Dévoilée à la rentrée, la nouvelle série Boutique de Roland propose d’emblée trois mini-synthés numériques modélisant des références vintage de la marque. Au menu de ce test, le JX-03.
Small is beautiful. C’est incontestablement le mot qui circule dans les départements R et D des fabricants de synthés ces dernières années. Le MiniBrute d’Arturia a ouvert un segment de marché où les non-claviéristes, qu’ils soient MAOistes, guitaristes, bassistes, DJ ou encore chanteurs, se sont vu proposer une offre innovante de synthés plus compacts, plus mobiles, plus directs, plus économiques… avec beaucoup moins de touches que le standard, puis des touches plus petites, ce qui n’a pas manqué de faire râler les habitués de la voltige au clavier, entre 61 et 88 touches. Les réactions furent et demeurent vives, voire extrêmes, certains parlant de « fin d’une époque », de « n’importe quoi » et même d’« arnaque » !
Ce constat de changement de paradigme nous renvoie au concept de destruction créatrice de Schumpeter : l’innovation est précédée d’une période de destruction. Cela s’est produit maintes fois, il y a un bout de temps déjà : l’imprimerie a laminé les moines copistes, la lampe à incandescence a soufflé la bougie, la photo numérique a virtualisé l’argentique… Sera-ce le sort réservé aux grands synthés ? C’est ce que semble nous dire Arturia (MicroBrute), puis Korg (MS20 Mini/ARP Odyssey) et tout récemment Yamaha (Reface DX, CS, CP, YC). C’est maintenant au tour de Roland de s’y mettre, proposant sa propre vision du micro synthé autonome, présenté dans sa nouvelle Boutique, avec pas moins de trois modules accompagnés de leur station d’accueil, modélisant trois synthés vintage de légende : le JP-08 (Jupiter-8), le JU-06 (Juno-106) et le JX-03 (JX-3P & PG-200). Après l’ultrabook, le segment de l’ultrasynth s’installe… mais pour le moment, déballons le JX-03.
Mini module
Les commandes sont de bonne facture et agréables à manier : 18 potentiomètres, 6 sélecteurs rotatifs, 7 interrupteurs et 21 boutons lumineux francs. Certes, elles sont très serrées et on pourrait craindre que l’espacement des potentiomètres rotatifs soit insuffisant, mais on se rend compte à l’usage qu’ils sont tout à fait jouables, d’autant que leur bonne résistance limite les fausses manipulations.
La prise en main est immédiate, car la grande majorité des paramètres est directement accessible en façade. Le reste se fait en combinaison avec les touches [Chorus] ou [Manual] ; cela concerne essentiellement les fonctions du séquenceur ou les réglages globaux, tels que l’accord global, le canal MIDI, la transposition d’octave (-4 /+5) ou par demi-ton, la courbe de réponse à la vélocité (assignée au volume uniquement) ou le tempérament de jeu via le ruban de Pitch bend ; cela concerne aussi quelques paramètres de synthèse additionnels mémorisés avec les programmes : temps de portamento, mode de jeu (solo/unisson/poly) et effet délai. Dommage que le constructeur n’ait pas sérigraphié ces fonctions sur la façade, il restait de la place pour cela.
Le JX-03 reprend l’intégralité des commandes du PG-200 et la charte graphique du JX-3P : DCO et leurs modulations, VCF, VCA, LFO et enveloppe unique. La rangée inférieure est composée de boutons lumineux, permettant de gérer les presets, les programmes, les séquences et les fonctions globales. À gauche, on trouve deux rubans d’expression avec rappel et rétro-éclairage latéral suivant la position (délicate attention), l’un pour le Pitch bend, l’autre pour la modulation ; le premier permet également la pré-écoute des sons lorsque rien n’est connecté à la machine, avec choix du tempérament parmi 16 types prédéfinis.
La connectique, située à l’arrière, est commune à la série Boutique : interrupteur secteur, port USB type micro B (alimentation, MIDI et audio), mini potentiomètre de volume, sortie casque, sortie ligne, entrée ligne (routée directement vers les sorties audio analogiques/USB, pour cascader plusieurs modules) et entrée/sortie MIDI au format DIN. Toute la connectique audio est au format mini-jack stéréo. En dessous du module, on trouve un petit HP (dont nous reparlerons) et une trappe pour insérer les 4 piles AA-LR6 fournies (à défaut d’un cordon micro USB/alimentation secteur non fourni). En conjonction avec le petit HP et le ruban de Pitch bend, elles rendent le synthé totalement autonome, du moins pendant les 6 heures annoncées par le constructeur.
ACBien mieux
Dès les premières notes, le JX-03 nous donne un sourire de satisfaction. Les niveaux audio sont élevés et ceux qui utilisent un casque pour lecteur MP3/smartphone ont intérêt à réduire le volume avec le petit potentiomètre idoine situé à l’arrière !
Outre un mode manuel, la machine propose 16 mémoires utilisateur et les 32 presets originels du JX-3P. Aucun doute que le JX-03 soit le fils numérique de son père analogique, non seulement au niveau des commandes, identiques, mais aussi sur le plan du son. L’écoute des presets nous rappelle immédiatement le JX-3P de notre jeunesse, avec des strings au chorus ample, des orgues percutants (un poil plus que sur le modèle d’origine, de mémoire), des cuivres généreux (avec ou sans chorus) et des basses bien rondes. On n’oublie pas les classiques, tels que Chime (carillon à base de Metal Mod), Voice (voix humaine solo un peu retravaillée pour l’exemple audio), Filter Flow (balayage de filtre chaleureux), Sync Wah (synchro rapide), Sync Sweep (synchro lentement modulée) ou encore Planet (nappe résonante). On apprécie la qualité du filtre modélisé et les interactions d’oscillateurs bien maîtrisées, signature du JX. Le souffle originel du chorus a même été reproduit, mais on peut régler le volume par combinaison de touches.
On retrouve donc le grain et les points forts caractéristiques du JX-3P dans le JX-03. Mais ce qui nous a le plus plu, c’est la qualité de la modélisation ACB reproduisant les imperfections de l’analogique, avec une fluidité remarquable des commandes continues
. Les oscillateurs sont stables comme les DCO du JX-3P, mais on entend de petites fluctuations subtiles dans les filtres et les niveaux quand on alterne les voix… C’est très appréciable sur un synthé polyphonique ! Lorsqu’on débranche la sortie audio ou casque, le petit HP intégré est activé : autant le dire tout de suite, son 0,5 W et sa position à l’arrière ne lui permettent pas de briller. Très vite, il sature et peine à restituer les aigus et surtout les graves. Il est loin du niveau des 2 × 2 W + Bass Reflex des Reface de Yamaha, mais permet aux synthés Boutique de rester sous la barre des 5 V/500 mA de consommation, synonyme d’alimentation via USB. On ne peut pas tout avoir…
- A2 Strings2 00:14
- A3 Organ1 00:19
- A4 Organ2 00:18
- A12 Vibraphone 00:11
- A13 Chime 00:19
- A15 Accordian 00:09
- A16 Voice 00:19
- B6 SynthBrass2 00:15
- B8 JuicyFunk 00:12
- B9 FilterFlow 00:23
- B12 SyncSweep 00:21
- B15 Planet 00:13
- A1 Strings1 00:14
- A7 Brass2 00:12
- A8 EPiano1 00:13
- A9 EPiano2 00:11
- A10 Clavinet 00:12
Cœur ouvert
Le JX-03 est un synthé numérique à modélisation analogique (un VA) polyphonique 4 voix et monotimbral. On peut jouer les 4 voix en polyphonie, monodie ou à l’unisson (sans accès au Detune entre les voix). En polyphonie, il n’y a pas de vol des voix, c’est un peu ballot. Le JX-03 modélise les 32 paramètres de synthèse du JX-3P sorti en 1983, en reprenant les commandes directes du module PG-200, auxquels il apporte quelques fonctions supplémentaires, à savoir des ondes supplémentaires pour les oscillateurs et le LFO, ainsi que de nouvelles intermodulations d’oscillateurs. Le son est généré par 2 oscillateurs accordables de 2 à 64 pieds par octave, avec accordages grossier et fin pour le second. Ils peuvent s’intermoduler de 5 manières différentes : 2 synchro (soft et hard), 2 Cross Modulation et 1 Ring Mod pour générer un tas d’effets spéciaux métalliques et de sons de cloche. Chaque oscillateur offre 6 formes d’onde : sinus, triangle, dent de scie, impulsion fixe, carré et bruit (rose sur le premier oscillateur, blanc sur le second). Il n’y a donc pas d’impulsion variable, comme sur le JX-3P. Le pitch de chaque oscillateur peut être modulé par le LFO et l’enveloppe, avec quantités séparées et inverseur d’enveloppe.
Le signal des deux oscillateurs est mélangé dans une balance puis passe dans un filtre passe-haut statique, suivi d’un filtre passe-bas résonant 4 pôles, qui s’arrête à la limite de l’auto-oscillation, comme sur le JX-3P. La fréquence de coupure peut être modulée par le LFO, l’enveloppe (bipolaire) et le suivi de clavier. La résultante passe alors dans un ampli, dont on peut régler le volume et la source de modulation (Gate ou enveloppe). Le LFO est assez basique, avec réglage de la vitesse (non synchronisable en MIDI), du délai et de la forme d’onde parmi 6 possibilités : sinus, triangle, dent de scie descendante, carrée, aléatoire et bruit. L’enveloppe est une classique ADSR, bien pêchue de surcroit. Elle est, en résumé, assignable au pitch, au filtre et à l’ampli. En sortie d’ampli, le JX-03 offre un chorus stéréo, qui élargit et réchauffe le son de manière importante. Il souffle tout autant que son modèle, mais comme déjà dit, on peut en régler le niveau par combinaison de touches ([Manual] + [12] puis [1] – [2] – [3] pour 0% – 50% – 100% de souffle). En bout de chaîne, on trouve un effet délai basique, dont on peut régler le niveau, le temps et le feedback sur 16 valeurs. Toujours ça de pris… Tous ces paramètres sont sauvegardés dans une mémoire un peu light de 16 programmes utilisateurs préchargés d’usine, en plus des 32 Presets d’origine.
Séquenceur 16 pas
Le JX-3P proposait un petit séquenceur à un seul motif de 128 pas, transposable à la volée. Le JX-03 intègre quant à lui un petit séquenceur 16 pas et 16 motifs, sauvegardés indépendamment des programmes. On bascule en mode séquenceur en appuyant simultanément sur les touches [Chorus] et [Manual] ; on en ressort de la même manière, sans arrêter la reproduction en cours, ce qui permet de changer de programme alors que le séquenceur tourne. Le séquenceur joue au tempo souhaité ou en synchro MIDI. Son transport se limite à une unique touche Play / Stop. On le programme avec les 16 boutons lumineux et [Chorus]/[Manual] situés en rangée inférieure. Les fonctions ne sont pas sérigraphiées, ce qui est un mauvais point, sauf pour le développement de la mémoire…
Il existe 4 signatures temporelles : triple-croche, double-croche, triolet de doubles-croches et triolet de croches. Pour chaque pas (entre 1 et 16), on peut entrer une note et une seule, au moyen du clavier ou du ruban de Pitch bend, ou garder le silence, ce qui veut dire que le séquenceur est monodique. La vélocité est prise en compte lorsqu’on entre les notes au clavier, sympa. Le temps de Gate se règle avec le ruban de modulation, pour chaque pas ou de manière globale (avec la touche [Chorus]). Chose amusante, il existe différents modes de lecture : à l’endroit, en inversion des pas impairs/pairs, pas pairs joués seuls, pas impairs joués seuls, pas impairs puis pairs, pas pairs puis impairs, aléatoire. Du coup, ça met du groove dans le rythme, groove que l’on peut accentuer avec un Shuffle programmable. L’automation des commandes n’est toutefois pas possible et les notes séquencées ne sont pas transmises en MIDI/USB. De même, on ne peut pas transposer la lecture à la volée. Ce serait bien que des améliorations d’OS prennent cela en compte…
MIDI et audio
Pour communiquer vers l’extérieur, les synthés Boutique sont équipés de prises MIDI et USB. Un mode Chain permet de cascader plusieurs JX-03 via MIDI Out/In (et audio Out vers In) et ainsi augmenter la polyphonie. Une fois dans ce mode, les notes au-delà de 4 simultanées sont transmises par MIDI Out à la machine suivante (connectée en MIDI In, donc…). Les commandes en façade émettent alors des CC ou des Sysex ; même les changements de programme lancent une séquence de Sysex, nous ignorons s’il s’agit d’un dump du programme sélectionné, faute de documentation sur le sujet. On pourra aussi brancher la sortie audio du module esclave dans l’entrée audio du maître, ça évitera de manger une entrée stéréo sur la table ou la carte son, c’est d’ailleurs pour ça qu’elle est faite.
C’est via USB que l’on peut sauvegarder et restaurer les mémoires du JX-03 : cela ne fonctionne pas en dump Sysex, il faut relier le JX-03 à un ordinateur et le mettre en mode spécial à l’allumage en maintenant une touche. L’ordinateur accède alors à un répertoire contenant deux sous-répertoires : Backup et Restore. Backup contient les fichiers de chaque programme et séquence. Il suffit alors de placer ces fichiers dans le répertoire Restore pour les retrouver le moment voulu.
C’est aussi grâce à la prise USB que le JX-03 se transforme en interface audio stéréo 24 bit/44 kHz en entrée/sortie. Les sons du module et de son entrée audio analogique sont ainsi convertis en numérique et peuvent être envoyés à une STAN. Réciproquement, les sons sortant de la STAN sont convertis et envoyés à la sortie audio analogique du module. C’est donc un instrument virtuel dépourvu d’automation de ses commandes de synthèse, compte tenu de ce que nous avons dit précédemment. Ceci nécessite au préalable d’installer le driver PC/Mac fourni par Roland (indisponible au moment de notre test). Franchement c’est agréable de voir des capacités audio over USB présentes sur les instruments de cette gamme, la concurrence ferait bien de s’en inspirer, surtout sur des machines plus élitistes…
On the road
La nouvelle série Boutique est une réponse bit pour bit à la série Reface de Yamaha. Vu le court délai entre la sortie des deux séries, il est fort à parier que les deux constructeurs les ont développées en même temps. Si l’approche et la cible sont identiques (musiciens/chanteurs/DJ nomades souhaitant un synthé de voyage autonome), la conception diffère un peu. Roland a opté pour un concept intelligent de module VA connectable au besoin à une station d’accueil, avec une alimentation par pile ou USB. Ceci limite la puissance du système d’amplification intégré, réduit ici à sa plus simple expression. Là où Roland remporte la mise, c’est sur l’audio over USB et le pilotage total de modules cascadés par CC ou Sysex Midi. Le choix entre les différentes offres se portera également sur le type de synthèse ou le modèle de synthé émulé. Et sur ce point, le JX-03 réussit sa mission, que ce soit sur le plan du look, des commandes ou du son. Roland n’a pas oublié les mémoires, ce qui rend le JX-03 totalement autonome. Avec un prix très calculé, voilà une alternative à considérer par ceux que la rareté, le prix, l’ergonomie (sans PG-200) et la maintenance du JX-3P rebutent !
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