Coup de tonnerre : Universal Audio lance Luna, sa propre STAN. Et le plus étonnant dans tout cela, c’est que c’est un logiciel gratuit pour tout possesseur d’une Apollo ou d’une carte UAD. Quant à savoir s’il s’agit d’un modeste soft proposé pour grossir un bundle ou d’une future référence taillée pour dévorer Pro Tools, Cubase, Logic et consorts, c’est une autre paire de manches que nous allons précisément retrousser.
Ce n’est un secret pour personne : une grande partie des employés arrivés ces dernières années chez UA ne sont ni plus ni moins que des transfuges d’Avid qui bossaient auparavant sur Pro Tools. Ce mouvement faisait sens dans la mesure où les deux compagnies sont sur le même marché des plug-ins utilisant des DSP, mais cela cachait un projet autrement plus ambitieux qui nous arrive aujourd’hui : Luna, une STAN complète permettant sur le papier d’enregistrer et mixer de la musique en utilisant les plug-ins maison, qu’il s’agisse d’effets… ou d’instruments ! C’est en effet l’autre grande nouveauté que nous propose le constructeur avec la sortie de Luna. Désormais, en marge des compresseurs, EQ, amplis et autres delays ou réverb, le catalogue d’Universal Audio va proposer des synthés, des pianos et quantité d’autres instruments qui utiliseront eux-aussi les DSP UAD. La chose est d’autant plus enthousiasmante qu’on sait la politique qualitative qui est celle du fabricant : ses émulations d’effets et traitements comptent invariablement parmi les plus réalistes du marché et on a hâte de voir ce que cela va donner sur des instruments, sachant qu’UA s’est associé à un grand nom pour mener à bien son projet : Spitfire qui, ce n’est sans doute pas un hasard, a passé ces dernières années à développer un lecteur qui lui permette de s’affranchir de Kontakt.
Avant toutefois de nous pencher sur cette branche naissante du catalogue d’UA, il convient de se pencher sur Luna.
Un petit pas pour l’homme…
Passées l’installation et l’autorisation du logiciel via le système iLok Cloud, le lancement de Luna vous place face à une interface dont le design rappelle évidemment le look de la console Apollo, en plus coloré, et dont l’organisation avec son bloc de lecture au sommet comme sa Timeline ne sont pas sans évoquer Pro Tools.
La grande force de Luna tient dans la philosophie qui est celle d’Universal Audio depuis ses débuts en MAO : il ne s’agit pas de proposer un énième soft vous offrant un son transparent, mais au contraire un logiciel qui va vous permettre de retrouver le Mojo des grands studios en reproduisant le comportement des consoles analogiques comme des magnétophones à bande. Si je précise cela, c’est que l’usage des plug-ins optionnels Studer A-800 et Neve Summing ne va pas seulement colorer le son des tranches ou des bus sur lesquels on les insère mais modifier la façon dont s’effectue la sommation entre les pistes. Bien sûr, cela n’est pas entièrement nouveau dans la mesure où l’on trouve ce genre de concepts dans des plug-ins Slate ou Waves comme dans certaines STAN telles qu’Harrison MixBus ou Studio One, mais quand on sait la réputation d’UA en matière d’émulation, on se frotte les mains.
Précisons-le : si le Studer peut être mis sur chaque tranche, l’émulation Neve n’est disponible qu’au niveau des bus, et il faudra donc s’organiser en conséquence pour en profiter. Et voyez ce que cela donne avec ou sans sur un des projets fournis par l’éditeur. D’abord sans rien :
Puis en activant les Studer en insert de piste :
On désactive les Tape pour activer les bus Neve :
On active enfin et les Tape et les Neve :
C’est fin mais cela fait effectivement une différence sensible de l’un à l’autre, sachant qu’on peut sans problème pousser le Trim pour aller chercher plus de saturation. Le Mojo UA est en tout cas là et on n’avait pas trop de doute là-dessus car l’éditeur n’a pas l’habitude de proposer des modélisations au rabais. Les amateurs de Vintage apprécieront, d’autant que dans le sillage de ce système de sommation, l’usage des plugs de traitement et d’effet est un régal : Pultec, Fairchild, SSL, 1176, pour peu qu’on dispose des plugs dans son bundle ou parce qu’on les aura achetés, toutes les légendes sont là et ça sonne rudement bien, rudement mieux que bien des concurrents même… Petit bémol à ce sujet toutefois : tous les plug-ins sont classés par marque et non par catégorie, ce qui s’avère vite pénible lorsqu’on a beaucoup de plug-ins car le moteur de recherche intégré se base sur le nom du plug et non sur des tags. Si un plug-in de delay ne contient pas le mot Delay dans son nom, il ne remontra donc pas.
Pour en finir avec le mixage, je regrette aussi personnellement le côté un peu trop Protoolsien du routing, qui a certes fait ses preuves et s’avère proche de la logique de studio, mais s’avère aussi un brin laborieux : on ne peut pas comme dans beaucoup de STAN mettre une réverbération en envoi d’une piste d’un simple Cliqué-Glissé. Il faut d’abord créer une nouvelle tranche, mettre le plug-in de réverb en insert de cette dernière puis activer l’envoi de la piste vers la tranche… Logique mais laborieux donc.
Une STAN, ce n’est par toutefois pas qu’une table acceptant des plug-ins et un système de sommation, c’est aussi un environnement d’édition. Et pour le coup, comme le laissait suggérer les similitudes aperçues en début d’article et le débauchage des gens d’Avid, on nage ici en plein Pro Tools, les développeurs ayant poussé l’inspiration jusqu’à reprendre les raccourcis-claviers de ce dernier. On comprend d’autant plus qu’UA n’a pas cherché à réinventer la roue que l’édition audio est le gros point fort de Pro Tools. Du coup, quand on vient de ce dernier, on retrouve facilement ses petits et on bosse vite… Bon point accordé sur ce plan précis, sachant que nombre de pros n’utilisent Pro Tools que comme un magnétophone et un éditeur audio, et que Luna est assez au point sur ce sujet.
Avant d’en venir aux autres facettes du logiciel, on se tournera vers l’excitante nouveauté qu’amène Luna. On l’attendait depuis des lustres : UA propose enfin des instruments virtuels !
Let’s play
Après des années d’attente, UA nous propose enfin des instruments ! Inutile de dire qu’on a hâte de voir à quoi ça ressemble et on est de suite rassuré en posant doigts et souris sur le Minimoog proposé par l’éditeur car on y retrouve un grave qui fait défaut à quantité d’émulations : ça sonne fat sur les basses, et c’est tout ce qu’on espérait, tandis que les filtres précédemment modélisés par l’éditeur sont eux-aussi un régal. Difficile de dire si cette émulation enterre définitivement un The Legend, un Monark ou dans une moindre mesure un Diva, car aucun de ces instruments virtuels ne se base sur le même Minimoog, sachant que chaque vieux coucou analogique sonne différemment. Mais à n’en pas douter, ça sonne Moog et il n’y a pas grand chose à reprocher à l’instrument si ce n’est qu’on l’aurait bien vu livré avec plus de presets, et qu’on aurait peut-être aimé qu’UA, à l’instar d’un Arturia, ajoute quelques innovations débrayables (section d’effets par exemple) quand les développeurs se sont contentés de faire une réplique fonctionnelle de l’original comme à leur habitude.
Voyez ce que ça donne sur les exemples suivants :
- moogBass100:10
- moogBass200:10
- moogBrass00:10
- moogLead00:10
Autre nouveauté parmi les instruments, Ravel est un piano Steinway Model D aux réglages extrêmement simples mais extrêmement convainquant sur le plan du son, la dizaine de Go de samples qu’il utilise étant couplée à une technique de modélisation propriétaire d’UA. Voyez comme cela sonne en sachant qu’on n’a pas des masses d’options disponibles du côté des micros (morphing entre Close et Room), mais qu’on dispose d’un mode Reverse mixable avec le son normal et dont on peut définir la durée.
- RAVELroom01:28
- RAVELclose01:28
- RAVEL – REVERSE01:28
Last but not least, Luna propose Shape, un Rompler doté d’une petite section d’effets, de fonctions d’édition de base et qui repose sur une collection de sons utilisable pour attaquer à peu près toutes les situations. Universal Audio s’est assuré le concours d’éditeurs de tierce partie pour réaliser ses banques, et non des moindres : Spitfire Audio (qui propose par ailleurs des instruments orchestraux), Orange Tree Samples, Soniccouture, Handheld Sound, G-Force, Wavesfactory et Sound Dust. Bref, du beau monde même s’il faut bien admettre que les limites technologiques de Shape, qui n’est certainement pas un Kontakt ou un Falcon, font que ce sera plus volontiers un outil généraliste pour maquetter… et patienter en attendant que sortent d’autres instruments dédiés plus développés. On est en effet sur des sons qui, en l’absence d’articulations, peineront souvent à convaincre réellement et paraitront raides. Mais ça dépanne et on apprécie le fait qu’à la manière d’un HALionSonic, on dispose pour chaque instruments de quatres réglages « macros » pensés pour s’adapter à l’instrument.
Bref, les instruments ne déçoivent pas et promettent le meilleur, même si la fête est un peu gâchée par le fait que ces derniers ne sont utilisables que dans Luna. Il ne s’agit pas en effet de plug-ins dont vous pourrez vous servir dans n’importe quelle STAN, mais de Luna Extensions, partie intégrante du logiciel d’UA donc, ce qui nous renvoie forcément aux capacités MIDI de ce dernier…
MIDI moins le quart
Or sur ce point, c’est moins la fête car on sent bien qu’on est face à un outil fait pour l’enregistrement et la production audio plus que pour le séquençage de données MIDI… comme Pro Tools. L’édition se fait en mode « In Line » via un système de piano roll classique et la base est là, mais à mesure qu’on commence à utiliser Luna sur ce point, on se rend compte des choses qu’il manque : pas de Groove Quantize ni humanisation pour amener du naturel à une saisie faite à la souris, juste une quantification de base et un paramètres Swing. Pas non plus de courbes de Béziers pour les contrôleurs continus, pas de courbe tout court pour la piste Tempo, et pas de fonctions évoluées permettant d’automatiser l’édition de données MIDI comme on en trouve chez Cubase, Logic, Studio One… Bref, c’est une V1 mais on sent que comme dans le soft d’Avid, le propos premier n’est pas le MIDI, ce qui fait rager d’autant plus sur l’impossibilité d’utiliser les instruments dans un autre logiciel…
Signalons-le : pour accompagner son Moog, UA propose tout de même ARP, un arpégiateur simple et bien conçu qui devrait couvrir l’essentiel des besoins en la matière. Une très bonne chose, mais qui ne compense pas à elle seule le manque d’outils et de fonctions comme on en trouve dans les logiciels plus axés sur la composition et l’arrangement : générateurs d’accords, système de contrainte de gamme, gestionnaire d’articulation, point de tout cela ici… Or, au-delà de cela, bien d’autres choses encore sont absentes…
Dark side of the Luna
Certes, le logiciel est en v1 et il est gratuit, de sorte qu’il serait déplacé d’être trop exigeant avec lui. Mais il n’empêche que certaines fonctions absentes pourraient bien inciter les utilisateurs à patienter avant de l’envisager pour le travail au quotidien.
On râlera d’abord sur l’absence de support des VST (AudioUnit Only) comme sur le fait que le soft ne soit proposé que pour Mac pour l’instant. On déplorera également le non-support d’ARA qui permettrait l’intégration d’un Melodyne, ou le fait que les plug-ins soient classés par marque et non par catégories. Bref, une foule de petites choses viennent à manquer même s’il n’y a rien là-dedans de rédhibitoire. Trois défauts sont toutefois vraiment plus gênants.
Le premier, c’est que Luna ne gère pas de surface de contrôle, ce qui est bien dommage lorsque lui associer une console à Faders motorisés s’inscrirait justement dans le worflow studio que l’éditeur tente de reproduire. Il y a du coup fort à parier que UA soit déjà à pied d’oeuvre pour ajouter ce support.
On sera également gêné par l’impossibilité d’utiliser des sorties multiples pour les instruments virtuels, de sorte qu’on ne peut pas par exemple récupérer l’eclaté de piste d’un BFD ou d’un Superior Drummer pour mixer une batterie virtuelle avec les plug-ins UAD et profiter du système de sommation de Luna. Là encore, on se doute toutefois qu’UA va certainement proposer sous peu autres instruments qu’un Moog ou un piano et devrait intégrer dès lors cette possibilité.
Enfin, on pestera surtout en découvrant que la fonction Freeze est aux abonnés absents, ce qui limite grandement la réalisation de gros projets à moins d’avoir une grosse Apollo et obligera à faire des bounces pas forcément pratiques et surtout bien fastidieux, à plus forte raisons quand ils peuvent s’avérer particulièrement longs. À l’heure où nombre de pros utilisent une petite Twin ou une Arrow comme solution nomade, il va sans dire qu’ils n’auront pas intérêt à vouloir bosser de cette façon sur de trop gros projets, à moins de se passer des plugs UAD, ce qui n’est pas le but. Et si les deux défauts précédents vont sans doute être corrigés dans les versions futures du logiciel, il n’est pas dit que ce problème de Freeze soit si facilement soluble à cause de l’usage des DSP.
Toutes ces limitations posent en tout cas la question de savoir à qui s’adresse Luna en l’état.
Pour qui ?
Disons-le clairement : Luna n’est pour l’heure pas une STAN qui s’adresse à tout le monde et on appréciera d’ailleurs les précautions que prend UA pour décrire son logiciel : le constructeur ne parle en effet pas de DAW mais de Recording System, mettant en avant l’écosystème Apollo + Luna + plug-ins qui vous permet de retrouver virtuellement les sensations et le workflow d’un studio d’enregistrement : un magnétophone, une table et des outboard. On ne reprochera rien à cela car cela s’inscrit dans la philosophie de la marque, mais on soulignera que si le logiciel pourrait se placer à terme en concurrent d’un Pro Tools dont il s’inspire déjà largement pour l’editing, il ne devrait pas faire d’ombre aux STAN plus généralistes qui proposent en sus des outils pour la composition et l’arrangement : à l’heure où un Logic va jusqu’à intégrer un mini Ableton Live, Luna se veut autrement plus basique dans ce qu’il propose sur le plan fonctionnel comme au niveau des ressources qu’il embarque. Il vaut mieux le savoir.
Et même pour les Protoolsiens possédant déjà un système UAD et qui ne feraient que de l’enregistrement audio sans usage particulier d’instruments virtuels, il n’est pas dit que la non gestion des surfaces de contrôle ne diffère pas l’envie de résilier l’abonnement Avid pour se jeter sur ce qui est offert par UA. Bref, chacun verra midi à sa porte en sachant bien sûr que le soft ne peut que progresser : il intègre d’ailleurs un bouton dédié au retour utilisateur que l’éditeur vous invite à utiliser pour réclamer les fonctions qui vous manquent. Bref, Luna n’a pas à rougir de sa V1 mais il lui reste un bon bout de chemin à faire pour convaincre massivement les utilisateurs.
Conclusion
Il est bien dur de noter un logiciel offert dont le rapport qualité/prix tend donc vers l’infini. Certes, Luna n’est pas si gratuit que ça dans la mesure où il nécessite de posséder une interface ou une carte UA et où il faudra acheter les plug-ins Neve / Studer pour tirer réellement profit de son originalité, mais si l’on considère le travail accompli par l’éditeur et la façon dont le logiciel s’inscrit dans l’écosystème UAD, il ne serait pas si choquant qu’il soit payant… à condition d’être plus complet. En effet, si la STAN propose déjà une bonne base fonctionnelle et surtout une expérience utilisateur cohérente dans l’idée de recréer un environnement de vrai studio vintage, il lui manque encore bien des choses pour se poser en Pro Tools Killer. On ne doute pas qu’à force de mises à jour, il finira par devenir une fameuse épine dans le pied de son rival, peut-être même le supplantera-t-il, mais ce n’est pas encore pour tout de suite. Ceci étant dit, on le notera donc avec générosité en songeant au potentiel du logiciel qui permet déjà d’accomplir bien des choses et de mettre la main sur des instruments qui eux-aussi présagent du meilleur. Affaire à suivre…