35 ans après RSF, Arturia présente un synthé original, compact, couvert de commandes et démocratique. Voyons les atouts du MiniBrute pour reprendre le flambeau du plus célèbre synthé français analogique monophonique.
Le marché du synthé analogique est devenu inaccessible pour la plupart des musiciens : soit les machines sont positionnées dans le très haut de gamme, comme chez Moog Music, soit leurs fonctionnalités en font des instruments complexes, comme chez DSI. Par ailleurs, la cote des machines vintage ne cesse d’augmenter, parfois dans des proportions exponentielles et injustifiées. Enfin, on voit exploser les sites de SDIY, dirigés par les fondus du fer à souder construisant eux-mêmes leurs modules. Résultats, le prix, la rareté, les risques de maintenance et l’ergonomie deviennent autant de freins pour toute une partie de passionnés de musique électronique, qui se rabattent sur le VA ou le logiciel. Il y a deux ans, partant de ce constat, Arturia a défini le cahier des charges d’un nouveau synthé : analogique, original, doté d’un son agressif, simple à utiliser, au look soigné et vendu dans les 400€. Ainsi, le MiniBrute est né de la volonté d’offrir au plus grand nombre de musiciens un synthé unique, tant au niveau du son que du design, abordable et même capable d’entrer dans une sacoche de portable. Pour développer la partie analogique, Arturia a fait appel aux talents d’Yves Usson, alias Yusynth, concepteur Grenoblois de synthés modulaires bien connu des communautés de passionnés. C’est chez Yves que nous avons réalisé ce test en avant-première, sur l’un des 6 MiniBrute de présérie, au beau milieu de ses modulaires mythiques (au passage, merci à Etienne et Estelle pour la prise de notes et votre patience infaillible pendant cette journée bien dense). Autant le dire tout de suite, l’alchimie entre Yves et Arturia a fonctionné à merveille…
Petit mais costaud
Le MiniBrute est l’un des synthés les plus compacts que nous ayons été amenés à tester, puisque sa largeur se limite au clavier de 2 octaves entouré des flancs en plastique moulé épais. Le reste de la carcasse est intégralement en alu gris et noir de bonne épaisseur, qui lui confère une excellente robustesse ; le MiniBrute ne plie pas ! La façade est jonchée de commandes parfaitement organisées : 29 potards, 14 curseurs linéaires, 7 sélecteurs, 3 boutons et 9 diodes permettent un contrôle immédiat de tous les paramètres ou presque. Ces commandes sont de bonne qualité et si les potards dévient un peu de leur axe, c’est uniquement parce qu’ils ne sont pas vissés au panneau avant, comme sur la plupart des machines, donc rien d’inquiétant. Certains potards assignés à des modulations bipolaires ont une détente centrale avec neutre électronique, parfois un peu prononcé sur le modèle testé, générant de petites inflexions dans la modulation. L’organisation est on ne peut plus logique : à gauche au-dessus du clavier, on commence par 2 mini-molettes (pitch + modulation) et 2 touches de transposition (sur plus ou moins 2 octaves, mais pas par demi-ton) n’intervenant que sur les nouvelles notes jouées mais pas sur la note maintenue, bien vu ! Viennent ensuite la section VCO, VCF et VCA, avec les réglages de niveau et les enveloppes sous forme de curseurs bien pratiques ; sans oublier le potard d’accord général sur +/- 2 demi-tons. La bande inférieure de commandes est dédiée aux modulations : molette, vibrato, LFO et arpégiateur. Le LFO et l’arpégiateur disposent de diodes qui suivent le tempo et les enveloppes de diodes qui suivent la modulation, sympa !
Le clavier de 25 touches est sensible à la vélocité (mais uniquement vers l’extérieur en Midi, quel dommage !) et à la pression (assignée à différentes destinations internes, cette fois). Il est de type semi-lesté, mais ne nous a convaincu ni par sa taille, ni par sa réponse trop sensible. En effet, il nous est arrivé de déclencher intempestivement des notes ou de la pression. La priorité de touche sera réglable grâce à un petit utilitaire téléchargeable gratuitement sur le site du constructeur, tout comme les courbes de réponse en vélocité et pression, ce qui arrange un peu les choses. Si seulement Arturia avait carrossé le MiniBrute dans un clavier 3 octaves de qualité supérieure, pour les musiciens exigeants !
Sur le panneau arrière, c’est le feu d’artifice, l’une des meilleures connectiques sur un synthé analogique : sortie CV / Gate, entrées CV (pitch, filtre, volume) / Gate, entrée / sortie Midi, prise USB (Midi over USB), entrée audio (avec différents modes de déclenchement d’enveloppe), sortie casque, sortie audio et prise pour alimentation externe 12V DC / 1A. Toute la connectique CV / Gate est au format mini-jack et la connectique audio est en jack 6,35. Les entrées CV / Gate sur le pitch fonctionnent en même temps que le clavier, la première modulation arrivée ayant la priorité sur l’autre ; le signal reçu par CV / Gate ne repart pas en Midi, ce qui paraît normal. Par contre, la conversion Midi vers CV / Gate fonctionne en permanence, transformant le MiniBrute en interface Midi / CV. Autre point remarquable, la sortie audio opère à +4dBu. Un niveau de connectique à peine croyable dans cette gamme de prix, bravo !
Fils de modulaire
La qualité audio d’un synthé ne tient pas qu’à la qualité et au choix des composants, mais aussi et surtout à l’imagination et au talent de ses concepteurs pour en régler les plages d’utilisation. A tel point que bien souvent, un synthé analogique est orienté pour certains types de sons, presque « bridé ». Pour designer le Minimoog, Bob Moog avait simplifié et assemblé certains éléments de ses gros modulaires. Yves Usson est parti du même principe, à partir de ses modules Yusynth. Il nous a confié avoir dans un premier temps connecté différents modules pour définir les meilleures combinaisons, avec les meilleurs plages de fonctionnement et de modulations ; puis il a réalisé un prototype en circuits traversants câblés, avant que les ingénieurs d’Arturia ne réalisent le design du circuit imprimé et l’intégration de la partie numérique. Le MiniBrute est donc un synthé essentiellement analogique (VCO, VCF, VCA et enveloppes), sans mémoires de patches, avec des commandes dédiées pour chaque fonction, en prise directe sur les circuits analogiques. La partie numérique concerne uniquement le LFO, l’arpégiateur et la configuration globale de la machine (plus de détails plus tard).
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A la fin des quelques heures qu’a duré le test, nous avons pu réaliser quelques exemples sonores bruts, avec le petit clavier 2 octaves, en prise directe unique et sans production additionnelle, afin de montrer les spécificités du grain et la variété des timbres possibles, en utilisant tour à tour les possibilités de la section VCO, le filtre, les arpèges, les modulations… donc là, c’est du maxi brut de décoffrage ! Première impression, le son est original, bien différent du sempiternel filtre à échelle de Moog. Il est pour autant gras et un poil agressif (ou plutôt rentre dedans), avec un niveau de sortie assez élevé ; deuxième constat, le MiniBrute n’est pas cantonné à un registre de prédilection comme la plupart des autres synthés ; il a un côté extrême, non bridé et bien punchy. Que ce soient les basses arrondies ou les infrabasses acides, les leads doux filtrés ou déchirants avec accrochage quand on pousse la résonance en conjonction avec le Brute Factor, les effets spéciaux variés, les sons modulés ou arpégés, il semble à l’aise partout. En fait, on sent la filiation au monde modulaire dans cette petite boule de nerfs. Nous avons également particulièrement apprécié son filtre très colorant sans perte de niveau quand on pousse la résonance et ses enveloppes qui claquent bien fort en mode rapide.
- Ultrasaw00:21
- Metalizer&Env00:31
- Brute Factor00:21
- Saw&Sub00:16
- Phatt Butt00:14
- SubBPF00:19
- SubHPFNoise00:14
- Noise&Brute Factor00:38
- Arp&LPF01:00
- Arp&VCOMixTouic03:26
- Arp&Perky00:38
VCO vitaminé
Afin de maintenir le prix de revient à des niveaux raisonnables, le MiniBrute est mono oscillateur. Cela aurait pu faire une section VCO un peu tristounette, mais c’était sans compter sur le génie du concepteur. En réalité, Yves s’est ingénié à contourner les principales limites d’un synthé mono oscillateur classique : pas de synchro ni de modulation en anneau, pas de désaccordage des ondes pour épaissir le son, pas d’addition d’ondes différentes, pas de balance… comme nous allons le voir, le MiniBrute fait tout aussi bien, voire mieux que la plupart des synthés analogiques à double VCO ! Non seulement il permet de cumuler toutes ses formes d’onde simultanément, mais en plus les niveaux de chaque onde sont modifiables.
Au programme : dent de scie, rectangle, triangle, générateur de bruit et Sub VCO… sans oublier l’entrée audio qui vient se mélanger à cette section de luxe. Mais là où le MiniBrute enfonce le clou, c’est dans la possibilité d’enrichir le contenu harmonique de ses ondes de base et de moduler ce contenu. Pour commencer, l’onde en dent de scie peut se transformer en redoutable Ultrasaw ; on accède à 2 paramètres : Ultrasaw Amount, qui règle le niveau d’injection de l’effet et Ultrasaw Rate, qui règle le battement de 0,1Hz à 10Hz. Pour créer cet effet, le signal en dent de scie est copié 2 fois, chaque copie étant déphasée, l’une fixe à 1Hz, l’autre ajustable par le potentiomètre dédié. On passe ainsi progressivement d’une dent de scie plate à une texture légèrement épaissie, puis un chorus, puis une supersaw (si prisée en musique techno) jusqu’à des effets plus extrêmes.
L’onde rectangle est une impulsion à largeur variable classique, réglable entre 50% (onde carrée) et 90% (l’impulsion ne va pas jusqu’à 100% pour éviter le silence). L‘onde triangle peut passer par un Metalizer, qui ajoute des harmoniques par repliement d’onde ; cet effet est capable de simuler des synchros, des sons métalliques ou une table d’onde façon PPG suivant les modulations qui lui sont assignées. Un module Metalizer va d’ailleurs venir enrichir la collection de modules Yusynth (cf. photo de la carte électronique dans la main du Maître). La largeur du rectangle et le Metalizer sont simultanément modulables par l’enveloppe de filtre (bipolaire) et le LFO, permettant de faire évoluer plus ou moins brutalement le spectre sonore.
Ensuite, le MiniBrute offre aussi un Sub VCO pouvant tourner 1 ou 2 octaves en dessous de la fondamentale, avec une onde sinus ou carrée, permettant de renforcer les basses en douceur ou brutalement. Enfin, un générateur de bruit blanc analogique vient compléter cette magnifique section. Précision technique, la stabilisation du VCO s’opère après 5 à 10 minutes de chauffe, grâce à un système de four à 52°C, permettant une large plage de température de fonctionnement sans broncher. On sent d’ailleurs une partie de la chaleur dégagée par ce système sur le panneau de la machine, comme si l’alimentation était interne ! Bref, voici une section inédite, qui permet de s’amuser longtemps sans toucher au filtre ou au Brute Factor. On applaudit des deux mains !
VCF dopé
Le filtre du MiniBrute est une heureuse alternative au traditionnel filtre à échelle passe-bas 4 pôles. Il s’agit d’une modification d’un filtre multimode résonant 2 pôles désigné par Steiner Parker (que l’on trouve sur le rarissime et prisé Synthacon). Il fonctionne en modes passe-bas, passe-bande, passe-haut et réjection de bande. L’auto-oscillation a été modifiée pour être plus maîtrisable et musicale (pas aussi déjantée) que sur l’original ; elle entre en action entre 350 Hz et 8 kHz, en conjonction avec le Brute Factor (voir ci-après). On apprécie la variété de couleur (de très doux à très criard), la large plage de fonctionnement (20 Hz à 18 kHz) et l’absence de perte de puissance quand on pousse la résonance. La fréquence de coupure dispose d’un suivi de clavier (de 0 à 200%) et d’une enveloppe ADSR (avec modulation bipolaire) ; elle peut également être modulée par différentes sources et contrôleurs (cf. ci après). Yves va d’ailleurs développer un nouveau module Yusynth basé sur ce filtre.
En fin de chaîne ou presque, le VCA dispose d’une enveloppe ADSR dédiée, indépendante de l’enveloppe de filtre. Vient ensuite le Brute Factor™, une boucle de feedback entre la sortie du VCA et l’entrée du filtre inspirée du Minimoog, permettant de créer des distorsions avec accrochage, allant jusqu’à l’ultra-saturation du signal où seule la fondamentale ressort bien saturée. Une compensation automatique de niveau a été intégrée au circuit (atténuation en sortie quand on pousse la modulation), ce qui permet d’économiser un réglage. Le volume final possède des contrôles de niveau séparés pour la sortie casque et la sortie audio, le luxe !
Ça balance un max !
Côté contrôleurs physiques, le MiniBrute offre pas mal de souplesse pour les modulations. A commencer par la molette du même nom qui peut contrôler, au choix, soit la fréquence de coupure du filtre, soit la quantité de vibrato sur le VCO, soit la quantité de LFO appliquée à différentes destinations. La pression peut être affectée soit à la coupure du filtre, soit au vibrato. La plage du Pitchbend varie entre +/- 1 demi-ton et +/- 1 octave. Un potard Glide ajoute un effet portamento, de 0 à environ 2 secondes par octave. Passons aux autres sources de modulation. Le vibrato agit sur la hauteur du VCO ; il offre les ondes sinus, carré vers le haut (trille ascendant) et carré vers le bas (trille descendant), très utiles ! La fréquence varie de 3 à 30 Hz. Le LFO et l’arpégiateur sont numériques, comme nous l’avons vu, pour permettre la synchronisation parfaite des horloges. Le LFO offre 6 formes d’onde : sinus, triangle, rampe, carré, S&H standard (à paliers) et S&H lissé (continu) ; le générateur de S&H et l’intégrateur pour créer le S&H lissé sont purement analogiques, sous horloge numérique ; la vitesse de lissage est variable en fonction du tempo, parfait ! Le LFO travaille de 0,1 Hz à 100 Hz et peut se synchroniser à l’arpégiateur ; il est capable de moduler la largeur d’impulsion de l’onde rectangle et le Metalizer de l’onde triangle du VCO simultanément, le pitch, la coupure du filtre et le volume. Toutes ces modulations sont indépendantes et bipolaires. En revanche, il n’y a pas de réglage de délai d’apparition de l’effet.
Les enveloppes sont de type ADSR ; elles offrent 2 vitesses de réponse sur les temps : rapide (de 1 ms à 1 s) ou lent (de 10 ms à 10 s) ; elles sont affectées au VCF et VCA dans le dur, mais la première peut aussi moduler la largeur d’impulsion de l’onde rectangle et le Metalizer de l’onde triangle, comme nous l’avons déjà vu. Le profil des segments de temps est exponentiel, ce qui leur confère une bonne pêche en mode rapide ; seul compromis, l’absence d’affectation d’une enveloppe au pitch, quel dommage ! Cette – par ailleurs – excellente section de modulation se conclut avec un arpégiateur bien pensé, doté d’une fonction Hold, travaillant sur 1 à 4 octaves, suivant 4 motifs basiques (haut, bas, alterné, aléatoire), un facteur de swing (jusqu’à 75%) et différentes divisions temporelles (de la noire au triolet de double-croche). Le tempo peut être réglé de 30 à 260 bpm, avec un potard dédié ou une touche Tap. En synchro Midi / USB, la signature peut être multipliée ou divisée par 2. Petite astuce (activable ou non via le futur utilitaire), l’arpégiateur peut agir comme un petit séquenceur 12 notes, en maintenant la première note et en entrant les notes suivantes dans l’ordre à reproduire, sympa.
Un zest de numérique
Comme nous l’avons vu, les LFO et arpégiateur du MiniBrute sont numériques. La machine renferme également une partie soft qui contrôle le Midi / USB et le réglage de certains paramètres basiques. Cette partie sera accessible via un utilitaire en cours de finalisation, d’où l’on règlera le canal Midi, la courbe de vélocité, la courbe de pression, le gain d’entrée audio, le mode de déclenchement du LFO, le mode de jeu (priorité de note), l’activation du mode legato et le mode de l’arpégiateur (avec / sans mémoire de note). Le système d’exploitation pourra également être mis à jour via l’utilitaire. Tout cela est clairement expliqué dans l’excellent manuel en Français de 52 pages, qui détaille précisément et de manière très didactique le rôle de chaque paramètre et accompagne le lecteur, en particulier néophyte, dans ses premiers pas dans la synthèse sonore. Bravo !
Conclusion
Voilà, nous sommes déjà arrivés à la fin de notre parcours, il est presque temps de laisser la parole à Yves. Force est d’avouer que le MiniBrute nous a bluffés tout au long du test. Les mots qui nous viennent à l’esprit pour le décrire sont originalité, richesse, polyvalence, ergonomie, qualité, connectivité… difficile de faire le tour des combinaisons sonores possibles, car elles sont toutes vraiment pertinentes. Mais ce qui nous étonne le plus, c’est le tarif ultra compétitif de cette petite bombe analogique. On en serait presque à oublier ses petits défauts, le principal étant la taille et la réponse du clavier. Quels que soient nos moyens, notre expérience, notre arsenal, nos besoins ou nos goûts, tout nous pousse irrésistiblement à faire une petite place bien au cœur de notre dispositif pour un MiniBrute. Assurément un coup de maître et notre coup de cœur 2012 !
Interview d’Yves Usson, docteur modulaire et co-concepteur du MiniBrute
Chercheur émérite dans le domaine des biotechnologies, Yves Usson est également un passionné de synthèse analogique modulaire ; collectionneur de modèles rares, il est aussi concepteur de ses propres modules Yusynth qu’il partage sur Internet avec d’autres adeptes du SDIY ; pas étonnant que le nom de ce personnage charmant et modeste soit un jour associé à un synthé commercial tout à fait original, dont il a conçu la partie analogique. Au moment d’entrer chez lui, un détail nous frappe, si on peut dire : sa sonnette est en panne…depuis plus de 20 ans !
AF : Yves, quel est ton parcours ?
Enfant, j’étais un élève qui avait la facilité, c’est-à-dire que le niveau de ce qui m’était proposé était très largement à ma portée et donc je n’avais pas à fournir d’effort en classe pour obtenir de bons résultats scolaires. Cela m’a permis de sauter un certain nombre de classes au primaire, avance que j’ai reperdu bien plus tard en Fac, où trop habitué à la facilité, j’ai eu du mal à me convaincre qu’il fallait peut-être commencer à travailler un minimum pour avoir le niveau. Sinon tout au cours de mon parcours scolaire et universitaire, j’ai développé un goût très marqué pour la technologie et les sciences, en particulier pour l’électronique (lycéen j’étais passionné par le radio-amateurisme et j’ai dirigé le club d’électronique de mon bahut). Après un doctorat en biologie cellulaire et moléculaire et une année-post-doctorale à la Fac de médecine d’Otago en Nouvelle-Zélande, j’ai intégré le C.N.R.S. en 1988 comme chercheur dans le domaine du génie biomédical. Mon secteur d’activité se situe dans le développement de l’imagerie en biologie.
Comment a commencé ta passion pour les synthés analo ?
Elle a commencé très tôt, en fait en 1969/70 quand on a pu entendre sur les ondes radio les premiers titres commerciaux à base de synthétiseurs analogiques : Pop Corn et la bande son d’Orange Mécanique. J’ai été fasciné par ces sonorités qui, si elles semblent banales de nos jours, étaient totalement inouïes (au sens propre) à l’époque. Après, ces instruments ont commencé à se tailler une place dans les groupes de musique et j’étais fasciné par la démesure du modulaire Moog de Keith Emerson (ELP) et les mélodies lancinantes et hypnotiques des groupes allemands d’alors : Tangerine Dream, Klaus Schulze et Ash Ra Tempel. Plus tard, m’étant formé en autodidacte à l’électronique, j’ai commencé à bidouiller des effets pour guitare et en 1978, je me suis lancé dans la construction de mon premier synthétiseur modulaire.
Au début des années 80, je me suis désintéressé de la construction de synthétiseurs pour me consacrer à mon nouveau hobby d’alors, l’informatique. J’ai construit mon premier ordinateur (un Sinclair ZX81 en kit) et à partir de là, mes loisirs furent essentiellement consacrés à la programmation. Curieusement, c’est par cette même programmation que bien plus tard j’ai retrouvé un intérêt pour les synthétiseurs analogiques. En effet en 1999, un anglais développait sous Linux un synthétiseur analogique virtuel en utilisant des éléments d’interface graphique que j’avais programmés et placés dans le domaine public. Intrigué par ce programme, je l’ai utilisé puis j’y ai contribué en développant des émulations de modules. Par curiosité, j’ai fait alors une recherche sur internet avec les mots clé « building a modular synthesizer » et à ma grande surprise, j’ai trouvé une mine d’informations et des sites fabuleux de SDIY comme celui de Jürgen Haible ou de Ken Stone qui m’ont donné envie de m’y remettre et donc début 2000, je me suis relancé dans mon ancien hobby : la lutherie électronique analogique.
Quelles sont tes activités liées à la synthèse ?
Dans le cadre de mes loisirs j’ai eu envie de me lancer dans la fabrication d’un synthétiseur modulaire analogique. Au début mes intentions étaient assez limitées car je m’efforçais en fait de rester raisonnable et de museler ma passion, mais celle-ci a finalement pris le dessus. Très rapidement, l’étudiant sans un rond des années 75–78 qui sommeillait en moi a refait surface et j’ai voulu satisfaire mon rêve de jeune homme, mais avec mes moyens d’aujourd’hui. Parallèlement à mes développements, je me suis fait plaisir en achetant un des premiers Macbeth M5 en 2005 et dans la foulée un modulaire Synthesizers.com. Puis en 2006, j’ai fait la connaissance d’Olivier Grall (http://olivier-grall.yusynth.net) ; cette rencontre avec ce passionné de synthétiseurs modulaires analogiques et de pianos électriques a été déterminante pour moi et a levé les dernières barrières que je m’étais fixées. A compter de ce moment, j’ai lancé mon projet « Yusynth » de construction d’un gros synthétiseur modulaire ayant des caractéristiques dignes des meilleures machines professionnelles et en essayant de créer éventuellement de nouveaux modules.
Dans le même esprit de partage que j’avais pu rencontrer sur les sites de quelques concepteurs de SDIY que j’admire (Jürgen Haible, Ian Fritz, René Schmitz, Ken Stone, Ray Wilson et quelques autres), j’ai choisi de partager mes réalisations avec les gens en mettant sur mon site toutes les informations utiles pour que chacun puisse se construire son propre modulaire : schémas, dessin de circuit imprimé, dessin de façade… Parallèlement, j’ai commencé à m’intéresser aux synthétiseurs vintage et autres instruments électroniques anciens tels que les Ondes Martenot et donc j’ai commencé à acquérir et restaurer ces superbes instruments. Bien sûr, je ne me contente pas de construire et restaurer des synthétiseurs, je les utilise aussi pour tenter de produire du bruit harmonieux (je suis un piètre musicien, je le confesse).
Quand et comment a débuté le projet MiniBrute ?
Le projet MiniBrute a débuté au printemps 2010 et mon implication est le résultat d’une rencontre avec un autre passionné : Antoine Back. En fait, il faut préciser que je suis Grenoblois et que le siège d’Arturia se situe dans la banlieue de Grenoble. Ceci a contribué à faciliter ma collaboration avec Arturia. Donc un soir d’Avril 2010, j’ai fait la rencontre d’Antoine Back avec qui j’avais sympathisé sur le forum Anafrog. C’est dans un café de Grenoble, alors que nous dégustions une bonne bière, qu’Antoine m’apprend au détour de la conversation qu’il travaillait chez Arturia et que son souhait le plus cher était qu’Arturia se lance dans la construction d’un synthétiseur analogique hardware. L’idée a dû faire son chemin car la direction d’Arturia a décidé de se lancer dans l’aventure. Arturia a fait une étude de marché et constitué un dossier de projet d’un mini synthétiseur monophonique purement analogique qui se devait d’être simple, facilement abordable pour un néophyte et d’un prix attractif. Arturia, société très connue pour son expertise en termes de logiciels de synthèse, ne disposait pas cependant de personnel rompu à la conception de circuits analogiques ; aussi le président Frédéric Brun a souhaité confier la tâche de la conception de la partie analogique de ce synthétiseur à un expert externe. C’est à ce stade qu’Antoine lui a conseillé de s’adresser à moi.
Donc début juin 2010, j’ai reçu un email de Frédéric Brun m’exposant les grandes lignes du projet et me proposant de me joindre à ce projet en tant que consultant expert. Le projet a tout de suite retenu mon attention pour plusieurs raisons : à plusieurs reprises, j’avais été sollicité pour des projets de construction de synthétiseurs analogiques, mais j’avais jusque-là refusé car cela venait de gens sans expérience industrielle et sans vrais moyens. Or pour moi, il n’était pas question de me lancer dans une telle entreprise pour aboutir à la réalisation d’une machine vendue confidentiellement à une vingtaine ou une cinquantaine d’exemplaires. Au contraire, la proposition d’Arturia satisfaisait mon envie de voir un vrai synthétiseur analogique français produit avec des moyens adéquats et une véritable logistique de production et de distribution. J’ai donc rencontré les gens d’Arturia et le projet m’a été présenté. Celui-ci était bien pensé dans l’ensemble et au vu des premiers éléments, j’ai été rapidement convaincu, d’une part de la viabilité du projet et d’autre part, de la volonté d’Arturia de produire un synthétiseur de bonne qualité mécanique (coque en alu, clavier semi-lesté) et sans compromis sur la qualité du son. J’ai donc accepté l’aventure et je ne le regrette pas du tout, car d’une part, l’expérience a été riche du point de vue humain et d’autre part, le but a été atteint et je suis, ne le cachons pas, très fier du résultat.
Qu’est-ce qui différencie le MiniBrute du reste de l’offre analogique ?
Ce qui différencie le MiniBrute, c’est que lors de sa conception, la question principale n’a pas été : « de quelles fonctions doit-on le doter pour qu’il soit comparable à tel ou tel synthétiseur vintage ou néo-analogique du marché ? », mais plutôt : « quelles fonctionnalités héritées des synthétiseurs analogiques modulaires voudrait-on trouver sur un synthétiseur monophonique analogique ? ». Il y a eu des choix radicaux faits : d’abord, utiliser un vrai VCO, ce qui est risqué en terme de stabilité thermique ; aussi l’ai-je doté d’une stabilisation thermostatique à température élevée (52°C) ; ensuite, pouvoir mixer chaque forme d’onde du VCO pour enrichir la palette sonore ; enfin, ajouter systématiquement des modificateurs / enrichisseurs timbraux à chaque forme d’onde : PW et PWM pour le carré, Ultrasaw pour la dent de scie et Metalizer pour le triangle. Un autre point fort est la multiplication des sources de modulation. En effet, le MiniBrute n’offre pas un unique LFO mais une multitude de LFOs indépendants, soit visibles et contrôlables comme le Vibrato (qui en plus de délivrer la classique sinusoïde offre des modulations carrées pour effectuer des trilles ascendante ou descendante), la vitesse de l’Ultrasaw, le LFO principal de modulation assignable au VCO (pitch), aux modificateurs (PWM, Metalizer), au filtre (Cutoff du VCF) ou à l’amplificateur de sortie (VCA) ; soit cachés et fixes : seconde modulation de l’Ultrasaw. Notons que le PWM, le Metalizer et le VCF sont modulables à la fois par le LFO et un générateur d’enveloppe de façon simultanée et indépendante. Les modulations peuvent être réglées en positif comme en négatif.
Deux autres éléments font du MiniBrute un synthétiseur unique aujourd’hui. Le premier est le VCF qui est un filtre multimode 12dB/octave Steiner (que l’on trouvait sur le Synthacon et le Syntha-system de Steiner Parker) au lieu d’un classique filtre à la Moog. Ce filtre Steiner est capable de douceur mais peut également produire un son rageur et agressif. Le second élément est le Metalizer que j’ai créé spécialement pour le MiniBrute. C’est en fait un Wavefolder, c’est-à-dire un dispositif qui va prendre la forme du triangle et en replier les pointes de façon récursive et contrôlable. Grâce à ce circuit, on peut créer une palette continue allant du son doux et rond du triangle jusqu’à des sons très métalliques et tranchants, évoquant le clavecin ou l’épinette quand le Metalizer n’est pas modulé ou bien des sons de type Sync-Sweep lorsque l’on module le Metalizer. Enfin dernière sophistication concernant le son, nous avons doté le MiniBrute du BruteFactor™, qui est en fait un circuit de feedback interne qui reboucle la sortie du VCA sur le mixer du VCF permettant ainsi que créer toute sorte d’effets de distorsion et d’overdrive, un effet bien connu des amateurs du Minimoog D.
Ajoutons à tout cela un clavier doté d’un Aftertouch (routable vers différentes fonctions : cutoff, vibrato) ainsi que d’une vélocité et un arpégiateur offrant la possibilité d’introduire du Swing, une horloge synchronisable par un Tap tempo et une fonction de mini-séquenceur. Un dernier point très important pour moi est que ce synthétiseur moderne n’utilise que des composants usuels (aucun composant propriétaire ou super-spécialisé) que l’on peut se procurer facilement et cela au moins pour les 20 ans à venir, ce qui est plutôt rassurant par rapport à d’autres produits actuels basés sur des composants propriétaires rares ou bien obsolètes depuis 30 ans. Voilà donc énormément de possibilités condensées dans une machine de taille modeste (destinée à entrer dans une sacoche d’ordinateur portable) et à un prix extrêmement abordable.
Quelles ont été les principales difficultés au cours du design ?
La principale difficulté a été de réduire le nombre de composants ajustables présents dans mes circuits originaux en les remplaçant par des composants à valeur fixe de façon à faciliter la production industrielle. Cela s’est fait sans problème pour certaines fonctions mais s’est avéré plus délicat pour d’autres en raison de la tolérance des composants utilisés. Il a donc fallu revenir à l’utilisation de quelques composants ajustables. Hormis cela, nous n’avons pas rencontré de difficultés majeures.
Comment as-tu réussi à faire entrer autant de paramètres avec un cahier des charges aussi serré ?
En me persuadant que cela était possible. En fait, quand je développe mes modules, j’en imagine toujours une version simplifiée qui puisse s’intégrer dans un système plus compact. Aussi cela n’a pas été trop compliqué d’assembler ces versions simplifiées pour en faire un ensemble riche en possibilités. Parfois, il a fallu faire preuve d’imagination pour réduire et optimiser un circuit sans en perdre les caractéristiques sonores intéressantes.
Avec l’accueil dithyrambique fait au MiniBrute depuis sa présentation, comment te sens-tu ? Cela te donne t-il l’envie de préparer une suite ou plutôt d’aller sous les cocotiers ?
J’espérais un succès d’estime mais les réactions depuis le NAMM Show m’ont vraiment étonné. En fait, il semble qu’un tel synthétiseur manquait dans le paysage et que tout le monde se réjouisse de la sortie du MiniBrute. J’en suis très heureux et fier. On peut effectivement envisager une suite, mais avant cela il ne suffit pas d’avoir marqué un essai (la sortie au NAMM), il faut ensuite le transformer, c’est-à-dire que la machine soit produite et disponible avant l’été et que les intentions d’achat se confirment. Les cocotiers, ce n’est pas ma tasse de thé…
Et maintenant, que vas-tu faire de ton temps libre ?
Dans l’avenir immédiat je vais reprendre quelques projets en cours. Après, j’ai envie de me lancer dans la réalisation de synthétiseurs très expérimentaux : un modulaire dédié à la synthèse par modélisation physique et un synthétiseur analogique orienté synthèse additive. J’ai d’autres projets de développement mais il est prématuré d’en parler. Et surtout, je vais essayer de passer plus de temps à me servir de mes instruments qu’à les construire. J’aimerais aussi pouvoir collaborer avec de vrais musiciens pour essayer de créer des choses originales (instruments, effets…).