Moins de deux ans après la présentation du MiniBrute, le MicroBrute est déjà à la conquête du monde de la musique électronique, avec une taille et un tarif encore plus agressifs. Mais jusqu’où s’arrêteront-ils ?
En 2012, Arturia a ouvert un nouveau marché, un Océan Bleu, comme on dit en stratégie : introdioussingue ze MiniBrute, un vrai synthé analogique monodique pour les mordus de la souris, les DJ ou les musiciens non-claviéristes voulant compléter leur arsenal sonore. Il a aussi su conquérir les fans de synthés tout court à la recherche d’un grain nouveau à tarif tout à fait abordable, sans passer par la case vintage et son lot de tracasseries liées à la maintenance (ce sont ceux qui râlent pour la petite taille du clavier). Si l’on se réfère aux derniers numéros de série dans la nature, il s’est vendu plus de MiniBrute en un an que de Minimoog en dix, cocorico ! Et la grande majorité de constructeurs qui pensait le marché du synthé déprimé, voire moribond…
Tous – et non des moindres – se sont fait doubler par Arturia et les plus réactifs ont mis un an à contrattaquer. Du coup, l’offre de synthés analogiques monodiques à prix serré est aujourd’hui plus large, nous ne nous en plaindrons pas. Mais plutôt que s’endormir sur leurs lauriers, les concepteurs d’Arturia, toujours sous la bienveillance d’Yves Usson, ont travaillé dur depuis un an : résultat, un nouveau coup de semonce dans l’univers de la musique électronique, cette fois dans une gamme de prix équivalente au software, histoire de faire craquer les derniers réfractaires aux vrais instruments qu’on joue avec les doigts. Et aujourd’hui, le MicroBrute est déjà en boutique !
Plus petit mais toujours costaud
Qu’y a-t-il de plus compact que le MiniBrute ? Le MicroBrute pardi ! Il occupe la moitié de la surface de son mini-frère. La taille réduite est permise par clavier de 2 octaves à mini-touches, soit 32 cm de large pour 22 cm de profondeur. Ce n’est plus dans un sac à dos qu’il tient, mais dans une housse de PC. L’alu massif de la coque a cédé place à un plastique moulé très rigide ; seule la plaque de fond est métallique, ce qui limite le poids à 2 kg. Cependant, une impression de solidité se dégage. Les potards sont fermes, les curseurs d’enveloppe agréables et les petits sélecteurs suffisamment francs du collier malgré le léger jeu de la tige. Le mini-clavier est correct, avec une résistance équilibrée pour ce type de clavier : il transmet la vélocité vers l’extérieur, mais le MicroBrute n’y répond pas en interne. Toutes les commandes sont en prise directe, il n’y a pas de contrôle numérique sauf le tempo : pour s’amuser, on a 19 potards (dont un à détente centrale pour la modulation bipolaire de l’enveloppe de filtre), 1 sélecteur rotatif 8 positions, 4 curseurs linéaires, 6 sélecteurs linéaires (2 ou 3 positions) et 2 boutons de bascule d’octave (-2 –1 0 +1 +2). De quoi faire ! Les commandes sont logiquement réparties sur 2 rangées, ce qui facilite la prise en main : oscillateur, filtre en haut ; LFO, enveloppe et séquenceur en bas. Le potard le volume n’a pas été oublié, relié à la sortie audio envoyant du +4dB. Les 2 molettes de pitch et modulation sont bien là, aussi petites que sur le MiniBrute, placées juste au-dessus du clavier pour conserver la compacité générale.
Petite nouveauté par rapport au MiniBrute, on trouve une matrice de modulations en haut à droite de la façade sous forme de 8 connecteurs mini-jack ; deux petits cordons de patch sont d’ailleurs fournis, nous en reparlerons plus tard. Sur le panneau arrière, la connectique prend toute la place disponible. Interrupteur secteur, borne pour alimentation externe, prise USB (entrée / sortie Midi uniquement, la bestiole ayant besoin de plus de patate que l’USB ne peut délivrer pour être alimentée), entrée Midi, entrée audio jack 6,35 avec potard de gain dédié (permettant un gain plus pêchu que sur le MiniBrute), sortie casque mini-jack, sortie audio jack 6,35, entrée Gate mini-jack, sortie Gate mini-jack, sortie Pitch + Bend mini-jack, port Kensington antivol et potard d’accordage général. Ceux qui savent compter en déduisent qu’il y a 2 potards à l’arrière du MicroBrute ; Arturia a eu l’excellente idée de les rendre entièrement escamotables en appuyant dessus, ce qui les protège des coups ou mouvements non souhaités, bien vu ! A partir de leurs observations, les plus observateurs observeront 2 petits trous situés entre le potard d’accordage et le port Kensington : ils servent à étalonner le VCO (fréquence initiale + pente en Volt/octave). En revanche, même défaut que sur le MiniBrute, il n’y a pas d’entrée pour pédales.
Filiation presque assurée
Dès les premières manipulations, on retrouve le grain original du MiniBrute. La filiation est donc assurée. On peut obtenir exactement les mêmes sons avec des réglages identiques (à l’exception des fonctions du MiniBrute absentes sur le MicroBrute, bien évidemment). On retrouve avec plaisir l’oscillateur unique à ondes multiples mixables et modulables qui ouvrent immédiatement de larges territoires expérimentaux. Lorsqu’on pousse le volume des formes d’onde, on sature le filtre et le son devient plus sale. Le filtre résonne toujours sans aucune retenue passés les 75% de course de résonance, ce dans tous ses modes ; ça hurle aussi fort qu’un MS20 qui se serait coincé l’oscillateur dans un couvercle de CS80. Avec le Brute factor, on crée de la distorsion qui va du simple réchauffement climatique à la pire catastrophe naturelle analogique. L’enveloppe claque toujours aussi fort ! Tiens, le Sub a évolué, on peut maintenant mélanger sa tonalité de l’octave à la quinte en continu. Tiens bis, il n’y a pas de générateur de bruit, dichtre fiantre !
Avec la matrice de modulation et le séquenceur, on s’amuse vraiment beaucoup : par exemple, on choisit un LFO carré synchronisé au séquenceur et on l’assigne au Sub via la matrice : on alterne ainsi entre le Sub à l’octave ou à la quinte en synchro avec le séquenceur (dont on a pas mal abusé dans les exemples audio, avouons-le, mais cela permettait de faire varier le son avec les 2 mains). En modifiant la vitesse du LFO synchronisé, on change la division temporelle et donc la fréquence des modulations, le résultat est surprenant. Autre délire, on assigne l’onde triangle du LFO à la PWM de l’onde impulsion, ou encore au Metalizer de l’onde triangle. Cela donne envie de se fabriquer des cordons multiples pour moduler plusieurs paramètres en même temps. En l’absence de mémoires programmes et autres modulations de paramètres via CC Midi (le MicroBrute étant un pur analo, à part le LFO, le séquenceur et la partie Midi), Arturia a conçu des feuilles de programmes que l’on place sur la façade, comme sur le MiniBrute, à l’ancienne. La machine est livrée avec 10 feuilles de Presets et 5 feuilles vierges.
- Bass Pulse 00:38
- Bass Saw 00:29
- Bass Metal Env 00:23
- Lead Metal Env 00:23
- Lead PWM Env matrix 00:33
- Lead Saw 00:25
- Arp Metal LFO matrix 00:31
- Arp Over LFO matrix 00:35
- Arp PWM LFO matrix 00:35
- Arp Ultra LFO matrix 00:35
- Arp VCO mix 01:02
- Arp Overtone 00:47
Unique et unique
L’unique voix analogique du MicroBrute est produite par un unique VCO, un vrai de vrai. Il faut d’ailleurs attendre quelques minutes pour que le four du Docteur Usson se mette à température de cuisson (52°C) pour faire mijoter le VCO de manière stable. Comme sur le MiniBrute, cet oscillateur est à la fois unique et unique : unique d’abord, parce qu’il n’y en a qu’un dans tout le synthé ; unique ensuite, parce qu’il est capable de mélanger très finement toutes ses formes d’onde (chacune avec son propre volume) mais aussi de les moduler (chacune avec un paramètre permettant d’en changer le contenu harmonique).
Les formes d’onde disponibles sont la dent de scie (transformable en Ultrasaw), l’impulsion (à largeur variable entre 50 et 90%, pour éviter qu’elle ne s’éteigne complètement) et le triangle (avec peinture métallisée de série pour créer des sons agressifs, palliant un peu le manque de synchro d’oscillateurs). S’ajoute un Sub oscillateur à onde carrée, continuellement variable de l’octave inférieure à la quinte, original et nouveau par rapport au MiniBrute ! Autre nouveauté, le générateur de bruit blanc est passé à la trappe, c’est bien dommage…
Sans échelle
Le VCF du MicroBrute est identique à celui du MiniBrute. Il est en grande partie responsable de l’originalité du grain. Plutôt que reprendre le filtre en échelle type Moog que l’on trouve sur la plupart des synthés analogiques, c’est un filtre Steiner Parker modifié qui a été utilisé. Il s’agit d’un filtre multimode résonant 2 pôles tournant en modes passe-bas, passe-bande et passe-haut (mais pas de réjection de bande cette fois !). La fréquence de coupure varie de 20 Hz à 18 kHz. Avec une coupure réglée entre 350 Hz et 8 kHz, la résonance peut pousser le filtre en auto-oscillation outrancière sans effondrer les autres fréquences ; il faut dire qu’elle a été domptée par Yves, Master Of The Youniveurse (c’est ainsi qu’on le nomme dans les milieux autorisés). La fréquence de coupure est directement modulable par le suivi de clavier (0 à 200%), l’enveloppe ADSR (modulation bipolaire) et la molette de modulation.
Le VCA arrive logiquement en bout de chaîne de traitement. On y trouve la fameuse boucle de feedback baptisée Brute Factor, positionnée entre la sortie du VCA et l’entrée du VCF. Suivant le réglage du facteur, de la coupure et de la résonance du filtre, les résultats sont variables : de simples saturations dans les graves aux distorsions les plus déchirantes ; heureusement que le niveau audio est en partie compensé automatiquement. L’enveloppe affecte directement le VCA sans qu’on puisse en régler l’intensité ; seul le mode Gate permet de contourner le problème en maintenant le VCA ouvert à 100%, mais attention aux clics.
Patche ou lis
Pour moduler le signal, le MicroBrute propose un Glide (portamento réglable). Il y a aussi un LFO et une enveloppe ré-assignables via une matrice de modulation. Le LFO est pré-assigné au pitch. Il fonctionne par défaut en cycle libre, mais peut être basculé en synchro de cycle via logiciel (cf. ci-dessous). Son action est modifiable en direct ou via la molette. La fréquence varie entre 0,1 et 200 Hz en mode libre. En mode synchro, la fréquence est calée sur l’horloge du séquenceur, le paramètre de fréquence permettant alors de modifier la division temporelle. Les formes d’onde disponibles sont le carré, la dent de scie et le triangle. Il n’y a ni onde aléatoire (pas de générateur de bruit), ni paramètre de délai. L’enveloppe est quant à elle de type ADSR ; elle est rapide et claquante ; l’attaque et le déclin varient de 2,5 ms à 2,5 secondes, alors que le relâchement varie de 5 ms à 5 secondes. L’enveloppe est en permanence assignée au VCA, sauf en mode Gate ou elle est désactivée. Elle est aussi pré-assignée au Metalizer de l’onde triangle.
La devise d’Yves Usson est « patche ou lis, fais ton choix, moi j’ai fait le mien… ». Pas étonnant que le MicroBrute offre une petite matrice de modulations à 3 sources x 6 destinations. Les sources sont le suivi de clavier (sortie CV à 1 Volt/octave située en face arrière), le LFO et l’enveloppe (sorties CV en face avant) ; dès qu’on enfonce un cordon dans une source, on déconnecte le pré-routage (LFO vers pitch / enveloppe vers Metalizer). Idem pour les destinations, judicieusement choisies : Metalizer, Ultrasaw, Sub (mixage octave / quinte), PWM, pitch et filtre. Une manière bien pensée de contourner le nombre restreint de modulations directes, là où le MiniBrute était beaucoup plus costaud. En revanche, le VCA ne fait pas partie de la liste des destinations, c’est bien dommage. Comme nous l’avons dit, les plus bricoleurs n’attendront pas très longtemps avant de se confectionner des cordons multiples pour assigner une source à plusieurs destinations, genre insectes à 6 patches. On peut aussi profiter de cette matrice pour connecter le MicroBrute à un synthé analogique modulaire, que ce soit pour utiliser le LFO ou l’enveloppe comme sources, ou piloter les 6 paramètres-cibles à partir du modulaire, contournant ainsi la rareté de LFO et enveloppe internes !
Face cachée
Le MiniBrute intègre un arpégiateur, le MicroBrute comprend quant à lui un séquenceur de notes programmables en pas à pas. D’après le constructeur, il est d’ailleurs question que le MiniBrute évolue rapidement en ce sens via mise à jour de l’OS. Il y a 8 motifs réinscriptibles et sauvegardés en mémoire. Chaque séquence offre 64 pas constitués d’une note entrée au clavier ou d’un silence (touche Tap / Rest). On ne peut éditer une séquence déjà en mémoire, juste repartir de zéro, c’est bien dommage. Lorsqu’on lance la séquence, le clavier la déclenche et la transpose en temps réel. Les notes émises peuvent être transmises par CV / Gate (ce qui permet de piloter un synthé analogique externe) ou via USB (pour le Midi Out). Le logiciel gratuit Arturia MicroBrute Connection (OS 0.9b testé) permet de choisir le mode de lecture (Hold, Retrigger, Next Step, Gate) et la division temporelle par rapport à une horloge externe. L’option « Step On » fait avancer la séquence, soit via l’entrée Gate, soit via la touche Tap Tempo, sympa. Sont prévus au programme les envois / réceptions de séquences, groupées ou individuelles… pouvoir aussi les éditer serait grandiose !
C’est également par le biais de ce logiciel que l’on peut modifier certains autres paramètres internes inaccessibles depuis le MicroBrute seul : mode de redéclenchement du LFO et de l’enveloppe, priorité de note (haute, basse, dernière) ; Yves Usson nous a donné l’astuce suivante, pour ceux qui comptent utiliser simultanément un MicroBrute et un MiniBrute : en réglant la priorité de note sur « haute » et « basse » respectivement pour chaque synthé, on peut jouer en mode duophonique. Tiens d’ailleurs, sans pousser au vice, avoir les 2 sous la main… 2 VCO, 2 VCF, un arpégiateur, un séquenceur, ça se complète bien toussa, miam… C’est aussi via ce logiciel qu’on choisit le canal Midi d’émission, le canal Midi de réception et la courbe de réponse en vélocité du clavier en émission (linéaire, exponentielle logarithmique).
Le mot de la fin
Qui aurait pensé il y a deux ans qu’on pourrait acheter un synthé analogique neuf, moderne, original, transportable sur toutes les scènes et puissamment armé pour 500 € ? Aujourd’hui, on peut s’offrir un MicroBrute pour quasiment la moitié de ce prix, ça parait dingue ! Ce modeste investissement, du même ordre de grandeur qu’un soft, permet d’avoir un grain analogique bien trempé, des commandes directes pour déclencher / triturer le son en temps réel et un interfaçage avec différentes générations de synthés. Les arbitrages existent mais ne sont pas rédhibitoires et les ronchons aux gros doigts pourront se rabattre sur un clavier de commande séparé. Ceci mis à part, voici un synthé à part entière qui devrait faire tomber les dernières barrières de résistance et séduire les plus réfractaires aux vrais instruments électroniques. Quant à ceux qui ont déjà un MiniBrute, le Micro est grand ouvert et leur tend la perche. Allez hop, un Award qualité / prix 2013 largement mérité !
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