Près de onze ans après la sortie de Logic Pro X et après un nombre conséquent de grosses mises à jour, la STAN phare d’Apple se décide enfin à passer en version 11. Un tournant ?
Tester une nouvelle version de Logic est toujours un exercice particulier dans la mesure où le logiciel d’Apple jouit d’un statut particulier dans le petit monde des STAN (Stations de Travail AudioNumériques). D’abord parce qu’à 230 euros, il est proposé à une prix très en deçà de la plupart de ses concurrents historiques qui se situent plutôt aux alentours des 400/500 euros. Et ensuite parce que les mises à jours sont gratuites pour les possesseurs des versions précédentes, si majeures soient-elles, et c’est d’ailleurs encore le cas de cette version 11… N’allez pas voir de la philanthropie là-dedans de la part de Tim Cook : depuis son rachat par Apple, Logic, tout comme Final Cut, GarageBand, Pages, Keynote ou Numbers, est avant tout pensé comme un produit d’appel sur le plan marketing. En effet, dans la mesure où le support de la version PC du logiciel a cessé dès son rachat à eMagic, le seul moyen d’utiliser Logic, c’est d’avoir un ordinateur Mac. L’attractivité de Logic, son rapport qualité/prix stupéfiant, tient donc au fait que ce n’est pas tant sur ce dernier qu’Apple entend faire son beurre, mais plutôt sur le matériel qu’il fait vendre : des Mac et des MacBook bien sûr, mais aussi des iPad ou des iPhone (pour utiliser Remote Control), avec tout ce que cela peut impliquer ensuite d’accessoires ou de connectiques. Or, le moins qu’on puisse dire, c’est que le bougre est attractif !
D’années en années, Apple n’a cessé d’améliorer l’excellent séquenceur d’eMagic, ne faisant l’impasse sur aucune fonctionnalité clé par rapport à la concurrence, et se permettant même quelques originalités : c’est ainsi qu’après s’être mis aux boucles avec les Apple Loops, le logiciel a par exemple intégré une matrice de pads à la Ableton. Par ce biais, on n’est certes pas face à un concurrent de Live ou Bitwig sur le terrain du séquenceur en temps réel, mais face à un logiciel beaucoup plus généraliste offrant de multiples entrées pour s’adapter aux profils des différents musiciens. Ce souci d’adaptation, on le retrouve encore dans la façon dont Apple a à coeur de s’adapter au niveau de l’utilisateur : si le basique GarageBand est parfait pour que les grands débutants fassent leurs premiers pas dans le monde de la MAO, l’évolution vers Logic est d’autant plus simple que les deux logiciels partagent un socle commun ergonomique tandis qu’on dispose même, dans Logic, d’un mode Simple, pour accueillir les débutants confirmés, et d’un mode Avancé qu’on débloquera lorsqu’on se sentira assez en confiance. C’est bien vu et permet à l’éditeur de ne pas avoir à décliner de multiples versions de son logiciel qui pousseraient là encore à acheter des mises à niveaux, comme cela se fait chez les concurrents.
Mais Logic ne brille pas seulement par son évolutivité, car il jouit par ailleurs d’un des plus complets bundles d’instruments et effets du marché. Parmi ces derniers, on distinguera notamment l’excellent synthé hybride Alchemy (récupéré suite au rachat de Camel Audio), les Studio Horns & Strings qui font la blague dans leur domaine, ou encore le Smart Drummer, capable de générer des pistes de batteries pertinentes dans de nombreux genres musicaux. Mais on pourrait parler aussi des excellents delays qu’on y trouve, de la qualité de Chromaverb, StepFX et PhatFX, des pianos électriques, des orgues, des simulations d’amplis guitare, etc. Récemment, l’éditeur s’est même fendu d’un plug-in de mastering automatique, ersatz très simplifié d’Izotope Ozone dans sa capacité à générer un réglage automatique, tandis que tout en proposant des outils de time stretch/pitch shift de qualité pour la correction de tempo et de justesse, il n’a pas négligé la compatibilité ARA2 pour accueillir les Melodyne, Vocalign et autres Auto-Tune en son sein, ni les évolutions du côté multicanal…
Et encore ne parle-t-on là que d’une partie émergée de l’iceberg quand sur le nerf de la guerre même, soit l’enregistrement, l’édition et le mixage, Logic s’avère extrêmement bien foutu : environnement, hyperdraw, Groove track, Smart Controls, Stacks Tracks… Il n’y a pas grand chose que Logic ne fasse pas et ne fasse pas bien et pour un prix serré, au point que les seuls gros défauts qu’on lui puisse lui reprocher tiennent à la stratégie d’Apple (Mac only et pas de support du standard VST, même si c’est contournable via un wrapper VST\>AU) et qu’on ne s’étonnera pas du fait qu’il ait été investi, comme Live, par beaucoup de pros à la recherche d’un outil créatif en complément de Pro Tools, tandis qu’on a vu même des albums de Bedroom Pop, et non des moindres, sortir tout droit de Logic, qu’il soient signés Christine and the Queen ou Billie Eilish…
Face à ce panégyrique, inutile de dire que la sortie de la version 11, 11 ans après la 10, a de quoi intriguer : quelle nouveauté est si énorme qu’elle justifie un saut de version ? Et la réponse à cette question, elle pourrait tenir en deux lettres si l’on en croit la communication d’Apple sur ce coup, deux lettres très en vogue en ce moment : I et A…
MA pour… Marketing Artificiel
A n’en pas douter, depuis que ChatGPT et Midjourney ont débarqué, depuis que trublion OpenAI s’est assis à la table du GAFAM pour redistribuer les cartes, tout le monde a bien compris l’impact formidable qu’allaient avoir les IA à l’échelle civilisationnelle sur notre avenir proche. Et quand on est un géant de la Tech comme Apple et qu’on a accumulé un retard certain sur le sujet, on essaye tant bien que mal de prendre le train de la hype en marche pour montrer à tout le monde qu’on est « dans le game », à grand coup de communication. Cela passe par des pubs ouvertement transhumanistes, mais cela passe aussi par l’argumentaire de vente de ce nouveau Logic Pro 11 dont on nous dit qu’il rentre de plain-pied dans le monde merveilleux de l’IA.
À y regarder de plus près, et en détaillant notamment les quatre principales nouveautés mises en avant, on se rend toutefois compte qu’il y a plus d’artifice que d’intelligence dans tout cela… Si le nouveau processeur de saturation ChromaGlow doit en effet ses modélisations à du Machine Learning, ça n’en fait pas pour autant un plug-in dont on puisse dire qu’il est mu par une IA. Par ailleurs, si les deux nouveaux Smart Players proposés ici (un pianiste et un bassiste) reposent sur de l’IA symboliste (et non connectiviste comme dans GPT, Midjourney, etc.), c’était déjà exactement le cas du Smart Drummer sorti il y a des années, où même de Band in a Box il y a bientôt 35 ans…
Enfin, précisons-le : la nouvelle capacité du logiciel à démixer un signal en STEM, si elle est certainement plus en rapport avec l’IA, provient, comme chez Izotope, Image Line, Serato, Acon, Steinberg de technologies Open Source… Bien qu’on accueille ces nouveautés avec joie et bienveillance, il ne fait aucun doute, donc, que Logic est loin d’avoir fait sa révolution IA s’il la fait un jour, contrairement à ce que nous dit l’éditeur.
Avant de nous pencher sur ces nouveautés et de détailler les autres avancées de cette version, on reposera donc la question : qu’est ce qui motive le passage en V11 ? Et la réponse est plutôt simple : le fait que Logic Pro ne soit désormais plus compatible avec la génération de processeurs Intel et qu’il faille désormais, pour l’utiliser, disposer d’un processeur M. Certes, il n’y a pas vraiment de raison technique qui justifie cela, sachant qu’un Mac-Intel pourrait tout à fait faire tourner Logic Pro 11. Mais compte tenu des ambitions d’Apple pour Logic que nous avons décrites plus haut, on aurait tort de s’en étonner. Et vu que durant 11 ans, l’éditeur a proposé des mises à jours conséquentes en toute gratuité, que même cette v11 est gratuite pour les possesseurs de la 10, on aurait tort aussi de s’en offusquer : si Logic était vendu au prix de ses concurrents, avec des mises à jours au même tarif, le coût de onze ans de mises à jour atteindrait sans problème le prix d’un Mac… Bref, tandis que les bricolos pourront toujours essayer de contourner la chose avec l’OpenCore Legacy Patcher (mais il semble que cela puisse être source d’instabillités), les possesseurs de Mac-Intel se feront une raison : l’argent qu’ils n’ont pas dépensé en amont, il s’agit bien de le dépenser un moment, les gens d’Apple n’étant pas, comme nous l’avons dit, des philanthropes… et c’est bien normal ! Chez la concurrence, on abandonne aussi parfois le support de telle ou telle génération de processeur pour simplifier le support du logiciel : c’est là encore très compréhensible…
Ces points éclaircis, il nous reste à présent à discuter des ajouts de cette V11 qui, si elle n’a rien d’une mise à jour révolutionnaire sur le plan fonctionnel (du moins pas aussi révolutionnaire que ne le laissait penser le V11) n’en propose pas moins une foule de nouveautés et d’améliorations qui rendent Logic encore plus performant et agréable. Voyons cela en détail…
Dans les smarting blocks
Comme nous l’avons dit, l’une des principales nouveautés mise en avant par cette nouvelle version tient dans l’ajout de deux nouveaux Session Players. En plus du sympathique Drummer qui existait déjà, on dispose désormais d’un Bass Player et d’un Keyboard Player qui reposent exactement sur le même principe que leur aîné, à ceci près qu’ils se calent sur une Chord Track. Sitôt une nouvelle partie Session Player crée, vous choisissez entre les trois possibilités et Logic génère une boucle que vous pouvez modifier au travers de divers paramètres.
En premier lieu, vous aurez à définir le style (Pop Rock, RnB, Disco, etc.) comme la complexité (jouant sur le nombre de notes) et l’intensité (jouant sur les vélocités des notes) de la partie à générer, sachant qu’une multitude de choses peuvent ensuite être définies au travers de trois onglets : dans Principal, on pourra choisir entre différents motifs rythmique comme le phrasage ou le voicing de l’instrument, mais aussi déterminer la quantité de reprises (fills) comme leur complexité, et appliquer une valeur swing à l’ensemble et demander au générateur de prendre une autre piste comme référence pour son placement rythmique…
Dans Détails, outre la gestion de la dynamique et de l’humanisation, vous déterminez le recours aux différentes articulation de l’instrument, ce qui est relativement sommaire sur un piano (et se limite aux Grace Notes) mais plus conséquent sur la basse (glissés, dead notes, intensité de l’étouffement, etc.). L’onglet Manuel permet enfin de faire une saisie simple des pas à activer sur un step sequencer, histoire de guider rythmiquement la génération… Bref, tout cela vous promet pas mal de combinaisons et d’expérimentations pour générer des parties qui, reconnaissons-le, tiennent la route dans l’ensemble… Voyez un exemple de ce que cela donne en partant d’une boucle de guitare :
- Source00:32
- Drums00:32
- Bass00:32
- Piano00:32
- Mix00:32
Voyez que Logic s’en sort pas mal du tout, sachant que vous pouvez au choix utiliser ces clips comme de simples boucles audio, ou les transformer en clips MIDI complètement éditables.
Voilà qui en ravira donc certains comme en agacera d’autres qui trouveront que c’est de la triche. Quant à dire qu’Apple a tué le business de Toontrack dont la série EZ repose sur le même genre de fonctions, je n’irai pas jusque là. D’abord, par ce qu’Apple est loin de proposer autant de richesse fonctionnelle et de contenus dans ces modules que ne le fait Toontrack : si la basse propose des instruments et des styles assez différents, de la contrebasse à la basse distordue, le piano ne se décline lui qu’en type de jeu (accords tenus, arpèges, libre, etc.) sans proposer aucun style musical et ne s’étend pas à tous types de claviers pour en rester sagement au piano…
On déplorera aussi l’absence de suggestions d’accords pour bâtir les progressions (pas de notion ici du cycle des quintes), tandis que la reconnaissance d’une progression ou du placement rythmique à partir de l’audio m’a semblé moins fine que dans la gamme EZ et que l’outil est enfin loin d’être irréprochable côté bugs : sur bien des réglages, notamment sur des signatures rythmiques un peu olé-olé, le logiciel mouline sans rien produire, au point qu’il faut parfois redémarrer la session pour qu’un réglage soit pris en compte dans la génération. Surtout, les Smart Players sont bien en peine de rivaliser avec la richesse de tout ce que propose l’écosystème Toontrack en termes de ressources MIDI comme de samples. Mais reconnaissons-le, on n’est pas du tout non plus dans la même gamme de prix car l’accumulation de banques de sons ou de grooves chez Toontrack a vite fait de rendre la solution extrêmement coûteuse. Pour une fonction « offerte » et accessible dans une STAN complète à 230 euros, Apple sort donc gagnant du match malgré tout, et creuse sur ce point précis son avance avec ses concurrents qui n’ont, pour la plupart, que très peu de choses à proposer sur ce terrain : seul Steinberg propose quelques éléments de ce côté, entre sa Chord Track et les capacités Flex d’HALion, mais ça demeure très rudimentaire en regard de ce qu’a fait Apple…
Bas les mix !
Or, ce n’est pas là le seul intérêt de cette v11 qui met aussi en avant la nouvelle possibilité de faire du démixage par STEMS (voix, batterie/percussions, Basse, Autres) d’un simple clic. Qu’est ce que cela donne en termes de résultats ? Eh bien, c’est tout à fait dans la moyenne de ce qu’on trouve ici ou là sachant que la fonctionnalité recourt très probablement aux mêmes algos de démixage qu’on trouve dans le monde Open Source. Voyez la comparaison avec le démixage d’Izotope RX 11 pour vous en convaincre :
- Why Did You Do It_03:30
- Logic (Chant)03:30
- Logic (Basse)03:30
- Logic (Batteries)03:30
- Logic (Autre)03:30
- Vocal03:30
- Bass03:30
- Percussion03:30
- Other Instruments03:30
Évidemment, on est loin de pouvoir faire ce qu’il est possible de faire avec Spectralayers dont c’est la spécialité, mais reconnaissons qu’implémenter la fonction est une très bonne chose et qu’on espère qu’elle sera bientôt dans toutes les STAN pour le plus grand bonheur des remixeurs…
Dans une optique toute aussi intéressante, on verra d’un très bon oeil l’arrivée de ChromaGlow…
Wesh Glow !
Après l’excellente réverbe ChromaVerb, voici que nous arrive ChromaGlow dont l’interface reprend les mêmes parti-pris esthétiques mais qui est pour sa part dédié à la saturation douce. Comprenez par là qu’on n’est pas dans le registre d’un destructeur de signal façon Izotope Trash ou Glitchmachines Subvert mais plutôt dans celui d’un Radiator ou d’un Decapitator chez Soundtoys, d’un Satine chez U-He. En effet, point de bitcrusher ou de rectifier ici, il s’agit surtout de reproduire la douce saturation produite par des tubes anciens ou moderne, un préamp analogique, la bande magnétique ou encore une compression un peu bourrine, chaque algo étant décliné dans une version Clean et Colorful…
Dès lors, le registre va du soft cliping discret à une coloration nettement plus marquée, ce qui s’avère pertinent en insert de piste autant que sur un bus ou le master… Conçu à partir de Machine Learning et doté d’une interface simplissime, ChromaGlow est de fait un vrai bon ajout à l’arsenal de Logic, qui permettra suivant les cas de rajouter de la brillance (d’où son nom) à un signal un peu terne, ou au contraire d’amener de la densité avec un joli bas et des harmoniques très musicale qui se développent dans l’aigu.
Et le reste…
Et bien évidemment, une foule de nouveautés plus secondaires pourraient encore être mentionnées, tels que les nouveaux Producer Packs (The Kount orienté batterie/percussions, Corey Wong orienté funk évidemment, et Hardwell branché EDM/Electro), une gestion plus approfondie des métadonnées, du rendu et du monitoring en Dolby Atmos, un routing MIDI plus développé permettant de récupérer désormais les séquences générées par un instrument pour piloter un autre instrument, la possibilité de bouncer en temps réel des instruments externes, ou d’utiliser des raccourcis claviers pour les sélections comme pour appliquer des legatos MIDI, etc.
Bref, la mise à jour vaut le coup, à plus forte raison quand elle est gratuite… Reste désormais à conclure sur Logic dans son ensemble.