Voici maintenant 7 ans apparaissait Bitwig Studio, issu du travail d’un groupe de dissidents d'Ableton. Arrivée aujourd’hui à sa quatrième version, la STAN allemande a-t-elle définitivement su se distinguer de Live, son célèbre modèle ?
Apparue en juillet de cette année, voici donc la quatrième itération de la fameuse STAN à boucles berlinoise, du moins la plus jeune d’entre les deux. Vendue au prix de 99 € pour la version légère « 16-track » et de 399 € pour la version complète, avec un plan d’un an de mises-à-jour gratuites, elle propose notamment comme nouveautés le comping et l’apparition d’une série de nouveaux opérateurs destinés à agir sur les événements MIDI. Après nous être penchés sur les nouvelles fonctionnalités du logiciel, je vous proposerai de dresser un bilan comparatif entre Bitwig et son modèle Ableton Live.
M1-nous les uns les autres
La première nouveauté que nous propose la dernière version de Bitwig Studio, c’est la compatibilité avec le nouveau processeur qui équipe les ordinateurs siglés de la pomme.
Depuis fin 2020 Apple a en effet abandonné son partenariat avec Intel en ce qui concerne la fabrication des processeurs de ses appareils. Désormais, la firme de Cupertino s’appuie sur sa propre technologie pour animer ses machines. La puce M1 inclut en fait tout un système en elle-même. Elle comporte entre autres un processeur central pour le traitement des opérations courantes qui peut comporter jusqu’à 16 cœurs, un processeur graphique de 8 cœurs, et une unité d’apprentissage automatique – le Neural Engine – de 16 cœurs elle aussi. Toutes les applications ne sont pas encore compatibles avec cette nouvelle technologie, et certaines doivent passer par un traitement intermédiaire via le protocole Rosetta 2 pour fonctionner avec le M1. Ce n’est pas le cas de Bitwig Studio 4, qui rejoint la liste des logiciels de musique immédiatement utilisables avec la dernière puce d’Apple.
Opération: jeu
L’autre nouveauté majeure que nous apporte la 4e version de Bitwig Studio, ce sont les modificateurs de jeu qui font leur grande entrée dans la STAN allemande.. On dispose ainsi de quatre opérateurs: « chance », « repeat », « occurrence » et « recurrence ». Le premier permet de définir la probabilité qu’une note soit jouée. « Repeat » permet de diviser la durée d’une note en autant de fractions qu’on le souhaite, jusqu’à 128. Deux autres paramètres permettent de produire des fractions de plus en plus longues ou de plus en plus courtes, et de produire des crescendos et decrescendos sur cette même durée. « Occurrences » permet de définir les modalités de lecture d’un événement MIDI. Et « récurrence » de quelle manière il doit se répéter. Enfin les événements peuvent être rattachés à l’activation ou non du bouton « fill » qui a fait son apparition dans la barre d’outils supérieure de Bitwig. Ce bouton étant comme de nombreuses autres fonctionnalités du logiciel affectable à un raccourci clavier ou une commande MIDI, on pourra donc très simplement activer la lecture des événements MIDI associés à ce bouton. La section « expression », quand à elle, se voit pourvue d’un paramètre spread, qui permet de définir une amplitude de variation aléatoire autour d’une valeur centrale attribuée à chacune des « expressions » associées à chaque événement MIDI: vélocité, timbre, pression, volume et placement dans l’espace stéréo. Enfin, la succession des événements aléatoires programmés au sein des clips de Bitwig 4 peut être ré-initialisée à chaque lecture des clips concernés, ou bien reproduite telle quelle selon un même schéma. On peut donc constater que l’éditeur allemand n’a vraiment pas fait les choses à moitié dans les possibilités qu’il nous a données de modifier à la volée ou automatiquement les paramètres de lecture des clips. Et dans la pratique, tous ces éléments sont un véritable bonheur à utiliser !
Tous au comping !
Après la version 11 de Live, c’est au tour de Bitwig Studio de rattraper son retard en ce qui concerne le comping. Il faut tout de même préciser que cette technique permettant de choisir rapidement différents éléments au sein des multiples prises d’une piste donnée pour en constituer facilement un assemblage était initialement apparue au sein de DAW ayant adopté une approche linéaire de la composition, et que le principe de fonctionnement de DAW telles que Live ou Bitwig reposant sur les clips audio et MIDI avait dans un premier temps rendu cette technique un peu moins indispensable. Ce qui ne nous empêche pas de saluer son adoption tout d’abord dans Live, et maintenant dans Bitwig Studio. On saluera notamment le fait que le comping ne nous soit pas seulement proposé dans l’arrangement, mais également dans la matrice de clips. On appréciera également le fait que l’on puisse transformer une seule prise continue en plusieurs prises séparées – dans le cas où l’on aurait enregistré en une seule fois plusieurs répétitions d’un même passage musical – afin de pouvoir les traiter ensuite comme autant de sources pour le comping. On regrettera simplement que contrairement à Live, le comping ici ne puisse se faire que sur des prises audio et non sur des prises MIDI.
Import-export
Enfin on appréciera de voir apparaître dans cette nouvelle version de Bitwig une fonctionnalité somme toute assez rare : la possibilité de charger des projets issus d’Ableton Live et de FL Studio, une option qui fonctionne globalement très bien. En revanche, les projets ainsi importés dans Bitwig Studio ne peuvent pas être sauvegardés évidemment au format de leur STAN d’origine. Et bien sûr, la prise en charge des générateurs de sons d’origine ne fonctionne qu’avec les plugs tierces et les samples. Pour ce qui est des effets natifs des STAN concernées, Bitwig est capable de trouver des correspondances pour Ableton. Au sujet de FL Studio, Bitwig ne reprend pas les réglages de mix, ceci étant dû probablement à la trop grande différence entre les logiques de routage des deux logiciels.
Enfin, pour ce qui est de l’export de vos mixages, ils peuvent maintenant être effectués non seulement en WAV, mais également en FLAC, OGG, MP3 et OPUS.
Arrivé à ce stade de mon banc d’essai, je suis bien obligé de constater que si les nouvelles fonctionnalités proposées par Bitwig Studio sont tout à fait utiles et bienvenues, elles n’en demeurent pas moins un peu chiches en nombre et surtout, notamment en ce qui concerne le comping et l’instauration des nouveaux opérateurs, elles rappellent sérieusement les évolutions apportées de leur côté par Ableton à leur propre STAN, Live. Je vous propose donc de nous pencher, une bonne fois pour toutes, sur ce qui rapproche et ce qui sépare ces deux séquenceurs.
Un furieux air de famille
Je rappelais en introduction du présent article que Bitwig est née de la sécession de certains employés d’Ableton, qui avaient quitté l’entreprise avec l’idée de créer un logiciel qui corrigerait les défauts de Live et comblerait ses lacunes. Cette volonté correctrice s’est toujours ressentie dans les différentes itérations de Bitwig Studio, même si l’on avait perçu lors de la sortie de la version 3 une très nette volonté d’affirmer sa propre identité, notamment avec l’apparition de « The Grid », le système modulaire de création d’instruments et d’effets virtuels intégré de Bitwig Studio. Mais aujourd’hui, au vu des choix d’évolution adoptés par Bitwig dans cette dernière version de son logiciel – très proches de ceux choisis par Ableton pour Live dans sa version 11 – il nous semble que l’éditeur ait un peu laissé de côté pour l’instant la volonté de creuser un sillon personnel et ait souhaité plutôt à nouveau se positionner comme une version alternative d’Ableton Live. Il nous a semblé donc pertinent de dresser un bilan, au bout de toutes ces années, des deux logiciels « frères ennemis ».
Les deux STAN reposent bien entendu principalement sur la possibilité d’agencer des clips MIDI et audio sur une matrice afin de les déclencher à volonté et dans l’ordre que l’on souhaite, ou bien de les disposer plus traditionnellement sur une timeline à l’instar des STAN plus classiques. Mais les interfaces des deux logiciels diffèrent toutefois sur de nombreux points, l’un des principaux étant la possibilité pour Bitwig Studio d’afficher simultanément et de manière parfaitement intégrée les deux espaces de travail principaux, à savoir la matrice de clips et la section d’arrangement. Une fonctionnalité à laquelle Ableton a répondu en répartissant le fonctionnement de son Live sur deux instances interdépendantes du logiciel. Malgré ses airs de bricolage de fortune, cette solution s’avère parfaitement fonctionnelle. La répartition de ces deux fenêtres peut se faire sur un ou deux écrans.
Concernant Bitwig Studio, la proposition est un peu différente. On peut en effet choisir dans l’espace de configuration du logiciel – le dashboard – un preset définissant le nombre d’écrans physiques que l’on utilisera, ainsi que les espaces de travail qui y seront représentés (matrice de clips, écran d’arrangement, table de mixage, etc.), tout cela pouvant être bien entendu modifié par la suite. Certains pourraient considérer que les efforts de normalisation de Bitwig Studio le rendent un peu plus rigide que Live. Mais tout cela est assez subjectif. D’un point de vue purement esthétique, on pourra personnaliser l’interface d’Ableton Live grâce à des thèmes et des skins téléchargeables, ce qui n’est pas le cas pour Bitwig Studio.
Pour ce qui est de la gestion de projet, Bitwig permet d’ouvrir plusieurs projets simultanément, en affectant un onglet à chacun d’eux au sein de son interface, ce qui permet notamment de facilement transférer des pistes, clips, chaînes d’instruments et d’effets, etc. d’un projet à l’autre. Toutefois, le moteur audio ne peut être activé que pour un seul projet à la fois, et les plugins ne sont également chargés que pour ce même projet. Ableton Live, quant à lui, n’offre pas cette possibilité d’ouvertures multiples, mais permet en revanche de charger les pistes individuelles d’un projet au sein d’un nouveau projet.
En ce qui concerne l’ouverture de fichiers provenant d’autres STAN comme nous l’avons décrit plus haut, il s’agit pour l’instant d’une fonctionnalité qui n’est maîtrisée que par Bitwig Studio, Ableton Live ne la proposant pas pour le moment en tout cas. La nature des pistes et le traitement dont elles peuvent faire l’objet diffère également un peu entre les deux logiciels. Dans Ableton Live, on dispose de deux types absolument incompatibles entre elles: les pistes MIDI et les pistes audio. Toutefois, les pistes MIDI peuvent être gelées afin d’économiser des ressources CPU, et la forme d’onde audio générée à ce moment peut être déplacée sur une piste audio normale pour être traitée comme n’importe quel fichier audio standard. À l’inverse, les pistes audio peuvent être converties en pistes MIDI avec un niveau de réussite assez élevé. Les pistes gelées peuvent évidemment être dégelées à tout moment afin d’être modifiée comme on le souhaite. Concernant Bitwig Studio, il n’y a pas de réelle différence entre les pistes MIDI et audio, chacune d’entre elles pouvant être transformée en une piste hybride capable d’accueillir tout type de données. Contrairement à Live, on peut effectuer des exports en place des pistes MIDI. En revanche et de manière plutôt surprenante, on ne peut pas geler les pistes. Pour ce qui est des clips, Bitwig avait dès la première version fait sa spécialité de permettre l’édition simultanée des clips audio et MIDI.
Ableton a entre-temps comblé son retard pour les clips MIDI, mais pas encore pour les clips audio pour lesquels pour l’instant il ne permet pas d’en éditer plusieurs à la fois, en dehors du réglage des marqueurs de timestretch (warp). On notera également que Bitwig autorise du coup l’édition de clips de tailles différentes, là où Live impose que les clips audio aient la même longueur pour pouvoir être édités simultanément.
Les modificateurs de jeu sont beaucoup moins nombreux sur Ableton Live que sur Bitwig Studio, notamment depuis la version 4 qui fait l’objet de l’article d’aujourd’hui. Live a toutefois depuis sa dernière version comblé le retard qu’il avait par rapport à Bitwig concernant la norme MPE (MIDI Polyphonic Expression). S’il dispose d’une intégration moins poussée des paramètres de jeu aléatoire que son concurrent, Ableton Live propose en revanche une gestion plus poussée de l’enchaînement automatique des clips entre eux, et surtout depuis la version 11 puisque l’on peut enchaîner carrément des scènes entre elles, ce dont Bitwig est actuellement incapable.
Mais l’une des plus grandes forces de ce dernier, ce qui en fait l’un de ses traits les plus caractéristiques en comparaison de Live, ce sont ses capacités modulaires. Depuis le début, Bitwig Studio n’a cessé de les développer, autorisant tout d’abord la modulation de paramètre de plugs par ceux des autres, puis offrant la possibilité d’ajouter des sources de modulation indépendantes, et enfin depuis la version 3 l’apparition de the Grid permettant de créer de A à Z des instruments et des effets virtuels complets par simple association de modules. Live intègre quant à lui la plateforme de développement Max for Live – une version dédiée de MAX/MSP de Cycling 74 . Celle-ci est certes beaucoup plus puissante que ce que propose Bitwig Studio, mais elle est également beaucoup moins facile d’accès, moins bien intégrée, et surtout disponible qu’à partir de la version la plus chère du logiciel. Les capacités des deux STAN en termes de modularité ne s’arrêtent pas à l’aspect logiciel.
Elles sont en effet toutes les deux équipées pour piloter des instruments hardware externes non seulement en MIDI bien évidemment mais également via CV. Enfin, les deux STAN sont compatibles avec Windows et Mac OS, Bitwig est en outre compatible avec Linux. Il n’accepte en revanche pas les plugins AU, contrairement à Live.
Pour terminer ce comparatif, on rappellera que Live dispose de contrôleurs physiques dédiés, dont bien sûr les fameux Push 1 et 2, ainsi qu’un grand nombre d’appareils proposés par des fabricants tierces. Ceci n’est pas encore le cas pour Bitwig STudio, bien que des templates particulièrement bien conçus lui permettent de détourner à son propre avantage l’usage d’appareils prévus initialement pour Live. Ce qui nous amène à conclure la chose suivante: Ableton Live, notamment grâce à ces contrôleurs dédiés, conserve un avantage sur Bitwig Studio en ce qui concerne la performance live, alors que Bitwig Studio se montre plus performant dans le pilotage d’instruments modulaires virtuels ou physiques.
Points de tension
Que pourra-t-on alors reprocher réellement à cette dernière version de Bitwig Studio ? Eh bien pas grand’chose finalement, mais plutôt des éléments dont on peut finir par se demander pourquoi ils ne sont toujours pas pris en charge. Ainsi, outre de petits détails d’ergonomie qui pourraient être encore améliorés (comme par exemple le signalement des clips en train d’être overdubbés dans la matrice), on est en droit de s’étonner de l’impossibilité de geler les pistes MIDI comme nous l’avons mentionné plus haut, une option qui n’est pas totalement compensée par le fait de pouvoir effectuer d’export « en place », puisqu’à moins d’un « undo » immédiat, l’on ne peut pas revenir ultérieurement à l’édition des événements MIDI concernés. On regrettera également que l’on ne puisse toujours pas bénéficier d’un véritable outil de conversion de l’audio vers le MIDI, alors qu’Ableton Live utilise des algorithmes de l’Ircam ou que d’autres intègrent Melodyne par exemple. On regrettera un mode d’emploi toujours un peu limité à mon sens dans la description des différents plugins internes. Et enfin on déplorera que malgré les évolutions du logiciel dans le domaine, il ne soit toujours pas possible d’exporter ses projets en AIFF, ni de gérer les plugins AU.
Conclusion
Dans le monde de la MAO, et peut-être dans celui de l’informatique en général, on a finalement rarement l’occasion d’observer le développement d’un lien quasi filial entre deux logiciels, avec ce que cela implique de dynamiques relationnelles. Dans le cas présent, Bitwig Studio semblait au cours des années tuer de plus en plus le « père » Ableton Live. Mais les choix d’évolution qui ont été faits pour cette dernière version de Bitwig Studio- notamment l’intégration du comping et l’ajout de probabilités et de modificateurs de jeu au sein des clips – sont très proches de ceux effectués par Ableton pour sa dernière version de Live, et l’on semble presque assister à une sorte de « retour à la maison » de la part de Bitwig, un ré-alignement qui nous a d’ailleurs incité à dresser finalement un bilan comparatif des deux logiciels.
On appréciera toutefois toutes les nouvelles fonctionnalités apportées, qu’il s’agisse de la compatibilité native M1, (qui rend encore plus incompréhensibles les incompatibilités en termes d’export AIFF et l’absence de gestion des plugins Audio Units), du comping en arrangement et en matrice de clips, de l’instauration des nouveaux opérateurs d’événements MIDI ou encore de la possibilité d’importer des fichiers Ableton ou FL Studio .