En 1984, le Juno-106 se présente comme une évolution du Juno-60 intégrant le Midi, positionné en entrée de gamme. Avec un son riche typique et une architecture simpliste, il va devenir l’un des plus grands succès de Roland, inscrivant sa marque indélébile dans la musique électronique des 80’s.
Les années 80 voient l’avènement des synthés analogiques polyphoniques. Deux marques japonaises se livrent alors la bataille de l’entrée de gamme, les firmes américaines croisant dans la stratosphère avec des machines inabordables, ce qui causera d’ailleurs leur perte dans la même décennie. Korg lance les hostilités en 1981 avec le Polysix, un synthé analogique polyphonique très dépouillé, doté d’un seul oscillateur et d’une seule enveloppe pour chacune de ses 6 voix. Roland rétorque quasi simultanément avec le Juno-6, proposant une architecture proche, mais avec des DCO et sans mémoires. Il ne lui faut que quelques mois pour corriger le tir et intégrer les mémoires : ce sera le Juno-60, nous sommes en 1982.
Fabrication allégée
Le design du Juno-106 rompt avec le Juno-60, tant dans le choix des couleurs (dominance grise ici) que de la disposition des éléments en façade. On a deux rangées de commandes (synthèse en haut, programmes en bas), permettant de dégager deux emplacements latéraux, pour placer des haut-parleurs sur les versions Juno-106S et HS-60, ce qui dénote un positionnement plus grand public que le Juno-60. On conserve toutefois une coque en métal (dessus/arrière) et en panneau épais mélaminé (fond). Seuls les flancs abandonnent le formica années 70 pour un plastique années 80. Le synthé est donc robuste, mais un peu plus compact (99 × 32 × 12 cm) et léger (10 kg). Là où la qualité est clairement inférieure, c’est dans le choix des commandes, que ce soient les curseurs, plus légers, ou les interrupteurs poussoirs, dont les capots ont tendance à jaunir avec le temps et l’électronique à faire faux contact. Heureusement pour cette dernière, ce sont des switches standards à 4 pins de 6 mm faciles à changer. Quant aux capots, on trouve différentes tentatives plus ou moins convaincantes sur la toile, à base d’eau oxygénée ou de peinture à maquette, bon…
La section de modulations en temps réel, située à gauche du clavier statique 5 octaves, offre un bâton de joie avec action latérale (pitch du DCO et VCF, avec dosages séparés via 2 curseurs) et vers l’arrière (modulation du LFO, dosable via un 3ème curseur), 2 potentiomètres (volume et portamento) et un inverseur (marche/arrêt du portamento). On perd le sélecteur d’octave du Juno-60, transformé ici en réglage de pied (16–8–4) dans la section DCO, également programmable. Sur le panneau arrière, on retrouve l’ensemble de la connectique : sorties audio gauche/droite avec sélecteur de niveau à trois positions, sortie casque stéréo, deux entrées pour pédales (maintien et incrémentation de programme dans la banque activée), un mini-potentiomètre d’accordage global, un trio Midi DIN (avec commutateur pour filtrer les données), un sélecteur de protection mémoire, un interrupteur secteur et une borne pour câble d’alimentation à 2 broches, typique de cette époque (alimentation interne).
Héritage sonore
Les programmes démontrent tout ce qui fait les atouts de la machine, au risque de se répéter par rapport au test du Juno-60 : cordes larges, nappes sombres, cuivres brillants ou filtrés, orgues percutants et basses énormes. Les niveaux de sortie sont élevés, mais beaucoup moins que ceux du Juno-60. Le VCA programmable permet d’harmoniser les programmes et d’éviter la saturation lorsque le chorus est activé. Là aussi, c’est un chorus stéréo caractéristique, fantastique, même s’il souffle un peu, comme tout chorus analogique vintage qui se respecte. On apprécie également les sons PWM typiques, le sous-oscillateur carré qui enfonce les basses, la couleur du VCF hyper résonant, l’enveloppe rapide (là, le 60 gagne, avec son enveloppe analogique encore plus punchy) et le portamento polyphonique, dont l’EDM n’a cessé d’abuser à ces débuts. Remplir les 128 mémoires internes va très vite, même en partant de zéro, tellement le synthé est immédiat et inspirant. Il n’atteint cependant pas la variété sonore de synthés à deux DCO comme le JX-3P, les différents modes de synchro manquant pour créer des sons métalliques en tout genre. Sur le Juno-106, le son est typé et spécialisé, difficile de sortir des 80’s sans traitements externes contemporains.
![](https://img.audiofanzine.com/images/u/audio/493353.png)
- Juno-106_1audio 01 Brass 100:18
- Juno-106_1audio 02 Brass 200:27
- Juno-106_1audio 03 Brass 300:13
- Juno-106_1audio 04 Tutti Fluty00:15
- Juno-106_1audio 05 Strings 100:22
- Juno-106_1audio 06 Strings 200:36
- Juno-106_1audio 07 Organ00:19
- Juno-106_1audio 08 Low Bass00:19
- Juno-106_1audio 09 Filter Flow00:21
- Juno-106_1audio 10 Poly Synth00:20
- Juno-106_1audio 11 Staccato00:21
- Juno-106_1audio 12 Bells00:33
Liaison dangereuse
Mais revenons à notre Juno-106. Il offre deux modes de jeu polyphonique : Poly 1 (enveloppes non redéclenchées à chaque nouvelle note, utile sur les sons à relâchement long) ou Poly 2 (enveloppes redéclenchées, utile pour l’utilisation du portamento polyphonique). On peut activer un mode solo unisson en appuyant simultanément sur Poly 1 et Poly 2, mais le son est peu intéressant, car les DCO sont parfaitement accordés et créent des annulations de phase (voir encadré Midi et extensions). Contrairement au Juno-60, le Juno-106 offre un portamento polyphonique à temps programmable et un petit interrupteur marche/arrêt, merci. Le DCO permet la combinaison de ses formes d’ondes, à savoir une dent de scie et une impulsion à largeur variable. La largeur d’impulsion peut être réglée manuellement ou modulée par le LFO (via une unique onde sinus appliquée sans délai), mais pas par l’enveloppe, contrairement au Juno-60. S’y ajoutent un sous-oscillateur carré à l’octave inférieure et un générateur de bruit blanc, tous deux finement dosables par des curseurs dédiés.
Filtrage maison
Le signal passe enfin dans le VCA final où il est modulé par l’unique enveloppe, sauf si on choisit la position Gate ; dans ce cas, l’enveloppe ne module que le VCF, le VCA étant simplement ouvert/fermé quand on joue. Un réglage programmable de volume permet d’harmoniser le niveau sonore entre les différents programmes, très utile. En bout de chaine, le traditionnel chorus analogique Roland offre deux types de modulation, l’une lente avec un dosage plutôt léger (I), l’autre rapide avec des modulations plus marquées (II) ; en revanche, la position tremolo du Juno-60 (I+II) est passée à la trappe, elle ne nous manquera pas trop, car assez anecdotique. Avec son ampleur stéréo, sa coloration marquée et son souffle typique, le chorus est en très grande partie responsable du son signature du Juno-106. De nombreux clones analogiques ou modélisés de ce chorus, plus ou moins de réussis, existent sur le marché. Sans chorus, le Juno-106 est très droit, voire un peu raide (plus que le Juno-60).
Modulations simplistes
Par ailleurs, on n’a qu’une enveloppe par voix. De type ADSR, elle offre des temps d’attaque de 1,5 ms à 3 secondes et de déclin/relâchement de 1,5 ms à 10 secondes. Bien que numérique, elle est à ranger dans la catégorie punchy, même si elle claque moins que celle du Juno-60. On peut l’assigner au VCF (avec inverseur de polarité) et au VCA (débrayage en position Gate), mais hélas pas à la PWM (contrairement au Juno-60). Le Juno-106 ne possède pas d’arpégiateur, comme si ce module était déjà passé de mode en 1984. Par contre, on trouve un portamento polyphonique continu à temps programmable, ce que le Juno-60 ne possède pas. Bref, pas de quoi se perdre dans les modulations…
Midi et extensions
Devant le nombre de Juno-106 encore sur le marché, la société néozélandaise Kiwi Technics a mis au point une carte d’extension. Elle remplace la carte numérique originelle qui comprend un premier CPU et se broche à la place du second CPU (à dessouder, donc). Le Juno-106 devient alors une machine plus complète mais aussi plus complexe, Kiwi Technics ayant l’habitude de mettre beaucoup de fonctions, organisées dans une vaste arborescence. Citons 512 programmes stockés en mémoire flash, l’émission/réception de CC Midi et de Sysex en 12 bits, différents modes unisson avec désaccordage des voix (gros son assuré !), 2 enveloppes inversables réassignables, 2 LFO à 6 formes d’ondes, un arpégiateur et un séquenceur à pas. En parallèle, la société Synthgraphics a créé un autocollant en Lexan (pas spécialement esthétique à notre goût) avec les nouvelles fonctions : http://www.synthgraphics.com/kiwi-106.html. La question d’équiper ou non son Juno-106 avec le kit Kiwi-106 divise aujourd’hui la communauté : conserver une machine originelle immédiate ou la booster en la complexifiant ? Nous n’avons pas encore tranché pour le Juno-106 du studio…
Conclusion