Apple met à jour son séquenceur phare avec nombre de nouveautés qui ne visent pas seulement à améliorer l’existant, mais à emmener Logic dans une toute nouvelle direction.
Peuplé d’une vingtaine de concurrents, le petit marché des STAN n’est pas vraiment le théâtre d’immenses surprises, sachant que depuis des décennies, tous se conforment plus ou moins fonctionnellement et ergonomiquement aux grandes lignes tracées par les pionniers en la matière : Pro Tools, Cakewalk, Cubase et Logic. De fait, si chacun a ses petites particularités et s’efforce à chaque version d’intégrer à sa manière les bonnes idées aperçues chez les autres, force est de constater que les révolutions sont rares et il n’y a réellement qu’Ableton Live dont on peut dire qu’il a, à sa sortie, changé le paradigme de la séquence en la soumettant au temps réel, accouchant d’une sorte de séquenceur/instrument qui sert autant à produire qu’à faire des performance Live, d’où son nom. Cela a évidemment permis à Ableton de convaincre nombre d’utilisateurs, au point de devenir le séquenceur le plus utilisé du marché selon nos sondages, la plupart du temps en tandem avec une STAN plus classique, Live servant à composer et à jouer quand cette dernière sert à mixer et produire.
D’un point de vue concurrentiel, Ableton Live est donc l’homme à abattre pour tous, sachant qu’il n’y a rien d’évident à intégrer sa philosophie au sein d’un logiciel qui n’a pas été pensé pour cela dès le départ. C’est ainsi qu’on a vu se déployer ça et là des instruments virtuels essayant de donner le change chez les dinosaures de la séquence, comme le Loopmash de Steinberg par exemple, histoire d’offrir des outils un peu plus orientés « jeu » que « production », mais rien qui ne puisse jamais reproduire le workflow imaginé par Ableton, avec sa matrice de pads et son système de scènes d’une désarmante simplicité.
Bienvenue à la matrice
Si l’on parle de cela, c’est précisément parce qu’Apple, après s’être creusé les méninges, est enfin parvenu à cela avec cette version 10.5. L’intérêt pour le Live n’est certes pas nouveau chez Logic (On pense à Mainstage notamment, plateforme pensée pour simplifier l’utilisation de logiciels sur scène), ni même le fait d’utiliser des boucles (les Apple Loops) mais ses concepteurs sont enfin parvenu à intégrer une interface qui reprend les principes de base d’Ableton Live.
Un clic sur une icône suffit pour y accéder et glisser des boucles dans des cellules : en abscisse, les différentes scènes, et en ordonnée, les différents instruments, sachant que tout se met au tempo du projet automatiquement et qu’un clic suffit à déclencher ou arrêter la lecture d’une cellule, ou d’une colonne complète : pour jeter rapidement les bases d’une compo, on voit mal comment faire plus simple que cet espèce de lego. Vous pouvez bien évidemment enregistrer du MIDI comme de l’audio dans une nouvelle cellule, ou encore bouncer plusieurs boucles pour en faire une nouvelle, tout cela sans que jamais le musique ne s’arrête, et vous pouvez évidemment enregistrer la performance que vous effectuez en déclenchant les cellules ou colonnes : tout se transforme automatiquement en pistes que vous pourrez retravailler dans l’interface traditionnelle de Logic.
Sur ce terrain, le soft d’Apple a d’ailleurs bien des arguments à faire valoir face à Ableton qui, concédons-le, n’a jamais disposé d’une table très pratique pour le mixage (je ne parle pas là de gérer les simples pan et volume mais bien de disposer d’un espace optimisé pour interagir avec les plug-ins utilisé pour le mix). Bref, cette intégration de la matrice est parfaitement réussie, au point que beaucoup pourraient sans doute se contenter des fonctions de Logic pour ne plus ouvrir Live, dont le principal argument demeure désormais la parfaite symbiose qu’il forme avec ses contrôleurs dédiés, et notamment Push.
Sur ce terrain, Apple ne demeure toutefois pas sans réponse en proposant une évolution de Logic Remote pour iPad et iPhone qui permet de lancer les Live Loops en plus de piloter tout le reste du logiciel, des effets Apple à la table de mixage. Voilà qui est intéressant même si, dans les faits, le tactile n’offre pas tout à fait la même satisfaction qu’un bon vieux contrôleur où l’on peut tourner les potards et bourriner les pads. Disons que c’est une façon comme une autre de pousser la vente des tablettes et des téléphones, tandis que rien ne vous empêche de piloter votre Logic avec un autre contrôleur orienté Pads. Le tactile s’avère toutefois pleinement justifié lorsqu’on en vient au nouveau module RemixFX qui offre une approche temps réel parfaitement dans l’esprit des nouvelles possibilités de Logic : au moyen de pads XY et de rubans, on peut ainsi faire du stuttering (répétition de portions), du tape/stop, du scratch, bitcrusher, filtrer, faire de la lecture inversée : bref, l’arsenal des traditionnels effets de DJing vous attend dans une interface ultra simple pour mettre vos boucles et vos mix sens dessus dessous.
Sur ces seules nouveautés, on pourrait déjà dire que cette version 10.5 remplit son contrat. Elle est loin toutefois de s’en tenir à cela, Apple ayant également eu à coeur de faire évoluer les outils de Logic, à commencer par les échantillonneurs.
Samplicité
C’est la deuxième énorme nouveauté de cette version 10.5 : on a le droit à trois nouveaux samplers pour sonner la relève de l’antédiluvien EXS24 qui date de l’époque reculée où Logic était encore aux mains d’eMagic et qui, il faut bien l’admettre, commençait à accuser son grand âge tant sur le plan fonctionnel qu’ergonomique, coincé qu’il était entre les grosses berthas à script (Kontakt, Falcon, HALion) et les samplers plus léger orientés « Drag & play » où il suffit de glisser un fichier audio pour le transformer de suite en instrument jouable et faire de la musique. C’est clairement à cette dernière catégorie que s’attaque Apple avec Sampler et Quick Sampler qui partagent un air de famille sur le plan du design avec un look vectoriel et épuré faisant la part belle au noir, à l’orange et au bleu. Commençons par Quick Sampler qui vous propose les fonctions de base d’un sampler à l’ancienne mais aussi un mode slicer et la possibilité d’enregistrer depuis le plug-in même. La plupart du temps, on glissera un fichier audio dedans pour le découper un tronçons (mode Slicer) ou le voir transposer sur tout le clavier (mode Classic). L’édition se veut simple mais elle n’en comporte pas moins 3 enveloppes pour le pitch, le filtre multimode embarqué et le volume, en vis-à-vis desquelles vous trouverez deux LFO et une petite matrice de modulation. De quoi faire du Sound Design simple sans passer des heures en mapping et en programmation. C’est clair, intuitif et bien foutu, et si l’on en veux plus, on pourra passer à Sampler tout court, qui n’est ni plus ni moins que le remplaçacant d’EXS24.
Compatible avec les banques de ce dernier, il offre évidemment plus de possibilités à tous les niveaux : jusqu’à 5 enveloppes et 4 LFO utilisables dans une matrice de modulation plus développées, deux filtres multimodes utilisables en série ou parallèle mais surtout l’aptitude à gérer les multisamples pour chaque zone du clavier que vous aurez soin de définir. Bref, si l’on est loin d’un Kontakt ou d’un Falcon dans la mesure où il n’y a pas de possibilité de faire des scripts très évolués pour définir le comportement des samples, on n’en est pas moins face à une relecture intéressante de l’EXS24, dotée d’une interface autrement plus claire et permettant une programmation autrement plus rapide. Cela est d’autant plus vrai qu’on dispose d’une fonction Auto Sampler pour automatiser le sampling d’un instrument, qu’il soit réel ou virtuel, pourvu qu’on puisse le piloter par MIDI. Youpi ? Youpi ! Au point qu’on aurait envie de ponctuer ça d’un roulement de caisse claire et d’un coup de cymbale. Et ça tombe bien, parce que le troisième sampler dont je vous parlais répond au doux nom de Drum Machine Designer…
Du Drum, des pads et des synth, nom de dieu…
Comme vous vous en doutez, il s’agit d’un Drum Sampler qui permet d’associer des sons à des pads d’où qu’ils viennent. Vous pouvez en effet soit glisser un fichier audio quel qu’il soit sur un pad, ou un instrument virtuel dont vous définirez la note à jouer à chaque pression sur le pad. Dans les faits ce Drum Machine Designer est une sorte d’évolution du Quick Sampler et reprend toute l’ergonomie et les fonctionnalités de ce dernier pour ce qui est de l’édition. On a en tout cas vite fait de se bricoler des kits de batterie, sachant qu’Apple en fournit plus de 70 prêts à l’emploi. Le seul regret tient dans le fait qu’un même pad ne peut pas charger plusieurs samples pour gérer la vélocité : Drum Sampler n’est donc pas Battery ou Geist, il vaut mieux le savoir…
Qu’importe : le fun est là et on va d’autant moins se plaindre qu’Apple nous propose, au delà des fonctions d’échantillonage, un tout nouveau module Drum Synth qui va permettre de générer des kick, des snares, des clips, des hats, des cymbales et des percussions en tournant quelques potards. Le son de ce dernier est très convainquant au point qu’il formera un tandem de choc avec le Drum Machine Designer comme avec le nouveau séquenceur à pas qui nous attend dans un onglet jouxtant le piano roll…
Beat it!
Avec ce dernier, Apple ne réinvente pas la roue en termes d’ergonomie : on se retrouve avec une grille dont on peut choisir la résolution (jusqu’à 64 pas) et ou il suffit de cliquer pour ajouter ou supprimer un coup. Là où ça devient intéressant, c’est que toutes les options qu’on peut espérer dans ce genre d’outil répondent ici présentes : on peut bien sûr éditer la vélocité et le gate de chaque note, mais également raccourcir le nombre de pas d’une ligne (polyrythmie bienvenue), décaler son pattern, définir son sens de lecture, la probabilité que chaque coup aura ou non d’être frappé, répéter une note jusqu’à 16 fois sur un même coup (parfait pour le glitch)… Combiné au Drum Machine Designer et au nouveau Drum Synth, c’est une petite tuerie pour tous ceux qui font de la musique électronique car rien n’y manque…
Pour essayer d’être antipathique
Dur de ne pas être enthousiaste sur ce qui nous est proposé en sachant que la mise à jour est gratuite pour tous les possesseurs de Logic, tandis qu’à 229 euros, le soft d’Apple est, en dehors de Reaper qui est vendu sans aucun bundle ou presque, la STAN au meilleur rapport qualité/prix du marché… pour peu que vous ayez un Mac ! C’est en effet le but de Logic depuis bien des années maintenant : faire vendre des ordinateurs dont le tarif est très loin d’être démocratique.
Au-delà de ce point de vue qui pourrait être discuté pendant des lustres (Oui les Macs sont bien finis et bien conçus mais il est difficile de comprendre comment 16 Go de RAM supplémentaires peuvent être vendus 500 euros par exemple), on notera que Logic n’a toujours pas évolué sur nombre de défauts relevés lors de notre précédent test (pas de VST, coloration des tranches insuffisantes, pas de responsive design qui oblige à l’usage de grands écrans, pas d’objet audio, de splits de pistes, etc.) tandis qu’il se dote avec cette 10.5 de nouvelles capacités qui ciblent ouvertement les musiciens électroniques et qui laisseront peut-être les autres indifférents. Mais reconnaissons-le tout de même : Apple a plus que rempli son contrat…
Conclusion
Avec cette version 10.5, Apple fait très très fort. Le fait d’intégrer avec une telle évidence une matrice à la Ableton Live dans un logiciel par ailleurs extrêmement complet, le désigne sans conteste comme le séquenceur le plus polyvalent du marché, alors qu’il est aussi avec Reaper celui qui offre le rapport qualité/prix le plus agressif. Et si ce n’était que cela : qu’on se tourne vers le RemixFX, les samplers, le Drum Machine Designer ou le nouveau séquenceur à pas, tout ici a de quoi donner le sourire, à plus forte raison quand on est déjà utilisateur de Logic et qu’on dispose de cette mise à jour gratuitement. Certes, on comprends bien qu’il s’agit d’un produit d’appel au prix sacrifié pour faire vendre des Macs et des iPads aux tarifs élevés, mais ça marche ! Et bien sûr, ceux qui ne sont pas spécialement fans de musique électronique n’auront pas le même enthousiasme face à cette mise à jour, d’autant que nombre de défauts relevés dans notre test de la 10.4 sont toujours de mise, mais force est de constater qu’Apple surprend une nouvelle fois son monde avec une mise à jour aussi généreuse que maîtrisée. Bravo !