Présenté au début des années 80, The Source est le premier synthé Moog à bénéficier de mémoires de programmes, tout en conservant en grande partie le son du Minimoog… le Moog idéal ?
Robert Moog commence sa longue carrière en développant des Thérémines au milieu des années 50. Il faut attendre le milieu des années 60 pour voir naître les premiers synthés modulaires de la marque. C’est en 1972 qu’apparait le Minimoog Model D, dont la production s’étalera jusqu’en 1981. Dans l’intervalle, la société change plusieurs fois de forme juridique et met sur le marché des produits avec un éclectisme incroyable : Satellite, Micromoog, System 15, Polymoog, Multimoog, Taurus, Liberation… c’est-à-dire pêle-mêle des synthés monodiques, polyphoniques à diviseurs, modulaires, à presets, au format pédale ou encore guitare… pas toujours des réussites commerciales, d’ailleurs ! C’est aussi en 1981 que Moog tourne une page technologique majeure. Le numérique a confirmé son entrée dans l’histoire de la synthèse analogique. Qui dit numérique dit mémorisation des sons, interface cassette, arpégiateur et séquenceur. C’est cette année-là que le Memorymoog et The Source font leur entrée sur un marché déjà très concurrentiel où Sequential, Oberheim et Roland tiennent déjà une place solide. Après le test du Memorymoog qui fut il y a quelques mois le premier de notre série vintage, c’est au tour de The Source, son petit frère monodique, de passer sur le grill.
Petit gabarit
Le Moog The Source fait partie des petits synthés analogiques vintage. Compact et plat, il ne dépasse pas 68 × 31 × 9 cm, ce qui le rend très facile à déplacer. Il reprend une partie du design du Memorymoog, son congénère : coque en alu brossé, flancs et dessous en bois. L’édition n’est hélas pas aussi immédiate que sur le grand frère, puisqu’on doit ici se contenter d’une membrane tactile sérigraphiée pour le choix des paramètres et d’un encodeur optique lesté pour leur modification (on peut lancer l’encodeur quand il faut faire beaucoup de tours pour atteindre la valeur souhaitée, l’inertie lui fait poursuivre sa rotation). De même, la qualité de construction laisse à désirer, avec un alu trop fin, des assemblages (mal) collés et une membrane qui peut partir en live avec son très fragile ruban de connexion à la carte mère. Un premier afficheur à 2 diodes 7 segments, situé en haut, indique le numéro de programme en cours ; un second afficheur à 2 diodes 7 segments, plus petit, situé près de l’encodeur optique, indique la valeur du paramètre en cours d’édition. Tous deux encadrent le potentiomètre de volume.
On trouve 19 paramètres continus, repérables par des touches rectangulaires (vitesse du LFO, PW, intervalle des VCO, réglages du filtre, enveloppes) et 10 paramètres discrets (pieds, formes d’onde, synchro des VCO, suivi de clavier du filtre, destination du LFO). Les mémoires impliquent la discrétisation des valeurs continues : l’encodeur a une résolution de 240 valeurs par tour ; la plupart des paramètres continus utilisent 1 tour d’encodeur pour 100 valeurs, mais certains plus délicats en utilisent 16, tels que le Detune des VCO (INTERVAL) ou la fréquence de coupure du filtre (lorsque le suivi de clavier est réglé sur FULL).
La partie inférieure de la membrane offre 16 touches tactiles à double fonction (16 mémoires/16 paramètres additionnels) et deux sélecteurs tactiles pour choisir leur fonction. La gauche du clavier est réservée aux molettes de pitch bend (sans ressort, avec détente centrale) et de modulation, surplombées par deux boutons d’octave (0 et +1). Le clavier de 3 octaves est statique et correct (type Panasonic comme sur le Memorymoog, mais plus court de 5 mm et de qualité inférieure).
Le panneau arrière comprend une connectique qui dépend de la génération du Source : sur la première version (sans vis en façade), on trouve un potentiomètre d’accordage, une sortie audio mono (jack 6,35 TS), une entrée/sortie CV fonctionnant à 1 volt/octave (jack 6,35 TRS), une entrée/sortie S-Trig (jack commun 6,35 TRS), l’interface cassette (cinch 5 broches), la prise secteur IEC 3 broches et son gros interrupteur de marche/arrêt ; sur la seconde version (avec vis en façade), une partie de la connectique a évolué : entrée trigger (jack), entrée synchro (cinch), entrée/sortie S-Trig (jacks séparés 6,35 TS) et interface cassette sur 3 jacks séparés ; le point le plus important est qu’on peut synchroniser l’arpégiateur et le séquenceur sur cette seconde version. Tout le reste est identique entre les deux versions.
Esprit Mini
Le Moog Source est un synthé analogique monodique qui incarne le son Moog dans toute sa splendeur. Dans sa version de base, il comprend 16 programmes éditables et réinscriptibles. Il est particulièrement indiqué pour les basses et les leads typiquement Moog, avec la capacité de délivrer une patate et un grain très proches d’un Minimoog. On retrouve donc cette signature, faite de belles basses bien grasses avec filtre ouvert, que l’on arrondit magnifiquement en augmentant la résonance et en modulant le contour du filtre par l’enveloppe idoine. Côté leads, on retrouve avec délectation les leads flûtés mijotés aux ondes en dent de scie et au filtre discret, les synchro statiques délicates qu’on agrémente avec une pointe de LFO ou de molette de pitch (agissant alors uniquement sur le VCO2 pour faire varier le spectre sonore).
Le Source claque pas mal quand on le souhaite, le grain évoque incontestablement celui du Minimoog. C’est sans doute le Moog qui lui ressemble le plus, tant qu’on n’a pas besoin du 3e VCO dont le Source est dépourvu. Il se différencie toutefois des autres Moog quand on pousse le filtre en auto-oscillation : ici, on obtient une parfaite onde sinus bien maîtrisée, plutôt qu’un son agressif et criard. Certains ont d’ailleurs reproché au Source cette grande sagesse dans l’auto-oscillation. D’autres apprécient la maîtrise qui permet de jouer du filtre comme un oscillateur, en l’accordant avec la fréquence de coupure, alors que la résonance commande le volume. Un petit coup d’arpégiateur ou de séquenceur permet de faire tourner les notes tout en changeant les programmes (à la main ou automatiquement), sympa. Et pour répéter des notes à une cadence maîtrisée, rien de tel que l’Auto Trig… Tout comme le Minimoog, The Source est davantage un clavier de performance pour musicien qu’un monstre de modulations programmées, comme nous allons le voir maintenant.
- 01 Bass 1 00:12
- 02 Bass 2 00:21
- 03 Bass 3 00:17
- 04 Bass 4 00:17
- 05 Bass 5 00:16
- 06 Bass 6 00:16
- 07 Bass 7 00:17
- 08 Bass 8 00:17
- 09 Bass 9 00:17
- 10 Bass Sync 00:18
- 11 Bass Square 00:20
- 12 Saw Stab 00:10
- 13 Square Lead 00:17
- 14 Saw Lead 00:10
- 15 Sync 1 00:25
- 16 Sync 2 00:18
- 17 Perky 00:16
- 18 Square Perc 00:16
- 19 Hi Res 00:26
- 20 Self Res 00:26
So Moog
Nous avons vu que le Source portait incontestablement l’ADN du Minimoog. Il en reprend d’ailleurs une partie de la conception et des composants, à savoir les oscillateurs discrets et le filtre en échelle de transistors. On se contente cependant de 2 VCO (mais 1 LFO séparé). On peut régler la hauteur (8, 16 ou 32 pieds), le Detune du VCO2 par rapport au VCO1 (jusqu’à 2 octaves, avec une excellente finesse de réglage) et la forme d’onde (dent de scie, triangle ou impulsion à largeur variable, non cumulables).
Grosse déception, la largeur d’impulsion n’est pas modulable, ni par un LFO, ni par une enveloppe. Lorsque les VCO sont synchronisés, la molette de pitch bend n’agit que sur le VCO2, permettant les fameux balayages de synchro bien connus, faute d’enveloppe sur le pitch. Un mixeur permet de doser finement le niveau de chaque VCO et d’un générateur de bruit rose, avant d’attaquer le filtre. En poussant le volume, on crée une saturation naturelle.
Le signal passe dans un filtre passe-bas 4 pôles résonant, la célèbre cascade de Moog en échelle de transistors. Au niveau composant, ce filtre est totalement discret. La fréquence de coupure peut être finement dosée sur 10 octaves (impressionnant !) avec l’encodeur optique, dont la résolution s’adapte au réglage du suivi de clavier (100 %, 50 % ou 0 %). La résonance est oscillante, mais contrairement à la plupart des synthés, elle est hyper stabilisée et crée une onde sinus pure en auto-oscillation ; comme nous l’avons dit, on peut jouer du filtre comme un oscillateur lorsque le suivi de clavier est FULL, avec un pitch de référence défini par la fréquence de coupure. Le comportement du filtre est en ce point très différent de celui du Minimoog, ce que certains ont jugé trop sage et d’autres très musical. La fréquence de coupure peut être modulée par une enveloppe dédiée, suivant le réglage de contour, hélas uniquement positif. Ensuite, le signal passe par un VCA final commandé par une seconde enveloppe dédiée. Du très basique, donc… Lorsqu’une touche est maintenue, l’appui sur une nouvelle touche peut redéclencher le son ou pas (Trigger multiple ou simple, avec priorité basse).
Modulations simplistes
En regardant vite fait la façade du Source, on voit immédiatement qu’il est très dépouillé au rayon des modulations (en plus du reste). On trouve un Glide (portamento lisse) avec un simple réglage de temps. Puis un LFO, dont la fréquence varie de 0,25 à 325 Hz (bon point !) ; on a le choix entre une forme d’onde triangulaire ou carrée et deux routages simultanés : pitch des oscillateurs et filtre. Dommage qu’il ne puisse moduler la largeur des ondes PW, qui restent désespérément statiques. Pour sortir des formes d’ondes basiques, un générateur numérique de S&H peut être assigné au pitch et/ou au filtre, à la fréquence du LFO, sympa. Il maintient la note dès qu’il est activé, mais sa quantité de modulation n’est hélas pas programmable, moins sympa.
On termine cette courte section modulations par les deux enveloppes, toutes deux de type ADSR, assignées de manière fixe à la fréquence de coupure du VCF et au VCA. Les temps varient de 3 ms à 10 secondes, ce qui leur donne une grande souplesse. Bien qu’elles soient numériques (générées par le processeur), elles affichent une très bonne pêche sur les temps courts, aucun problème pour faire des sons qui claquent ! Dommage qu’on ne puisse pas les assigner aux VCO, en particulier au VCO2 pour les synchro. C’est vraiment un domaine où le Moog Source ne brille pas, mais le Minimoog ne faisait pas mieux. Heureusement, l’avènement du numérique lui a apporté quelques outils pour faire bouger les notes automatiquement : les voici…
Arpèges séquencées
The Source est équipé d’un arpégiateur et d’un séquenceur à pas. L’arpégiateur est d’ailleurs lui-même un séquenceur de 24 pas qui se programme en pas-à-pas, pendant qu’il tourne. On entre une séquence de notes et dès que la première note est répétée, The Source lance la séquence immédiatement ; on peut ainsi programmer une nouvelle séquence tandis que l’ancienne tourne ; dès qu’on répète la nouvelle première note, la nouvelle séquence remplace la précédente et se met à tourner en boucle… il faut attraper le coup, sinon on se plante et la séquence s’arrête net. On aurait préféré une transposition à la volée plutôt que cette conception curieuse.
La partie séquenceur est plus classique. Elle comprend deux séquences de 88 pas maximum. La programmation se fait en pas-à-pas, en entrant les notes et les silences. The Source décompte le nombre de pas restants sur l’afficheur tant qu’on n’appuie pas sur la touche STOP ou que la limite n’est pas atteinte. En lecture, le clavier et le CV externe sont désactivés, donc pas de transposition en temps réel. On peut changer de programme à la main pendant que la séquence tourne. On peut aussi changer de programme automatiquement grâce au séquenceur de programmes, qui peut entrer en action à chaque pas des séquences, parallèlement aux notes. Enfin, une fonction Auto Trig permet de redéclencher automatiquement la note en cours (et les enveloppes associées), qui est alors maintenue et transposable, à la fréquence du LFO.
Conclusion
Au final, le Moog Source est une petite merveille sur le plan sonore. Il porte avec fierté l’ADN de la marque et se paie même le luxe d’imiter le Minimoog, pour une fraction du prix. Il n’en possède toutefois pas l’interface homme-machine, avec cette membrane tactile et cet encodeur optique peu engageants pour programmer ou modifier rapidement les sons en live. Il n’est pas non plus très bien fourni au rayon des modulations, comme sur beaucoup de Moog compacts vintage, d’ailleurs. Doté d’une partie numérique, il permet de mémoriser les sons et de programmer des séquences de différentes manières. Il est aussi MIDIfiable. C’est un synthé idéal pour les musiciens qui aiment jouer du clavier et des molettes en live, avec ce gros son vintage Moog irremplaçable.
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