Injustement méconnu, Digital Performer nous arrive sur Mac et PC dans une neuvième version toujours plus complète. Voyons si cela suffira pour secouer les leaders du marché.
Occupant la 11e place du sondage que nous avions lancé il y a un an sur les séquenceurs utilisés par les AFiens avec 2% de votes seulement le concernant, Digital Performer est un logiciel étonnamment méconnu dans la mesure où il est pourtant l’un des plus anciens qui soient. Lancé en 1985 par la société Mark of the Unicorn, plus célèbre désormais sous l’acronyme MOTU, Performer fut ainsi l’un des tout premiers séquenceurs MIDI logiciels disponibles sur le marché et il n’a cessé, en trente ans, de se doter de nouvelles fonctionnalités pour aboutir à un produit des plus complets sur le plan fonctionnel. Longtemps réservé aux utilisateurs Apple, il a même été porté ces dernières années sous Windows, autant pour s’ouvrir à un nouveau marché que pour fuir, on s’en doute, la concurrence écrasante d’un Logic vendu à un prix extrêmement agressif par Apple.
C’est toutefois sur Mac, sa plateforme de prédilection, que nous testerons cette nouvelle version 9, en usant de la version d’évaluation totalement fonctionnelle durant un mois : une bien bonne initiative.
Du 9 avec du vieux…
Si l’installation du logiciel proprement dit est une formalité, la détection des plug-ins au démarrage est plus problématique : elle est non seulement longue, mais refuse tout simplement de fonctionner sur certains plugs (de Native Instruments notamment) qu’il faudra ‘sauter’ pour accéder finalement au logiciel.
Pour l’occasion, le logiciel se pare d’un nouveau thème graphique plus sombre qu’à l’accoutumée, mais plus mal foutu également : un mauvais choix de couleurs rendent les textes sélectionnés illisibles (gris clair sur fond bleu clair), de sorte qu’on a vite fait de faire un détour par les préférences pour installer un des nombreux thèmes fournis par l’éditeur. Précisons-le : sans égaler Reaper sur ce point, Digital Performer est assurément l’un des logiciels dont l’apparence est la plus personnalisable : toutes les couleurs de l’interface sont éditables tandis que le logiciel jouit de l’un des meilleurs systèmes de split et d’agencement de fenêtres qui existe sur le marché. Bref, on a vite fait de corriger les bévues du thème de base et de s’aménager un espace de travail aux petits oignons, pour partir à l’assaut des nouveautés.
Étonnamment, ce sont les nouveaux plug-ins que MOTU a choisi de mettre en avant sur cette version, avec l’intégration de 5 nouveaux effets et d’un instrument virtuel… pas si nouveau que ça. Sorti il y a 10 ans, le synthé hybride MX4 est désormais inclus au logiciel, assorti d’une banque EDM (Electronic Dance Music). Combinant différentes formes de synthèses (soustractive à modélisation analogique, mais aussi additive, à tables d’ondes et FM), ce dernier s’avère extrêmement polyvalent et vient, en dépit de son grand âge, compenser les lacunes d’un bundle d’instruments virtuels vieillissant, pour contrer sans doute l’intégration d’Alchemy au sein de Logic. Pourquoi ‘en dépit de son grand âge’ ? Tout simplement parce que, même s’il offre bien des possibilités et des sons intéressants, MX4 n’est certainement pas au niveau des dernières brutasseries en date concernant la modélisation analogique : ceux qui connaissent Diva, Synth1 ou encore le Monark de Native Instruments et les dernières créations d’Arturia ne seront guère impressionnés par les sons qu’il est susceptible de proposer dans ce registre. Reste que c’est une grosse bête bien agréable à avoir dans son arsenal, car sa programmation demeure relativement simple et qu’elle est livrée avec quantité de présets très intéressants.
Nouveaux plugs
Rayon effets en revanche, MOTU nous propose des choses plus intéressantes avec l’arrivée du MasterWorks FET-76 qui vient compléter l’arsenal déjà bien fourni du logiciel au rayon des traitements dynamiques. Si on disposait déjà d’un clone de LA2A en plus des compresseurs maison, l’arrivée d’un 1176 est appréciable dans la mesure où le plug est plus à son aise sur les compressions où une réponse rapide est de rigueur. MOTU a même pensé à modéliser le mode ‘All Buttons’ pour écraser le signal comme on le faisait avec l’original.
Moins prestigieux, mais plus originaux, quatre autres effets font enfin leur apparition : MultiFuzz, Micro G, Micro B et MegaSynth. Comme son nom l’indique, MultiFuzz est une saturation multibande utile pour réchauffer un signal comme pour le massacrer, inspirée de la QuadraFuzz de Craig Anderton. Un plug utile tant pour le mixage que pour la création.
Micro G et Micro B sont pour leur part deux octavers polyphoniques respectivement pensés pour la guitare et la basse et qui permettent d’épaissir le son de n’importe quel signal en le doublant synthétiquement à l’octave supérieure ou inférieure, tout en contrôlant un filtre résonant et la forme d’onde utilisée (sinusoïdale ou carrée) pour générer les additions. C’est simple et ça fonctionne très bien, que ce soit sur un lead ou un riff, qu’on l’utilise de manière discrète ou plus ostentatoire : une très bonne idée.
Allant plus loin dans ce sillage, MegaSynth offre autrement plus de possibilités en combinant deux octavers à deux filtres par le truchement de deux enveloppes ADSR, deux LFO et d’un step sequencer à 16 pas, et en vous offrant la possibilité de connecter simplement par des câbles virtuels chaque modulateur avec un paramètre. Tout en demeurant simple, l’outil permet de faire énormément de choses, de l’auto-wah à l’octaver ou le tremolo en passant par quantité de traitements plus barrés, et qui rappelleront le multi-effet AdrenaLinn sorti autrefois par Roger Linn. On aurait d’ailleurs adoré que MOTU aille encore plus loin, en intégrant d’autres modules et en sophistiquant un brin ses modulateurs. Mais la chose aurait sans doute tourné à l’usine à gaz alors qu’elle demeure simple : bref, c’est un très bon petit plug qui nous permet de finir sur une note positive avec le bundle, puisque celui-ci ne connaît pas d’autres nouveautés.
De fait, on le déplorera : DP ne propose toujours aucune batterie virtuelle autre que l’antique drumsampler Model12 (comme la plupart des instruments de DP, ce dernier date également d’il y a 10 ans), et s’en remet au très rustique Nanosampler pour ce qui est de la plupat des sonorités autres que celles des synthés. Quand on sait ce que l’éditeur a en réserve dans son catalogue, c’est un brin agaçant, et si cela n’explique pas l’insuccès du soft sur le territoire français, gageons que ça ne contribue certainement pas à le rendre compétitif face à ses plus vaillants concurrents qui, en termes de bundles d’instruments, font en général nettement mieux. Certes, si demain, MOTU se décidait à intégrer une version allégée de MachFive, voir MachFive tout court, dans son logiciel, cela changerait la donne. Mais pour l’heure, l’arrivée d’un synthé vieux de 10 ans ne suffit pas à faire oublier les carences du bundle sur ce point.
Précisons-le aussi : même si DP est bien plus pertinent du côté des effets où il semble ne manquer de rien en dehors d’un processeur de transitoires, on a la désagréable impression que MOTU mise plus souvent sur la quantité que la qualité. À quoi bon proposer un EQ en 2 bandes, 4 bandes et 8 bandes quand ce choix devrait être donné dans l’EQ lui-même. À quoi bon proposer chaque traitement en mono et en stéréo alors que, là encore, c’est le plug lui-même qui devrait gérer cela en fonction de la piste ou du bus sur lequel on l’insère. Bref, un grand ménage s’imposerait, ne serait-ce que pour désengorger les menus dans lesquels il faut scroller.
Mais laissons là les plug-ins pour nous intéresser aux nouveautés plus intéressantes du logiciel lui-même.
En afficher plus
Passons vite fait sur la compatibilité Retina de rigueur, en mentionnant tout de même que le soft n’a pas son pareil pour afficher des textes minuscules : il serait grand temps que MOTU se penche sur ce problème d’accessibilité qui rend le soft pénible à utiliser sur un MacBook Pro 15 pouces.
Plus intéressante est la nouvelle possibilité d’afficher une vue spectrographique des pistes audio, à la place ou en plus des formes d’ondes traditionnelles. C’est l’une des vraies avancées de cette version 9 qui peuvent motiver l’achat de la mise à jour, car, en vis-à-vis de la forme d’onde qui fournit des informations sur la dynamique du signal, le spectrogramme permet en un coup d’oeil de se faire une idée de son contenu spectral. Évidemment, suivant les couleurs que vous choisissez, la chose peut être fatigante visuellement, mais ça n’en reste pas moins très utile pour repérer un élément qui cloche à l’editing, par exemple. Hélas, MOTU s’en est tenu à une visualisation, ne fournissant aucun outil d’édition pour intervenir sur le spectrogramme lui-même, comme c’est le cas dans Adobe Audition.
Toujours au rayon Affichage, le logiciel permet désormais d’afficher les courbes d’automation en vis-à-vis de la piste : une fonction que les utilisateurs de Cubase ou Nuendo connaissent depuis des années, mais qui s’avère bien pratique pour ne pas avoir à switcher en permanence lorsqu’on édite ou visualise ses courbes d’automation, d’autant que la forme d’onde s’affiche en arrière-plan de chaque ligne. C’est très agréable et demeure, à mon sens, l’une des fonctionnalités les plus attractives de cette mise à jour.
Tout comme il est très agréable, rappelons-le, que la détection du pitch se fasse systématiquement pour toutes les pistes audio et non à la demande comme chez tous les concurrents. Ce n’est pas une nouveauté, mais c’est un bon point qu’il convient de rappeler, même s’il nous reste encore quelques bricoles à voir, et quelques déceptions aussi.
Excellent XML et nouveautés en vrac
L’éditeur de partitions de DP parle désormais XML, du moins à l’export, ce qui s’avère extrêmement pratique pour bosser ensuite dans un éditeur spécialisé comme Sibelius ou Finale. D’ailleurs, précisons-le, si les partitions produites par Digital Performer sont loin d’être parfaites, elles n’en sont pas moins réellement exploitables là où certains concurrents produisent vraiment des choses illisibles. Un détail auquel seront sensibles les compositeurs de musique symphonique pour le film et qui doivent faire des allers-retours entre leur STAN et leur éditeur de partition.
Toujours au rayon ‘Bureautique’, on sera ravi d’apprendre que le logiciel dispose enfin d’un bloc-notes, utile pour documenter les projets, ce qui est, rappelons-le, extrêmement important et salutaire lorsque vous devez rouvrir un ancien projet. On ne s’attardera pas là-dessus vu l’extrême simplicité du système qui ne permet ni mise en forme ni intégration d’image (et pourtant, rien de tel qu’une photo d’un rack pour se souvenir de réglages qui ne sont pas consignés dans le logiciel) et qui ne permet pas de concentrer les commentaires de pistes par imbrication, ce qui serait une vraie originalité. MOTU fait comme ses concurrents en somme, et c’est bien dommage. On est bien loin encore des systèmes de documentation automatisés dont disposent les développeurs informatiques.
Évoquons également deux nouveautés mineures : un système qui permet de créer des pistes par lots (utile, mais pas indispensable quand on est habitué à travailler avec des templates), et la possibilité de modifier depuis l’interface principale les paramètres audio du projet (échantillonnage, résolution, etc.), ce qui n’est peut-être pas si fréquent au point de justifier un tel positionnement.
Plus dispensable encore, la nouvelle gestion du MIDI Learn mise en avant par MOTU comme un des points forts de cette version 9 : l’idée, excellente sur le papier, consiste à laisser DP s’occuper du MIDI Learn en surcouche des plug-ins. Pourquoi pas, ma foi ? Sauf que rares sont les plug-ins sérieux qui ne gèrent pas eux-mêmes le MIDI Learn tandis que DP n’a pas réussi à MIDIlearniser le BIAS FX de Positive Grid, justement dépourvu de cette fonction. Si la démarche de MOTU est donc intéressante, elle n’en demeure pas moins perfectible dans sa réalisation, d’autant que c’est sans doute à cause d’elle que les plug-ins mettent des plombes à être détectés au démarrage du logiciel… lorsqu’ils le sont.
Je finirai avec l’une des petites fonctions qui m’ont paru les plus intéressantes : la possibilité de commuter des notes en statut muet depuis le piano roll, ce qui peut s’avérer très utile pour tester des variations, notamment sur des batteries. Une vraie bonne idée.
Et sinon, qu’est-ce qui manque ?
Rien concernant les nouveautés de cette neuvième version qui n’est certainement pas une mise à jour majeure de ce dinosaure de la séquence. Et c’est bien dommage, car, tout en étant relativement complet d’un point de vue fonctionnel, il y a quantité de choses qu’on aurait voulu voir améliorer, notamment au niveau de l’ergonomie, ou d’innovations qu’on aurait voulu voir apparaître.
À l’heure où tout le monde se bat pour proposer toujours plus de fonctions originales et de la façon la plus ergonomique qui soit, on regrettera ainsi la trop lente évolution du logiciel de MOTU : pas de gestion des objets audio à la Samplitude (le traitement demeure destructif et non automatisable), ni même de faders VCA ou de possibilité de splits de canaux MIDI ou audio comme on l’a vu dans le dernier Studio One ou dans Reaper pour bâtir des traitements ou des instruments évolués, pas de piste Accord façon Cubase, etc.
Sans même revenir sur les problèmes de lisibilité dus aux polices, aux tailles ou aux couleurs, on regrettera aussi que le logiciel manque de souplesse : les menus contextuels apparaissant via le clic droit sont parfois lacunaires (quand on clique droit sur une tranche de la console, on ne nous propose pas de la renommer, chose pourtant possible en utilisant la touche ALT) tandis que les tranches de console ne peuvent pas être colorée en intégralité. On s’agace aussi de devoir gérer deux pistes pour chaque instrument virtuel, et donc deux tranches dans la console (une MIDI, une Audio), sans possibilité de cacher l’une ou l’autre par des filtres bien foutus (le Track Selector permet de le faire, mais il faut le faire piste par piste, sans possibilité de cacher tout ce qui est MIDI ou tout ce qui est audio, par exemple). Évidemment, ceux qui connaissent le logiciel comme leur poche passeront au-dessus de ces petits détails qui leur semblent naturels, mais on voit mal comment un débutant ne pesterait pas contre cette interface old school à l’heure de la tendance KISS (Keep It Simple Stupid). Une grosse refonte de l’interface s’imposerait donc…
Enfin, précisons que le logiciel ne s’est pas montré d’une stabilité à toute épreuve durant nos tests : grâce à l’auto-save, on limite la casse mais ça n’en demeure pas moins agaçant tandis que la non-reconnaissance de plug-ins majeurs fait tache, tout comme l’absence de support de VST 3 alors que Steinberg a depuis plusieurs mois annoncé l’abandon de VST 2.
Conclusion
Digital Performer est un logiciel complet, il n’y a aucun doute là-dessus, et l’un des rares à exister et sur Mac et sur PC. À considérer les nouveautés de cette neuvième version dont il n’est pas sûr qu’elle intéresse tous les possesseurs de la 8, on comprend toutefois la raison pour laquelle, en dépit de son droit d’aînesse, il ne figure pas parmi les logiciels leaders du marché en termes de nombre d’utilisateurs. Doté d’une ergonomie vieillotte qui accumule les fenêtres et les barres de scrolling dans lesquels s’agglutinent quantité d’infos, il peine également à faire valoir ses quelques originalités fonctionnelles : les V-Racks étaient certes une bonne invention à l’époque où la consommation des ressources était une préoccupation première, mais aujourd’hui que nos machines rivalisent de puissance, l’attente se situe plus du côté des fonctions créatives, point qui n’est certainement pas le fort du logiciel qui se contente, sur ce terrain, de brandir sa belle suite de plug-ins d’effets et son excellent système de ‘chunks’ (des bouts de séquences facilitant l’agencement d’une chanson par blocs : intros, refrain, etc.). C’est très bien, mais ça ne suffit peut-être pas à faire oublier la faiblesse des instruments virtuels et les manques fonctionnels en regard de la concurrence située au même prix de 400 euros, ou en dessous. Certes, Digital Performer n’est assurément pas un mauvais bougre, mais c’est loin d’être un premier de la classe et MOTU aura tout intérêt à nous faire rêver un peu plus s’il veut éveiller l’intérêt des utilisateurs des 10 STAN qui le précédent dans notre sondage. On espère donc voir débarquer un Digital Performer 10 autrement plus décoiffant la prochaine fois…