Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… un petit synthé analogique au son énorme est mis sur orbite. Succédant au SEM, il fait un passage éclair dans la voûte étoilée de la synthèse analogique. Voyons pourquoi il est aujourd’hui aussi introuvable que recherché…
Tom Oberheim, qui a récemment collaboré avec Dave Smith sur l’OB-6, est un des pionniers américains de la synthèse analogique. On lui doit le SEM (Synthesizer Expander Module), lancé en 1974 pour compléter le territoire sonore du Minimoog. Il remplit parfaitement son rôle avec son VCF de deux pôles colorant, capable de passer en continu entre les modes passe-bas / passe-bande / passe-haut. Fort de son succès, le module est ensuite décliné en plusieurs versions avec claviers : deux voix, quatre voix, huit voix, avec séquenceur et mémoires pour certains, destinés aux gars fortunés et costauds. En 1978, un an après la sortie du premier Star Wars (auquel il ne contribue pas pour les sons de R2D2, que l’on doit plutôt à un ARP 2600) et un an avant la sortie de l’OB-X, Oberheim produit une machine singulière : l’OB-1. Non seulement c’est l’un des tout premiers synthés analogiques à mémoires (si ce n’est le premier), mais il bénéficie en plus d’une conception assez particulière pour ses VCO et VCF, qui ne sera ensuite plus jamais reconduite par la marque. Fabriqué en peu d’exemplaires, il est difficile d’en trouver quarante ans plus tard, qui plus est en pleine forme. Raison de plus pour lui consacrer ces quelques lignes et une bonne place dans notre série de vintage tests…
Couleur Sith
L’OB-1 porte un costume noir de tôle (pour la coque) et de bois (pour les flancs). Les pliages lui assurent une bonne résistance en façade, mais la plaque de dessous est fine et se déforme, malgré un usinage en diamant. Heureusement, rien n’y est fixé, c’est juste un capot ! Dans sa première mouture ici testée, la machine est intégralement noire ; déclinée ensuite en « version A », elle prend le look de l’OB-X en devenant noire et grise (voir encadré pour la liste des modifications). Ce qu’on apprécie sur les machines de cette époque, au-delà du son, c’est l’ergonomie exemplaire : des commandes généreuses, bien espacées, logiquement positionnées, faciles à manipuler. L’OB-1 est de cette trempe. La partie supérieure gauche est dédiée aux mémoires : touche WRITE, mode MANUAL et rangée de huit sélecteurs de programmes. Juste en dessous, la section Performance permet de jouer en temps réel sur les sons : LFO, Keyboard (portamento, redéclenchement des enveloppes, transposition sur +/- une octave, potentiomètre continu de filtre) et Bend (avec un levier bien singulier à axe vertical et ressort de rappel, assignable au pitch bend ou à la modulation). Au-dessus du clavier, on trouve les modules de synthèse avec, de gauche à droite : VCO1, VCO2, VCF, VCA, enveloppes (deux) et volume (programmable et global). Le clavier de trois octaves, statique, est de type Pratt-Read de première génération ; il est très agréable à jouer lorsque les bushings sont en bon état et lubrifiés ; il convient aussi que le bus-bar soit bien entretenu pour que les contacts se fassent correctement avec les tiges métalliques. En revanche, les touches longues sont fragiles et peuvent casser net sans crier gare…
La partie numérique de l’OB-1 est archaïque : faute de véritable processeur et RAM, les sons sont stockés sur une carte utilisant uniquement des composants logiques. Du coup, on n’a que huit mémoires, avec des valeurs figées une fois sauvegardées. Il faut donc repartir du mode MANUAL pour faire de nouveaux sons. Heureusement, un brillant électronicien états-unien a récemment mis au point une carte numérique de remplacement qui améliore bien les choses (voir second encadré). Tous les paramètres de synthèse sont mémorisés (VCO, VCF, VCA, enveloppes) ; seuls la section Performance (LFO, levier, portamento, transposition, reset des enveloppes) et l’accordage fin des fréquences (deux VCO et VCF) ne le sont pas, ce qui est un peu bête pour ces trois dernières. En revanche, les paramètres non mémorisables sont modifiables à tout moment. Oberheim a eu l’excellente idée d’ajouter dans cette section un potentiomètre supplémentaire sur la fréquence de coupure du filtre, qui du coup est modifiable en permanence (il s’additionne à la valeur stockée via l’autre potentiomètre de Cutoff). De même, on trouve un volume par programme (mémorisable mais pas modifiable) et un volume global (modifiable mais pas mémorisable). La mémorisation d’un son vaut son pesant de cacahuètes : on appuie sur le bouton capacitif WRITE et tout en le maintenant, on appuie sur le bouton capacitif de mémoire souhaité : bref, c’est notre corps qui fait contact !
La façade arrière porte l’ensemble de la connectique au format jack 6,35 mm : sorties audio mono haute et basse impédances, entrée CV vers le VCA, entrée CV vers le VCF, entrée audio vers le VCF et quatre entrées/sorties CV/Gate. Sans oublier l’interface propriétaire pour l’option K7, un boitier externe permettant à l’OB-1 de s’interfacer avec un enregistreur de K7 pour sauvegarder ses quelques mémoires. Boitier aussi obsolète qu’introuvable ! L’alimentation est interne (transfo de 117 V modifiable en 235 V), avec un cordon secteur captif…
Droïde sonore
Le mode d’emploi de l’OB-1 totalise six pages de texte dactylographié, sans le moindre schéma à l’horizon… Certes, la machine n’a pas vraiment besoin d’un manuel utilisateur compte tenu de son ergonomie « une fonction un bouton » (outre la méthode de sauvegarde originale que nous avons décrite auparavant) ; l’intérêt du mode d’emploi est plutôt historique, puisqu’on y trouve le nom des huit sons d’usine livrés à l’origine avec la machine, juste pour la petite anecdote : Bass, Harmonica, Flute, Zipper, Talk Box Guitar, String, Horn, Steel Drum… comme quoi à l’époque, l’idée était quand même bien d’imiter d’autres instruments quand on utilisait un synthé ! Nous n’avons hélas pas retrouvé ces banques originelles, que ce soit sur bande, en MP3, en photo ou en schéma… avis à la population !
Nous avons d’emblée été agréablement surpris par la polyvalence de l’OB-1. Bien sûr, les basses sont à l’honneur, soit bien grasses avec le filtre ouvert, soit arrondies en jouant sur l’enveloppe ultra rapide ou la forte résonance. Ajouter les sub-oscillateurs crée un bas de spectre surpuissant, le studio vibre sous l’effet de notre 7060B. L’OB-1 fait partie des synthés les plus puissants dans les graves qu’il nous a été donné d’entendre !
Assez vite, on remplit les mémoires de déclinaisons de sons de basse, en jouant tantôt sur le filtre, tantôt sur les formes d’onde variables des VCO. En enclenchant la synchro des VCO, on passe vite d’un extrême à l’autre : de monstrueux balayages qui tombent de cinq octaves en modulant la fréquence du VCO2 par l’enveloppe de filtre, aux solos émouvants de deux ondes en dent de scie à peine filtrées synchronisées avec un léger vibrato sur le VCO1. L’OB-1 sait donc faire preuve de finesse.
On le découvre aussi à l’aise sur les sons de lead percutants avec des ondes carrées que sur des voix humaines solo, grâce aux ondes variables et à la résonance marquée du filtre. Cette dernière permet d’ailleurs de créer bon nombre de percussions analogiques et effets spéciaux, en faisant si besoin appel au générateur de bruit intégré. Une bonne claque sonore !
- OB 1 1audio 01 Bass1 00:47
- OB 1 1audio 02 Bass2 00:34
- OB 1 1audio 03 Bass3 00:32
- OB 1 1audio 04 Bass4 00:15
- OB 1 1audio 05 Human Voice 00:20
- OB 1 1audio 06 Hard Sync 00:29
- OB 1 1audio 06 Soft Sync 01:01
- OB 1 1audio 08 Square Lead 00:16
- OB 1 1audio 09 Kicks 00:18
- OB 1 1audio 10 Noise 4 2 00:47
Chevalier Jedi
L’OB-1 est un synthé analogique monodique à composants traversants tous discrets dans sa version d’origine (voir encadré ci-avant pour les évolutions). Il est composé d’une chaîne VCO-VCF-VCA qui sort des sentiers battus. Commençons par les deux VCO. Identiques, ils disposent de deux positions d’ondes continuellement variables (à la discrétisation numérique près) grâce à un potentiomètre WAVEFORM : la première position permet de passer du triangle à la dent de scie, la seconde permet de passer de l’onde carrée à l’impulsion. La variation de forme d’onde est une destination de modulation, nous y reviendrons. Le pitch de chaque oscillateur peut être accordé par demi-ton sur cinq octaves ou finement, avec pour ce dernier cas un petit potentiomètre dont la position n’est pas mémorisée. Chaque VCO offre un Sub-VCO carré au son énorme, placé à l’octave inférieure. Le mixage des deux VCO et deux Sub-VCO n’est pas des plus souples, puisqu’on ne trouve que trois positions : à fond, à –3 dB ou éteint. Idem pour le générateur de bruit blanc, indépendant des VCO. Une vieille habitude chez Oberheim qui aura la vie dure ! À fond, les oscillateurs saturent le filtre de manière très musicale. Les VCO peuvent interagir dans l’audio, avec synchro ET cross modulation (pour des sons métalliques), chouette !
Les sources audio internes (et externes, le cas échéant) sont ensuite envoyées au filtre. Il est très différent du filtre multimode de deux pôles SEM si caractéristique du son des premiers Oberheim. On a ici affaire à un filtre passe-bas commutable sur deux ou quatre pôles. Il est doté d’une résonance hyper oscillante, qui passe en auto-oscillation dès que le potentiomètre franchit midi ! Rien à voir avec la coloration douce du SEM. La fréquence de coupure est modulable par un LFO, une enveloppe dédiée et le suivi de clavier (0 ou 100%). Les modulations sont hélas uniquement positives.
Manipuler le potentiomètre de Cutoff crée des effets de pas importants. Ce n’est pas un problème, puisqu’Oberheim a prévu un second potentiomètre de Cutoff dans la section Performance, cette fois parfaitement lisse (car non programmable, donc non quantifié). Signalons au passage que l’on peut accorder finement la fréquence de coupure du filtre, grâce à un petit potentiomètre (non mémorisé). Au stade final, le son passe par un VCA, avec potentiomètre de volume programmable et enveloppe dédiée. Un interrupteur permet de laisser le VCA ouvert en permanence, pour les amateurs de drones sans fin…
Sabre laser
L’OB-1 est très bien conçu pour l’époque au plan des modulations. La section Performance comprend des modulations non mémorisables mais modifiables à chaque instant. On commence par l’unique LFO, capable de produire des ondes sinus, carrée ou S&H. On peut en régler le délai et la vitesse (infra audio). Il peut moduler un certain nombre de destinations : pitch ou forme d’onde des VCO, coupure du VCF, mais pas le VCA. Le levier de Pitch bend peut se transformer en molette de modulation pour créer du vibrato. Elle peut affecter les VCO ou seulement le VCO 2 (utile pour les synchro).
L’OB-1 dispose aussi de deux enveloppes ADSR hyper rapides (d’autant plus dans l’OB-1 première génération où elles sont discrètes). Elles permettent d’obtenir des sons aussi claquants que sur un Pro-One. La première enveloppe est non seulement assignable au filtre, mais également au VCO 2, où elle peut moduler le pitch ou la forme d’onde ; c’est particulièrement bien pensé et inédit sur un synthé compact de cette époque ! La seconde est assignée au VCA. On peut forcer le retour à zéro des enveloppes au relâchement de note via l’interrupteur RESET non programmable, situé en section Performance. Terminons le chapitre des modulations par le portamento, également placé en section Performance (donc modifiable mais non programmable), dont on peut régler le temps. Rappelons par la même occasion qu’il existe deux entrées CV vers le VCF et le VCA pour utiliser des sources de modulation externes (pédales, séquenceurs, modules analogiques…)
Endor
Nous voici arrivés à la fin de ce vintage test, qui nous a permis de faire un petit tour d’OB-1, l’un des premiers synthés analogiques monodiques entièrement programmables. Il bénéficie d’une conception très particulière, avec des oscillateurs à ondes continues et un filtre passe-bas discret de 2–4 pôles, spécificités jamais reconduites ensuite par la marque à la paire de croches. C’est aussi un synthé construit entièrement en composants analogiques discrets, du moins dans sa première mouture (les enveloppes utilisant par la suite des CEM). Sa qualité sonore est exceptionnelle, grâce notamment à ses deux Sub-VCO, son VCF ultra résonant et ses enveloppes hyper rapides. Les limitations de la technologie numérique de l’époque ont été comblées récemment grâce à la mise au point d’une nouvelle carte mémoire par un technicien bien inspiré. Tout ceci contribue à rendre ce petit teigneux encore plus sympathique, avec sa belle variété de timbres analogiques pur jus seventies, que l’on peut de surcroit rappeler quand bon nous semble.
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