Ça y est, il est là ! Si on peut dire qu’un séquenceur était attendu, c’est bien Bitwig Studio, que nous propose aujourd’hui pour moins de 300 € l’équipe de... Bitwig, petite structure de développement située à Berlin.
Composée pour partie d’anciens de chez Ableton, elle s’est fait remarquer début 2012 en annonçant un logiciel dont les caractéristiques comblaient tout ce que les utilisateurs (principalement) de Live attendaient depuis longtemps, notamment la gestion simultanée de plusieurs projets, la possibilité d’utiliser plusieurs moniteurs, d’afficher simultanément la vue « session » (matrice de clips) et la fenêtre d’arrangement, la possibilité d’enregistrer des automations par clip et non plus seulement par piste, voire carrément d’affecter des automations à des événements MIDI individuels… sans compter la compatibilité avec Linux !
Bref, des caractéristiques autorisant les fantasmes les plus fous et faisant couler beaucoup d’encre virtuelle dans les forums. Il aura fallu attendre encore deux ans, le 26 mars de cette année plus exactement, pour que la première version commerciale du logiciel voie enfin le jour. Deux ans d’ailleurs que la concurrence, aiguillonnée par les annonces de la nouvelle petite équipe berlinoise, aura mis à profit pour rattraper au moins une partie de son retard.
Alors, qu’en est-il exactement aujourd’hui ? Bitwig Studio est-il toujours aussi révolutionnaire ? Est-il à la hauteur de l’attente qu’il a générée ? Qu’est-ce qui le différencie d’Ableton Live, dont il vise sensiblement le même public ?
C’est ce que nous allons voir immédiatement dans ce test.
Tour d’horizon
Pour commencer, nous avons, en haut de l’écran, la barre d’outils principale qui comporte, outre les traditionnelles fonctions de transport, le bouton d’activation du moteur audio portant le logo de Bitwig, les options d’enregistrement d’automation, les activations de punch-in et de punch-out, de bouclage d’arrangement, de sur-enregistrement, les options de métronome et de réglage de groove. On y trouve également les outils d’édition et de sélection, ainsi que la fonction de suivi de lecture qui peut être configurée en suivi continu ou écran par écran.
Cette barre d’outils dispose également d’un large affichage reprenant la position du curseur de lecture exprimée aussi bien en mesures/temps/etc. qu’en temps horaire – une autre option demandée depuis belle lurette par les utilisateurs de Live — le tempo et la signature temporelle du morceau, les options d’automation en mode arrangement, et enfin les témoins d’activité du disque dur et de charge du processeur, que j’aurais personnellement souhaité un peu plus grands et affichant les données en pourcentage.
Mais c’est au-dessus de cette barre que nous découvrons les onglets, l’expression de la première vraie grande nouveauté de Bitwig Studio, la gestion multiprojets du logiciel. Cette dernière permet notamment l’échange facile de clips, pistes, chaînes d’instruments et d’effets entre projets. Mais le moteur audio du soft ne pourra être activé que pour un seul projet à la fois. En effet, l’activation dudit moteur entraîne non seulement l’éventuelle mobilisation exclusive du pilote audio (dans le cas de pilotes non partageables de type ASIO), mais également le chargement en mémoire de tous les éléments (plugs, samples, etc.) du projet concerné. Afin que chaque projet puisse bénéficier individuellement de la plus grande quantité de ressources système, les autres sont donc désactivés, et leurs éléments uniquement indexés, mais pas réellement chargés en mémoire. C’est très bien vu, mais cela entraîne un petit temps de rechargement lorsqu’on réactive le moteur audio. Du coup, quand on lance une lecture juste à ce moment-là, le signal de certaines pistes met un peu de temps à se faire entendre.
Et pour finir cette petite digression sur les projets, précisons deux choses. Leur ouverture ainsi que le chargement des plug-ins se fait – à contenu équivalent — de manière légèrement plus rapide que chez le principal concurrent, Ableton Live. Et en cas de crash, l’intégralité des projets peut être récupérée lors du prochain lancement du soft. Mais poursuivons l’exploration de l’espace de travail, en dessous de la barre d’outils.
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L’une des principales caractéristiques ergonomiques du logiciel a été de diviser l’espace de travail en plusieurs zones : une centrale, affichée en permanence, et trois autres, redimensionnables, voire totalement escamotables, qui pourront chacune afficher grâce à des petits boutons attitrés des fonctions et des informations différentes selon les besoins et le contexte.
La volonté des développeurs a été visiblement d’éviter au maximum les fenêtres flottantes qu’on ne sait jamais vraiment où placer pour qu’elles n’empêchent pas l’accès à certaines fonctions, et de s’assurer que, quelle que soit l’étape de travail, l’on ait constamment tout sous les yeux et à portée de souris. Très agréable.
Le browser, situé dans la partie droite de l’écran, permet de naviguer dans les fichiers, qu’il s’agisse de plug-ins internes ou non, de banques de sons (personnelles ou commerciales, subdivisées en samples et multi-samples), de musiques (intégrant également les bibliothèques iTunes), de clips ou d’autres types de fichiers. Une fois la catégorie choisie, une première fenêtre liste, selon le cas, les plugs, packages de samples ou dossiers, et la seconde détaille les presets, les fichiers sonores, les clips etc. À noter que les presets de tous les plugs – aussi bien internes de Bitwig Studio qu’externes — peuvent être tagués afin d’être archivés et rappelés plus facilement au sein du browser. Excellente chose. Toutefois, on ne pourra pas créer ses propres tags. Mais les 24 proposés par le logiciel devraient couvrir tous les besoins.
Les samples peuvent bénéficier d’une pré-écoute, mais pas les presets. Le browser permet également de définir et modifier les chemins d’accès aux différents types de fichiers. Attention toutefois : si plusieurs dossiers pourront être définis pour un même type de fichiers, les dossiers en question ne pourront être affectés dans le browser qu’à ce type de fichier précis, et pas un autre. Exemple : si l’un de vos dossiers contenait à la fois des clips et des fichiers audio, il vous faudrait choisir entre les deux catégories. Enfin, le browser permet également l’installation et la désinstallation des différents packages (presets, samples, etc.) téléchargeables sur le site de Bitwig Studio.
La fenêtre qui contient le browser peut également contenir deux autres éléments. Il y a d’abord le panneau d’informations du projet, qui répertorie les fichiers audio et les plug-ins utilisés, ainsi que des commentaires sur le morceau et des données diverses telles que le nom du compositeur ou le style de musique. Et nous avons également le panneau « Studio I/O » qui répertorie les différentes entrées/sorties MIDI et audio utilisées par le logiciel.
La fenêtre au bas de l’écran accueille, quant à elle, soit les chaînes d’instruments et d’effets, soit les fenêtres d’édition de clips audio ou MIDI quand la fenêtre principale est occupée par une autre fonction. La fenêtre située à gauche de l’écran est occupée par l’inspecteur de piste, qui permet d’afficher l’ensemble des détails concernant chaque piste, clip, événement MIDI ou audio. Enfin, la partie centrale de l’interface graphique de Bitwig Studio affiche, selon le cas, la fenêtre d’arrangement, celle de lancement de clips, les deux à la fois — une autre caractéristique particulièrement attendue de Bitwig Studio — la fenêtre d’édition de clips ou d’événements audio, ou encore la table de mixage complète.
Dans la fenêtre d’arrangement, les pistes sont affichées horizontalement les unes au-dessus des autres, et identifiées chacune via un petit logo selon leur type : Instrument, Audio, Hybride (voir paragraphe « Hybrides et automates »), Return et Master.
Chaque piste bénéficie d’une couleur attitrée. Par défaut, les clips présents sur une piste sont de la même couleur que celle-ci. On peut regretter que lorsqu’un de ces clips est en mode de sur-enregistrement, aucun repère visuel ne vient nous le rappeler sur le clip en lui-même, ce qui peut engendrer une certaine confusion, notamment en live.
Le mode arrangement nous permet également d’accéder à toutes les options de contrôle des pistes, ainsi qu’à l’affichage des lignes d’automation. On peut également choisir d’afficher ou non les entrées/sorties audio de chaque piste. On regrettera toutefois l’absence de VUmètre intégré à ce niveau-là afin de repérer d’un seul coup d’œil les entrées qui reçoivent du signal. Naturellement, nous trouvons pour chaque piste les traditionnels boutons d’armement, de mute et de solo, ainsi qu’un fader et un petit VUmètre dépourvus chacun d’une quelconque graduation.
Mais il faudra aller dans la fenêtre « inspecteur » pour bénéficier d’un bouton de panoramique, en plus de la reproduction des commandes précitées et d’autres détails et fonctions de pistes, tels que les commandes d’envoi (send) vers les pistes d’effet. Les sends de chaque piste peuvent se régler en pré, ou post-fader, ou l’on peut laisser Bitwig Studio choisir à notre place. Dans cette dernière option, le mode choisi principalement est post-fader. Le traitement du signal de toutes les pistes réglées sur « automatique » peut être basculé instantanément entre post et pré-fader via un simple bouton présent dans les paramètres de la piste d’effet visée.
Pour bénéficier en une seule fenêtre de toutes les possibilités de traitement et de routages d’une table de mixage, ainsi que de grands VUmètres gradués, l’on peut choisir l’affichage « Mix ». Mais même dans ce mode-là, on n’a pas de graduation détaillée des faders eux-mêmes. Il faut modifier la hauteur de ceux-ci pour obtenir une information en décibels de leur position : pas pratique du tout.
En mode « Mix » toujours, on peut si l’on souhaite bénéficier également du lanceur de clip. On obtient alors un écran très proche de la vue « session » de Live, avec la matrice de clips organisée verticalement surplombant les tranches de la console de mixage.
On peut également obtenir une vue horizontale du lanceur de clips en l’affichant conjointement à la vue « arrangement ». Ce double affichage permet surtout de faciliter les échanges de clips entre les deux modes. Une autre grande nouveauté de Bitwig Studio consiste dans le fait que lors de la lecture d’un projet, on peut choisir individuellement pour chaque piste (et non plus uniquement globalement) si l’on souhaite repasser de la lecture d’un clip à celle de l’arrangement. À noter enfin que si la fenêtre d’arrangement permet de placer des repères sur sa timeline, ceci se fait au prix d’une manipulation un peu alambiquée. On aurait aimé pouvoir le faire d’un simple choix dans un menu contextuel, ce qui n’est pas le cas.
Je n’ai parlé là que du mode de travail supposant un écran unique, mais toute l’ergonomie de Bitwig Studio prend naturellement une autre dimension en mode multi-écran. Si le séquenceur ne permet pas une liberté totale dans la répartition de ses fenêtres de travail entre différents écrans, il offre toutefois des profils pré-configurés – cinq au total — suffisamment bien pensés pour couvrir tous les besoins.
Pour résumer ce premier – et long, bravo aux courageux qui auront tout lu – paragraphe, on peut dire que l’ergonomie de Bitwig Studio a été pensée pour qu’il existe de multiples manières d’atteindre et de modifier des paramètres. L’idée est que chaque élément ne soit pas rattaché à un seul mode, écran ou menu. En fait, on peut considérer que chaque paramètre peut à la fois « tenir la vedette » dans un mode dédié (exemple : les réglages de gain en mode « mix »), mais aussi avoir un petit rôle dans un autre mode (le réglage de gain dans la vue « inspecteur »), de telle manière que chaque élément reste accessible, de manière détournée, quelle que soit la tâche principale que l’on soit en train d’accomplir. À ce niveau-là, c’est une réussite. Par contre, quand on est un habitué d’Ableton Live, on aura tout de même un petit regret : il manque vraiment une petite fenêtre d’information, même si cette absence est partiellement compensée par la ligne d’information qui s’affiche de temps à autre en pied de page.
On regrette également l’impossibilité d’affecter soi-même à chaque élément du soft un raccourci clavier de son choix comme avec le logiciel d’Ableton. Toutefois, les habitués de Live retrouveront un certain nombre des raccourcis emblématiques de leur logiciel fétiche dans Bitwig Studio, tels que la touche « tab » pour alterner entre la vue « lancement de clips » et la vue « arrangement », ou les touches « w » et « x » pour modifier la tessiture du clavier d’ordinateur quand celui-ci émule un clavier MIDI.
Enfin, signalons deux choses d’importance pour finir cette présentation générale du logiciel et de ses principales fonctions. Tout d’abord, Bitwig Studio n’est pas compatible avec ReWire, ce qui pourra en rebuter certains, mais s’avère parfaitement fonctionnel avec JACK, le système de connexion audio virtuelle héritée de l’univers Linux. Mais surtout, une nouvelle fonctionnalité importante devrait être intégrée au soft dans la version 2.0 : le travail collaboratif via internet, dans l’esprit du Ohm Studio d’Ohm Force.
Maintenant que nous avons fait un premier tour d’ensemble, approfondissons certains aspects…
Hybrides et automates…
Comme nous l’avons vu plus haut, si Bitwig Studio rejoint le grand ancien Ableton Live dans sa double identité de séquenceur à boucles et de séquenceur traditionnel bâti autour d’une timeline définie, il se différencie de son aîné sur un certain nombre de points.
Outre les éléments déjà cités, l’une des principales évolutions concerne l’apparition de pistes dites « hybrides ». Ces pistes peuvent accueillir à la fois des éléments MIDI et des éléments audio. L’avantage est qu’il est désormais possible de transformer uniquement certains passages d’une piste MIDI en événements audio grâce à la fonction « bounce in place », sans avoir ni à « geler » ladite piste en intégralité, ni à créer une piste audio supplémentaire. À l’inverse, une piste initialement uniquement audio peut elle aussi être « hybridifiée » en accueillant un instrument VST par exemple. À noter toutefois que les événements MIDI et audio d’une piste hybride ne peuvent être que consécutifs et non simultanés. Pour cela, la meilleure solution alternative consisterait à grouper une piste audio et une piste MIDI ensemble, mais… ce n’est pas encore possible au sein de Bitwig Studio dans son état actuel. Eh oui, officiellement, le soft ne sait pas encore grouper des pistes entre elles ! Tout comme il est pour l’instant impossible de router le flux MIDI d’une piste vers une autre, afin d’envoyer par exemple les données de plusieurs pistes MIDI vers un seul instrument. Mais on m’a confirmé que tout ceci ferait prochainement l’objet d’une mise à jour. Bref, après cette petite digression sur des défauts qui devraient être bientôt corrigés, intéressons-nous à une autre caractéristique centrale de ce soft : sa gestion des automations.
En effet, si depuis sa version 9, Ableton Live propose de pouvoir lier une automation à un clip, et non plus uniquement à une piste, Bitwig Studio va encore plus loin. Sans aborder encore l’automation par note, que nous verrons dans le paragraphe « MIDI à sa porte », voyons déjà comment Bitwig gère l’enregistrement d’automation.
Le séquenceur propose à cette fin 3 modes distincts : « latch mode » qui lance l’enregistrement dès que l’on commence à manipuler un paramètre pour ne l’arrêter que lorsque la commande « stop » est activée, « touch mode » qui est comparable au précédent, mais qui interrompt l’enregistrement dès qu’on n’interagit plus avec un paramètre, préservant ainsi toute info MIDI préalablement enregistrée, et enfin « write mode » qui recouvre systématiquement tout enregistrement antérieur, que l’on ait ou non manipulé un paramètre. Lesdites automations, qui comme nous l’avons vu peuvent être ou non liées aux clips, peuvent également avoir une durée de bouclage inférieure ou supérieure à celle des notes du clip. Exemple : une automation liée à un clip de 4 temps peut être bouclée sur 5 temps, de sorte qu’à chaque nouvelle répétition du clip, la lecture de l’automation sera décalée d’un temps supplémentaire par rapport aux notes MIDI, autorisant des effets particulièrement intéressants.
De plus, les automations elles-mêmes peuvent être de trois types différents : un mode « absolute », qui affecte des valeurs absolues au paramètre, et deux modes relatifs, « additive » qui ajoute un certain pourcentage et « multiplicative » qui multiplie par un certain pourcentage la valeur de base d’un paramètre. On peut ainsi modifier celle-ci via un contrôleur MIDI, tout en maintenant une automation relative supplémentaire. Je vous laisse imaginer les perspectives !
Enfin, soulignons un petit détail ergonomique : si l’on peut ajouter, supprimer, afficher ou masquer autant de lignes d’automation que l’on souhaite, on peut en désigner certaines comme « favorites » pour les avoir constamment sous les yeux. C’est tout bête et fort pratique !
Et puisque nous parlons des automations, il convient d’étudier maintenant plus en détail leurs objets d’application, à savoir les événements audio et MIDI et la manière dont ceux-ci peuvent être édités et manipulés dans Bitwig Studio.
Des ondes en forme…
La fenêtre principale d’édition dont nous avons parlé dans le premier paragraphe de ce test varie bien évidemment en fonction que l’on édite des événements audio ou MIDI. En ce qui concerne l’audio, l’une des fonctionnalités les plus intéressantes de Bitwig Studio est sa capacité à faire tenir plusieurs événements audio au sein d’un seul et même clip. On peut ainsi fractionner un événement existant en plusieurs éléments séparés et leur appliquer différents traitements.
Dans la fenêtre principale d’édition, les événements audio peuvent notamment être manipulés entre autres au niveau du gain, de la hauteur, du panoramique et du stretch, avec le choix de conserver ou non les transitoires. À part le stretch, chacun de ces paramètres peut être manipulé via des lignes d’automation, composées de points que l’on peut librement créer et manipuler, et qui peuvent être reliés entre eux par des droites ou des courbes.
La fenêtre d’inspection à gauche de l’écran propose également d’autres fonctions de manipulation sonore. Nous pouvons ainsi définir le point de départ et de fin de chaque élément audio du clip, choisir de le muter ou non, insérer des « fade in » et « fade out » afin de supprimer les artefacts de bouclage, choisir le mode de time-stretch le mieux adapté, préserver ou non les transitoires, modifier localement le tempo d’un événement audio sans altérer le tempo général du morceau, dupliquer, inverser, quantiser, appliquer un effet de legato entre deux événements séparés, fractionner l’élément au niveau des transitoires, ou encore le faire durer 2 fois plus ou 2 fois moins longtemps.
Mais ce n’est pas tout ! Les événements audio peuvent également être traités de manière conjointe, grâce aux layers, qui pourraient d’une certaine manière s’apparenter aux « masques » de Photoshop. Dans ce mode d’édition, les différentes pistes peuvent s’empiler afin de pouvoir par exemple aisément les caler entre elles, ou encore effectuer des opérations d’édition telles que des copier/coller d’une piste à l’autre.
MIDI à sa porte
En ce qui concerne les événements MIDI, les concepts d’édition, s’ils sont assez proches de ceux des événements audio, offrent tout de même certaines différences. Dans la fenêtre principale d’édition, on trouve, outre le traditionnel réglage de vélocité et la possibilité d’appliquer des courbes d’automation traditionnelles sur tous les paramètres et CC MIDI habituels, trois éléments sur lesquels on peut appliquer l’une des autres grandes trouvailles de Bitwig Studio, à savoir l’automation par note. Ces éléments sont le gain, le panoramique et le « timbre ».
Ce dernier désigne en fait une source de modulation « générique » qui peut être affectée, comme nous le verrons dans le paragraphe « Plugs et conséquences », à n’importe quel paramètre d’un plug-in de Bitwig Studio. Toutefois, un seul paramètre de plug-in pourra être automatisé « par note » via le réglage de « timbre ». On ne peut donc pas agir directement et individuellement sur l’ensemble des paramètres d’un plug via ce type d’automation. Dommage.
Mais puisque nous en parlons, voyons un peu en quoi consiste cette fameuse automation « par note ». En fait il s’agit de créer une automation indépendante pour chaque événement MIDI.
Dans la fenêtre principale d’édition, en dessous de chaque événement, nous avons ce que l’équipe de Bitwig appelle des « expressions », un peu comme les représentations classiques de niveaux de vélocités sous les notes des piano-rolls des séquenceurs concurrents.
Un clic sur une « expression » permet de créer un point initial, à partir duquel on peut en créer d’autres entre lesquels on peut ensuite tracer des droites que l’on peut aisément transformer en courbes (comme pour toute autre automation dans Bitwig Studio) en maintenant la touche ALT enfoncée. Chaque événement MIDI peut être copié/collé avec les automations qui lui sont liées.
Les points d’expression des automations « par note » peuvent également être manipulés via un histogramme accessible dans la fenêtre de l’inspecteur de pistes et proposant trois paramètres : « mean » pour régler la valeur moyenne des points affichés, « spread » pour leur amplitude par rapport à la valeur moyenne et « chaos » pour leur affecter des valeurs aléatoires. À noter que cet histogramme est disponible dans Bitwig Studio à chaque fois qu’il s’agit de régler des groupes de valeurs numériques.
À part ça, la fenêtre d’inspection de piste des événements MIDI propose à peu de choses près les mêmes réglages que pour les événements audio. On regrettera toutefois deux choses. Premièrement, l’obligation de s’en tenir aux réglages fixes des modes de lecture « x2 » et « /2 », quand d’autres séquenceurs proposent le libre étirage ou compression d’une zone temporelle donnée.
Deuxièmement, le fait que, même si l’on peut muter individuellement chaque événement MIDI, ceci ne soit pas traduit visuellement dans le piano-roll : les notes mutées conservent le même aspect que celles qui ne le sont pas.
Tout comme pour leurs collègues « audio », et avec les mêmes avantages, les événements MIDI peuvent bénéficier d’une édition conjointe, en « layers », des clips de plusieurs pistes à la fois. À noter que dans le cas du MIDI, et contrairement à l’audio, l’édition conjointe des pistes peut en plus bénéficier de l’affichage en background d’une piste audio au choix de l’utilisateur. Cette dernière ne sera pas modifiable à ce stade, mais pourra servir de point de repère supplémentaire lors de l’édition des événements MIDI. C’est très bien vu.
Enfin, notons que la fenêtre d’édition MIDI nous offre la possibilité, toujours en ce qui concerne les plugs internes de Bitwig Studio, d’accéder à l’édition microtonale des événements MIDI.
Plugs et conséquences…
Comme tout séquenceur qui se respecte, Bitwig Studio apporte son lot de plug-ins maison, comportant aussi bien des instruments que des effets MIDI ou audio – je ne mentionne pas ici les « containers », dont nous parlerons un peu plus bas — et de banques de sons dont certaines ont été développées par des partenaires de la marque.
Détaillons tout d’abord un peu les instruments. Nous avons en premier lieu quatre instruments de percussions électroniques à base de synthèse, « E-Clap », « E-Hat », « E-Kick » et « E-Snare ». Ensuite nous avons « FM 4 », qui comme son nom l’indique, est un instrument virtuel simulant une synthèse FM à 4 oscillateurs agrémentée d’un générateur de bruit et d’un filtre résonant. « Organ » quant à lui est un orgue à tirettes, au nombre de 9. « Polysynth », à base de synthèse soustractive, est particulièrement bien nommé, car en plus d’être polyphonique, il est polyvalent et bénéficie de nombreuses sources possibles de modulation. Et enfin nous avons « Sampler », le sampler maison, qui, s’il est parfaitement fonctionnel, s’avère un peu moins complet que celui de Live.
Tous ces instruments sonnent bien, avec une mention spéciale pour FM 4 et Polysynth, et nous avons là une base plus qu’intéressante pour la composition. Pour rappel, Ableton Live n’offre aucun synthé dans sa version standard, équivalente pourtant en termes de prix.
Les principaux effets audio que l’on attend dans un séquenceur sont là eux aussi, que ce soient les EQ à 2 ou 5 bandes (un peu chiche…), filtres, reverb, delay, compresseur, limiteur, ou encore un gate ou un flanger, et j’en oublie. On dispose même d’un « Transient control » qui permet de sculpter votre son en agissant sur les transitoires. Rien de particulier à dire sur ces effets qui font le job, comme on dit.
Certains pourraient regretter l’absence d’outils de transposition audio-vers-MIDI comme on en trouve dans Live 9, mais l’équipe de Bitwig m’a confirmé qu’ils travaillaient à intégrer prochainement Melodyne ARA à leur séquenceur.
L’on dispose également d’effets MIDI, dont un arpégiateur, divers transposeurs dont l’un capable de remplacer par exemple les notes d’une certaine hauteur par celles d’une autre hauteur, et l’autre capable de retirer toutes les notes qui ne correspondent pas à une tonalité donnée, et enfin un filtre de notes.
Pour finir le tour des outils sonores livrés avec Bitwig Studio, parlons rapidement des banques sonores. Je dois dire que là, par contre, je suis plus que réservé. Je vais être un peu méchant et polémique sans doute, mais seuls sortent du lot les samples de synthés et une banque de contrebasse réalisée avec soin. Le reste est globalement à peine digne d’une banque General Midi des années 90 en termes de richesse sonore. Et si l’on peut argumenter que la plupart des banques proposées sont légères, on se demande bien à quoi l’on doit les 450 Mo de la banque de vibraphone… Inutile de s’appesantir, et revenons plutôt aux plug-ins d’instruments et d’effets qui, au-delà de leurs qualités sonores tout à fait correctes, sont surtout intéressants par leur mode de fonctionnement.
Celui-ci est basé sur un système maison, le Unified Modulation System, qui sous-tend toute la programmation de Bitwig Studio. Les plug-ins sont traités comme les éléments d’un grand système modulaire, capables d’interagir entre eux et, dans certains cas, de servir mutuellement de sources de modulation. Celles-ci peuvent être de différentes natures. Tout d’abord, chaque plug, instrument, effet, interne ou externe à Bitwig Studio bénéficie d’un groupe de huit boutons rotatifs, appelés « macro », librement assignables à tout paramètre de tout plug présent sur une piste donnée. On peut affecter plusieurs paramètres à un seul bouton de macro, et également définir les valeurs minimale et maximale de modulation pour chaque paramètre. Le comportement du potard modulateur peut être ajusté pour envoyer des valeurs relatives de 0 à 100 % ou bien de –100 à + 100 %, autorisant ainsi la définition d’un point central autour duquel s’effectuera la modulation (comme dans le cas du réglage d’un panoramique, par exemple).
Les plugs de Bitwig Studio disposent, en plus de ces « macros », d’un certain nombre de sources de modulations attitrées, telles que la vélocité, le pitch, le « timbre » (dont nous avons parlé plus haut), la molette de modulation, l’aftertouch, éventuellement des LFOs, des enveloppes de filtres, etc. Ces sources « attitrées » peuvent être affectées aux propres paramètres des plugs. Mais, certains de ces plugs bénéficient, en plus, de slots dans lesquels on peut insérer d’autres plugs, des effets par exemple. Ces derniers peuvent alors être pilotés par les sources de modulation « attitrées » du plug hôte.
C’est suivant ce principe que l’équipe de Bitwig a décidé d’intégrer une catégorie tout à fait particulière d’effets, les « containers » évoqués plus haut. S’ils rappellent fortement les racks d’Ableton Live (drum rack, instrument rack et effect rack) dans la mesure où ils permettent de créer et de gérer différents types de chaînes audio, ils ne bénéficient pas encore de la richesse de paramétrage de leur aîné. Mais certains s’avèrent particulièrement astucieux, tels que les « XY Effect » et « XY Instruments », qui permettent de charger respectivement 4 effets ou 4 instruments et de « crossfader » entre eux, ou bien le « LFO Modulator » qui permet d’ajouter 2 LFOs à tout type de plug-in d’effets.
Et ce n’est pas tout… L’équipe de Bitwig prévoit de permettre aux utilisateurs, lors d’une prochaine version de leur logiciel, d’accéder directement au Unified Modulation System, et de pouvoir non seulement créer leurs propres plugs, mais également de modifier ceux existants. C’est pas beau ça ?
Enfin, pour terminer avec la gestion des plugs par Bitwig Studio, signalons que chaque VST (sous-entendu : plug-in d’éditeur tiers) est en quelque sorte inclus dans son propre module avec son propre moteur audio, ce qui fait que le crash d’un VST n’entraîne pas celui de l’ensemble du logiciel. La lecture audio elle-même ne devrait pas en être affectée – tout du moins pour les pistes non concernées par le plug défectueux.. C’est en tous cas ce qu’affirment les développeurs, personnellement je n’ai pas pu le vérifier, car le cas de figure ne s’est pas présenté à moi.
Voilà, nous avons quasiment fait le tour des principales caractéristiques de Bitwig Studio. Toutefois je ne vais pas encore vous lâcher tout de suite…
On garde le contrôle
…car que serait un séquenceur aujourd’hui sans une gestion efficace des surfaces de contrôle et autres claviers maîtres ?
Pour l’instant, Bitwig Studio est livré d’office par défaut avec les templates pour une vingtaine d’appareils… ce qui n’est pas énorme. D’autant que deux modèles frappent par leur absence : les Akai APC 20 et 40, les reines du lancement de clip ! Heureusement que le Launchpad de Novation est représenté. Toutefois, l’équipe de Bitwig se rattrape de deux manières. Tout d’abord en proposant pour chaque appareil de sa liste une fiche détaillée du template associé, comportant toutes les affectations de contrôleurs. Et surtout, en proposant aux plus geeks de ses utilisateurs une API dédiée à la création de scripts pour leur appareil favori. Certains circulent d’ailleurs déjà sur le net.
Pour information, j’ai utilisé pour ce test mon APC 40 grâce à ce script. Il fonctionne plutôt bien, permet de lancer des clips, activer, muter les pistes ou les mettre en solo, activer les commandes de transport. Par contre, les assignations de potards ne sont pas (encore) dynamiques, c’est-à-dire qu’ils ne se réaffectent pas automatiquement aux paramètres du plug que vous êtes en train d’utiliser.
Conclusion
Bitwig Studio aura su se faire attendre… mais Dieu que ça en valait la peine ! Entre la gestion du multi-écran, l’affichage simultané de la matrice de clips et de la vue d’arrangement, globalement l’excellente ergonomie de l’interface qui permet d’avoir constamment tout à portée d’œil et de souris, les nombreuses possibilités d’édition audio et MIDI (notamment l’édition conjointe, un vrai bonheur), les clips audio pouvant contenir plusieurs éléments, les événements MIDI des plugs internes qui peuvent bénéficier d’une automation chacun, la gestion générale de ces dernières, les pistes hybrides qui permettent de gérer à la fois des données MIDI et audio, l’Unified Modular System (UMS) et les interactions qu’il rend possibles entre les plugs, la gestion de projets multiples, la compatibilité Linux en plus de Mac OS et Windows… L’équipe de Bitwig a vraiment frappé fort !
Alors effectivement, leur logiciel n’est pas compatible ReWire, mais il peut se connecter à d’autres softs audio via JACK. Et non, la création de groupes de pistes n’est pas encore possible, tout comme le routage de plusieurs pistes MIDI vers un seul instrument. Mais ceci devrait être réglé sous peu au dire de l’équipe. Acceptons-en l’augure ! Et puis, en ce qui concerne les versions futures, les nouveaux développeurs berlinois nous préparent au moins trois choses : l’intégration de Melodyne ARA, l’ouverture de l’UMS aux utilisateurs, et l’intégration d’un mode collaboratif via internet…