Dévoilée au NAMM 2014, l’Analog Rytm est une boîte à rythmes analogique qui entend bien bousculer l’offre existante en revisitant un concept ancien. Pari tenu ?
Depuis 4 ans, une nouvelle série de produits, Elektron, a pris, avec dynamisme, le relai d’une gamme qui jusque-là avait évolué plutôt lentement. Courant 2010, l’Octatrack faisait ses premiers pas de module sampler + séquenceur MIDI intégré. Fin 2012, l’Analog 4 redéfinissait le concept de module synthé analogique + séquenceur à pas. Fin 2013, il était décliné en modèle clavier, l’Analog Keys ; les deux produits bénéficiaient alors gratuitement d’un nouvel OS et d’une mémoire interne étendue (par déblocage d’une NV-Ram déjà présente au départ dans tous les produits). Quasi simultanément, un autre produit était annoncé ; c’est finalement au NAMM 2014 que nous avons pu découvrir l’Analog Rytm, une boîte à rythmes à synthèse analogique très prometteuse. Après une première phase de vente directe qui semble avoir concentré toutes les ressources d’Elektron sur la logistique, la vitesse de croisière semble enfin atteinte. Au point que la firme suédoise vient gentiment de nous envoyer une AR pour un test.
Monolithe à pads
Comme l’Octatrack, l’A4 et l’AK, l’AR est embarquée dans une coque monolithique en alu extrêmement solide ; un vrai tank ! Le design est commun à la gamme : forme parallélépipédique (une brique !), fond noir et sérigraphie blanche/grise/rouge. Les commandes sont solidement ancrées et inspirent confiance : pads bien en place, poussoirs en plastique dur avec ressort de rappel franc, encodeurs lisses bien axés, connectique dorée sertie… les commandes recouvrent le panneau avant, au point qu’on finit par le trouver trop petit vu les possibilités de la machine. Les habitués de la marque ne seront pas dépaysés par les choix ergonomiques et la répartition des commandes : sur la partie gauche, les 12 pads dynamiques répondent à la vélocité et à la pression. Réalisés en caoutchouc de synthèse, leur action est un modèle du genre, alliant sensibilité, précision, rebond et résistance. Ils sont rétro-éclairés avec des diodes arc-en-ciel, dont la couleur change suivant le contexte…
Le centre est occupé par un écran monochrome rétro-éclairé, un encodeur-poussoir de niveau / tempo (avec fonction Tap), des touches de navigation / édition, des commandes de transport et des touches pour la sélection des banques de Patterns. L’écran est trop petit (122 × 32 points), compte tenu du nombre de paramètres simultanés à afficher. À droite, 2 lignes de 4 encodeurs-poussoirs permettent d’éditer les paramètres de synthèse et d’effets, en fonction du type de piste ; ils sont appelés avec les touches Synth / Delay, Sample / Reverb, Filter / Distorsion, Amp / Compressor et LFO. La partie inférieure enfin est occupée par une rangée de 16 boutons poussoirs accompagnés de leur LED témoin et d’une touche Page, permettant d’activer / couper les 64 pas d’un Pattern ou de sélectionner un Pattern. Un mot sur l’arrière où on retrouve toute la connectique : sortie casque stéréo (1 jack 6,35), sorties ligne stéréo (2 jacks 6,35 symétriques), sorties instruments séparées (4 jacks 6,35 stéréo permettant de sortir les 8 voix en mono), entrée stéréo (1 jack 6,35), trio MIDI (avec 2 fonctions Sync), prise USB2 (MIDI, dumps, mise à jour d’OS, mais pas d’audio pour le moment, en attendant la mise à jour Overbridge prévue fin 2014), interrupteur secteur et borne pour alimentation (hélas) externe 12V-2A, de type bloc au milieu.
Essais sonores
Passons maintenant au jeu et à l’écoute. L’ergonomie est typique d’Elektron : on sélectionne un Pattern qui comprend son kit, ses pistes et leurs réglages (sons/effets), on lance la séquence, on coupe certaines pistes, on en active d’autres, on fait varier plusieurs paramètres au choix en même temps avec les pads (modes Performance et Scène), on choisit un son, on le fait varier avec les encodeurs, on le joue chromatiquement sur les pads, on change les effets, on laisse le séquenceur s’exprimer suivant les évolutions continues programmées (Parameter Locks)… pousser sur un encodeur tout en le tournant accélère son action. L’AR offre 8 voix de polyphonie pilotables par 12 pistes Drum et une piste d’effets. Les quelques sons et Patterns fournis couvrent un territoire exclusivement Electro et dérivés. Les amateurs de percussions acoustiques et ambiances pop/rock/jazz/latino ne s’y trouveront pas ; il faut dire que l’AR n’est pas trop faite pour cela…
On apprécie le punch des kicks et toms basses analogiques, qui descendent vraiment très bas et ont une attaque à dégommer les gamelles. Les Snares sont bien en rapport avec les kicks : grosse patate, Snap, noise, tout ce qu’il faut pour imiter les TR et autres joyeusetés technoïdes. Cela ne veut pas dire que l’AR manque de subtilité, bien au contraire, elle s’en tire très bien dans les rythmes plus sages. On peut aussi se concocter des hi-hats analogiques qui sonnent TR-808 quand on veut, mais pas que… l’examen des autres toms et percussions électroniques est tout aussi convaincant ; coup de chapeau aux claps qui vont du claquement de doigts à la foule d’humanoïdes réunis. Constat très positif, l’AR est à l’aise sur une large gamme de styles et de timbres. Le mariage des sons analogiques et des samples apporte une richesse sonore supplémentaire, là où il manque un peu de transitoires, ou quand on veut donner un caractère plus acoustique à nos rythmes.
- A01 1kick 01:09
- A01 2snare 01:18
- A01 3clap 00:49
- A01 all 00:40
- A02 00:40
- A03 00:55
- A05 01:00
- A09 01:07
- A13 00:52
- A14 01:00
- A15 00:47
- B01 00:58
- B06 01:18
- B07 01:14
Pistes Drum
Les 8 voix (assignables aux 12 pistes Drum) sont constituées d’un générateur de percussions analogiques, un lecteur de samples, un filtre, un ampli, deux enveloppes et un LFO. Le générateur analogique fait appel à 15 moteurs de synthèse différents (les « Machines »), optimisés pour synthétiser différents types de percussions : grosse caisse BD (en déclinaisons HD dure, CL classique et FM), caisse claire SD (en déclinaisons HD dure, CL classique et FM), bord de caisse RS (en déclinaisons HD dure et CL classique), clap CP (déclinaison CL classique), tom basse (déclinaison CL classique), toms bas/moyen/haut XT (déclinaison CL classique), charleston fermé CH (déclinaison CL classique), charleston ouvert OH (déclinaison CL classique), cymbale CY (déclinaison CL classique) et cloche CB (déclinaison CL classique). Nous n’allons pas entrer dans le détail de chaque moteur, mais suivant le cas, on trouve 4 à 8 paramètres, parmi lesquels l’accordage/désaccordage, le Sweep, le Snap, le temps de maintien, le temps de déclin, la forme d’onde, la couleur de bruit, le volume de transitoire, la FM, la symétrie et le niveau. Tous ces paramètres sont modulables en temps réel.
Dans un kit, chacune des 12 pistes Drum est assignée à un pad, pré-assigné à un type d’instrument. On peut changer de moteur analogique sur certains types d’instruments. Pour les pistes BD, SD, RS et CP : moteurs BDHD, BDCL, BDFM, SDHD, SDCL et SDFM ; pour les pistes RS et CP : moteurs RSHD, RSCL et CPCL ; pour la piste BT : moteur BTCL ; pour les pistes LT, MT et HT : moteur XTCL ; pour les pistes CH et OH : moteurs CHCL et OHCL ; pour les pistes CY et CB : moteurs CYCL et CBCL. Un peu long à décrire, mais aussi facile à utiliser qu’un double-clic !
Passons au lecteur de samples, qui offre 8 paramètres : accordage sur + ou – 24 demi-tons, accordage fin, réduction de bit, choix du sample, début de lecture, fin de lecture, activation de boucle et niveau. Ces paramètres sont modulables en temps réel. Dans un projet, on dispose de 127 samples pour 64 Mo de Ram ; au niveau global, la mémoire +Drive stocke 1 Go de samples utilisateur ; excellent, on peut la charger avec ses propres samples (WAV ou AIFF, mono/stéréo, bouclés ou non) ; il faudra pour cela les transférer en protocole SDS à partir du logiciel C6 maison (PC/Mac), téléchargeable sur le site du constructeur, top !
Pistes Drum II
Les générateurs sonores sont ensuite mélangés, puis passent dans un étage de saturation analogique (niveau réglé dans la page Ampli) avant d’attaquer le filtre. Ce dernier est de type multimode résonant à 2 pôles. Il offre 7 modes distincts : passe-bas 2 pôles, passe-bas 1 pôle, passe-bande, passe-haut 1 pôle, passe-haut 2 pôles, réjection de bande et Peak. La coupure est modulable par une enveloppe ADSR avec quantité de modulation bipolaire, mais pas de suivi de clavier (pas grave pour une BAR). La résonance va jusqu’à l’auto-oscillation, idéale pour créer des toms électroniques façon Simmons. Dans la page Ampli, on règle l’enveloppe de volume simplifiée (type AHD), les niveaux d’envoi vers le délai et la réverbe, le panoramique et le volume final du son (sans oublier la saturation avant filtrage).
Il reste enfin une page LFO pour moduler les 4 pages précédentes de paramètres : vitesse (avec synchro à l’horloge maîtresse), multiple de vitesse (1 à 2048 fois, on atteint largement les niveaux audio !), fondu d’entrée/sortie, destination hélas unique (parmi une liste de plus de 30 paramètres de synthèse), forme d’onde (triangle, sinus, carré, dent de scie, exponentielle, rampe et aléatoire), phase, mode de déclenchement (libre, redéclenché, niveau maintenu au relâchement, cycle unique, demi-cycle unique) et profondeur de modulation (bipolaire).
Dernière précision concernant les pistes Drum : certains pads/pistes utilisent des voix indépendantes (BD, SD, BT, LT), alors que d’autres se partagent les voix par paire (RS-CL, MT-HT, CH-OH, CY-CB) qui se coupent les unes les autres. Il faudra donc arbitrer…
Piste aux effets
La 13e piste de l’AR est dédiée au pilotage des effets en temps réel, à l’identique des pistes Drum. La section d’effets est plutôt bien fournie : elle comprend deux effets numériques stéréo en parallèle (délai et réverbe) et deux effets maîtres analogiques stéréo en série (distorsion et compresseur, cf. schéma). La sortie stéréo du délai peut être injectée dans la réverbe (en numérique). Le retour stéréo du délai est converti en analogique puis injecté avant distorsion ou après compression, idem pour le retour stéréo de la réverbe. L’entrée audio externe est quant à elle injectée entre la distorsion et le compresseur, elle ne bénéficie donc pas des filtres internes ni des autres effets, dommage !
Voici les paramètres disponibles : pour le délai, le temps (avec synchro à l’horloge maîtresse par division temporelle), la commutation ping pong, la largeur stéréo, le feedback, le filtrage des basses fréquences, le filtrage des hautes fréquences, le niveau de départ vers la réverbe et le niveau de retour de bus.
Pour la réverbe, le pré-délai, le temps (de zéro à l’infini), la fréquence, le gain, le filtrage des basses fréquences, le filtrage des hautes fréquences et le niveau de retour de bus. Pour la distorsion, la quantité, la symétrie, la saturation du délai, la position de retour de l’effet délai et la position de retour de l’effet réverbe.
Pour le compresseur, le seuil, l’attaque, le relâchement, le gain, le ratio, le filtrage sidechain (off, bas, haut, équilibré), le mix et le volume. Un LFO dédié aux effets permet de contrôler un paramètre d’effet au choix parmi une trentaine. Il a les mêmes paramètres que le LFO des pistes Drum. Tous ces paramètres sont modifiables en temps réel et en enregistrement dans le séquenceur, comme nous le verrons plus tard. Bref, de quoi sculpter le son, mais de manière globale !
Pas ternes…
L’organisation de la mémoire de l’AR est analogue à celle de l’AK. La machine évolue au sein d’un projet, qui contient l’ensemble des données nécessaires, à savoir 128 Patterns (organisés en 8 banques de 16), 128 kits (12 sons + piste effets), 16 Songs, 4 réglages globaux et 127 samples. La mémoire globale (+Drive) renferme 128 projets, une bibliothèque générale de 4096 sons de percussions et une banque de Samples de 1 Go. Le Pattern est le cœur du système, puisqu’il contient non seulement les événements (12 pistes de notes et 1 piste d’effets), mais aussi les kits (donc les réglages des sons) et des évolutions de commandes pour faire bouger ce beau monde. Disons-le tout de suite, il n’y a pas de pistes MIDI pour piloter un module externe : on peut déclencher des sons externes avec les pads et envoyer des CC avec les encodeurs, mais pas avec une séquence. Un Pattern peut contenir jusqu’à 64 pas, avec des pistes de longueurs différentes. On peut les lire en boucle (en marche avant uniquement) ou les enchaîner, avec effet immédiat ou en fin de cycle.
Passons à l’enregistrement. En mode grille, on entre les instruments par pas en utilisant la rangée de 16 gros poussoirs ; si le mode Chromatic est activé, on peut choisir rapidement la note à entrer grâce aux pads. Une fonction de micro timing permet de décaler les notes avec une résolution confortable de 1/384 double-croche. En mode temps réel, on entre directement les notes avec les 12 pads, comme sur une bonne vielle BAR. On peut quantiser si on le souhaite, ou laisser telles quelles les imprécisions permises par le micro timing ; tout cela est réversible. La fonction Parameter Locks permet d’enregistrer, en mode grille ou temps réel, la position des encodeurs à chaque pas et pour chaque piste (notes + effets), à concurrence de 72 paramètres, de quoi voir venir ! Elektron a eu l’excellente idée de prévoir une fonction de lissage entre les pas (Slide), l’accentuation des pas (Accent) ou encore l’ajout de swing (Swing, ça ne s’invente pas !). Enfin, la fonction Sound Locks permet de changer le son de chaque piste à chaque pas. Tout cela permet d’infinies variations en cours de Pattern, subtiles ou radicales. Bravo !
… et enchaînés
Les Patterns peuvent ensuite être enchaînés, de manière basique, dans le mode Chain. Dans un projet, il y a 64 Chains totalisant 256 pas (un pas = un numéro de Pattern). Par exemple, on peut créer 32 Chains de 8 pas, ou 128 Chains de 2 pas, ou toute combinaison imaginable à concurrence de 256 pas. Un Chain est en fait un super Pattern construit par collage simple.
Stade ultime du séquenceur, le mode Song permet d’enchaîner des Patterns ou des Chains, toujours sous forme de pas, mais avec des facultés bien plus intéressantes que celles du mode Chain. Pour chaque pas, on peut répéter le Pattern ou la Chain jusqu’à 99 fois. On peut aussi choisir de couper/activer certaines pistes à chaque pas ; cela est d’autant plus immédiat lorsque les pads sont en mode Mute. Une fois que l’on a bien assimilé les différents modes de jeu et d’enregistrement, on structure assez rapidement des Songs complètes à partir d’un nombre très restreint de Patterns. Avant de conclure, rappelons qu’un projet peut contenir 16 Songs.
Conclusion
L’Analog Rytm (1489€) est une excellente surprise. Elle est robuste, cogne dur, est bourrée de fonctionnalités, synthétise remarquablement bien les percussions en analogique, offre une polyphonie généreuse, permet d’importer ses samples et possède un tas de sorties audio… à l’image des autres modules Elektron dont elle partage les qualités, elle en reprend aussi l’ergonomie à apprivoiser, l’écran rikiki et la surface de contrôle hyper compacte. Toutefois, cela passe mieux pour une BAR que pour un synthé, car il y a moins de paramètres à gérer et les 12 pads dynamiques apportent beaucoup de confort d’utilisation. On peut aussi regretter l’absence de pistes MIDI et les traitements limités sur les entrées audio, mais c’est une BAR, et parmi les BAR, l’AR est reine ! Nous lui décernons un Award Valeur Sûre 2014.
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