Il a démarré sur Youtube il y a déjà 12 ans, et n'a cessé depuis de se développer, construisant un univers et une signature sonore bien à lui. Naviguant entre reprises et chansons originales, il est passé par la case label avant de se lancer seul dans la poursuite de ses projets. Aujourd'hui, le canadien est maître à bord de sa barque, et vous propose d'en découvrir un peu plus sur ses méthodes de travail et sur sa vision de la musique. En route, derrière le son de Jesse Daniel Smith.
Salut Jesse, et merci pour ton temps ! Commençons peut-être par te présenter en quelques mots ?
Bonjour ! Alors, mon nom est Jesse Daniel Smith, je suis musicien, producteur, et j’aspire à développer mes compétence en mixage (je mixe tous mes morceaux moi-même, mais je commence à mixer pour d’autres artistes qui me font confiance et c’est cool !). J’ai sorti un petit paquet d’albums de manière indépendante. Je fais presque tout par moi-même. Depuis 10 ans j’apprends la production petit à petit, les techniques de mixage et le multi-instrumentalisme. J’ai accumulé quelque chose comme 30 millions de streams en 2021 et je suis sur le point d’entamer un nouveau chapitre de ma carrière, plus axé sur la production prolifique et la collaboration.
Comment es-tu arrivé dans la musique ? Quel est ton parcours ?
Contrairement à la plupart des musiciens, j’ai commencé à écouter de la musique à l’âge de 15 ans seulement. Mon intérêt pour la musique a en fait commencé avec l’achat d’une guitare électrique avec mon premier salaire, sur un coup de tête. Je me souviens que ça a pas mal parlé autour de moi, surtout parce que, selon les gens, personne ne peut sérieusement commencer l’apprentissage d’un instrument si tard. Du jour au lendemain, ma personnalité a changé, je suis devenu hyper concentré sur la musique, il n’y avait plus que ça. Mais je pense que je le dois aussi à mes troubles du spectre autistique et à mon TDAH(1). D’ailleurs, rien n’a changé, je suis toujours aussi monomaniaque !
Actuellement, quelle est ta principale casquette ?
Juste avant le début de la pandémie, j’ai déménagé et je me suis installé avec ma fiancée dans le sous-sol de ses parents. Je voulais apprendre tout ce que j’ignorais de la théorie musicale, de la production, etc. Je compose, je produis, je mixe, j’essaye surtout de diversifier et grossir constamment mon catalogue musical. Prince m’inspire beaucoup sur ce point. Évidemment, lui avait des ressources techniques et financières que je n’ai pas. Mais ce n’est pas grave, car depuis que j’ai commencé à m’y intéresser, je suis passionné par l’aspect technique de la musique et de l’audio en général.
Tu bosses où ? Quelle est ta configuration ?
Depuis que j’ai débuté la musique, j’ai toujours su m’adapter à l’espace qui m’était disponible. Au départ, comme beaucoup, je faisais tout dans ma chambre. Mais cette année j’ai opté pour un garage réaménagé. C’est loin d’être idéal car les plafonds sont bas, la forme de la pièce est parfaitement cubique et les 3 murs fins donnent directement sur l’extérieur, c’est assez mal isolé. J’ai des enceintes de monitoring Neumann KH120A (je me retrouve souvent à mixer au casque quand même, sans ça je m’arrache les cheveux quand je travaille autour des 150 Hz). Mais pour la première fois de ma vie j’ai un espace dédié à la musique et rien que pour ça je suis très reconnaissant.
J’ai installé mon matériel de sorte à avoir le moins de déplacements possible à faire, notamment pour les microphones. J’enregistre ma batterie avec un micro Shure PGA52 pour la grosse caisse et une paire de Rode M5 en overhead. Tout le reste, c’est soit du MIDI soit enregistré avec un micro dynamique Aston Stealth, qui a l’avantage de ne pas trop capter les sons parasites de la pièce. Il m’arrive aussi d’utiliser un Neumann TLM 103 mais il capte vraiment beaucoup l’environnement (et c’est tant mieux dans certains cas, mais pas quand je veux quelque chose de propre ou précis). Enfin, lorsque j’enregistre des voix féminines, de la trompette ou même une caisse claire, j’aime bien utiliser un SM7B. Mon interface est une Apollo x4 d’Universal Audio, et puis j’ai une belle collection de guitares : une Schecter Diamond Nick Johnston Signature, sur laquelle je n’utilise presque que le premier micro humbucker ou la 2e position entre le micro manche et central, une « Frankencaster » Telecaster qui aurait été fabriquée par le technicien guitare de Bruce Springsteen pour qu’elle soit exactement comme sa Tele 52, une Gibson ES-125 de 1949 convertie en guitare pour gaucher, une Godin en nylon d’entrée de gamme et une Martin OM000–15. Sur toutes les guitares j’utilise des cordes Elixir et en ce moment je joue exclusivement avec les médiators Jazz III Max Grip. J’ai aussi une basse Hofner Ignition HCT 500/1 avec des cordes à filet plat GHS.
Quelle est ta pièce hardware favorite et pourquoi ? Quelle est celle que tu utilises le plus et pourquoi ? Ton TOP 3 ?
En fait, je pense tout de suite à mon interface audio Apollo x4. Je trouve la possibilité d’utiliser des émulations analogiques géniale. En plus, ça m’a montré que je n’avais pas besoin de matériel analogique qui coûtent un prix exorbitant, les plug-ins UAD me suffisent. Donc pour mon TOP 3 je dirais l’Apollo x4, mon Keylab 61 d’Arturia (oui oui !) et l’API Tranzformer pour la compression et l’égalisation de mes guitares.
Quel est ton plug-in favori et pourquoi ? Quel est celui que tu utilises le plus et pourquoi ? Ton TOP 3 ?
Je ne vais pas être très original je pense, mais l’égaliseur FabFilter ProQ3 est toujours le premier plug-in que je mets sur n’importe laquelle de mes pistes. J’aime assez le RC-20 de XLN Audio aussi. Ce qui me fait rire c’est que j’ai passé des années à apprendre comment avoir la meilleure qualité sonore possible, et je me retrouve aujourd’hui à dégrader mon son avec des plug-ins. Au risque de me faire taper sur les doigts, j’ai envie de faire plusieurs TOP 3 !
Pour les compresseurs logiciels, je dirais : Distressor, API 2500 et Neve 33609/C. Pour les égaliseurs et autres plug-ins qui agissent sur le spectre : API 550, Pultec HLF-3C (je l’utilise pour nettoyer les reverbes et les bus) et Spectre de Waves Factory. Concernant les plug-ins utilitaires : le De-Esser de RX 8, Gullfoss de Soundtheory, et le DS-10 Drumshaper de XLN Audio. Et enfin pour les réverbes et délais : CLA Epic de chez Waves, Ocean Way Studios et Plate-140 d’Arturia qui sonne plutôt bien et qui n’est pas très chère.
Quel est, selon toi, le hardware ou software le plus sous-estimé et pourquoi ?
En fait, ma réponse va peut-être surprendre mais pour moi, les artistes, surtout indépendants, sous-estiment les plateformes de streaming. Dans le sens où, il n’y a pas d’outil plus puissant pour la créativité que de diversifier la musique que l’on écoute. Et puis, pour un tout autre point : Spotify, Apple Music, Tidal, etc, toutes ces plateformes libèrent des contraintes liées aux cycles de sortie des albums. Je pense que si vous apprenez le fonctionnement du streaming, comment les gens le consomment, comment il évolue, de quoi il est fait, vous aurez alors un potentiel de croissance et d’exposition incroyable. J’ai gagné plus de $50 000 en publiant de la musique de manière totalement aléatoire pour ne pas dire anarchique, 100% en indépendant, et finalement cette approche m’a été bénéfique très tôt. Pourtant j’ai signé plusieurs titres en label, donc j’ai aussi cette expérience là. Mais à choisir entre la peste et le choléra, je choisis la peste qu’est le streaming.
Quel est l’instrument ou toute autre pièce hardware que tu rêves de t’offrir ?
J’adorerais avoir un synthétiseur comme un Prophet ou un DX7. Mais bon, Arturia a tellement fait un bon travail avec la V Collection que j’aurais du mal à me justifier de débourser des milliers de dollars. Aussi, j’aimerais avoir de très vieilles guitares, le souci c’est que je suis gaucher, et que les instruments pour gauchers vintages sont très souvent hors de prix et rares.
Est ce qu’il y a un conseil ou autre que tu as reçu un jour et qui a changé ta façon de voir ou de faire les choses ?
J’ai reçu un tas de conseils au fil du temps. Un jour, un ami musicien m’a dit quelque chose qui m’a ouvert les yeux sur l’importance de la dynamique et du contraste. Clair/foncé, doux/dur, fort/faible, proche/lointain, aigu/grave, large/étroit, etc. Le relief est important, que ce soit au niveau du spectre, de la dynamique ou du champ stéréo. Mais bon, au final c’est l’ambiance du morceau qui prime. Si une chanson dégage de bonnes ondes, le reste est sans importance.
Est ce que toi tu aurais un conseil à donner ?
Oui, j’en ai plein ! Alors tout d’abord, et c’est peut être le plus évident : entraînez vos oreilles. Tout est une question d’écoute et de savoir qu’est ce qui ressemble à quoi. J’utilise différentes applications pour entraîner mon oreille à mieux entendre, et j’en vois vraiment les bénéfices. C’est sans doute cliché à dire mais rien ne remplace de bonnes oreilles. Ensuite, je dirais, travaillez toujours la qualité et la cohérence de vos sources audio entre elles. Je veux dire par là que, si vous avez une piste enregistrée parfaitement, et que toutes les autres sont brouillon dans les basses fréquences, vous aurez un résultat à la hauteur de vos mauvaises prises. Consacrer une minute de plus au placement de vos micros, c’est gagner 10x plus de temps au mixage.
Troisièmement, et je vais un peu me contredire je le sais, mais une bonne chanson mal enregistrée sera souvent meilleure qu’une mauvaise chanson bien enregistrée (et là je parle du point de vue artistique bien sûr, pas technique). Et de toute façon, il est impossible de savoir à l’avance ce que les gens vont aimer, alors faites votre morceau, et passez à un autre. Ne mixez pas pendant des heures sans faire de pause. Si ça ne fonctionne pas ou que ça ne donne pas de bons résultats, laissez le de côté pendant quelque temps, vous pourrez toujours y revenir plus tard avec vos oreilles ‘remises à zéro’.
Parlons de la question du matériel et du Gear Acquisition Syndrom maintenant (que tout le monde a à un moment donné). Certes le matériel ne fait pas tout, mais il contribue malgré tout au produit fini. Achetez, expérimentez, mais achetez intelligemment. Vous finirez par savoir reconnaître qu’est ce qui fonctionne bien avec quoi, à quel endroit du spectre tel ou tel instrument se place, quel égaliseur ou compresseur est plus adapté pour tel ou tel cas de figure. Je suis un fou de guitares, mais chacune est unique et apporte quelque chose de nouveau. Que ce soit une Stratocaster, une Telecaster, une demi-caisse, une classique avec des cordes en nylon ou une folk, je ne m’en sers jamais par hasard. Faites de la musique, partagez là, en clair faites en sorte que vos achats se justifient, plutôt que d’acheter sur un coup de tête et de laisser votre matos prendre la poussière.
Et en dernier, moins glamour mais très important selon moi : prenez soin de vous, de votre santé mentale. Une des meilleures choses que j’ai faite récemment a été d’apprendre le taoïsme. Renseignez-vous sur des personnes comme Alan Watts, Baba Ram Dass par exemple. Et gardez en tête que les bons professeurs sont ceux qui n’essaient pas de vous ‘recruter’ mais qui essayent plutôt de faire en sorte que vous n’ayez plus jamais besoin d’eux.
Quelle est ta plus grande fierté ?
En vérité, ma plus grande réussite a été d’échapper à la pauvreté et de gagner ma vie en tant qu’artiste, malgré d’innombrables échecs et embûches. Je n’ai pas de réel soutien financier direct de ma communauté, ça a rendu les choses plus difficiles mais pas impossibles. Et ça m’a rendu flexible, j’ai dû m’adapter et rester humble. Les choses me montent vite à la tête je le sais, alors c’est un mal pour un bien !
Quels sont tes projets, dans un futur proche ou éloigné ?
J’ai un album qui devrait sortir prochainement, ce qui remplit mon objectif de publier de la musique régulièrement. Mon second objectif est de partager mon savoir. C’est intimidant d’enseigner je trouve, que ce soit le solfège, un instrument, ou tout autre aspect comme la photographie, la vidéo ou le marketing. C’est tellement des millions de petites choses mais qui ont toutes leur importance. J’ai longtemps été focus sur moi, j’ai beaucoup reçu, maintenant je veux que la roue tourne. Et je me suis aussi trouvé moi-même, c’est nécessaire pour donner aux autres de manière authentique.
As-tu quelque chose à ajouter ou dont tu aimerais faire part à nos lecteurs ?
J’aimerais finir sur une note un peu plus ‘ésotérique’ peut-être mais voilà : il est possible que vous ne soyez pas l’artiste que vous aimeriez être, et ce n’est pas grave. Peu importe où vous vous situez dans ce monde de fou, c’est déjà parfait. Le fait de vous enlever cette pression des épaules vous permettra de développer votre musique bien plus qu’en essayant de rentrer dans un moule qui ne vous correspond pas. Vivez simplement, travaillez, tout le reste en découlera. Et prenez le temps de prendre soin de vous. Méditez, mangez sainement, dormez, faites de l’exercice physique. Si vous n’êtes pas en bonne santé, vous vous épuiserez à la tâche, sans parvenir à être authentique, ni avec vous ni avec les autres.
Pour suivre Jesse, rendez-vous sur son site internet. Vous pouvez également le retrouver sur sa chaîne Youtube ainsi que sur les différentes plateformes de streaming.
(1) Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité