Dévoilée à la rentrée, la nouvelle série Boutique de Roland propose d’emblée trois mini-synthés numériques modélisant des références vintage de la marque. Au menu de ce test, le JU-06.
Small is beautiful. C’est incontestablement le mot qui circule dans les départements R&D des fabricants de synthés ces dernières années. Le MiniBrute d’Arturia a ouvert un segment de marché où les non-claviéristes, qu’ils soient MAOistes, guitaristes, bassistes, DJ ou encore chanteurs, se sont vus proposer une offre innovante de synthés plus compacts, plus mobiles, plus directs, plus économiques… avec beaucoup moins de touches que le standard, puis des touches plus petites, ce qui n’a pas manqué de faire râler les habitués de la voltige au clavier, entre 61 et 88 touches. Les réactions furent et demeurent vives, voire extrêmes, certains parlant de « fin d’une époque », de « n’importe quoi » et même d’« arnaque » !
Ce constat de changement de paradigme nous renvoie au concept de destruction créatrice de Schumpeter : l’innovation est précédée d’une période de destruction. Cela s’est produit maintes fois, il y a un bout de temps déjà : l’imprimerie a laminé les moines copistes, la lampe à incandescence a soufflé la bougie, la photo numérique a virtualisé l’argentique… Sera-ce le sort réservé aux grands synthés ? C’est ce que semble nous dire Arturia (MicroBrute), puis Korg (MS20 mini/ARP Odyssey) et tout récemment Yamaha (Reface DX, CS, CP, YC). C’est maintenant au tour de Roland de s’y mettre, proposant sa propre vision du micro synthé autonome, présenté dans sa nouvelle Boutique, avec pas moins de trois modules accompagnés de leur station d’accueil, modélisant trois synthés vintage de légende : le JP-08 (Jupiter-8), le JU-06 (Juno-106) et le JX-03 (JX-3P & PG-200). Après l’ultrabook, le segment de l’ultrasynth s’installe… mais pour le moment, déballons le JU-06.
Mini module
Les 3 synthés Boutique partagent la même conception, sous forme de module ultra compact (300 × 128 × 46 mm pour moins de 1 kg), pouvant être monté dans une station d’accueil (voir encadré). Certains prétendent à distance que ce sont des gadgets, ceux qui les auront en main diront tout le contraire : une plaque de métal pliée très solide entoure la machine (devant, dessus, derrière). Seuls le dessous et les côtés sont en plastique.
Les commandes sont de bonne facture et agréables à manier : potentiomètres et curseurs linéaires bien ancrés, boutons lumineux francs. Certes, elles sont très serrées et on pourrait craindre que l’espacement ou la course des curseurs (20 mm) soit trop justes, mais on se rend compte à l’usage que la précision est tout à fait correcte, d’autant que la résistance est parfaite. Qui plus est, les curseurs sont de taille généreuse et rétro-éclairés en leur extrémité, idéal pour les lieux obscurs.
La prise en main est immédiate, car la grande majorité des paramètres est directement accessible en façade. Le reste se fait en combinaison avec les touches [Chorus 2] ou [Manual] ; cela concerne essentiellement les fonctions du séquenceur ou les réglages globaux, tels que l’accord global, le canal MIDI, la transposition d’octave (-4 /+5) ou par demi-ton, la courbe de réponse à la vélocité (assignée au volume uniquement) ou le tempérament de jeu via le ruban de Pitch bend ; cela concerne aussi quelques paramètres de synthèse additionnels mémorisés avec les programmes : temps de portamento, mode de jeu (solo/unisson/poly) et effet délai. Dommage que le constructeur n’ait pas sérigraphié ces fonctions sur la façade, il restait de la place pour cela.
Bien accueilli Si les trois modules de la série Boutique peuvent être pilotés via MIDI ou USB, on peut aussi les insérer dans un mini-clavier de commande spécifique faisant office de station d’accueil : le K-25m (308 × 209 mm pour 700 grammes). Le module se fixe dans les flancs métalliques du K-25m avec un système d’axes métalliques bien solides. Un support escamotable permet d’incliner le module suivant 3 angles. Il ne reste plus qu’à connecter la nappe souple du K-25m au module via un petit connecteur 16 broches pour pouvoir le jouer avec le clavier intégré. Celui-ci possède 25 mini-touches (2 octaves) sensibles à la vélocité ; leur réponse est correcte et leur débattement confortable. L’absence de prise pédale risque de manquer à certains, puisque la station d’accueil est dépourvue de connectique (hormis la nappe de liaison). Nous apprécions au final ce concept très intelligent de module avec station d’accueil optionnelle, formant ainsi un synthé 100 % autonome pour ceux qui s’accommodent du petit clavier ! |
Le JU-06 reprend l’intégralité des commandes et la charte graphique du Juno-106 : LFO, DCO, HPF, VCF, VCA et enveloppe unique, tous alignés. La rangée inférieure est composée de boutons lumineux, permettant de gérer les programmes, les séquences et les fonctions globales. L’afficheur central à 2 diodes 7 segments permet de visualiser le numéro de programme, mais rien d’autre. À gauche, on trouve deux rubans d’expression avec rappel et rétroéclairage latéral suivant la position (délicate attention), l’un pour le Pitchbend, l’autre pour la modulation ; le premier permet également la pré-écoute des sons lorsque rien n’est connecté à la machine, avec choix du tempérament parmi 16 types prédéfinis.
La connectique, située à l’arrière, est commune à la série Boutique : interrupteur secteur, port USB type micro B (alimentation, MIDI et audio), mini potentiomètre de volume, sortie casque, sortie ligne, entrée ligne (routée directement vers les sorties audio analogiques/USB, pour cascader plusieurs modules) et entrée/sortie MIDI au format DIN. Toute la connectique audio est au format mini-jack stéréo. En dessous du module, on trouve un petit HP (dont nous reparlerons) et une trappe pour insérer les 4 piles AA-LR6 fournies (à défaut d’un cordon micro USB/alimentation secteur non fourni). En conjonction avec le petit HP et le ruban de Pitch bend, elles rendent le synthé totalement autonome, du moins pendant les 6 heures annoncées par le constructeur.
ACBien mieux
Dès les premières notes, le JU-06 nous met une bonne claque, avec des niveaux audio élevés ; ceux qui utilisent un casque pour lecteur MP3/smartphone ont intérêt à réduire le volume avec le petit potentiomètre idoine situé à l’arrière !
Outre un mode manuel, la machine propose 64 mémoires utilisateur pré-chargées en usine. Il ne fait aucun doute que le JU-06 soit le fils numérique de son père analogique, non seulement au niveau des commandes, identiques, mais aussi au plan du son. La banque sons proposée permet d’emblée d’apprécier quelques sections cuivres avec chorus très typées 80, que ce soit filtre ouvert ou fermé avec une attaque d’enveloppe caractéristique. On apprécie aussi les nappes planantes adoucies par ledit filtre. Quelques programmes d’orgue permettent de constater la bonne pêche de l’enveloppe unique sur les attaques percussives. Un peu plus loin, on s’amuse avec les impulsions à largeur variable : onde carrée acidulée stricte, beaux strings avec modulation de LFO embellis par le chorus élargi (décidément très réussi dans ses deux types, y compris le souffle modélisé dont on peut se passer par combinaison de touches), leads avec la largeur d’impulsion qui se balade d’une note à l’autre…
Le JU-06 possède également des basses puissantes, que ce soient des imitations de spécialités Moog bien arrondies avec résonance prononcée ou des basses à filtre ouvert renforcées au sub-oscillateur. Le dépouillement des paramètres de synthèse ne permet pas des effets spéciaux bien poussés, hormis un peu de vent ou un LFO audio ; le JU-06 est plus à l’aise dans les sons de synthèse classiques. Comme sur les autres synthés Boutique, la technologie ACB reproduit à merveille son modèle, avec une fluidité remarquable des commandes continues, puis çà et là les petites inconsistances d’une voix à l’autre, dans le filtre comme dans les largeurs d’impulsion, l’oscillateur restant parfaitement en ligne (comme sur le Juno-106, sauf quand les 80017A commencent à être bouffés par leur propre enrobage). Lorsqu’on débranche la sortie audio ou casque, le petit HP intégré est activé : autant le dire tout de suite, ses 0,5 W et sa position à l’arrière ne lui permettent pas de briller. Très vite, il sature et peine à restituer les aigus et surtout les graves. Il est loin du niveau des 2 × 2 W + Bass Reflex des Reface de Yamaha, mais permet aux synthés Boutique de rester sous la barre des 5 V/500 mA de consommation, synonyme d’alimentation via USB. On ne peut pas tout avoir…
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Cœur ouvert
Le JU-106 est un synthé numérique à modélisation analogique (un VA) polyphonique 4 voix et monotimbral. On peut jouer les 4 voix en polyphonie, monodie ou à l’unisson (sans accès au Detune entre les voix). En polyphonie, il n’y a pas de vol des voix, c’est un peu ballot. Le JU-06 modélise les 24 paramètres de synthèse du Juno-106, un synthé analogique très basique mais très répandu sorti en 1984, auxquels il apporte quelques fonctions supplémentaires, à savoir un LFO plus rapide et un HPF continu. Le son est généré par un oscillateur accordable sur 4, 8 et 16 pieds, accompagné d’un sub-oscillateur carré à l’octave inférieure et d’un générateur de bruit blanc. L’oscillateur peut générer simultanément une impulsion à largeur variable et une dent de scie. Il n’y a donc pas d’interactions d’oscillateurs vu qu’il n’y en a qu’un. Le pitch et la largeur de l’impulsion peuvent être modulés par le LFO, avec quantités séparées et mode manuel sur la PWM.
Le mélange des 3 sources est dosé avec des curseurs dédiés puis passe dans un filtre passe-haut statique (cette fois à réglage continu), suivi d’un filtre passe-bas résonant 4 pôles, capable d’entrer en oscillation, comme sur le Juno-106. La fréquence de coupure peut être modulée par le LFO, l’enveloppe (bipolaire) et le suivi de clavier. La résultante passe alors dans un ampli, dont on peut régler le volume et la source de modulation (Gate ou enveloppe). Le LFO est plus que basique (une seule onde sinus), avec réglage de la vitesse (non synchronisable en MIDI mais allant jusqu’à l’audio) et du délai. L’enveloppe est une classique ADSR, assez pêchue de surcroit. Elle est, en résumé, assignable au filtre et à l’ampli, mais pas au Pitch.
En sortie d’ampli, le JU-06 offre un chorus stéréo à deux positions (effet plus ou moins prononcé), qui élargit et réchauffe le son de manière importante. Il souffle tout autant que son modèle, mais comme déjà dit, on peut en régler le niveau par combinaison de touches ([Manual] + [12] puis [1] – [2] – [3] pour 0% – 50% – 100% de souffle). En bout de chaîne, on trouve un effet délai basique, dont on peut régler le niveau, le temps et le feedback sur 16 valeurs. Toujours ça de pris… Tous ces paramètres sont sauvegardés dans une mémoire de 64 programmes utilisateur pré-chargés d’usine.
Séquenceur 16 pas
Le Juno-106 était dépourvu d’arpégiateur ou séquenceur. Le JU-06 intègre quant à lui un petit séquenceur 16 pas et 16 motifs, sauvegardés indépendamment des programmes. On bascule en mode séquenceur en appuyant simultanément sur les touches [Chorus 2] et [Manual] ; on en ressort de la même manière, sans arrêter la reproduction en cours, ce qui permet de changer de programme alors que le séquenceur tourne. Le séquenceur joue au tempo souhaité ou en synchro MIDI. Son transport se limite à une unique touche Play / Stop. On le programme avec les 16 boutons lumineux et [Chorus 2]/[Manual] situés en rangée inférieure. Les fonctions ne sont pas sérigraphiées, ce qui est un mauvais point, sauf pour le développement de la mémoire…
Il existe 4 signatures temporelles : triple-croche, double-croche, triolet de doubles-croches et triolet de croches. Pour chaque pas (entre 1 et 16), on peut entrer une note et une seule, au moyen du clavier ou du ruban de Pitch bend, ou garder le silence, ce qui veut dire que le séquenceur est monodique. La vélocité est prise en compte lorsqu’on entre les notes au clavier, sympa. Le temps de Gate se règle avec le ruban de modulation, pour chaque pas ou de manière globale (avec la touche [Chorus 2]). Chose amusante, il existe différents modes de lecture : à l’endroit, en inversion des pas impairs/pairs, pas pairs joués seuls, pas impairs joués seuls, pas impairs puis pairs, pas pairs puis impairs, aléatoire. Du coup, ça met du groove dans le rythme, groove que l’on peut accentuer avec un Shuffle programmable. L’automation des commandes n’est toutefois pas possible et les notes séquencées ne sont pas transmises en MIDI/USB. De même, on ne peut pas transposer la lecture à la volée. Ce serait bien que des améliorations d’OS prennent cela en compte…
MIDI et audio
Pour communiquer vers l’extérieur, les synthés Boutique sont équipés de prises MIDI et USB. Un mode Chain permet de cascader plusieurs JU-06 via MIDI Out/In (et audio Out vers In) et ainsi augmenter la polyphonie.
Une fois dans ce mode, les notes au-delà de 4 simultanées sont transmises par MIDI Out à la machine suivante (connectée en MIDI In, donc…). Les commandes en façade émettent alors des CC ou des Sysex ; même les changements de programmes lancent une séquence de Sysex, nous ignorons s’il s’agit d’un dump du programme sélectionné, faute de documentation sur le sujet. On pourra aussi brancher la sortie audio du module esclave dans l’entrée audio du maître, ça évitera de manger une entrée stéréo sur la table ou la carte son, c’est d’ailleurs pour ça qu’elle est faite.
C’est via USB que l’on peut sauvegarder et restaurer les mémoires du JU-06 : cela ne fonctionne pas en dump Sysex, il faut relier le JU-06 à un ordinateur et le mettre en mode spécial à l’allumage en maintenant une touche. L’ordinateur accède alors à un répertoire contenant deux sous-répertoires : Backup et Restore. Backup contient les fichiers de chaque programme et séquence. Il suffit alors de placer ces fichiers dans le répertoire Restore pour les retrouver le moment voulu.
C’est aussi grâce à la prise USB que le JU-06 se transforme en interface audio stéréo 24 bit/44 kHz en entrée/sortie. Les sons du module et de son entrée audio analogique sont ainsi convertis en numérique et peuvent être envoyés à une STAN. Réciproquement, les sons sortant de la STAN sont convertis et envoyés à la sortie audio analogique du module. C’est donc un instrument virtuel dépourvu d’automation de ses commandes de synthèse, compte tenu de ce que nous avons dit précédemment. Ceci nécessite au préalable d’installer le driver PC/Mac fourni par Roland (indisponible au moment de notre test). Franchement c’est agréable de voir des capacités audio over USB présentes sur les instruments de cette gamme, la concurrence ferait bien de s’en inspirer, surtout sur des machines plus élitistes…
On the road
La nouvelle série Boutique est une réponse bit pour bit à la série Reface de Yamaha. Vu le court délai entre la sortie des deux séries, il est fort à parier que les deux constructeurs les ont développées en même temps. Si l’approche et la cible sont identiques (musiciens/chanteurs/DJ nomades souhaitant un synthé de voyage autonome), la conception diffère un peu. Roland a opté pour un concept intelligent de module VA connectable au besoin à une station d’accueil, avec une alimentation par piles ou USB. Ceci limite la puissance du système d’amplification intégré, réduit ici à sa plus simple expression. Là où Roland remporte la mise, c’est sur l’audio over USB et le pilotage total de modules cascadés par CC ou Sysex Midi. Le choix entre les différentes offres se portera également sur le type de synthèse ou le modèle de synthé émulé. Et sur ce point, le JU-06 réussit sa mission, que ce soit sur le plan du look, des commandes (dépouillées) ou du son typique. Roland n’a pas oublié les mémoires, ce qui rend le JU-06 totalement autonome. Avec un prix très calculé, voilà une alternative intéressante pour ceux que le prix ou les problèmes de voix qui lâchent du Juno-106 rebutent !
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