Après trois ans depuis la sortie de Live 10, voici arrivée la dernière version de la célèbre STAN berlinoise. Annonçant entre autres l'adoption du comping mais surtout la compatibilité à la nouvelle norme MPE. Saura-t-elle tenir ses promesses?
Ableton Live possède depuis toujours une identité visuelle forte, tout autant apte à séduire les amateurs de minimalisme qu’à rebuter d’autres utilisateurs qui pourraient la juger trop froide, une identité visuelle qui n’a que très peu évolué depuis les débuts du logiciel il y a vingt ans.
Live 11 ne déroge pas à la règle: à l’ouverture, on pourrait se demander si l’on n’est pas resté sur la version précédente. Mais un examen plus poussé va nous permettre de relever toutes les différences notables. Commençons par l’indication de la charge CPU. Le traditionnel témoin en haut à droite de l’écran principal permet maintenant d’afficher la charge CPU selon différents modes. Et s’il permettait déjà par le passé d’activer ou de désactiver le moteur audio, on appréciera de pouvoir accéder désormais directement par ce biais aux paramètres de ce dernier. Mais ce n’est pas tout. Le témoin de charge CPU se trouve en effet secondé dans sa tâche par une toute nouvelle fonction qui permet d’afficher en dessous de chacune des pistes de votre projet la part de ressources CPU qu’elle accapare. C’est très pratique et cela permettra de savoir immédiatement quelle piste est fautive si votre projet met soudain votre système à genoux !
Ableton a également fait évoluer le browser de son séquenceur. Les effets audio sont maintenant rangés par catégories, ainsi que les effets MIDI et tous les effets « Max for live », la version spécifiquement développée pour Ableton de la plateforme de développement « Max » de Cycling 74. Une excellente initiative. Tout comme on appréciera que les « grooves » bénéficient de leur propre catégorie de rangement, ce qui n’était pas le cas jusqu’à maintenant. Mais la plus grosse nouveauté concernant le browser, c’est l’apparition de la catégorie « Modèles »! Il est en effet maintenant possible – enfin – de ne plus sauvegarder qu’un seul modèle de projet, mais autant qu’on le souhaite ! De plus, ces modèles sont au même format que les projets traditionnels de Live. Ce qui signifie que comme pour ces derniers, vous pourrez si vous le souhaitez ne charger que la piste qui vous intéresse dans votre projet actuellement ouvert. C’est juste parfait. Enfin, un petit détail mais qui a toute son importance: on appréciera l’arrivée de nouveaux raccourcis clavier bien pratiques, notamment « C » et « D » qui permettent respectivement d’armer et de mettre en solo la piste actuellement sélectionnée.
Mais intéressons-nous maintenant à ce qui a toujours fait le coeur même du fonctionnement de Live – à savoir les clips, auxquels Ableton a donné un sérieux coup de jeune dans cette dernière version de son séquenceur!
Nouveaux clips
On ne va pas se mentir, l’arrivée du MPE n’est évidemment pas étrangère à cette situation. En effet, les nouveaux paramètres associés au MPE se voient attribuer leur propre onglet: « Note expression ». Pour ce qui est des onglets traditionnels de Live, si l’onglet « enveloppe » ne subit que des modifications purement esthétiques, l’onglet « launch » s’est vu quant à lui attribuer de nouvelles fonctionnalités de randomisation. Ainsi, en dessous de l’affichage traditionnel du niveau de vélocité, nous avons maintenant la possibilité d’éditer le niveau de probabilité avec lequel une note du piano roll va se déclencher. Il est également possible d’attribuer à l’indicateur de vélocité de chaque note une plage de valeurs autorisées plutôt qu’une valeur fixe comme par le passé.
Et Ableton ne s’arrête pas en si bon chemin en ce qui concerne l’aléatoire, car le système qui permet de définir et d’automatiser l’enchaînement de clips via les « actions suivantes » s’est vu lui aussi sérieusement mis à jour! Tout d’abord, la probabilité selon laquelle une « action suivante » sera ou non déclenchée se fait maintenant via une valeur de pourcentage infiniment plus parlante que le système adopté par Ableton jusque-là. Ensuite, une option permet à présent de choisir précisément le clip que l’on souhaite déclencher à la fin du clip actif, et de sauter directement à lui. On pourra même activer cette fonction directement à partir de l’écran de session en présélectionnant à la souris les clips que l’on souhaite voir s’enchaîner sans plus nécessiter d’aller bidouiller dans leurs propriétés.
Enfin, le piano-roll bénéficie lui aussi de deux évolutions importantes. La première permet maintenant de configurer son affichage en fonction des 35 gammes et modes que les utilisateurs du Push connaissent déjà, et ce de deux manières différentes: soit en conservant l’affichage chromatique complet du clavier de piano dans la partie gauche du piano-roll et en surlignant partiellement les « touches » correspondant aux notes de la gamme choisie, soit en supprimant carrément les « touches » des notes étrangères à la gamme.
L’autre grande évolution du piano roll concerne l’édition simultanée de plusieurs clips, durant laquelle il est maintenant possible de sélectionner et d’éditer en une seule fois des événements issus des différents clips concernés. On saluera toutes ces évolutions pour ce qu’elles sont: rien de révolutionnaire, mais des améliorations bien agréables de l’ergonomie du logiciel au quotidien. Et Ableton ne s’est pas arrêté là.
Du clip à la scène
L’éditeur berlinois a en effet décidé, après toutes ces années, d’adapter le système des « actions suivantes »aux scènes entières! Oui, vous avez bien lu, ce sont maintenant des lignes entières de clips dont on pourra automatiser l’enchaînement durant la lecture du projet. C’est tout bonnement génial. Et Ableton en a profité pour revoir complètement l’édition des propriétés des scènes. Je devrais même plutôt dire qu’Ableton en a profité pour DEVELOPPER enfin une véritable fonction d’édition des propriétés desdites scènes. Il n’est à présent plus nécessaire de bidouiller vaguement une indication de bpm ou de signature rythmique dans le nom de la scène pour s’assurer que celle-ci soit lue à la bonne vitesse et que les mesures soient respectées: tout cela sera maintenant proprement noté dans les cases appropriées de la nouvelle fenêtre de propriétés. Et vous n’aurez plus non plus à vous soucier de renuméroter chacune de vos scènes après les avoir déplacées d’une ligne à l’autre. Les numéros correspondent maintenant à des lignes fixes et ne changent pas en fonction de la scène qui s’y trouve. Malgré tous ces changements, vous n’avez rien à craindre concernant la prise en charge des scènes de vos anciens projets développés sous des versions antérieures de Live, celles-c seront bien sûr parfaitement reconnues et traitées par la dernière mouture de votre STAN favorite.
Une autre très bonne initiative d’Ableton concernant l’interface du nouveau Live est la mise à jour du système de macros! Celle-ci se traduit à trois niveaux. Tout d’abord, on accède maintenant non plus à huit, mais à seize macros. Ensuite, il est dorénavant possible de choisir le nombre de macros que l’on souhaite afficher, sans pour autant que cela ne change quoi que ce soit à leurs affectations: si vous avez programmé huit macros et que vous n’avez besoin temporairement de n’afficher que la première, vous pouvez le faire sans que cela n’annule les affectations des macros devenues invisibles. Et enfin, on peut maintenant sauvegarder les valeurs des macros pour les rappeler à tout instant, et ce d’autant plus facilement que toutes ces opérations sont affectables à des raccourcis clavier ou MIDI.
Alors que nous arrivons doucement à la fin de la présentation des nouveautés concernant l’interface de Live, permettez-moi de vous parler de la première nouveauté véritablement importante de Live 11 : le comping !
Le comping
Les utilisateurs d’Ableton Live le savent bien: on peut absolument tout faire avec ce logiciel, n’en déplaise notamment à ceux qui aimeraient n’y voir « qu’un » outil de bidouillage de boucles électro. Oui mais… force est de reconnaître que pour ce qui est de l’édition linéaire, cette polyvalence n’est parfois atteinte qu’au prix de certaines acrobaties de workflow. Ainsi, nombreux sont les utilisateurs qui se sont plaints par le passé de l’absence de « comping ». C’est maintenant une période révolue grâce à l’introduction de cette fonctionnalité dans la dernière version de Live! Mais tout le monde ne sait peut-être pas de quoi il s’agit. Le « comping » – appelé « assemblage » dans la version française de Live 11 – est une technique qui permet d’enregistrer plusieurs prises d’un même segment musical et d’en choisir ensuite les parties les plus intéressantes, le tout de manière très simple et sans passer par une fastidieuse séance de « copier-coller ». Dans Live 11, cela se passe naturellement au sein de la vue « arrangement » et de la manière suivante. On met en boucle l’endroit du morceau où l’on souhaite enregistrer quelque chose, on arme la piste et on lance l’enregistrement, MIDI ou audio. Live crée alors autant de prises que la partie en question est bouclée (exemple: 3 boucles =3 prises).
Une fois l’enregistrement terminé, on accède aux pistes de prises qui peuvent être affichées en dessous de la piste principale. Il suffit alors de surligner les meilleures parties de chaque prise pour qu’elles soient automatiquement insérées sur la piste principale. Les pistes des prises qui ont nécessité plusieurs sources – typiquement, lors de l’enregistrement d’une batterie avec plusieurs micros – peuvent être liées entre elles de manière à ce qu’elles soient toutes sélectionnées simultanément. On notera qu’il est également possible de rajouter ultérieurement d’autres pistes de prises. Enfantin, terriblement pratique, inclus depuis longtemps dans d’autres DAWs, on se demande ce qui a retenu si longtemps Ableton d’inclure ce système dans son logiciel phare. Peut-être le fait que c’est précisément son propre système de fonctionnement à base de clips facilement manipulables et interchangeables qui a justement inspiré cette fonction chez la concurrence? On ne le saura pas, mais on se réjouira de cette évolution!
Mais dans une STAN, l’interface doit être au service du son ! Voyons donc ce que Live 11 nous propose dans ce domaine !
Dans le moteur
En tout premier lieu, voici une nouveauté qui ravira tous ceux qui se souviennent que le mot « Live » dans « Ableton Live » n’est pas fait pour faire joli mais traduit la nature profonde de la STAN : permettre à ses utilisateurs de se produire et de jouer de leur logiciel comme d’un instrument, éventuellement avec d’autres musiciens. C’est avec cet objectif-là en tête qu’Ableton a rendu sa STAN capable désormais de suivre et de se synchroniser rythmiquement sur toute source audio externe de manière totalement automatique, via un micro ou une entrée ligne. Cela fonctionne plutôt pas mal du tout, du moment qu’il n’y a pas de changements de tempo trop brusques et que les temps forts sont bien marqués: ça le fera très bien en tous cas pour suivre les petites variations de tempo d’un batteur typé rock.
Une bonne avancée donc, complétée au rayon audio par de nombreuses nouveautés sur les plug-ins…
Côté plugs
En ce qui concerne les outils sonores à proprement parler, l’une des nouveautés offertes par cette dernière version de Live, c’est la Reverb Hybride. Jusqu’ici, Ableton nous proposait deux modules séparés: la reverb à convolution, et la reverb algorithmique. Bien entendu, par souci de compatibilité ascendante, ces deux modules sont toujours inclus dans la version actuelle du séquenceur, soyez rassurés. Mais la version 11 nous gratifie d’un module qui réunit les deux en un seul et même plugin. On peut les faire fonctionner en série ou en parallèle et doser l’effet de chacune des deux. La reverb hybride dispose également d’un EQ paramétrique à quatre bandes (contre trois dans la reverb à convolution traditionnelle de Live). Enfin on peut également geler le signal traité afin par exemple d’obtenir une nappe, comme dans l’exemple ci dessous :
Autre nouveauté, Spectral resonator est un effet… spectral comme son nom l’indique, qui permet de créer des textures sonores inédites en traitant les harmoniques d’une source audio. On peut en définir de 1 à 256, étirer ou rapprocher leur espacement, décaler leur hauteur tonale générale tout comme celle de la source, régler le degré d’unison et de nombreuses autres choses… Mais il y a une fonctionnalité qui rend le Spectral Resonator tout à fait spécial: le décalage des harmoniques peut être piloté par notes MIDI! Un nouveau monde d’expressivité s’ouvre à nous… et le vocoder précédent de Live peut aller se rhabiller.
Il semblerait qu’Ableton ait décidé de creuser la voie du traitement spectral, car ce n’est pas un mais deux effets basés sur ce principe que nous propose cette nouvelle mouture de leur séquenceur phare. Il s’agit ici du Spectral Time qui regroupe en réalité deux modules en un seul. Le premier module est un « freezer » qui sert à figer le son traité dans son état actuel. Cela peut notamment permettre de créer des nappes et des textures sonores très riches et organiques. Le second module est un delay qui propose – en plus des paramètres habituels – des fonctionnalités de manipulation des harmoniques comme par exemple la possibilité de gérer leur diffusion ou leur retard en fonction de leur hauteur. On pourra regretter qu’il ne soit pas pilotable par MIDI comme son cousin le resonator. Mais une chose est certaine: vous aurez tout intérêt à toujours conserver une piste audio prête à enregistrer le résultat de vos expériences, car ce Spectral Time va s’avérer une mine inépuisable de matière sonore!
Finissons le tour des nouveaux plug-ins avec Pitchloop 89, développé par Robert Henke aka Monolake, l’un des fondateurs mêmes d’Ableton. Il s’agit d’un autre module de delay qui propose quand à lui de gérer deux lignes de retard, une pour chaque canal stéréo. Tout comme pour le Spectral Time, le Pitchloop 89 propose un certain nombre de fonctions tout à fait appétissantes, en plus de celles traditionnellement présentes dans un delay tels que la position de départ du signal retardé et son niveau de feedback. On peut ainsi désaccorder chacune des voix avec la possibilité d’alimenter leur pitch shifters respectifs avec leur propre signal ou celui de l’autre ligne, leur appliquer un vibrato ou des filtres individuels, geler leur signal respectif ou le faire lire à l’envers. Bref, le Pitchloop89 complète parfaitement le trio qu’il forme avec les deux effets précédents, autant d’éléments de la belle boîte à outils de sound design qu’Ableton nous offre avec cette dernière version de Live.
En ce qui concerne les effets traditionnels de Live, on notera notamment que « Redux » a subi une mise à jour, et que « Chorus » s’est vu adjoindre un algorithme émulant le chorus présent sur le Solina Strings Ensemble, d’où le nouveau nom de « Chorus Ensemble ». Enfin, « Phaser » et « Flanger » ont été réunis en un seul nouveau plugin… « Phaser Flanger ».
Des outils inspirés par la nature
L’un des packs des d’extension les plus intéressants proposés pour Ableton Live 11 est « Inspired by nature ». Pourquoi ce nom? Parce que les instruments et effets de ce pack reposent sur divers principes physiques comme la masse, la gravité, le magnétisme, la répulsion, et sur des représentations graphiques simples comme des boules, des murs et des plantes … En tout, nous avons donc 6 instruments et effets qui se répartissent de la manière suivante: 3 modules de génération sonore (Vector FM, Vector Grain et Emit), 1 delay (le bien-nommé Vector Delay), une banque de filtres résonnants (Tree Tone) pouvant servir à la fois de générateur sonore et d’effet, et enfin un générateur de notes MIDI (Bouncy Notes).
Tous ces modules reposent sur deux grands principes: la synthèse granulaire (cf notre dossier sur la synthèse sonore) et la musique générative avec toute la part d’aléatoire qui l’accompagne. Concernant la synthèse granulaire dans le cas présent, les grains peuvent être des opérateurs FM comme dans Vector FM ou des éléments d’échantillons comme dans Vector Grains ou Emit. Dans Vector Delay et Bouncy Notes, lesdits grains ne véhiculent pas de son directement mais des informations de lignes de retard et de filtre pour le premier, et des informations de jeu de notes pour le deuxième.
Visuellement – et à l’exception de Tree Tone – les grains sont symbolisés par de petites boules rebondissantes. Et c’est là qu’intervient l’aspect « génératif » et aléatoire de la chose. En effet, nous agissons sur ces boules en leur appliquant des contraintes incluant toujours un facteur de probabilité. Ces contraintes encadrent donc avec plus ou moins de rigueur tous les éléments de la vie de ces petites boules: leur apparition, leur disparition, leur trajectoire et l’ensemble de leurs interactions entre elles ou avec les obstacles qu’elles rencontreront. Et ce sont tous ces éléments qui seront à l’origine des événements sonores produits par les différents modules de la suite « Inspired by nature ». Tree Tone se démarque de ses camarades en proposant une représentation graphique inspirée du monde végétal, ce qui permet d’ailleurs de jouer avec des paramètres encore plus inhabituels tels que le « vent » ou la « pluie ».
Tout cela pourra vous sembler un peu abstrait un premier abord, mais vous verrez qu’avec un peu de pratique on se prend vite au jeu de l’expérimentation sonore, dont je vous propose ici certains résultats :
- Grains00:52
- Vector Delay00:52
- Tree Tone00:52
Et l’expérimentation sonore, c’est précisément ce qui est au cœur de l’autre grande nouveauté de Live 11 : l’adoption de la norme MPE
Donnez-moi un M ! Donnez-moi un P ! Donnez-moi un E !
À ce stade, vous m’autoriserez, je pense, à vous parler un peu de cette fameuse norme MPE qui n’est peut-être pas encore familière à tout le monde. À l’origine, l’idée derrière cette norme était d’élargir le potentiel d’expressivité dans la création musicale électronique ou assistée par ordinateur. Il s’agissait donc d’imaginer comment on pouvait rendre le geste créateur encore plus musical, et cela impliquait plusieurs choses: tout d’abord, l’élaboration de contrôleurs physiques autorisant de nouveaux gestes musicaux, ensuite le développement d’un protocole permettant de transmettre et de traduire ces nouveaux gestes en un langage compréhensible par les machines et les logiciels destinataires, et enfin l’implémentation de ce protocole dans toutes les machines et logiciels concernés.
La norme MPE a été adoptée officiellement en janvier 2018. Jusque-là, un certain nombre de fabricants et d’éditeurs (Roger Linn Designs, Roli, Bitwig…) avaient développé des solutions individuelles, dont certaines plus poussées que la norme MPE actuelle, mais qui n’étaient pour la plupart vouées qu’à un succès d’estime tant qu’une normalisation des protocoles n’était pas engagée. Depuis l’adoption du MPE, de nombreuses DAWs se sont mises à la page et sont désormais compatibles: Bitwig, Cakewalk, Garage band, Logic Pro X, Mainstage, Stagelight, Reaper, Cubase et Tracktion. Et non, Ableton n’est pas le premier éditeur logiciel à s’être lancé dans l’aventure ! Mais poursuivons.
En termes de contrôleurs dédiés, il n’est pas étonnant de retrouver en premier lieu les produits des fabricants à l’origine de la norme, tels que le LinnStrument de Roger Linn Designs ou bien les appareils de chez Roli, qu’il s’agisse du célèbre Seaboard ou bien du très pratique Lightpad (que je me suis d’ailleurs procuré à l’occasion du présent banc d’essai et que je vous recommande chaudement). On trouvera également le Joué Pro, dont nous avions testé avec plaisir la version « non-pro ».
En termes de protocole, la norme MPE repose avant tout sur trois nouveaux messages de contrôle: « slide », « pressure », et « pitch ». La fonction « slide » représente à première vue la plus grande nouveauté instaurée par le MPE dans la mesure où il s’agit ni plus ni moins que de l’ajout d’un message de contrôle entièrement nouveau. Alors qu’en ce qui concerne « pressure » et « pitch », on pourrait considérer toujours à première vue qu’ils ne représentent « que » les versions polyphoniques de l’aftertouch et du pitch bend que nous connaissons déjà. Mais ce serait très réducteur de s’en tenir là, car le bond effectué en termes d’expressivité dans le jeu et de nouvelles opportunités créatives est phénoménal. Notamment en ce qui concerne le pitch bend, dont l’entrée dans le monde du contrôle polyphonique recouvre une signification toute particulière. En effet, la hauteur de chaque note étant à présent réglable par centième de demi-ton de manière totalement individuelle, ce sont dorénavant les portes de la microtonalité qui s’ouvrent enfin au plus grand nombre !
Alors bien évidemment, certains esprits chagrins pourront arguer que la norme MPE, si elle représente une évolution évidente et bienvenue par rapport à la norme MIDI traditionnelle, peut toutefois sembler un peu timide par rapport à ce que certains fabricants ou développeurs ont pu élaborer individuellement par le passé. Mais il faut bien avoir conscience qu’à chaque fois qu’il s’agit d’établir une norme, des compromis doivent être faits. Dans le cas présent, il semblerait que l’on ait trouvé une bonne solution pour faire évoluer la norme MIDI initiale tout en offrant aux fabricants de matériels et éditeurs de logiciels les meilleures conditions pour pouvoir adapter leur production à la nouvelle norme. En ce qui concerne Ableton, si nous avons vu plus haut de quelle manière ils ont intégré cette norme dans leur interface et notamment au sein des clips, il nous reste encore à investiguer la manière dont ils l’ont adaptée à leurs plugins internes.
Le MPE et les plugins de Live
Il convient ici de préciser deux choses. D’une part, l’éditeur allemand a pour l’instant fait le choix de ne rendre nativement compatible avec la norme MPE que les instruments suivants: Wavetable, Sampler et Simpler, dont on rappellera au passage que les deux premiers ne sont disponibles que dans l’offre « Suite » d’Ableton Live. Mais d’autre part, les plugins non compatibles avec cette norme pourront bénéficier de deux nouveaux modules inclus dans Live – « MPE Control » et la mise-à jour du module « MIDI Control »- afin que des messages MPE provenant des contrôleurs adéquats puissent être traduits en messages MIDI classiques pour lesdits plugins. Concernant Wavetable, Sampler et Simpler, j’avais déjà dit tout le bien que je pensais du premier dans le test consacré à Live 10. Le fait qu’il soit aujourd’hui compatible MPE en fait une véritable bombe !
Et pour Sampler et Simpler, le choix d’Ableton de les rendre compatibles avec la nouvelle norme était d’autant plus évident qu’on se rappellera que ces deux modules sont au cœur de la plupart des instruments racks et drum racks inclus dans les packs d’extension d’Ableton. Leur compatibilité MPE nouvellement acquise s’étend donc de facto à tous les instruments des packs d’extension concernés, ce qui ouvre d’énormes perspectives. Celles-ci se traduisent d’ailleurs déjà dans les nouveaux packs disponibles gratuitement avec la version « Suite » de la dernière mouture de Live, et d’autant plus dans ceux qui ont déjà été développés avec cette nouvelle norme en ligne de mire. Je pense ici surtout aux packs proposés par Spitfire Audio: le Brass et le Strings quartet. Ces deux packs regroupent différents « instrument racks » dont les paramètres ont été affectés aux nouveaux messages de contrôle MPE afin d’en tirer le meilleur parti possible. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le pari est réussi, car ces instruments très inspirants sont un vrai bonheur à jouer, notamment grâce à une excellente gestion du pitch bend, mais aussi des samples de relâchement. Je vous propose d’ailleurs de vous en faire une petite idée dans l’exemple sonore suivant. On notera qu’il n’y a ici qu’une seul instance de chacun des deux ensembles, et que les transitions entre les notes sont en bonne partie obtenues grâce au pitch bend polyphonique:
Les autres packs présentent un niveau d’intégration moindre de la norme MPE. Les messages de « slide » et de « pressure » ne sont par défaut pas assignés dans ces packs, une chose à laquelle vous pourrez d’ailleurs remédier manuellement vous-même par la suite. Mais le plaisir procuré par ces ensembles d’instruments et d’effets est le même. Nous avons tout d’abord Voice Box, un ensemble de modules axés autour du chant. On y trouve non seulement de nombreuses banques de samples proposent de multiples voix masculines et féminines de différents registres chantant des notes isolées ou des phrases, mais également des racks d’effet spécialement adaptés au traitement et au mixage de timbres vocaux, qu’ils soient issus des banques sus-citées ou bien de vos propres pistes vocales.
Tout comme pour les banques citées plus haut. Tout comme pour les instruments de Spitfire plus haut, on appréciera particulièrement le pitch bend par note qui permet de créer des transitions mélodiques plus naturelles:
Mood reel est un ensemble de modules destiné aux pads, aux nappes sonores et aux textures complexes.
Drone Lab quant à lui propose un ensemble d’outils de musique générative, développés notamment par des artistes tels que Xosar ou Ami Dang ou encore les sound designers de Mode Audio.
On notera enfin également parmi les nouveaux instruments la présence d’un piano droit, toujours de chez Spitfire, qui fait le job correctement :
Et pour terminer, je vous propose cette petite composition faite exclusivement avec les instruments et effets de Live 11 Suite :
Tout cela est bien beau, mais…
Si cette nouvelle itération de la célèbre STAN d’Ableton propose beaucoup de bonnes voire très bonnes choses, elle n’est pas exempte de défauts pour autant.
Commençons par l’interface. Celle-ci a certes été très fortement améliorée, mais beaucoup d’aspects en restent toutefois perfectibles. Ainsi, on pourrait par exemple souhaiter pouvoir créer à la main des automations communes pour toutes les pistes sélectionnées. Ou plus important encore, pouvoir simplement désactiver une enveloppe sans avoir à complètement la supprimer ou à passer par des clips ou pistes alternatifs.
Le nouveau système de macros marque certes un pas dans la bonne direction, mais on est ici aussi en droit d’en attendre un peu plus. On aimerait par exemple pouvoir passer d’un état des valeurs de macros à un autre en restant synchronisé à la quantification générale du morceau, comme le séquenceur le fait depuis toujours pour les clips et les scènes. Ou encore, pouvoir afficher réellement la ou les seules macros que l’on souhaite selon leur pertinence et non pas selon l’ordre fixe dans lequel elles sont disposées. Concernant les templates, on salue bien évidemment la possibilité d’en créer autant que l’on souhaite, mais on regrettera de ne pas pouvoir créer de sous-dossiers afin de mieux les ranger.
Ce qui m’amène à parler du browser de Live. On peut se demander pourquoi Ableton n’a pas poussé jusqu’au bout sa volonté de mettre de l’ordre dans celui-ci, et donc pour quelles raisons les batteries, les clips et les samples sont toujours et encore complètement en vrac dans leur catégories respectives, même s’il faut reconnaître que la fonction de recherche intégrée rend de fiers services. Tout comme on aurait apprécié qu’à défaut d’un véritable système de tags qui ne sera sans doute jamais implémenté, l’éditeur berlinois améliore le système de « collection » qui en fait office, en proposant davantage d’étiquettes par exemple. Ce n’est malheureusement pas le cas, celles-ci étant toujours limitées à 7 pour le moment, un nombre bien trop réduit pour étiqueter correctement nos samples, nos grooves, nos projets, nos clips et nos plug-ins !
Au sujet de ces derniers, on pourra regretter que tous n’aient pas bénéficié d’une mise à jour vers la norme MPE, et notamment Operator, le synthétiseur polyphonique d’Ableton, lui aussi très apprécié des utilisateurs. On ne pourra de toute manière profiter pleinement du MPE qu’au prix de l’achat d’un contrôleur adapté, les contrôleurs MIDI traditionnels n’étant au mieux capable de ne gérer que l’aftertouch polyphonique parmi les messages de contrôle de la nouvelle norme. Ce qui est d’ailleurs le cas également du Push 2, le contrôleur dédié de Live. Doit-on en déduire qu’un Push 3 « MPE-friendly » serait en préparation du côté de Berlin? Rien ne permet pour l’instant de l’affirmer – ni de l’infirmer d’ailleurs.
Conclusion
La dernière version d’Ableton Live propose de très nombreuses améliorations. Il y a les petites évolutions bienvenues comme de nouveaux raccourcis clavier, un système plus précis d’information sur la charge CPU, la possibilité de sauvegarder de multiples templates, et les améliorations apportées au browser. Il y a également les modifications un peu plus importantes, comme la synchronisation rythmique automatique de Live à des sources audio externes, les nouvelles macros, les nouvelles fonctionnalités de randomisation des notes et de leurs paramètres au sein des clips, la nouvelle gestion des enchaînements de ces derniers via les « actions suivantes » et surtout l’application de ce système à des scènes entières.
On rangera également dans cette même catégorie les packs d’extension, instruments et effets nouveaux et très inspirants dont l’éditeur nous gratifie. Et enfin, il y a les « poids lourds » que sont l’adoption du comping et surtout de la norme MPE! Cette dernière, si elle permet à l’utilisateur-musicien d’accéder à de tout nouveaux espaces d’expressivité sonore, implique également des évolutions profondes au sein du logiciel hôte. Il était temps pour la STAN berlinoise axée sur l’improvisation musicale et l’exploration sonore d’emprunter à son tour le chemin du MPE, après bien d’autres qui ont ouvert la voie. À ce niveau, on peut considérer qu’Ableton Live a entamé son parcours avec vigueur mais qu’il peut encore aller plus loin.
On regrettera notamment que parmi les instruments virtuels natifs de Live, seuls Wavetable, Sampler et Simpler soient réellement compatibles MPE, en rappelant que parmi les trois, seul Simpler est inclus dans les éditions les moins chères de Live. Enfin, on n’oubliera pas que pour profiter pleinement de cette nouvelle norme, il faudra envisager l’achat d’un contrôleur compatible avec elle, les contrôleurs MIDI classiques ne pouvant au mieux gérer que l’aftertouch polyphonique. Ce qui est d’ailleurs même le cas du Push 2, le contrôleur maison d’Ableton dédié à Live, alimentant toutes les spéculations possibles sur l’imminence ou non de la sortie d’un potentiel successeur.
Quoi qu’il en soit, Ableton continue avec cette dernière version de LIVE de nous fournir des outils qui nous donnent envie d’explorer et de creuser encore et encore de nouveaux sillons sonores, et c’est finalement tout ce que l’on attend de l’éditeur allemand.