Trois années séparent les sorties de Ableton Live 11 et 12, pendant lesquelles les développeurs et ingénieurs ont publié un certain nombre de nouveautés et d'améliorations de la STAN aujourd'hui la plus populaire des créateurs de musique électroniques (mais pas que).
Inutile de vous faire découvrir l’existence de Ableton Live en 2024 tant ce STAN a réussi à faire son chemin, et à se hisser régulièrement en haut des classements de digital audio workstations préférées ou les plus utilisées des internets, notamment pour les férus de synthèse sonore ou de sampling. Nous l’avons d’ailleurs testé dans nos lignes au cours de son évolution, comme la version 11 qui avait été scrutée par newjazz en 2021. Comme à chaque nouveau test de STAN existant, nos lecteurs se demandent principalement et légitimement s’il est intéressant ou pas de passer aux versions suivantes quand on possède une des itérations précédentes. Nous allons donc comme d’habitude refaire le point sur le STAN, parler de toutes ses nouveautés, de son positionnement par rapport à l’offre existante, de ses différentes versions, de son rapport qualité/prix, etc.
J’ai personnellement un rapport particulier à ce STAN, puisque je me considère actuellement en autoformation en création de musiques électroniques, et que Live (oui s’il vous plaît on ne dit pas « Ableton » qui est la marque les ami.e.s) est devenu mon STAN principal avec Cockos Reaper depuis la version 9 environ. Son interface était assez intimidante pour moi au départ, car je ne comprenais pas ce que j’étais censé faire de cette fameuse vue « Arrangements », ou comment travailler pour passer de celle-ci à la vue classique « Session » dans le cadre d’une production. Quelques expériences et tutoriels visionnés plus tard, je ne me pose plus les mêmes questions, il m’arrive de n’utiliser que la vue Session pendant toute la durée d’un projet, et je suis aussi beaucoup plus adroit dans la manipulation de lancers de clips ou de jeu aux pads avec mon Novation Launchpad Pro. J’ai donc un certain nombre d’heures de Live au compteur, notamment par la conception des démos audio de mes tests précédents, avec quand même des subtilités ou des pans entiers de fonctionnalités que je suis loin d’avoir assez approfondi. Mais rassurez-vous, je serai intraitable sur les points négatifs qui existent du logiciel :)
Avant de rentrer dans le vif du sujet, rappelons en quelques lignes qu’il s’agit donc d’un STAN généraliste malgré les apparences, avec des fonctionnalités assez avancées en matière de MIDI/MPE (depuis Live 11), d’édition de clips audio, de contenu intégré que ce soit au niveau des effets, instruments, packs, et matière sonore à manipuler en général. S’il est vrai qu’on l’associe souvent aux musiques électroniques, parce qu’il dispose d’un certain nombre de contenus associés et de prédispositions à la performance dans les sons synthétiques, les packs proposés vont aussi taper dans des registres qui ne seraient pas reniés par un Komplete 15, en matière d’instruments d’orchestres ou de batteries acoustiques multi-samplées par exemple, et il est tout à fait possible de l’utiliser avec un workflow similaire à un Studio One ou une Logic Pro X pour enregistrer des prises de son acoustiques.
Mais ce qui le rend vraiment différent et singulier, c’est selon moi :
- une ergonomie particulière qui cherche toujours à cacher la complexité du logiciel pour la faire ressortir uniquement à la demande en fonction du contexte, avec une formule en matière d’expérience utilisateur et de design esthétique ou d’empilement des informations qui s’est affinée depuis les premières versions, notamment sur la partie navigateur de contenu
- l’intégration approfondie du time-stretching ou « Warp » dans la manipulation de l’audio, ainsi que toutes les fonctionnalités avancées disponibles dans les clips MIDI qui se multiplient d’une nouvelle version à l’autre
- son offre en matière d’effets et d’instruments avec une intégration forte dans l’environnement au niveau visuel et routings audio, ce qui est assez visible quand on voit la facilité avec laquelle on peut assigner un endroit particulier du chemin du signal aux entrées sidechain des plug-ins stock
- la compatibilité avec un écosystème de contenus exclusifs au format M4L (pour Max for Live), qui est relativement accessible pour créer aussi ses propres modules, et qui bénéficie des bienfaits en matière d’intégration déjà accessibles aux contenus stock, d’autant que la boite Cycling 74 de Max/MSP a été rachetée par Ableton en 2022
- la mise en avant des contenus add-ons sous le nom de packs, contenant présets, échantillons, boucles voire devices, avec l’aide intégrée assez verbeuse et des « leçons » qui s’affichent sur la droite, donnant accès à une somme d’information pédagogique d’excellente facture voire à des tutoriels qui vous prennent par la main pour apprendre à utiliser des fonctionnalités spécifiques
- et sa vue emblématique « Session » évidemment, qui s’affiche par défaut en premier à l’ouverture du STAN, permettant un mode de composition ou de création « non linéaire », et donnant une orientation live augmentée qui demeure quasi invaincue chez les performeurs de musiques électroniques, avec une offre pléthorique de contrôleurs à pads compatibles, dont les fonctionnalités vont beaucoup plus loin que de simplement lancer des clips synchronisés à la mesure grâce notamment aux scènes ou aux Follow Actions (comme les emblématiques itérations de contrôleurs Push).
Ce petit aparté fait, regardons à présent ce que nous proposent les ingénieurs/développeurs allemands avec cette version 12.1, qui est au moment du test tout juste disponible.
L’armée des douze STANs
Ableton Live 12.1 est donc un STAN généraliste, accessible en téléchargement via le site officiel de la marque, disponible actuellement en 4 versions :
- la version Lite assez limitée souvent proposée en bundle avec des achats de hardware ou disponible pour tous les utilisateurs des applications smartphone Koala Sampler ou Ableton Note dont on va reparler très vite,
- la version Intro à un prix de base de 79 euros qui rajoute un nombre de pistes et de scènes supplémentaires,
- la version Standard à 279 euros avec le gros du contenu disponible,
- la version Suite à 599 euros avec en plus l’accès à tout le contenu Max 4 Live, la totalité des synthétiseurs + effets Ableton dont Operator, Wavetable, Meld, Roar, les effets spectraux, des packs de sons supplémentaires, etc.
Ableton propose aussi des tarifs de mises à jour spécifiques pour les détenteurs des versions 11 et moins ou pour passer d’une édition à l’autre, ainsi que des tarifs EDU. Notons d’ailleurs que Drift qui est apparu dans la version 11.3 est inclus dans les petites versions, ou encore que presque tout le logiciel et les documentations sont traduits en français.
L’utilisation du STAN est articulée autour de la vue Session avec les clips, les scènes (pour lancer tous les clips de la même ligne) et les follow actions (pour déclencher des actions à la fin de la lecture d’un clip), les pistes agencées de façon verticale, et de la vue Arrangement avec une ligne horizontale par piste. Chaque piste peut jouer au choix les clips Session ou le contenu visible dans la vue Arrangement au choix en fonction de ce que fait l’utilisateur. Et le reste des fonctionnalités de Live, qui peut être étendu sur plusieurs écrans, peut être accessible via les menus, mais surtout avec les différents onglets que l’on peut faire apparaître et disparaître autour des vues principales d’un clic sur des boutons : navigateur de contenu à gauche, leçons intégrées à droite, contenu des clips ou liste des devices associés à une piste en bas, barre de transport et données de navigation tout en haut et tout en bas, etc.
Sur ce thème spécifique, on remarque d’ailleurs rapidement quelques différences entre Live 11 et la dernière version du séquenceur logiciel : certains boutons qui sont placés à d’autres endroits, la possibilité de faire apparaître les informations de mixage dans la vue Arrangement et non juste simplement Session, de nouveaux thèmes de couleur, une nouvelle entrée de menu, mais surtout des améliorations significatives du navigateur de contenu. Celui-ci dispose par exemple de la nouvelle catégorie des modulateurs, et de fonctionnalités de recherche avancées par tags, type d’effet, constructeur, avec un scan de votre librairie de contenu en tout genre pour assigner des tags à la volée, chercher du contenu similaire à quelque chose que vous avez déjà sélectionné, et même la possibilité de sauvegarder une recherche pour la retrouver plus tard. Il est intéressant de voir comment le design et l’ergonomie ont évolué et en même temps sont restés dans le même esprit que le travail original de Robert Henke et Torsten Slama.
Mais un autre sujet que je trouve important concernant l’expérience utilisateur et cette nouvelle mouture, c’est tout ce qui a trait à ce que l’on appelle l’accessibilité, à savoir l’ensemble des fonctionnalités, aménagements, compatibilités du logiciel qui le rendent utilisable pour les personnes mal ou non voyantes, avec des logiciels de lecture d’écran comme NVDA sur Windows et VoiceOver sur macOS. De ce point de vue là, Live 11 était franchement à la traine à sa sortie par rapport à Logic Pro X par exemple, mais Live 12 a amené un gros travail de prise en charge de fonctionnalités classiques dans ce domaine, que ce soit avec des thèmes de couleur à haut contraste, l’amélioration des workflows de navigation au clavier, la sélection de toutes les commandes qui sont compatibles avec la synthèse vocale, etc. On ne peut que se réjouir que l’inclusivité fasse à présent de plus en partie des considérations des développeurs de logiciels, comme on peut le constater par exemple avec les dernières fonctionnalités rajoutées dans le framework JUCE de développement de plug-ins, ou les conférences sur ce sujet, qui permettent de sensibiliser les entreprises et qui poussent à adopter les technologies associées.
Long Live Rock and Roll
Au passage, depuis le précédent test écrit dans nos lignes et avant la sortie officielle de Live 12, on ne peut pas dire que l’équipe d’Ableton a chômé, puisque les utilisateurs de Live 11 ont eu droit à des améliorations du moteur graphique notamment sur Mac OS, ou au support du format AU v3 et des processeurs Silicon en natif, à un redesign de la réverbération, à Shifter, à de nouveaux packs, aux nouveaux filtres de Cytomic un peu partout, à un device M4L dédié aux microtunings, des mises à jour de Max, et surtout à l’instrument Drift, qui vient rejoindre la liste assez importante des synthétiseurs Ableton Live. Celui-ci est un synthétiseur MPE conçu par Marc Resibois, influencé par le monde de l’analogique, avec le filtre MS-20 de Cytomic, un autre filtre intitulé DFM1 issu de SuperCollider, et un paramètre « Drift » qui donne le nom au synthétiseur agissant de manière aléatoire sur le décalage en phase des 3 oscillateurs. Celui-ci semble assez proche dans l’esprit du Analog de Ableton Live, mais dispose d’options différentes, d’une interface un peu plus simplifiée, et a l’avantage d’être accessible, quelle que soit la version de Live contrairement à Analog qui est exclusif à la version Suite.
Pour être honnête avec vous, je dois avouer que je n’utilise pas tant que ça les instruments inclus dans Live contrairement aux effets, non pas que j’aurais quelque chose à redire spécialement à leur encontre, mais tout simplement parce que j’ai mes petites habitudes avec mes plug-ins tiers. Il faudrait vraiment à l’avenir que je passe un peu plus de temps dessus, d’autant qu’ils sont très agréables à utiliser dans l’environnement du STAN, et fournis en présets utilisant des racks d’effets additionnels de Live. Après je me sers quand même pas mal d’Operator, par exemple sur des sons percussifs et pas uniquement sur des sonorités DX7esques (merci knarf et Airwave). Operator a d’ailleurs eu son lot d’améliorations avec chaque version de Live, telles que la synthèse additive ou les filtres virtual analog, et Robert Henke ainsi que Christian Kleine ont proposé un pack gratuit récemment d’une centaine de présets pour fêter les 20 ans de leur synthétiseur FM, dont le but a toujours été de rendre ce type de synthèse plus accessible depuis la première version « Onyx », et qui malheureusement n’est toujours pas full MPE contrairement aux autres instruments stock. En tout cas y a de quoi faire des drones avec le pack idoine, Drift et tous ces nouveaux présets FM :)
- Drones01:01
- Operatures02:36
En parlant de Drift, il se trouve aussi que Ableton a sorti fin 2022 une application pour iOS qui s’appelle Note. Celle-ci, en plus d’avoir un des noms les plus originaux pour un logiciel smartphone, permet d’avoir à sa disposition jusqu’à 8 pistes de 8 patterns (avec 8 scènes), dans un projet compatible avec Live, contenant chacune une instance au choix de drum pads, de samples mélodiques, de Drift et de l’instrument Ableton Wavetable. Les sons accessibles sont uniquement ceux d’une liste de présets fixe, avec du sound design limité à de l’usage de macros. Toutefois, il reste possible d’enregistrer à la volée un son avec l’entrée audio du smartphone et de l’utiliser dans l’instrument dédié. L’application dispose aussi de deux effets par piste au choix parmi une partie du contenu de Live, de même pour le bus master. Et surtout, en utilisant la technologie Ableton Cloud, il est possible de le sauvegarder dans un espace dédié à chaque compte Ableton utilisateur, pour pouvoir ensuite y accéder dans Live 11/12 sur une machine juste connectée à internet, et pouvoir continuer à travailler dessus, à condition d’avoir la version Suite s’il y a un instrument Wavetable dans le projet. Le séquenceur à pas ou la gestion des pads en tactile étant plutôt de bonne facture, cette application fournit une façon originale de travailler avec Live en faisant de courtes sessions de musique sur iOS loin de son ordinateur, ce qui est plutôt intéressant à tester. Dommage par contre qu’il ne soit pas encore possible d’envoyer un projet Live vers Note ou de créer de nouveaux présets à partir de Live, pour le moment en tout cas.
And you’re gonna hear me Roar
En matière de nouveautés pures et dures de la version 12, en plus de la prolifération du MPE ou des améliorations de l’expérience utilisateur, on parlera également de tous les nouveaux devices, à commencer par l’effet Roar. Celui-ci n’est pas une énième saturation qui fait uniquement des choses déjà entendues 100 fois, mais un outil de sound design dédié à la saturation qui propose un best of des outils et modulations que l’on voit par exemple dans des Fabfilter Saturn-like, avec plusieurs algorithmes de waveshaping et options de filtrage, mais surtout une interface épurée comme on a l’habitude de voir dans Live, la possibilité d’afficher tous les réglages et toutes les animations dans des onglets séparés, des possibilités de modulations assez intensives qui permettent de jouer sur la forme des fonctions de saturation comme sur un Bluecat Destructor (LFO, enveloppes, bruits), plusieurs étages qui peuvent être en série, en parallèle, sur plusieurs bandes de fréquence ou en boucle fermée, avec du feedback additionnel et un compresseur dédié, etc. Il s’avère particulièrement intéressant sur des batteries électroniques d’ailleurs :)
D’ailleurs en matière de saturation, le device Saturator plus classique a eu droit à des améliorations dans Live 12.1, avec l’ajout d’une section de coloration/EQ et de nouveaux types de saturation, de quoi satisfaire les aficionados de la mode du clipping sur les master bus. Dans la série des améliorations, on pourra aussi noter celle du Limiteur stock de Ableton, qui en avait bien besoin à force d’être pointé du doigt dans les comparatifs de limiteur. Celui-ci a été réécrit avec une nouvelle courbe de relâchement pour limiter la distorsion, une interface remaniée, de nouveaux modes de fonctionnement avec du soft clipping, du traitement mid/side, ou de la détection/correction True Peak. On regrettera toutefois que les choses ne soient pas encore allées plus loin en général sur l’aspect mastering, Live ne proposant pas encore d’outils dédiés à l’export pour les plateformes de streaming ou aux normes LUFS…
Ableton Live 12 propose également un nouveau synthétiseur bien sympathique, intitulé Meld, conçu par Christian Kleine et Rob Tubb, autour du concept de bitimbralité et de macrooscillateurs. Deux modules A et B possèdent un oscillateur, un filtre avec plusieurs twists, proposent des enveloppes et des LFOs (que l’on peut assigner à des choses tout comme de la donnée MIDI et MPE via une grosse matrice de modulation) avec un réglage de spread/stéréo global, puis tout ce beau monde se retrouve mixé pour aller dans une distorsion et un limiteur. Ce qui rend l’instrument intéressant, en plus d’une interface épurée une nouvelle fois, c’est que parmi les filtres on peut trouver des trucs amusants (du virtual analog, des résonateurs, des effets de modulation ou de bitcrushing, des filtres en peigne, le tout parfois sensible au réglage de gamme). Mais surtout, les oscillateurs proposent des « moteurs » à la manière d’un Mutable Instruments Plaits au format Eurorack voire d’une Befaco Noise Plethora, avec deux paramètres seulement de contrôle à chaque fois et une certaine variété, de la table d’onde classique faisant du sinus vers du carré à des choses très complexes en interne à base de FM pour générer des accords, des séquences, risers, craquements, et bruits en tout genre (du bruit blanc au générateur de bulles).
L’usabilité de l’instrument est top, les présets montrent à quel point on peut obtenir des résultats variés avec, Meld promet pour ma part des heures d’amusement en perspective pour générer du très classique, de la texture sonore, ou du bruitisme déjanté…
Enfin on pourra parler en quelques mots des autres nouveautés en effets/instruments suivantes, en plus des habituels nouveaux packs de sons parfois fournis avec des sets d’exemples :
- l’apparition du quantifieur de pitch a.k.a Auto Tune de Ableton Live intitulé Auto-Shift, qui propose toutes les fonctionnalités classiques dans ce genre d’outils (entrée MIDI pour spécifier les notes cibles, gammes, réglages de formants) ainsi que des additions sympathiques comme le mode sans latence ou le vibrato
- le Granulator III compatible MPE de Robert Henke, qui permet de lire de jouer avec la synthèse granulaire sur des sons de courte durée, avec de nouvelles possibilités de modulation et de lecture des grains
- le nouveau Drum Sampler dédié notamment à la lecture de sons percussifs, qui permet d’étendre les possibilités de sound design sur les sons de batterie électronique grâce à des FXs exclusifs et livrés avec des présets dédiés, tels que du granulaire, un bitcrusher, une enveloppe de pitch, du ring modulator, de la modulation de fréquence, un générateur de subs…
On notera d’ailleurs que certains devices dans Live possèdent des paramètres cachés accessibles en cliquant du bouton droit sur la barre de titre, notamment un que l’on retrouve dans certains effets qui s’appelle « Haute Qualité » et dont je n’ai appris l’existence que récemment. Ce réglage a un impact dramatique sur les saturateurs, puisqu’il active une fonctionnalité d’oversampling qui n’est pas toujours cochée par défaut. Dans le cas de Roar et de Saturator, le comportement à l’ouverture de l’effet est ainsi très propice à l’apparition d’une quantité non négligeable d’aliasing, ce qui peut poser un certain nombre de problèmes sur un bus master ou autre où l’on recherche un peu de clarté. Je pense que c’est une erreur de ne pas avoir rendu ce paramètre plus visible… De manière générale, je pense d’ailleurs que le paradigme de design des devices stock, qui pousse à la simplicité, mais aussi à ne pas disposer de beaucoup d’espace sur l’écran pour manipuler un outil musical, a de nombreux avantages sur la clarté, mais aussi des inconvénients, comme le manque de feedback visuel qui peut avoir un impact sur la créativité, et ce malgré la possibilité d’utiliser plus d’espace avec les petites flèches à gauche du nom des devices. Et surtout, c’est probablement ce qui fait passer à côté de l’intérêt de certains de ces outils, ou dans le cas des saturateurs de l’oversampling…
En tout cas je trouve que c’est une bonne chose de voir certains devices remis au goût du jour au fur et à mesure des updates, que ce soit avec de l’ajout de nouvelles fonctionnalités plus ou moins discrètes, comme un bouton « Mod » sur le Shaper ou du redesign pur et simple. Je ne dirais pas non par exemple si les développeurs de Ableton Live mettaient à jour dans les prochaines versions le compresseur multibande, celui-là même qui a un préset iconique appelé OTT. En effet, je l’ai toujours trouvé « trop » compliqué pour certaines tâches, par exemple pour faire de la compression sidechain multibande un peu contrôlée, et de plus j’ai découvert récemment également qu’il colore le son pas mal, y compris avec le « Amount » à zéro, ce qui est potentiellement dû à un défaut de conception sur la séparation des bandes. Je n’ai pas trouvé non plus de moyen simple pour faire de la simple séparation de fréquences soi-même. Du coup j’utilise depuis peu un Audio Effect Rack avec deux chaines d’effets en parallèle, une contenant deux filtres passe-haut en série avec Q à 0,71, et l’autre deux filtres passe-bas dans la même configuration, plus une macro pour régler d’un seul potard la fréquence de coupure identique de tous ces filtres, et des compresseurs ou des saturations au choix à la suite des filtres dans chaque bande… Une idée à simplifier sous forme de nouveau device peut-être ? En tout cas on apprécie les sets d’exemples qui vont avec les nouveaux packs !
- Démo Golden Era Drums01:09
- Démo Trap Drums01:02
- Démo Lost and Found01:48
Max For Live
En parlant de Shaper, Ableton Live 12.1 propose son lot de nouveautés concernant les devices au format Max for Live, ainsi que l’application des derniers ajouts dans Max en termes de possibilités de création de ces petits joujoux, que l’on a tendance à regarder de loin alors qu’ils font partie de ce qui rend Ableton Live unique et intéressant. Pour ceux qui sont dans la musique électronique, je vous conseille de vous familiariser autant que possible avec eux, d’autant qu’ils ont une nouvelle catégorie pour eux dans le navigateur de contenu intitulée « Modulateurs » (coucou Bitwig Studio), en plus du « Max for Live » existant, ainsi que d’autres catégories qui intègrent à la fois des devices natifs et M4L. En effet, ceux-ci proposent moyennant un temps de chargement supplémentaire des choses uniques, comme des séquenceurs et générateurs de notes, du mapping de paramètres MIDI et MPE, des interactions avec un setup modulaire via les CV tools pour ceux qui ont une interface audio qui le permet, des modulateurs de paramètres des autres devices via… Le device Shaper d’ailleurs peut remplacer un compresseur sidechain avec un mapping sur le gain d’un « Utility », ce qui nous fait énormément penser à ce que l’on fait avec les multieffets à modulation du moment comme Cableguys Shaperbox, Devious Machines Infiltrator, Arturia EFX Motions, Baby Audio Transit évidemment, etc.
En fouillant dans les packs fournis avec la version Suite de Live nécessaire pour avoir accès à toutes les fonctionnalités dédiées, on trouvera aussi un certain nombre de devices M4L rigolos, comme celui dédié aux microtunings (qui a droit d’ailleurs à son site web depuis peu comme ceux pour découvrir la synthèse sonore, la création et des astuces de composition), les instruments Bass et Poly très Moogesque et Junoesque, les modules à convolution, une cargaison de synthétiseurs de sons de percussions, le fameux pack dédié aux séquenceurs à probabilités, et même des tutoriels pour la fabrication de vos propres plug-ins au format M4L avec des exemples et l’aide intégrée.
Mais un nouveau pack de Live 12 attire notre attention, conçu par Iftah Gabbai et Matthew Jackson (que l’on connait aussi pour Sting en M4L qui est un super séquenceur TB-303 like), qui s’appelle le Performance Pack. Celui-ci fournit des outils dédiés à la préparation et au jeu de sets live, avec Performer qui permet de se créer une surface de contrôle dans une fenêtre externe pour commander tout et n’importe quoi facilement à la souris ou en MIDI, Prearranger qui permet de manipuler des clips MIDI et audio de la vue Arrangements, Variations qui peut créer des snapshots de tout ce qu’il y a dans Live et de les relancer à la volée, et Arrangement Looper qui permet de faire des bouclages en écran arrangements en cliquant sur un bouton comme sur un contrôleur DJ.
Ainsi l’écosystème M4L est plutôt intéressant, assez similaire à celui des instruments Reaktor ou VCV Rack tiers, avec un site web dédié qui a été refait à neuf dernièrement et permet de découvrir quelques pépites gratuites ou payantes pour aller avec la version Suite de Live. On citera par exemple toutes les créations de Fors (dont le fameux Opal par un des designers de la Elektron Digitone, visible ci-dessous), les productions sophistiquées de Max 4 Cats, le séquenceur à pas Snake de Maxime Dangles, le délai créatif 8 taps Petal de Takuma Matsui/Rainbow Circuit ou son Crush gratuit dédié à la percussion FM, le Tape Loop de Inner Ocean qui émule un enregistreur 4 pistes Tascam Portastudio dédié au looping, les émulations de consoles de Monomono (il y a moyen de faire un dossier sur le sujet), etc. Je trouve juste un peu dommage de devoir payer pour la version la plus chère du STAN pour pouvoir en profiter… Par contre, tout ça peut être intégré au fameux Push 3 standalone ce qui est plutôt une excellente chose !
Ne cherchons pas MIDI à la version 14
Pour terminer ce petit tour non exhaustif et déjà assez long du Ableton Live nouveau, parlons enfin de petites fonctionnalités qui ne payent pas de mine, mais qui sont super intéressantes à utiliser, en commençant par la gestion des gammes, avec le petit bouton coloré qui est sur la barre du haut avec le nom d’une gamme et une tonique à spécifier. Quand la fonction est activée, les clips sélectionnés obtiennent le statut « d’associés à la gamme », ce qui a uniquement un intérêt visuel pour afficher des indications en surbrillance, ou rentrer plus facilement de nouvelles notes, mais n’a strictement aucune influence sur la nature des notes ou sons qui seront joués avec les clips existants. Ce qui peut en avoir c’est la présence d’effets MIDI ou d’instruments qui affichent une sensibilité à la gamme, comme Meld, ou tout ce qui est arpégiateur, générateur d’accords, l’effet MIDI Scale évidemment, qui peuvent ainsi voir leur comportement changer à la volée avec la valeur du paramètre. Dans Meld toujours, les résonateurs ont un comportement qui varient avec la gamme sélectionnée, pour faire apparaître des résonances pas trop bruitistes à la demande.
Dans la même série de fonctionnalités, les microtunings se montrent avec l’effet M4L dont nous avons parlé, mais aussi avec la nouvelle catégorie « Accordages » du navigateur de contenu, qui nous livre une liste de gammes et tunings en général, sur lesquels on peut double cliquer pour remplacer le réglage global de gamme par celui du tuning. De nouvelles options apparaissent alors par piste, pour considérer ou non ce réglage, et la grille sur les clips MIDI se met à afficher les différentes notes du microtuning sélectionné. Certains instruments sont compatibles avec ces données (Meld encore par exemple), mais ce n’est pas le cas de tous malheureusement… Tout ça peut sembler un peu confus au premier abord, notamment du côté de tous les instruments non compatibles avec la sensibilité aux gammes et aux micro tunings, ou encore parce qu’on s’attend en jouant avec le nom de la gamme au milieu de l’interface à ce que ça joue tout de suite sur ce qui est joué, mais en lisant le manuel et en faisant des expérimentations, les choses finissent par faire sens, et on fait moins attention à tout ce qui ne marche pas tout de suite. J’imagine pourtant tout cela pouvant devenir plus intuitif dans les prochaines versions de Live, et qu’on puisse par exemple pouvoir changer de réglage en cours de lecture dans la vue Arrangement comme pour le tempo et la signature rythmique…
Parlons à présent de toutes les améliorations sur l’édition et la création d’événements MIDI. La nouvelle catégorie des modulateurs, ainsi que ce qui existait déjà en effets MIDI ou dans les packs M4L, nous donnent aujourd’hui un certain nombre de moyens d’interagir avec l’information transmise aux instruments, que ce soit avec les enveloppes, les effets, les différents moyens de créer de l’aléatoire, la génération d’accords, le contrôle de vélocité, mais aussi avec des séquenceurs, qui sont parfois un peu cachés. Fourni avec Live 12 et ses packs, on trouvera par exemple Melodic Steps, Mono Sequencer, Step Sequencer, Dr Chaos, Rotating Rhythm Generator… Ces outils sont géniaux à manipuler, mais malheureusement assez compliqués à repérer si on ne sait pas où chercher, la faute a un système de tags trop récent (qui fournit pourtant des tags comme Sequencer ou Generative), et au contenu disponible pas encore correctement annoté. On trouvera aussi du contenu tiers assez intéressant là dessus, comme les clones des séquenceurs analogiques du Moog Subharmonicon ou de la Roland TB-303, et le génial Snake qui est disponible dans deux formats, dont le nouveau format exclusif à Live 12 de générateur MIDI !
En effet, la nouvelle version du STAN intègre à présent, en plus du raffinement des fonctionnalités de base d’édition de clips MIDI, deux fonctionnalités intégrées dans l’interface des clips qui permettent d’effectuer des transformations ou de créer du contenu à la volée dans le clip. Il suffit de sélectionner des notes déjà entrées (ou pas), de sélectionner un algorithme parmi le contenu stock ou tiers/personnalisé (la fonctionnalité est compatible avec M4L) dans les onglets Transform et Generate, et votre clip se remplit de nouvelles notes et/ou transforme les notes existantes. Par exemple, il est possible de créer des arpèges à partir d’un accord plaqué, de rajouter des informations MIDI/MPE, de rejouer l’accord avec un rythme différent, de créer une nouvelle progression d’accords, de rajouter des notes aléatoires dans un cadre donné, etc.
Ableton Love ?
En tout cas, Ableton Live 12 reste Ableton Live, avec son ergonomie particulière qu’on apprécie ou pas, mais quand même une certaine progression au fil des années sur le confort d’utilisation et sur la stabilité. On sait aujourd’hui qu’il n’existe pas de soucis ou de son « moteur audio de Ableton Live » contrairement à ce qu’on a pu entendre régulièrement (c’était la règle de panning le coupable), même si de fait on ira forcément vers un certain type de rendu en faisant un usage intensif des effets audio du STAN.
Deux problèmes récurrents subsistent toutefois dans certaines situations. Personnellement, n’ayant pas une machine de studio qui soit une foudre de guerre (sur Windows 10), je trouve que j’arrive assez vite en nombre de pistes et de plug-ins à atteindre les limites à ne pas dépasser niveau charge CPU, alors qu’avec d’autres STANs que j’utilise beaucoup comme Cockos Reaper, j’arrive plus facilement à travailler sur des projets chargés. Évidemment on ne dira jamais assez que tous ces logiciels sont exigeants et qu’il ne faut pas hésiter à mettre à jour sa configuration pour être confortable en puissance disponible. Il y a aussi pas mal d’astuces à connaître pour faire au mieux avec Live, en plus d’augmenter la latence de la carte son, avoir son portable en mode haute performances, etc., Live n’étant pas vraiment comparable à certains autres STANs à cause de tout ce qui se passe à l’écran — d’autant plus pour ceux qui ont des cartes graphiques intégrées au processeur — et aussi de tous les traitements qui sont appliqués par défaut sur la matière sonore comme le Warp.
L’autre problème, c’est celui de la synchronisation avec le monde extérieur. J’ai remarqué que Live avait depuis longtemps des difficultés à accrocher à l’information du tempo quand la synchronisation extérieure est affichée, ce qui m’avait frappé pendant mon précédent test du Squarp Instruments Hapax. On se devra donc de vous conseiller de continuer à l’utiliser en master clock plutôt qu’en synchronisé dans des setups hybride « câblés » classiques pour éviter les problèmes, en attendant que Ableton se penche sur cette problématique. Toutefois, grâce à la technologie Ableton Link qui est présente depuis 2016, il reste possible de synchroniser ses machines en WiFi quand cela est possible, ce qui transmet de manière transparente les informations de tempo et de position dans la mesure à toutes les machines connectées sur votre réseau. Cela demande parfois d’indiquer manuellement des valeurs de latence négative pour synchroniser correctement toutes les sources audio. Ableton Live 12 propose d’ailleurs un nouveau réglage « Keep Latency » dans l’onglet idoine qui peut être désactivé pour régler correctement le niveau de latence quel que soit le statut de la piste audio en entrée au niveau monitoring.
En tout cas Koala Sampler fonctionne très bien par exemple en synchro avec Live (pour enregistrer le chat du voisin), mais je ne sais pas si c’est une bonne idée de me laisser jouer avec, ainsi que Drift/Opal/les générateurs de rythme aléatoire/le séquenceur de Iftah spécial aciiiide. Je découvre au passage que je m’amuse pas mal avec le Shaper+Utility pour faire du sidechain compression like, ou le LFO en mode S&H pour moduler des paramètres divers et variés.