En 1983, Roland présente le JX-3P, l’un des tout premiers synthés analogiques Midi. Doté de son programmateur optionnel PG-200, il devient facilement éditable, avec un caractère sonore généreux et spécifique. Son prix d’occasion reste encore abordable aujourd’hui, mais pour combien de temps ?
Une fois n’est pas coutume, c’est à la première personne que je vais commencer ce test. Je me souviens de ces mercredis après-midi, à peine échappé de l’internat du lycée, je filais au rayon synthés du magasin de musique du centre-ville. Un jour de 1983, je fus marqué par une curieuse installation : sur un double stand, un grand synthé avec pavé numérique à membrane surmonté d’un plus petit avec une protubérance à boutons posée à droite, les deux reliés par un simple cordon. Jouer l’un jouait l’autre, pour un son énorme dans ce petit auditorium reculé au fond du magasin. Venant d’une formation orgue jazz, je pris la claque de ma vie. Les week-ends suivants, de retour à la maison, je ne cessai de casser les pieds à mes parents pour ce truc qu’on appelait synthétiseur, qui me permettrait de jouer comme un certain JMJ.
Quelques mois plus tard, je repartais fièrement du magasin avec deux cartons, contenant un JX-3P et un PG-200, le Prophet-600 du premier étage étant carrément hors de portée. En le plaçant sur mon orgue Elka Artist-606, je n’imaginais pas où tout cela allait de mener… Revendu quelques années plus tard pour acquérir un D-50, il m’aura fallu quelques décennies pour me rendre compte que j’avais fait une belle erreur. Lors du récent test du Boutique JX-03, les Presets m’avaient tout de suite parlé. Aucun doute, je tenais là ma madeleine de Proust, n’en déplaise à mes JP-4 et JP-8. Ayant sans succès tenté de retrouver l’acquéreur de mon JX-3P, j’ai récemment acquis un ensemble JX-3P + PG-200 en condition exceptionnelle. Il était temps, les prix sont devenus délirants, les musiciens commencent à comprendre le potentiel de ce petit synthé toujours sous-évalué. Il est temps de comprendre pourquoi…
Petit costaud
Le JX-3P est un solide synthé solidement construit en métal avec fond en bois et flancs en plastique. Doté d’un clavier statique 5 octaves, Il doit sa taille compacte au placement du pitchbend en partie supérieure. Pas de molette de modulation, mais un simple interrupteur provisoire pour activer/couper l’action du LFO sur le pitch. Même colorée, la façade est assez dépouillée, avec un curseur de brillance (VCF), un potentiomètre de volume, des interrupteurs Chorus / Mute (atténuation des deux premières octaves pour dégager le solo quand on joue en accord main gauche) / Hold / Transposition, une section d’édition des sons, les commandes du séquenceur, une touche pour gérer les mémoires sur K7 et la section Presets / Programmes (4 sélecteurs de banques et 8 sélecteurs de sons).
En partie droite, les modules de synthèse sont sérigraphiés, chaque paramètre étant repéré par un groupe (A ou B) et un numéro. Le mode d’édition préfigure ce qui va être longtemps la norme pour les synthés numériques qui vont suivre : on sélectionne un paramètre avec les touches de programme, puis on l’édite avec un curseur commun. Cela positionne davantage le JX-3P comme synthé à Presets modifiables d’entrée de gamme (3P signifiant Programmable Preset Polyphonic) que comme “vrai synthé ».
Mais Roland a une idée de génie pour ceux qui voudraient quand-même tourner des boutons : le PG-200. Il s’agit d’un petit module comprenant toutes les fonctions de synthèse en accès direct (18 potentiomètres, 6 sélecteurs rotatifs, 8 inverseurs et 2 poussoirs), venant se positionner à droite du synthé, à la place de la sérigraphie. Relié au synthé avec un cordon DIN 6 broches, il permet de le programmer avec des commandes directes, par Sysex 8 bits (256 valeurs), tout à fait appréciable à l’époque où on tourne plutôt sur 6 bits. Bref, les deux forment une paire gagnante !
L’arrière du panneau comprend toute la connectique : en partie droite, une paire de sorties stéréo (avec sélecteur triple de niveau), une sortie casque, une entrée pour pédale de maintien, une entrée de déclenchement des pas du séquenceur, une interface K7 (entrée/sortie) et un mini-potentiomètre d’accordage. Toute la connectique est au format jack 6,35. En partie gauche, on trouve l’interface Midi DIN (entrée / sortie sur les premiers modèles, la prise Thru ayant été ajoutée par la suite), un sélecteur de mode (Midi, protection mémoire, programmateur), le connecteur DIN pour le PG-200 (données et alimentation) et un interrupteur secteur. L’alimentation est interne, merci !
Générosité sonore
Le JX-3P est immédiatement prêt à jouer dès l’allumage, aucun temps de chauffe n’est nécessaire pour stabiliser ses DCO. La mémoire interne est constituée de 32 Presets et 32 programmes utilisateur. Les Presets donnent un aperçu de ce qu’est capable la machine. Loin d’être inutiles, ils nous font un peu penser au Synthex. On y trouve différents sons de cordes, polysynths, orgues, basses, cloches, voix humaines, cuivres, claviers électriques et quelques effets spéciaux. On apprécie immédiatement le niveau de sortie plus que confortable ; le JX-3P envoie du lourd ! Les basses sont rondes à souhait, parfois même énormes, le 3P sait descendre. Les ouvertures de filtre sont magnifiques, il y a du grain à moudre. On apprécie les sections de cordes amples, merci le chorus stéréo. Comme tout chorus analogique, il souffle un peu (on entend le balayage stéréo des BBD par le LFO). La machine est très à l’aise dans les cuivres, ouverts comme fermés, et n’a rien à envier au Juno-60 dans ce domaine.
En jouant sur les différentes interactions d’oscillateurs, on obtient d’énormes synchro modulées à outrance et des sons de type percussions métalliques ou cloches du plus bel effet. Vraiment polyvalent, ce JX-3P, surtout avec les routages très astucieux de ses pourtant rares sources de modulations. Polyvalent et surtout immédiat, avec le PG-200 grâce auquel tout tombe sous la main sans prise de tête. Les souvenirs d’enfance reviennent immédiatement, mais la qualité est cette fois complètement révélée par un système d’écoute digne de ce nom, inaccessible pour moi à l’époque. C’est toujours émouvant de redécouvrir ses synthés quand on les passe dans du matériel audio pro, maillon souvent négligé dans les home-studios. Quel fossé entre mes toutes premières S100 amplifiées par un A100 et mes actuelles 1031A flanquées de leur 7060B ! Le JX-3P peut enfin s’exprimer…
- JX-3P_1audio 01 Poly Synth01:42
- JX-3P_1audio 02 Soft Synth00:54
- JX-3P_1audio 03 Chimes00:45
- JX-3P_1audio 04 Go Crazy00:20
- JX-3P_1audio 05 Equi4 Seq00:44
- JX-3P_1audio 06 Equidéon00:33
- JX-3P_1audio 07 Huge Strings00:30
- JX-3P_1audio 08 Softrez Brass00:25
- JX-3P_1audio 09 Phat Bass00:21
- JX-3P_1audio 10 Sad Seq01:26
- JX-3P_1audio 11 Hard Sync00:27
- JX-3P_1audio 12 Organ Variations00:58
- JX-3P_1audio 13 PWM Seq01:19
- JX-3P_1audio 14 Fat Fifth00:18
- JX-3P_1audio 15 VCF Selfie00:20
Six coups
Les 6 voix du JX-3P ne peuvent être jouées qu’en polyphonie basique : pas de mode mono ou unisson, ni de portamento, c’est bien dommage ; encore moins de split. Chaque voix est constituée de 2 DCO, un VCF, un VCA et une enveloppe. Une fois sommé, le signal passe par un HPF et un chorus stéréo. Les DCO peuvent produire les ondes dent de scie, impulsion ou carrée, auxquelles s’ajoute un bruit blanc sur le DCO2. Il n’y a pas de PWM directe, une lacune que l’on peut partiellement contourner en utilisant la synchronisation sur le DCO2 : DCO2 en onde carrée, balance à fond côté DCO2, la PW est réglée avec le potentiomètre Tune et la PWM assurée avec le LFO et/ou l’enveloppe assigné(e) au pitch du DCO2 (au passage, on peut s’amuser à partir de ces réglages en plaçant cette fois le DCO2 en dent de scie à la fréquence double du DCO1, le son est énorme). Les DCO peuvent être accordés sur 16–8–4 pieds, ce n’est pas hyper généreux, mais suffisant avec les 5 octaves et la transposition sur +12 demi-tons. Il est possible de désaccorder le DCO sur plus ou moins 1200 ou 50 centièmes, c’est très précis. Les DCO peuvent interagir, soit par synchronisation, soit par modulation en anneau (position Métal), ce qui donne au JX-3P une palette sonore largement supérieure à celle du Juno-60 auquel il est souvent comparé, en faveur de ce dernier (à tort à notre sens).
Les DCO sont ensuite mixés (balance) avant d’entrer dans le VCF. Il s’agit d’un filtre passe-bas résonant 4 pôles, identique à ce qu’on trouve sur les derniers JP-4 (carte voix révision E), les JP-8 et les Juno-60 (circuit intégré Roland IR3109). C’est un excellent filtre, avec un tempérament bien gras qui fait merveille sur les DCO. D’autant qu’il est capable de résonner fortement, jusqu’à l’auto-oscillation, plus proche d’un JP-4 que d’un JP-8. Pour écouter la sinusoïdale ainsi générée seule, on peut couper les DCO à partir des réglages PW évoqués précédemment, en plaçant les réglages de Tune et Fine Tune du DCO2 tout à gauche, de sorte que son cycle soit nul (ça aurait été plus malin de prévoir une position OFF pour le DCO1). La fréquence de coupure se règle avec une bonne fluidité, merci la résolution de 8 bits. Elle est modulable par l’enveloppe (avec inverseur de polarité), le LFO et le suivi de clavier (de 0 à 120%). Le signal passe ensuite dans le VCA, qui partage l’unique enveloppe disponible ou fonctionne en mode Gate simple. Un potentiomètre final de niveau permet d’harmoniser le niveau de sortie entre les programmes, qui peut être vraiment très élevé au point de causer de la distorsion. Une fois les 6 voix mixées, elles peuvent être traitées par un HPF 1 pôle pour alléger les basses, il faut dire que le JX-3P n’en manque pas ! Enfin, un magnifique chorus stéréo peut être enclenché, apportant une richesse et une largeur sonores impressionnantes. On aurait aimé pouvoir le doser, mais son réglage est souvent bien adapté au contexte sonore, même s’il est plus prononcé et colorant que sur le JP-4.
Routages bien pensés
Au plan des modulations, le JX-3P doit se contenter d’un seul LFO (global) et d’une seule enveloppe (par voix). Ils sont tous deux numériques. Le LFO offre les ondes sinus, carrée et aléatoire. Le cycle est libre. On peut en régler le délai et la fréquence, qui ne monte hélas pas dans l’audio comme celui du JP-4. De même, il n’y a pas de possibilité de synchronisation à une quelconque horloge. Le LFO peut affecter la fréquence de chaque DCO, avec un interrupteur d’activation pour chacun et un potentiomètre de dosage commun, bien vu ! Il peut aussi moduler le VCF, avec un potentiomètre de dosage séparé.
Passons à l’enveloppe, de type ADSR. Comme le LFO, elle peut moduler la fréquence de chaque DCO, avec interrupteurs d’activation séparés et potentiomètre de dosage commun. S’y ajoute un inverseur de polarité, bien vu là encore ! L’enveloppe peut aussi moduler le VCF (dosage fin et inverseur de polarité) et le VCA (simple sélecteur Enveloppe / Gate). Bien que numérique vintage, cette enveloppe possède une rapidité suffisante pour générer des percussions, comme en témoignent certains exemples audio (orgues et percussions notamment). Pour moduler le son en temps réel, il n’y a que le pitchbend (assigné au pitch, suivant trois positions) et le bouton de modulation (simplement assigné à l’activation / désactivation du LFO sur le pitch). Bref, peu de sources de modulation, mais des routages bien vus.
Séquenceur polyphonique
Le JX-3P est équipé d’un petit séquenceur polyphonique 128 pas. Une seule séquence peut être enregistrée, avec jusqu’à 6 voix par pas. Pour gérer plusieurs séquences, il faut utiliser l’interface K7 ou installer un kit optionnel spécifique (cf. ci-après). L’enregistrement se fait en pas à pas, en entrant des notes (solo ou en accord) ou des silences, avec possibilité de liaisonner les pas. Tout cela se fait très rapidement. Une fois la séquence enregistrée, on peut ajouter des notes (mode Overdub) et éditer des pas par retour en arrière. Ce n’est pas aussi pratique qu’une édition complète.
Une fois enregistrée, la séquence peut être lue en boucle (en avant uniquement) et transposée au clavier (en maintenant le bouton idoine). On peut aussi jouer par-dessus à concurrence de la polyphonie disponible. Si on appuie sur Mute, le niveau de sortie des voix séquencées est réduit par rapport aux voix jouées au clavier (ce n’est donc plus le niveau des deux premières octaves). Le tempo n’est pas synchronisable en Midi, mais on peut déclencher la séquence pas à pas via un signal externe (par exemple, un Trigger classique ou le Rimshot d’une TR-707). Avec un peu de pratique, on peut tirer des choses intéressantes de ce séquenceur, mais cela manque cruellement de possibilités (modes de lecture, édition, mémoires) pour être autosuffisant.
Le JX-3P retrouvé
Le JX-3P a toujours été un synthé sous-coté et cela reste encore vrai aujourd’hui. Cela est dû à sa programmation peu pratique, au regard de ce qu’offre par exemple un Juno-60, sorti juste avant. Pourtant, flanqué d’un PG-200 (ou d’un DT-200), il prend toute sa dimension et surpasse, dans bien des domaines, son prédécesseur pourtant beaucoup mieux coté aujourd’hui. On lui préfère ses deux DCO avec différentes interactions et ses possibilités de modulation plus complètes. On regrette son unique LFO relativement lent, son unique enveloppe, ainsi que l’absence de PWM directe sur les 2 DCO, d’unisson et de portamento. Le chorus élargit considérablement le son, un dosage de modulation aurait été parfait, mais dans la majorité des cas il convient très bien. Compact et construit comme un tank, hyper stable grâce à ses DCO, le JX-3P offre un gros son assez singulier dans la gamme Roland de cette époque. Facile à prendre en main, fort de ses 6 voix de polyphonie, c’est le synthé idéal pour se lancer ou partir sur scène avec du vintage… d’ailleurs, ça donne envie de recommencer !