Bitwig Studio continue son bonhomme de chemin, plus loin des jalons posés par Ableton Live que jamais. Alors qu'il fête tout juste ses 10 ans, la STAN de la modulation, encore peu utilisée en France par rapport aux pays anglo-saxons, est sortie récemment en version 5. Regardons donc sa proposition !
Chez AudioFanzine, nous suivons avec attention l’évolution de Bitwig Studio depuis la création de la société en 2009 et la sortie de la première version. Nous avons en effet testé les différentes itérations du logiciel, que ce soit la toute première en 2014 qui permettait de bosser sur deux écrans, la version 2 en 2017 avec le dashboard, pas mal de contenu incorporé et le nouveau système de modulation, la version 3 en 2019 qui introduisait The Grid et gérait déjà le MPE depuis la 2.4, et la version 4 en 2021 avec le comping audio et les opérateurs d’événements.
Comme on le raconte à chaque fois, la STAN a été conçue par des anciens de Ableton, qui ont quitté la société berlinoise pendant une période problématique. Live en était à sa version 8 et était plombé par des soucis de stabilité au point que le CEO de Ableton Gerhard Behles avait annoncé la suspension de l’ajout de nouvelles fonctionnalités tant que l’expérience utilisateur n’était pas redevenue normale, et l’intégration de Max/MSP en 2010 ne s’était pas exactement passée sans douleur non plus… Puis lorsque Claes Johanson, Pablo Sara, Nicholas Allen et Volker Schumacher, rejoints plus tard par Placidus Schelbert, ont commencé à travailler sur leur « copie », l’idée était de faire de Bitwig Studio ce qu’ils auraient aimé avoir avec Live à l’époque, mais aussi avec leur touche personnelle. Entre-temps, le moteur de Live a été réécrit en partie et les choses se sont grandement améliorées chez Ableton, puis Bitwig Studio est sorti avec un peu de retard par rapport à la promesse initiale, ce qui a permis de poser sur bits ce qui allait faire la différence et la personnalité du challenger, avec une structure plus modeste (Ableton a d’ailleurs aujourd’hui plus de 500 employés, tandis qu’ils sont 30 chez Bitwig).
Aujourd’hui, tandis que la formule de Live s’affine, celle de Bitwig Studio a semblé auprès des critiques faire des écarts et des parallèles, avec les vues session et arrangement traditionnelles qui perdurent, une certaine course sur différents sujets pour celui qui fera mieux ou plus vite, et des éléments qui affichent clairement une différence, notamment du côté de The Grid vs Max 4 Live, mais pas que. Et comme à chaque nouveau test de Bitwig Studio, on va reposer la question de ce qui différencie la nouvelle itération de son héritage, qui doit commencer à être pesant, et repositionner les usages ou la cible de la STAN. Étant comme vous le savez déjà depuis mon test un utilisateur féru de Ableton Live 12, je me suis lancé dans la découverte de Bitwig Studio 5.2.5, sorti il y a peu et plus de 10 ans après la première version, avec la bêta 5.3 qui pointe le bout de son nez et avec l’impression que je serais en terrain connu, d’autant que j’avais pas mal joué avec la version 1.0 à sa sortie. Mais j’ai été aussi très curieux de voir comment un fork « augmenté » a pu évoluer différemment et indépendamment (plus ou moins), avec une proposition alternative d’évolution sur la base de Live 8, d’autant que mes débuts de modulariste m’ont rendu particulièrement attentif aux promesses des berlinois, sur la modularité de leur séquenceur et en matière de sound design. J’ose espérer également que mon test permettra à des personnes de découvrir une STAN encore injustement méconnue, qui pourrait potentiellement être plus en accord avec leurs besoins que le duo majoritaire aujourd’hui en musiques électroniques constitué par Live et FL Studio. En piste !
Studio-Line Berlin numéro 5
Qui es-tu donc, Bitwig, que je redécouvre sur le tard et que certains des lecteurs des tests AudioFanzine n’ont pas encore essayé ? Actuellement disponible dans sa version 5.2.5 (en 5.3 en bêta) sur Windows (ARM compris), Mac OS et aussi Linux (Ubuntu et via Flatpack), Bitwig Studio est donc une STAN dans ses définitions plus ou moins traditionnelles. Il existe en plusieurs éditions : Studio Essential (99 euros), Studio Producer (199 euros) et Studio tout court (399 euros), ainsi que des éditions limitées comme la 8-Track accessibles en bundle ci et là. Chaque édition propose comme à chaque fois une quantité différente de contenu, niveau packs, effets, instruments, modulateurs… À noter que The Grid et la Spectral Suite dont on va parler plus tard ne sont que sur la version la plus avancée. Le prix donne droit à une année seulement de mises à jour gratuites, avec des corrections de bugs comprises en dehors de la période. Il existe également des tarifications spécifiques pour les étudiants, les enseignants, les montées en grosses versions ou la reprise d’un an de mises à jour, sachant que la STAN reste fonctionnelle même en dehors de la période, contrairement aux systèmes par abonnement classiques.
En fonction du moment où on effectue l’achat, Bitwig Studio est proposé avec des logiciels particuliers, accessibles parfois également pour les utilisateurs déjà enregistrés. Il y a quelques semaines, on pouvait avoir une licence d’u-he Filterscape, avant c’était Arturia Jun-6 V par exemple. Aujourd’hui sur mon compte je vois la présence de licences exclusives pour Klevgrand Slammer, Minimal Audio Hybrid Filter, un accès de 6 mois aux vidéos pédagogiques de Sonic Academy, 3 mois d’utilisation de Sonarworks SoundID Reference, etc. Bitwig est assez généreux là-dessus, et la présence de toutes ces collaborations entre marques est appréciable !
À l’ouverture, Bitwig Studio nous affiche son fameux dashboard, mode de fonctionnement que l’on retrouve dans nombre de STANs actuels, avec un accès aux derniers projets ouverts, aux modèles de projets, aux réglages, à de la documentation, au contenu additionnel téléchargeable, et à une poignée de projets de démonstration. Comme dans Live (ça y est, ça commence), il est possible de télécharger du contenu supplémentaire (Bitwig ou tiers) à la carte, avec l’apparition notable très récente de packs « premium » donc payants, y compris lorsque l’on possède déjà la plus grosse édition. On y trouve un peu de tout, à base de présets des instruments ou de sampling, de présets pour les effets, de clips, samples, et même d’effets à appliquer sur les flux de notes. Et dans la partie réglages, en plus des habituels onglets dédiés aux contrôleurs à l’audio ou aux plug-ins, se trouvent quelques options remarquables dont le choix de langue avec le Français (cocorico), différentes configurations d’affichage pour l’usage optimal de plusieurs écrans (ça fait partie des acquis depuis la première version), ou les fameuses options de sandboxing des plug-ins pour sécuriser vos projets sans risque de plantage lié au mauvais comportement d’un des plug-ins.
Une fois notre premier projet lancé, on est plutôt en terrain familier avec une vue dite « arrangement » plus ou moins classique et une vue « mix » + session de clips comme dans Live, avec toutefois quelques spécificités sur le placement des éléments de type barre de transport ou bibliothèque de contenu. On remarque une interface assez inhabituellement minimaliste, avec très peu de menus accessibles en haut, beaucoup d’icônes ou de variations de polices de caractères ci et là, et même pas mal d’icônes dans les menus contextuels, qui confèrent à l’expérience utilisateur une touche de modernité, de simplicité, et démontrent une parenté avec un certain Tracktion, qui a inspiré nombre de concepteurs de STANs par son approche unique à l’époque.
Au chapitre des autres différenciations, nous avons en plus des deux vues principales une vue « Edit », qui permet d’accéder sur tout l’écran à l’édition d’un clip, des icônes en bas de l’écran qui permettent de faire apparaître ou disparaître d’autres onglets un peu partout, avec la possibilité d’avoir, par exemple, toujours un onglet mixette visible (coucou Live qui a fait ça en retard). On notera également l’omniprésence et l’utilité de l’onglet à gauche « inspecteur » qui donne régulièrement accès à des paramètres supplémentaires contextuels sur les clips ou les différents instruments par exemple, la présence d’un clavier virtuel sous forme de pads qui doit bien fonctionner dans un environnement tactile (on se rappelle de la collaboration en 2015 avec Microsoft dans le cadre du produit Surface qui a eu des conséquences encore visibles), une aide contextuelle sous forme de texte en bas de l’écran, ou carrément de page, en grand avec des schémas et des indications très utiles qu’on s’étonnera d’utiliser constamment d’un appui sur F1 à la découverte de Bitwig Studio, le bouton on/off Fill à côté de la barre de transport qui permet de déclencher des automations comme dans toute groovebox qui se respecte, ou la présence optionnelle en double des clips de la vue Session dans la vue Arrangement, alignés horizontalement avec les pistes au lieu de la vue verticale. J’ai remarqué aussi qu’il était possible de brancher à chaud des contrôleurs MIDI sans avoir besoin de redémarrer le moteur audio, le genre de petits plus assez agréables.
Et évidemment, Bitwig Studio c’est la STAN de The Grid (on va y revenir aussi), et des modulateurs qui font partie intégrante de l’environnement depuis la V2, avec tout un panel de séquenceurs, LFOs, enveloppes, quantizers, triggers, rampes, effets MIDI en général, utilitaires, etc., qu’on peut assigner à tout et n’importe quoi en seulement quelques clics avec des indications en surbrillance, du paramètre lambda d’un plug-in tiers, à des modulations en cascade dans The Grid, jusqu’au tempo ou au statut des pistes depuis la version 5.0.
La complexité dans Bitwig Studio
Au premier abord, notre sujet de test semble donc être une STAN plutôt accessible, avec un set de fonctionnalités réduit par rapport à d’autres mieux installées et profitant d’une force de frappe plus élevée. En effet, l’absence de menus et de commandes dans tous les sens qui poppent à la moindre escapade permettent d’aller très vite à notre premier morceau, en utilisant le contenu incorporé ou nos plug-ins tiers. Le logiciel est stable et plutôt réactif sur notre machine sous Windows qui n’est plus toute jeune, et l’aide intégrée (dans la barre du bas, dans l’inspecteur, avec des infos bulles, et avec le récapitulatif interactif et cliquable de chaque module ou device via la touche F1) très utile pour la phase de découverte, malgré une traduction française parfois un peu approximative, on va dire. De plus, pas mal d’efforts ont été faits sur la documentation en général, que ce soit avec les traductions justement, mais aussi tout le contenu vidéo disponible (tutoriels, news) et accessible directement depuis l’interface de Bitwig Studio, ou le manuel en ligne et en PDF qui a pris en complexité. Cela fait de Bitwig Studio et de ses multiples éditions une STAN généraliste idéale pour l’apprentissage de la M.A.O., voire d’autres sujets comme le sound design et la composition, en particulier sur Linux, et pas simplement pour les aficionados (je vais la faire à chaque fois) de musiques électroniques, même si personnellement j’aurais aimé que ça aille encore plus loin, par exemple avec des tutoriels intégrés ou de la documentation sur certains présets.
Or, nombre de fonctionnalités ne sont disponibles que lorsqu’on est dans un contexte particulier, et assemblées sur les différents onglets, accessibles via le bouton droit ou une icône qui n’apparaît qu’à certains endroits. Il faut ainsi de l’œil pour repérer les derniers ajouts de fonctionnalités de type « next actions », les boutons Solo qui peuvent devenir des boutons Cue dans la vue mixeur, jouer avec le concept de piste hybride, jouer avec toutes les subtilités de l’instrument Polymer qui évolue à chaque version de la STAN, repérer les fonctionnalités granulaires du Sampleur, créer des variations de patterns en utilisant les propriétés par notes via la chance ou les opérateurs introduits avec la version 4.0, découvrir le bordel que l’on peut créer dans la signature sonore d’un instrument juste avec quelques modulateurs, les fonctionnalités de voice stacking, du microtuning ou la variation du pitch à la souris sur une note… Plus exactement, je dirais qu’il est très fortement conseillé de passer un certain temps avec les tutoriels vidéo de Bitwig Studio pour se faire une idée de ses possibilités et en tirer le meilleur profit.
Dans le même temps, certains aspects de Bitwig Studio nous ont semblé au final plus rudimentaires qu’attendu. On aurait aimé par exemple pouvoir jouer avec des thèmes de couleur dans l’interface, et pas juste avec des palettes de couleur sur les pistes, ce qui n’est possible qu’avec des logiciels tiers plutôt que directement dans les options du logiciel. Il n’est toujours pas possible d’afficher des gammes dans les clips MIDI, qui mériteraient un peu de fonctionnalités supplémentaires, le freeze peut se faire, mais en groupant des pistes et avec les fonctionnalités de bounce dans le cas idéal. Le nouveau navigateur de contenu ne nous a pas vraiment convaincus, que ce soit la partie dédiée dans sa fenêtre ou à droite de l’interface, pour un ensemble de raisons ergonomiques comme l’absence de bouton de retour en arrière, de certains tags (pas de tag « lead » ou « pad », mais par contre « neuro-funk », ça oui) ou de fonctionnalités de classement des devices par type. On attend également une progression dans les possibilités d’édition des clips audio, ou beaucoup plus d’options sur le rendu d’un morceau.
On devine que la liste des feature requests des utilisateurs de la STAN ou celle maintenue par ses développeurs sont longues comme le bras, et qu’il est difficile de jongler dans l’ordre des priorités entre les attentes, le temps disponible et la vision de ses créateurs, qui ne veulent pas non plus jouer la course avec les concurrents et perdre de la singularité au passage. D’autant qu’il ne nous semble pas non plus incongru niveau démarche de ne pas aller sur certains terrains qui ne concerneraient qu’une partie des utilisateurs, et qui risqueraient d’alourdir l’utilisation de l’outil…
Give me five
Toutefois, ce n’est pas comme si Bitwig Studio n’avait pas eu droit à un certain nombre de nouvelles fonctionnalités depuis notre dernier test. Ainsi, en regardant les changelogs depuis la version 4.1, il nous a semblé compliqué de choisir de quelles nouveautés parler en priorité ! Le dernier test a été publié le 23/09/2021, et mis à jour le 09/04/2022, donc entre la version 4.0 et 4.2. Depuis la version 4.0, les utilisateurs de Bitwig ont eu en résumé :
- des nouveaux effets sur les notes (Bend / Dribble / Humanize / Note Repeats / Quantize / Randomize / Ricochet / Strum), aux palettes de couleur, les sorties en MIDI Out sur les pistes (4.1)
- de nouveaux effets de modulation (Chorus+/Phaser+/Flanger+), la version processeur de notes de The Grid, la langue française (4.2)
- Convolution, Delay+, des nouveaux filtres et oscillos pour Polymer (Moog, Union), les sends sur les FX tracks, l’arrivée du support CLAP et des fichiers audio FLAC qui ne sont pas convertis en WAV sur les pistes (4.3)
- la fameuse Spectral Suite qui a finalement été intégrée directement dans l’offre des éditions de Bitwig (Freq Split, Harmonic Split, Loud Split, Transient Split) (4.4)
- les générateurs d’enveloppes multi-segments (MSEG) pour dessiner de quoi moduler des paramètres (enveloppe, LFO, forme d’onde d’oscillateur avec Scrawl, un séquenceur et un waveshaper, l’éditeur qui va avec tous ces modules, le format BWcurve), la modulation sur les paramètres du projet et des pistes, les nouveaux gestes sur les lancers de clips (les déclencheurs au relâchement, les nouveaux modes de lancement, le ALT-trigger et son support sur les contrôleurs), les nouveaux navigateurs de contenu, le nouvel algorithme de détection d’événements avec de l’IA (mot clé buzz détecté), de nouveaux modules pour The Grid, la réorganisation des éléments de la vue mixage, moins d’usage de CPU de la part des devices qui ne sont pas utilisés (5.0)
- Des nouveaux filtres (Fizz / Rasp / Ripple / Vowels) et waveshapers (Push / Heat / Soar / Howl / Shred / Diode) avec les nouveaux devices Filter+ et Sweep qui permettent de jouer avec tout ça plus l’existant, la refonte du Voice Stacking pour accumuler les voix de synthé et faire encore plus de choses avec, le nouvel oscillateur Bite pour Polymer et The Grid, de nouvelles applications du moteur de détection d’événements de la 5.0 notamment sur le quantize, de nouveaux modules pour The Grid, le support de DAWproject (5.1)
- Compressor+ qui a été conçu à partir de considérations de modélisation d’appareils analogiques, des modélisations d’EQs analogiques (Sculpt/Focus/Tilt), une refonte des fonctionnalités d’édition notamment niveau usages du clavier, encore de nouvelles applications du moteur de détection d’événements sur le tempo et la précision du placement des pulsations, la réécriture du moteur de rendu graphique pour utiliser beaucoup plus le GPU et alléger l’usage du CPU, avec des variations sur le rendu de l’interface par rapport à avant, les fonctionnalités d’annulation qui concernent aussi ce qui est fait dans les plug-ins tiers, le nouveau clipper Over avec des options sur le multibande et l’usage en masse de fonctionnalités antialiasing, de nouveaux modules pour The Grid, des améliorations sur la gestion de la latence, etc. (5.2)
- Actuellement en bêta avec la 5.3, nous avons également de nouveaux devices qui modélisent la TR-808 et la TR-909, des nouveaux E-drums typés numériques intitulés v0 (avec de la FM et du modèle physique) avec les anciens renommés v1 pour l’occasion, le séquenceur à pas Stepwise qui est le premier device dédié à la génération (avant il fallait passer par The Grid), le support de Windows ARM, le bouton pour enregistrer la sortie du master bus à la volée, de nouveaux modules pour The Grid, et une refonte du moteur audio pour mieux gérer automatiquement les interfaces audio.
On pourrait parler aussi des derniers projets de démo, ou des différents packs qui ont été mis à disposition depuis la version 4, que ce soit les packs artistes, ceux des instruments acoustiques (batterie, guitare, basse, sons d’orchestres supplémentaires), ou encore les packs premium payants cette fois-ci (19 euros chacun) apparus récemment que sont « Atmospheres and Soundscapes » et « Field Goes Musical ».
- Chee – Hey Now Demo Bitwig01:47
- In_Cycles Demo Bitwig02:01
- Tauri – In The Dark Demo Bitwig01:05
- Spectral Suite Demo Bitwig01:37
Choisissons donc avec attention certaines de ces nouveautés (beaucoup trop nombreuses au vu de la taille idéale d’un test AudioFanzine) pour en parler plus dans le détail. Précisons déjà que le contenu stock en matière d’instruments dédiés à la synthèse sonore peut paraître limité par rapport à ce que l’on trouve dans le vénérable Ableton Live, et qu’il l’est dans la pratique. Cela pose peu de problèmes en général aux utilisateurs qui sont souvent avides en matière de plug-ins, aucune STAN pouvant d’ailleurs se targuer d’être exhaustive et autosuffisante en la matière. Toutefois, que ce soit avec le sampleur intégré (qui cela dit en passant permet de faire du granulaire, du multi-samples avec round robin et qui est amusant à moduler avec tout et n’importe quoi), le wrapper pour gérer facilement l’interaction avec un instrument hardware, les synthés de batterie électronique de très bonne facture, les excellents Polysynth et Phase-4 qui sont une très bonne surprise, on a de quoi faire.
Mais surtout, il y a Polymer, qui est une sorte d’assemblage assez simple d’éléments pré-patchés de The Grid, avec la possibilité de sélectionner pour le filtre, l’oscillateur et l’enveloppe un des modules de son choix parmi ceux disponibles, dans l’esprit d’un mini u-he Diva donc, mais non restreint à du virtual analog, même s’il y a aussi des propositions dans ce sens. Et le gros intérêt de Polymer, c’est qu’il va nous permettre de tester facilement des combinaisons de tous les nouveaux filtres et oscillateurs de ces dernières versions (ainsi que des enveloppes multisections) ! Tout ce qui nous permet de dessiner son enveloppe ou sa forme d’onde a évidemment un gros potentiel, les nouveaux filtres de type « caractère » apportent un vent de fraicheur sur le domaine du filtre avec des paramètres différents par type, une gestion paramétrique du feedback, et du grain qui se rajoute de façon non traditionnelle en tweakant les paramètres. Et tout cela se marie bien avec les nouveautés du voice stacking qui permettent de définir avec précision les variations de comportement de chaque voix, par exemple en pitch et en panning mais aussi sur les filtres ou même sur les modulateurs ! Tout ça peut également être affiné en utilisant Filter+ et Sweep qui permettent de jouer avec différentes combinaisons de filtres, mais aussi des waveshapers, qui disposent tous aujourd’hui de leur toggle « AA » pour antialiasing, qui permet d’utiliser une certaine technologie pour rendre les distorsions plus propres moyennant un peu de latence.
Sur le reste un travail appréciable a été fourni pour optimiser le moteur de rendu de Bitwig et permettre de ne jamais manquer de ressources, quelle que soit la taille du projet. Ce nouveau moteur graphique a d’ailleurs déjà été mis à jour en fonction des retours des utilisateurs (avec Skia et D3D sur Windows), sachant qu’il était déjà disponible en bêta en avance pour permettre aux équipes de Bitwig de vérifier la compatibilité des machines des utilisateurs avec les changements. Nous sommes curieux aussi de découvrir tous les usages débloqués par les nouvelles fonctionnalités liées aux gestes et déclenchements des clips, que je trouve assez intéressantes avec le bouton Fill dans le cadre de performances en live.
Et j’avoue que j’ai porté une attention particulière au nouveau Compresseur+ ainsi qu’aux émulations de Pultec EQP-1/MEQ-5 et Tonelux Tilt, ces derniers proposant en bonus différents choix pour les non-linéarités des modèles mathématiques, laissant sous-entendre qu’on est sur de la qualité d’émulation à ne pas sous-estimer par rapport aux plug-ins dédiés tiers qui se limitent parfois au linéaire… Sur le compresseur en particulier, qui vient s’ajouter donc à la liste de processeurs de dynamiques contenant également Compressor tout court, Dynamics, Gate, Transient Control et Peak Limiter, j’ai été surpris de voir quelque chose d’aussi profond dans aussi peu d’espace, avec tout ce que l’on peut attendre d’un compresseur, dont les visualisations et l’ajout simplement de fonctionnement sidechain externe, mais aussi un fonctionnement multibande, différents types d’enveloppes et de VCA avec chacun un caractère bien trempé, un auto learn sur le volume de sortie…
Et évidemment la Spectral Suite de la version 4.4 était déjà une addition intéressante avant la sortie de la 5.0, avec la possibilité de découper le signal en plusieurs versions ayant chacune des caractéristiques différentes, pour leur appliquer des traitements spécifiques (bandes de fréquences, contenu harmonique vs inharmonique, volume moyen, transitoire vs périodique), qui sont d’ailleurs assez bien démontrés avec les présets associés, fournissant des racks remplis d’effets s’appliquant sur différentes composantes du signal.
On appréciera aussi la hausse de qualité des traitements liés à la détection du tempo et du time stretching, ou encore l’ajout continu du support de nouveaux contrôleurs, grâce à Bitwig et à la communauté de ses utilisateurs (notamment avec le travail de Jürgen Moßgraber), dont on peut scripter les commandes en utilisant l’API ouverte Bitwig Studio Extension, et qui se marient bien aux modulateurs et à l’usage des macros dans la STAN.
Carrés VIP
Comme j’ai découvert avec ce test les dernières versions de Bitwig Studio, j’en profite pour glisser un mot sur The Grid. Depuis la version 3, la STAN intègre un environnement modulaire original et relativement simple d’accès, mais fermé et utilisant exclusivement les modules intégrés. Celui-ci se définit par une grille pouvant contenir des modules de différentes tailles, et qui s’ajoutent dans la liste des devices sur une piste donnée via le Note Grid (événements sur des notes seulement), le FX Grid (traitement du signal audio) ou le Poly Grid (envoi de données MIDI et MPE, récupération d’audio). Les modules gèrent la polyphonie, y compris via le voice stacking, et sont tous oversamplés 4 fois ce qui donne de la latitude aux développeurs pour assurer que le résultat sonne toujours propre quelque soit les bidouilles des utilisateurs, ce qui inclut d’ailleurs le feedback si on rajoute un peu de délai, et aussi la stabilité de l’ensemble. Malheureusement, cela a aussi un prix sur la charge CPU, que j’ai trouvée assez élevée rapidement dès qu’on joue trop avec la polyphonie et le nombre de modules, ce qui concerne également et malheureusement le device Polymer.
L’environnement est régulièrement augmenté en nombre de modules, dispatchés en 16 catégories et assez nombreux (plus d’une centaine), avec parfois un peu de redite par exemple sur les volumes. Ils sont bien sûr compatibles avec les modulateurs extérieurs et l’aide contextuelle, avec nombre d’informations disponibles dans l’inspecteur comme une visualisation des signaux entrants et sortants, et parfois des paramètres supplémentaires.
Quelques petites choses ont été aussi sources de confusion pour ma part, après plusieurs mois à jouer avec VCV Rack et mon setup modulaire hardware, comme le fait que le module d’enveloppe soit en fait un module d’enveloppe + VCA, ou la nécessité de passer par les modules multiply ou AM/RM pour avoir un vrai VCA justement, donc un moyen de changer le volume d’un signal en fonction d’un autre signal de contrôle. Certaines connexions sont faites automatiquement sur les oscillateurs, comme celles du pitch, et lorsqu’on veut créer un générateur de notes on doit d’abord la désactiver en cliquant sur l’icône idoine, et mettre la valeur du knob de modulation de pitch à sa valeur maximum qui est de 120 demi-tons. Manipuler des pitchs avec un quantizer et des offsets ou limites pour contrôler les pitchs autorisés demande un peu d’adaptation.
L’environnement est plus comparable avec un Reaktor qu’avec un VCV Rack, car en dehors de certains types de modules on a accès à des éléments dont la fonction est plutôt rudimentaire, ce qui impose de multiplier le nombre de modules pour faire un simple délai avec feedback ou ajouter du caractère au signal, par exemple. De nombreux modules demandent d’ailleurs un peu de réflexion pour pouvoir être utilisés dans un patch donné, et là comme pour le reste il est obligatoire de jeter un œil au contenu important disponible en vidéo pour se familiariser avec tout ce qui rend l’environnement et la STAN intéressants, avec des heures en perspective à prévoir pour jouer avec tous les concepts. Il faut bien imaginer que tous ces éléments en interaction sont tellement puissants en l’état qu’on peut carrément s’amuser à créer un compresseur, une réverb, un looper, des séquenceurs à pas, de la musique générative, tout cela sans toucher à une ligne de code, et avec des effets ou instruments ou autres instances de The Grid avant et après.
Il est même possible d’interagir avec du matériel modulaire extérieur pour peu que l’on possède l’interface audio DC coupled qui va bien, et moduler tout ce bordel avec les 43 modulateurs disponibles partout, dont on peut même contrôler le comportement avec les contrôleurs hardware compatibles, et que toutes les versions de The Grid sont livrées avec des présets… De quoi allumer les yeux des plus bidouilleurs d’entre vous :)
- Generative Adventures01:23
- Minimal Bitwig03:28
- Acidwig – Demo 5.302:56
- Electro Dub 202:10
PS. Merci au passage à MLTPLX pour les réponses à mes questions sur Bitwig Studio, pour sa contribution électro dub aux démos audio de ce test, ainsi qu’à Stéphane Reichardt et Alexandre Bique pour les précisions et les discussions sur la STAN.