens de payer huit personnes, du coup on en payait quatre et on doublait les pistes. Il y a plein de choses comme ça sur lesquelles il est inté­res­sant de réflé­chir.

Évidem­ment, les problèmes de fréquences qui se chevauchent et qui nuisent à la clarté du son posent plus de problème en studio.

Oui, dans un mixage moderne ça devient beau­coup, beau­coup plus impor­tant. De toute façon, en live, on n’en­tend pas tout ça très bien, les signaux ne se distinguent pas clai­re­ment les uns des autres, du coup ça ne change pas grand chose. Mais imagi­nons que vous faites des arpèges sur un morceau où figurent d’autres instru­ments qui jouent des accords. N’im­porte qui connais­sant ce type de situa­tion va proba­ble­ment choi­sir une Strat ou une Tele, parce que leurs carac­té­ris­tiques sonores se prêtent mieux à ce genre de contexte.

Si vous avez une guitare ryth­mique et un clavier, je suppose que vous faites beau­coup d’éga­li­sa­tion pour les empê­cher de se marcher sur les pieds ?

Oui. Si vous ne le faites pas, il faut que votre pré-produc­tion soit parfaite. Vous savez, quand je produis un groupe de scène, on fait en géné­ral quatre, cinq, six semaines de répé­ti­tions avant d’en­re­gis­trer, juste pour être sûrs qu’ils jouent les bonnes sections avec le bon timbre.

Je vois. Mais quand vous faites votre pré-produc­tion, est-ce que vous les enre­gis­trez aussi pour entendre comment ça sonne, au moins avec un deux-pistes ou quelque chose de ce genre ?

À la fin de l’étape de pré-produc­tion, vous devriez être en mesure de mettre un télé­phone, un [SM]57 ou n’im­porte quoi au milieu de la pièce, et arri­ver à tout entendre, malgré le fait que le son sera plutôt du genre « lo-fi ». Si vous y arri­vez, ça veut dire que vous jouez comme il faut avec le bon timbre de façon à lais­ser assez d’es­pace aux autres instru­ments pour qu’on les entende.

Reve­nons un instant à vos acti­vi­tés d’en­sei­gne­ment. Remarquez-vous une diffé­rence concer­nant les connais­sances tech­niques de vos étudiants par rapport à l’époque où vous avez débuté ? Est-ce que la géné­ra­tion qui a grandi entou­rée d’or­di­na­teurs a beau­coup plus de connais­sances en matière de produc­tion ?

Oui. De nos jours, les étudiants ont vrai­ment un excellent niveau. Lorsqu’ils arrivent, beau­coup d’entre eux sont auto­di­dactes mais ils ont un niveau incroyable. Et actuel­le­ment, la musique pop « mains­tream » se résume à de la musique élec­tro­nique avec une ligne mélo­dique et des paroles. Du fait de la nature même de la produc­tion de musique élec­tro­nique, on peut tout faire soi-même, sur son ordi­na­teur portable, et on peut commen­cer dès l’âge de 10 ans. Ainsi, le niveau des étudiants en produc­tion va vrai­ment cres­cendo d’an­née en année. Il leur faut encore apprendre à utili­ser un micro de manière effi­cace, ou à utili­ser l’air et l’es­pace autour des instru­ments, mais ceux qui maîtrisent vrai­ment l’as­pect tech­no­lo­gique semblent le faire de mieux en mieux chaque année.

Merci !

Mais de rien.


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