Le DW-8000 est la version musclée du DW-6000, un concept de synthé hybride à ondes numériques resynthétisées et filtres analogiques, suivi de sa version expandeur, l’EX-8000…
Nous sommes au milieu des années 80. L’ère des dinosaures analogiques est terminée, celle des stations de travail numériques ne va pas tarder à démarrer. On vit une époque charnière où le DX7 a changé la donne depuis quelques années déjà et où les échantillonneurs commencent à se démocratiser. Certains d’entre eux intègrent d’ailleurs des filtres analogiques, pour apporter du grain aux ondes numériques congelées… c’est le cas chez E-mu (E-max, Emulator III) et chez Sequential (Prophet 2000/3000, Studio-440). Certains constructeurs vont alors explorer des alternatives aux synthés analogiques qui s’appauvrissent, il faut bien le constater, au plan sonore pur, intégrant de plus en plus l’électronique audio dans des circuits complets « synth-on-a-chip ». Ils vont associer des ondes numériques courtes à des filtres analogiques, peu avant que le tout numérique ne l’emporte pour de nombreuses années… Après la série PPG Wave, c’est au tour de Korg de proposer sa vision beaucoup plus démocratique du synthé hybride : en 1985, la firme présente le DW-6000, suivi de près par le DW-8000 et son module EX-8000.
Plastique ou métal
Le DW-8000 est doté d’une coque en plastique, avec une qualité de construction acceptable. L’EX-8000, sa version rack 19 pouces 2U, est en revanche construit comme un tank, tout en métal. La façade comprend des potentiomètres (4 linéaires pour le clavier et 3 rotatifs pour le rack) et des touches pour sélectionner les programmes et les paramètres. L’édition est un peu spéciale, mais finalement s’avère assez pratique : pour programmer le synthé, il faut appeler le paramètre à éditer par son numéro sérigraphié en façade ; pour cela, on utilise la touche Parameter puis on entre le numéro de paramètre à 2 chiffres avec les 8 touches de sélection ; on modifier ensuite sa valeur avec le potentiomètre de données et les touches Up/Down. Pour se repérer, on dispose de 3 écrans à 2 diodes et 7 segments : le premier indique le numéro de programme, le deuxième le numéro de paramètre en cours d’édition et le troisième la valeur dudit paramètre.
Le clavier du DW-8000 possède 5 octaves. Il est sensible à la vélocité (assignable au filtre et au volume) et à la pression (assignable à la modulation du LFO sur le pitch/le filtre/le volume). Il n’est pas réputé pour son excellence, jugé mou et peu expressif. À gauche du clavier, un joystick permet de contrôler le pitch et/ou le filtre (axe horizontal), de changer l’intensité de modulation du filtre par le LFO (axe vertical vers le bas) et celle du pitch par le LFO (axe vertical vers le haut).
Sur le DW-8000, la connectique est entièrement placée à l’arrière : sorties audio gauche/droite avec sélecteur d’impédance à deux positions, prise casque stéréo, entrée pour pédale de maintien, entrée pour activation du portamento, entrée pour avance des programmes, entrée/sortie pour interface K7 avec sélecteur de niveau, protection K7, protection mémoire et trio MIDI DIN. Les prises audio/pédales sont au format jack 6,35, alors que l’interface K7 est au format mini-jack. Il y a aussi une fiche IEC 2 broches (non standard) pour le branchement secteur (alimentation interne).
Via MIDI, le DW-8000 émet et reçois les notes, les contrôleurs physiques (vélocité, pression, joystick) et les programmes en Sysex. K7 et Sysex sont donc les seuls moyens d’échanger les programmes avec l’extérieur. En revanche, pas de CC pour automatiser les changements de paramètres (à part le pitch bend, la modulation, le volume, le maintien et le portamento), nous sommes en 1986… Pour sa part, l’EX-8000 place une partie de sa connectique en façade (prise casque et interface K7), les sorties audio gauche/droite et l’interface MIDI In/Out/Thru restant à l’arrière. Il lui manque donc les entrées pour pédales, mais l’ergonomie et les fonctionnalités sont identiques à celles du DW-8000, à part le clavier, le joystick et l’arpégiateur.
Pad Paradise
Le DW-8000 est un synthé polyphonique de 8 voix monotimbral. La mémoire interne totalise 64 programmes réinscriptibles, chargés en usine, de fort bonne qualité. On trouve sur la toile quelques banques en Sysex. Nous verrons plus tard que la structure de synthèse est très basique, avec des paramètres classiques. Il n’en demeure pas moins que la machine est capable d’une relativement bonne polyvalence. On doit cela aux différentes formes d’onde proposées, à la qualité du VCF et au délai/chorus stéréo qui permet d’élargir, épaissir ou créer des échos stéréo. Nous apprécions les sons d’ensemble, toujours très amples, avec un beau grain. Le DW-8000 sait sonner gras dans les basses et doux dans les aigus, grâce à son filtre purement analogique. À nous les strings, cuivres et nappes dans la pure tradition de l’époque. Mais les ondes proposées permettent de sortir de ces standards : pianos électriques, orgues à différents contenus harmoniques, nappes à résonance interne, textures métalliques, cloches. Il apporte une sorte d’alternative au DX7 en chatouillant ici et là ses territoires sonores, bien que la technologie utilisée n’ait rien à voir.
Les enveloppes sont suffisamment rapides pour générer des basses claquantes et des leads tranchants. Le son ne souffre pas d’aliasing prononcé et reste propre dans les aigus sans gargouiller. Dans les basses, on note assez peu de buzz métallique. Le rendu est différent de ce qu’on trouve sur un PPG Wave ou un Prophet-VS. En fait, la technologie de codage des ondes numériques à travers la tessiture est différente. Korg assigne une onde à chaque octave, avec un contenu harmonique plus faible au fur et à mesure que l’on monte dans les octaves, pour éviter les phénomènes de repliement de spectre. Sur un PPG Wave ou un Prophet-VS, les ondes sont les mêmes, mais les fréquences d’échantillonnage sont variables à travers la tessiture. Pour plus de détails, on peut commencer par apprendre l’anglais puis se rendre sur electricdruid.net.
- Bass1 00:19
- Bass2 00:23
- Bells 00:14
- Brass1 00:40
- Brass2 00:30
- Brass3 00:34
- EP1 00:25
- EP2 00:48
- EP3 00:18
- Lead1 00:14
- Lead2 00:14
- Organ1 00:33
- Organ2 00:34
- Pad1 00:36
- Pad2 00:46
- Polysynth 00:43
- Strings1 00:44
- Strings2 00:29
- Strings3 00:32
- ZeRise 00:25
Moteur hybride
Le DX-8000 est un synthé hybride, qui mélange des sources numériques traitées par des filtres et ampli analogiques. Pour chacune des 8 voix, on dispose de deux oscillateurs, un générateur de bruit, un mélangeur, un filtre et un ampli final. Les oscillateurs numériques puisent leurs ondes 8 bits au sein d’une Rom totale de 128 Ko (4 Rom de 256 kilobits pour être précis). Au menu, 16 ondes courtes (cycliques) générées par échantillonnage d’instruments acoustiques et resynthèse additive. En plus des traditionnelles ondes en dent de scie, carré, sinus, on trouve des ondes tirées de pianos, EP, Clavinet, orgues, cuivres, orgues, cordes, guitares, basses et cloches. Il ne faut pas s’attendre à des multisamples réalistes, ce sont des ondes courtes bouclées et statiques.
Chaque oscillateur peut être accordé sur 16, 8 ou 4 pieds et dispose d’un réglage de volume. Le second oscillateur peut être décalé du premier selon 5 intervalles (unisson, tierce mineure, tierce majeure, quarte, quinte) ou légèrement désaccordé (6 valeurs de 0 à 25 %). Pas très généreux ! Pire, il n’y a pas d’interaction entre les oscillateurs, type synchro ou modulation en anneau, ce qui nous prive de certains types de sons tranchants ou métalliques. Aux oscillateurs s’ajoute un générateur de bruit blanc que l’on peut doser relativement finement avant d’entrer dans le filtre. À ce propos, le DW-8000 souffre d’une résolution assez faible (le plus souvent, 32 valeurs par paramètre, nous sommes en 1985).
Le filtre est un véritable VCF passe-bas résonant de 4 pôles, généré par le composant maison NJM2069 (dommage qu’il ne tourne pas aussi en 2 pôles, comme sur le DSS-1). Il est excellent, l’un des tout meilleurs filtres analogiques sur circuit intégré que nous ayons pu écouter. La fréquence de coupure se règle sur 64 pas (donc on entend des escaliers quand on bouge l’encodeur, mais pas quand on module par l’enveloppe). La résonance est capable d’entrer en auto-oscillation dans son réglage maximum. La fréquence de coupure est modulable par le suivi de clavier (0–25–50–100 %), une enveloppe dédiée (modulation bipolaire) et le LFO. La sortie de filtre attaque l’étage d’amplification final, doté de sa propre enveloppe dont nous reparlerons bientôt. Les voix peuvent être jouées selon 2 modes polyphoniques (8 voix jouées de manière cyclique ou fixe) ou 2 modes d’unisson (8 voix fixement désaccordées avec redéclenchement ou non des enveloppes). En revanche, il n’y a pas de mode split/layer, c’est bien dommage compte tenu de la polyphonie. Une extension permet en partie cette fonctionnalité (voir encadré).
Modulations minimalistes
Les possibilités de modulation ne sont pas le point fort du DW-8000… On commence par un portamento polyphonique (lisse) dont on peut régler le temps. On peut rapidement passer à l’unique LFO embarqué. Il offre 4 formes d’onde basiques (triangle, rampe, dent de scie, carré – donc rien d’aléatoire !), un réglage de vitesse (non synchronisable) et un temps d’apparition. Il peut être assigné au pitch et à la fréquence de coupure du filtre, mais pas au VCA. D’ailleurs quand on analyse les différents synthés Korg de l’époque, la modulation du LFO sur le VCA fait défaut, y compris sur les workstations qui ont suivi… curieux !
Faute d’enveloppe de pitch complète, le DW-8000 propose un Autobend, c’est-à-dire une rampe qui glisse d’un pitch programmable au pitch de la note jouée, à une vitesse programmable. On peut choisir l’oscillateur affecté (l’un, l’autre ou les deux) et la polarité de modulation (ascendante ou descendante). Le pitch de départ peut aller jusqu’à deux octaves au-dessus ou en dessous de la note d’origine (suivant la polarité). Pour le VCF et le VCA, on a deux véritables enveloppes assignées dans le dur. Elles sont de type ADBSSR, ce qui permet de créer un segment de rupture (Break Point et Slope) entre le segment de Decay et le Sustain, donc de simuler des doubles attaques. Sympa ! On apprécie la rapidité de ces enveloppes, ce qui permet de créer des sons qui claquent lorsqu’on le souhaite. La vélocité peut contrôler le niveau de sortie de l’enveloppe, donc la fréquence de coupure du filtre pour la première enveloppe et le volume global pour la seconde. La pression peut quant à elle contrôler directement la coupure du filtre, le volume final et l’action du LFO sur le pitch (vibrato). Voilà tout pour les modulations !
Du plus bel effet
Avant de sortir, le signal est envoyé dans un délai numérique stéréo, capable d’opérer de 2 à 512 ms. Il peut produire des effets de chorus, de doublage et de délai, mémorisés dans chaque programme. Outre le facteur de temps, on peut régler le feedback, la vitesse et l’intensité du LFO de modulation (pour créer des effets d’ensemble/chorus plus ou moins prononcés), ainsi que la balance sec/mouillé. Du haut de ses 12 bits, ce délai/chorus est à la fois une excellente idée et une belle réussite ; il permet d’embellir ou élargir le son sans le colorer, un peu comme un Dimension-D. Bien vu !
Pour terminer ce tour d’horizon, quelques mots sur l’arpégiateur du DW-8000. Les réglages sont mémorisés avec chaque programme. On trouve seulement deux motifs de jeu : alterné ou suivant l’ordre joué (« Assignable »), avec une mémoire de 64 notes pour ce dernier. On peut régler le tempo librement, puis le synchroniser à l’horloge interne ou MIDI, suivant trois divisions temporelles (noire, croche, double-croche). Les arpèges sont joués sur 1, 2 ou 5 octaves et on dispose d’un mode Latch. L’EX-8000 est hélas dépourvu d’arpégiateur, dommage pour lui…
Conclusion
Le DW-8000 est l’un des rares synthés hybrides vintage du marché, au même titre qu’un PPG Wave, un Waldorf Microwave/Wave, un Ensoniq ESQ-1/SQ-80, un Kawai K3 ou un Prophet-VS. Avec ses oscillateurs à ondes numériques resynthétisées, son excellent VCF résonant et son délai/chorus stéréo numérique, il excelle dans les textures polyphoniques en tout genre, analogiques comme numériques. Ses enveloppes rapides le rendent également à l’aise dans les grosses basses ou les leads coupants. On regrette qu’il soit monotimbral (8 voix, ça se partage !) et assez peu fourni sur le plan des modulations ; sans compter l’absence d’interaction des oscillateurs qui le prive d’un certain nombre de sonorités. Cette simplicité en fait un synthé très facile à appréhender, idéal pour les débutants ou les confirmés qui veulent compléter leur arsenal sonore ; surtout qu’il affiche aujourd’hui une cote d’occasion encore acceptable, alors profitons en tant qu’il est temps !
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