La course à l’émulation la plus crédible d’un synthé analogique, capable de contenter les tenants du tout discret (ou presque) et ceux du binaire est toujours d’actualité. Voici un nouveau participant à ce marathon, Diva, signé par l’éditeur u-he.
S’il est une chose que l’informatique, entre autres joyeusetés, a apporté au monde de la musique, c’est bien l’adaptation d’un comportement typique des forums généralistes : celui de la flame war. Dites que le PC est largement supérieur aux configurations Apple, ou inversement, et c’est parti pour des discussions interminables sur les mérites et défauts supposés des deux camps, de manière la plus malhonnête possible intellectuellement parlant (le principe même de la flame war). Ou parlez des mérites comparés des versions logicielles de machines mythiques ou dont les mérites sont essentiellement d’être construites « en dur », en niant la réalité des unes et les possibilités offertes par les autres, et vous pouvez tabler sur des pages et des pages de forum, faisant parfois s’affronter des gens n’ayant jamais mis la main sur un vrai Minimoog ou un Pultec et d’autres pour qui les notions d’informatique se résument à 3615 Kinenveut.
Depuis quelques années et la vogue des versions virtuelles de synthés mythiques, souvent parées d’interfaces graphiques de toute beauté qui ne sont pas sans effet (parfois de façon inconsciente) sur l’appréciation globale, sans compter les nombreux ajouts de fonctions, la bataille fait rage avec, d’un côté les tenants du son analogique pur (« avec deux oscillos et un filtre, je t’explose ton polyphonique numérique »), de l’autre les aficionados du numérique (« regarde, j’ai 2500 voix de polyphonie, chacune avec son filtre multimode résonant et son enveloppe 2500 points »), quand on n’arrive pas à des extrêmes du type « J’entends de l’aliasing à 35 kHz » ou « Il n’y a rien en dessous de 15 Hz dans ton monophonique » en oubliant tout simplement la question principale : « Mais quelle musique créez-vous donc avec tout ça ? ».
Certes, tout ce qui précède fait appel à la caricature, mais la caricature part toujours d’un fait, d’une situation vraie. D’autre part, plus les bécanes sont devenues performantes, plus les émulations en ont profité, plus les émulations sont devenues performantes, plus les bécanes se sont développées afin de répondre aux avancées et attentes de la recherche et des consommateurs. Que l’on songe à ce que Steinberg proposait comme une reproduction fidèle du Minimoog avec le Model-E, il y a douze ans comparé au Minimonsta de G-Force par exemple…
L’éditeur u-he, dont les excellents plugs Uhbik ont été testés ici, est bien connu des amateurs de synthés virtuels, notamment grâce à Zebra et Ace, deux très bons instruments même si d’approche différente, et son intriguant work-in-progress Berlin Modular System, un projet modulaire d’environnement de synthés plus ou moins modulaires, qui devrait réunir Bazille (toujours en version alpha), Ace XT (une version survitaminée de l’existant) et un énigmatique L.u.s.h. Non content de travailler sur tous ces produits simultanément, l’éditeur nous présente Diva, un synthé (lui aussi modulaire) aux spécifications alléchantes. Revue de détail.
Introducing u-he Diva
On trouvera le synthé sur le site de l’éditeur pour la somme de 165 euros, ainsi qu’une version démo. Compatible Mac (AudioUnit 32 et 64 bits, et VST) et PC (VST 32 et 64 bits), le plug est d’entrée présenté comme gourmand par son éditeur, puisqu’il est recommandé au moins un deux cœurs 2 GHz Mac Intel sous OS 10.5 et PC sous Windows XP, et qu’il semble présenter plusieurs qualités de fonctionnement, dont une Divine censée délivrer les meilleures performances. Les utilisateurs de Pro Tools devront attendre la mi-2012 pour disposer d’une version compatible (directement ou via l’adaptateur de FXPansion). Pas de version autonome, on verra si c’est un problème ou pas.
Installation sans problème, et autorisation simplifiée : pas de challenge/réponse, pas de clé intrusive, mais un simple nom d’utilisateur et un code. Ça fait du bien d’être considéré comme un client responsable, sachant de plus que l’éditeur a quelques armes secrètes dans son arsenal anti-piratages (on pense à l’interface de Zebra qui se transformait littéralement en une boue noire, ou des comportements plus que bizarres se déclenchant une fois une certaine quantité de travail effectuée). Merci u-he.
Un Roloog, un Morg ou un Kand ?
L’interface très large affiche un nombre respectable de commandes et sections. Heureusement, l’éditeur a implémenté son principe de fenêtres redimensionnables, ce qui permet d’afficher le plug selon sept tailles, du tout piti 600 × 335 (bon courage pour lire la sérigraphie…) jusqu’à un énorme 3000 × 1675 !
Le principe retenu par l’éditeur est celui de la modélisation la plus fidèle possible non pas d’un synthétiseur en particulier, mais d’éléments de diverses machines mono et polyphoniques. On reconnaîtra, au gré des éléments, des implémentations et caractéristiques en provenance directe de Moog (Mini), Roland (Juno et Jupiter) et Korg (MS20), plus quelques autres qui m’auront peut-être échappées. Mais n’allons pas trop vite.
On l’a compris, une des obsessions de l’éditeur est la modularité, et c’est tant mieux. Diva (pour Dinosaur Impersonating Virtual Analogue, tout un programme) n’y échappe pas. La topologie semi-modulaire de logiciel n’est pas révolutionnaire en elle-même, puisqu’on utilisera des VCO, un filtre, des enveloppes, deux LFO et deux effets, auxquels on additionne plein de petites fonctions destinées à apporter des modifications subtiles (ou à l’inverse carrément appuyées) à tout ce petit monde. Mais l’énorme intérêt de Diva, autre que ses possibles qualités sonores, est la possibilité de créer des configurations que l’on ne pourrait obtenir dans la réalité, sauf à sortir le fer à souder, sans garantie de compatibilité (au prix de désossage complet de machines onéreuses) : on peut ici utiliser la configuration typique Moog à trois VCO avec un filtre façon MS-20, une enveloppe numérique façon Jupiter-6, l’autre analogique façon Juno-60. Prometteur, non ?
D’autant que l’éditeur en profite pour intégrer une technologie innovante : celle des zero delay feedback filters (que l’on pourrait traduire par filtres à circuit de réinjection sans retard). Kesse ? Dans le manuel, l’éditeur nous explique que « La plupart des filtres dans les vieux synthés analogiques ont un ou plusieurs points de réinjection. Le signal d’entrée passe par une série de résistances et condensateurs contrôlés, puis le signal de sortie est réinjecté dans l’entrée (ou à un autre point dans le chemin du signal). […] Cette boucle de réinjection n’introduit aucun retard, la réinjection est pratiquement immédiate… ».
Dans le domaine numérique, la réalité est tout autre, et le retard s’accumule, à cause du procédé employé (on trouve plus d’informations sur le sujet dans le manuel fourni avec la démo du synthé ici, et bien sûr dans l’incontournable L’audionumérique de Curtis Roads). Pour faire court, l’éditeur utilise des technologies propres aux simulateurs de circuit industriels (PSpice notamment) et surtout un algorithme maison qui permet de « prédire » le signal en sortie d’un filtre, en l’incluant aussi comme variable d’entrée. Vite, une aspirine…
En dehors du son, sur lequel on reviendra, le premier impact est sur la consommation CPU, qui peut être très élevée. D’où un réglage particulier (et fondamental), Accuracy, qui permettra de sélectionner différents degrés de précision de traitement, Draft, Fast, Great et Divine, influant conjointement sur le son et la CPU. On verra de quelle manière.
Oscillos variables
Le synthé offre quatre zones principales, celle du haut regroupant les éléments de production du son, oscillateurs, filtres et enveloppes, celle du centre, variable et celles de côté, à gauche les LFO, à droite les effets. Cinq onglets en bas au centre permettent de basculer sur différents réglages. Une première précision : certains paramètres peuvent donner accès à plusieurs sources de modulation via un menu déroulant s’ils sont dotés d’un triangle inversé gris, à choisir entre 13 sources internes et externes, des LFO à l’Aftertouch, ou entre 10 fonctions mathématiques, de Add à Multiply, en passant par Invert, Random, etc. Dans le cas d’une modification de la source par défaut, le texte de l’interface s’affichera comme s’il avait été recouvert d’une bande adhésive Dymo, c’est pratique.
Commençons par le haut et par les oscillateurs. On reconnaîtra sans peine l’ensemble VCF/Mixer du Minimoog avec ses trois oscillos, mais qui gagne quelques fonctions inédites ; les principales étant la fonction Hard Sync pour les oscillos 2 et 3, la sélection de forme d’onde en continu et non en passage abrupt de l’une à l’autre, la possibilité de créer une PWM et celle d’avoir une FM de base, l’oscillateur 1 modulant les deux autres. Six boutons permettent d’activer pour chaque oscillo une source de modulation. Le bloc VCO est complété par le traditionnel Mixer, avec volume du générateur de bruit (blanc ou rose) et réglage Feedback, renvoyant le signal en sortie du filtre dans le Mixer.
Autre choix possible, le Dual VCO, qui nous renvoie cette fois-ci au Jupiter-6, avec quelques modifications, dont la possible sélection de toutes les formes d’ondes en même temps, sans augmentation du volume de l’oscillo (le J-6 ne permet que deux sélections à la fois) : deux oscillateurs indépendants, avec modulation croisée (cross modulation), réglages d’octave (une de plus), accord, Sync, formes d’ondes multiples (dent de scie, triangle, sinus, impulsion à largeur variable modulable, noise…), mix entre les deux oscillos. Question modulation, deux curseurs bipolaires PW (attribuables uniquement à l’oscillo 1 ou aux deux) et LFO 2, rotatifs bipolaires Env 2 et LFO 2 pouvant être dirigés vers l’un et/ou l’autre oscillo ainsi qu’en mode Split, assurant une modulation indépendante. Le dernier paramètre, Shape offre trois états, ideal, analog 1 et analog 2. Dans ses Templates, l’éditeur attribue l’analog 2 au Jupiter-6, et l’analog 1 au Jupiter-8.
Dernière modélisation de VCO analogique, le double VCO du MS-20, ici nommé Dual VCO Eco. Les réglages sont quasi identiques, formes d’onde, largeur d’impulsion, désaccord, volume respectif, avec quelques changements de noms, ajouts d’octaves aux oscillos et ajouts de rotatifs de modulation bipolaires, Env 2 et LFO 2 par défaut.
Enfin, DCO nous propose un oscillo numérique du type de celui du Juno-60, avec toujours les deux curseurs bipolaires PW et LFO 2, modulation de la hauteur via Env 2 et LFO 2, via deux rotatifs bipolaires, et sélecteurs de formes d’onde, Pulse et Sawtooth selon plusieurs variations, auxquelles on ajoutera un sub (cinq variations de l’impulsion de base) et un noise afin de créer de nombreuses formes d’onde complexes. Il utilise le principe du diviseur d’octave avec une horloge maître, ce que ne possédait pas le Juno-60.
Pas un soupçon d’aliasing, un son propre (d’autant plus en mode Divine). Pour se faire une toute petite idée, voici une descente chromatique sur toutes les notes disponibles (de G9 à C-1) en prenant l’onde dent-de-scie de tous les oscillos dans l’ordre ci-dessus, un seul oscillo à chaque fois, le même filtre (Ladder, on y reviendra) complètement ouvert, sans changer enveloppes et autres réglages. Précision : pour tout le test, les exemples sont effectués en mode Divine, le plus gourmand en CPU.
Bien sûr le filtre colore légèrement le son, mais comme tout le monde y passe de façon égale… On remarquera les particularités de la forme d’onde du MS-20. Voilà en tout cas un arsenal sonore copieux, d’autant qu’il peut être mélangé à ce qui suit.
Filtres riches
Ce qui va faire une première grosse différence, hors les possibilités de créations de formes d’ondes complexes, c’est le filtre utilisé. Et là aussi, u-he nous gâte. Juste une petite précision : là où les VCO façon Moog intègrent le mixer idoine, les autres oscillateurs adjoignent à la place un filtre HPF ou un « simple » feedback. On dispose d’un HPF Post (à trois positions plus fonction Bass Boost, réminiscence du filtre du Juno), d‘un HPF Pre, et pour finir d’un HPF Bite, filtre résonant 6dB/oct. avec réglage bipolaire de modulation par l’Env 2 (par défaut), modélisé sur celui du MS-20 (on a longtemps cru qu’il s’agissait d’un 12 dB/oct., les recherches de Doepfer sur une reproduction du filtre ayant fait le point sur cette fausse idée), et ce selon deux versions (Rev 1 et Rev 2). Ce filtre est d’ailleurs le plus gourmand de tous les modules de Diva.
Voilà un exemple de balayage de fréquence avec la résonance à fond en Rev 1, puis en Rev 2 (on entend d’abord le son avant filtrage). Attention, sur quelques exemples, on pourrait croire entendre des effets de paliers : il n’en est rien, les premiers exemples ayant été effectués avec un contrôleur rotatif cranté, les suivants avec des faders pour une meilleure linéarité. Les courses des paramètres de Diva sont parfaitement continues, sans aucun escalier, comme on pourra le vérifier dans nombre d’exemples.
Deux versions que l’on retrouve sur le filtre VCF Bite, reproduisant aussi celui du synthé de Korg. L’éditeur a-t-il donc modélisé un MS-20 doté du chip hybride Korg35 et un de la génération suivante utilisant un OTA LM13600/13700 ? Les captures d’écran des versions bêta qui furent publiées sur le net par u-he montraient au début une appellation Sallen Key qui logiquement permettent de dire qu’il s’agit d’une modélisation du Korg35. La configuration à base d’OTA reprenant deux filtres de premier ordre en cascade ne partage en effet pas du tout la même topologie.
En tous les cas, les fonctionnalités sont les mêmes, les modulations gagnant en bipolarité et l’accès à la liste déjà citée. Le filtre peut aussi être modulé en fréquence par l’Osc 1 (quel qu’il soit, voir encadré). Reprenons l’exemple suivant en bougeant tous les contrôles de deux filtres en même temps.
Autre filtre attendu, l’ex Transistor Ladder, maintenant renommé VCF Ladder, le fameux 24 dB/oct. du Minimoog. Bien évidemment, on n’en reste pas là, puisque u-he l’a aussi rendu 12 dB/oct., y rajoute la FM comme sur tous les autres. On retrouve les habituels Cutoff, Emphasis, et le filtre est modulable via l’Env 2 et le LFO 2 (bipolaires) et le suivi de clavier. Voici un premier exemple en 24 dB/oct., puis le même en 12 dB/oct.
On continue avec le VCF Cascade, hérité de celui du Juno, offrant Cut Off, Resonance, suivi de clavier, les habituels Env 2, LFO 2 et FM, ainsi que les autres plus de l’éditeur : un switch Rough/Clean changeant principalement le comportement de la résonance et un fonctionnement en mode 12 dB/oct. On entendra dans l’exemple suivant l’action en mode Clean, puis en mode Rough.
Pour terminer, le VCF Multimode (OTA State Variable Filter au stade beta) qui nous ramène à celui du Jupiter-6, reprenant (à l’écran, pas au son) les réglages du précédent, sans le mode Rough/Clean, mais avec un sélecteur LP 4 pôles, LP 2 Pôles, HP et BP. On écoute tout de suite chacun des modes, dans l’ordre.
Des sons oui, mais le son ?
Bon, certes entendre des sweep en dit déjà pas mal sur le son du synthé, mais qu’en est-il vraiment ? Rien de plus simple, pour cela, on va piocher dans la généreuse banque de présets, de plus classés par famille. Commençons par les Basses.
Définition, présence, rondeur, tenue, tout est là, on entend même la rapidité des enveloppes, bien « snappy ». Continuons par les Lead.
Là encore, les enveloppes. Ou bien le plaisir d’une sinus un tout petit peu retravaillée, façon Max Middleton par exemple, qui sonne tout de suite, comme sur le vrai. Et ces saturations obtenues, sans passer par un effet de… saturation. Un vrai plaisir. Passons au Dream Synth.
Lors des premiers tests, quand j’ai découvert les sons que l’on entend sur l’exemple, j’ai dû passer une bonne heure à enchaîner des accords, juste comme ça, pour le plaisir. L’impression de me retrouver derrière les Roland de mes premiers concerts, un coup de vieux, mais un coup de vieux agréable… Continuons avec quelques Polys typiques, qui prolongent cette sensation.
Pour finir, quelques effets et rythmiques, montrant qu’avec une utilisation judicieuse des formes d’ondes des LFO et du Delay, on peut créer quelques séquences animées plutôt réussies.
Téléchargez les fichiers de sons ici : flac.zip
Bilan
Depuis quelques années, et en mettant de côté tout ce qui est échantillonneur, ROMpler, synthé à modélisation physique & co., j’ai vu défiler pas mal de synthés analogiques virtuels. Si certains logiciels sortent du lot sans revendiquer cette approche pure (le VA), comme Synplant ou Twin 2, par exemple, d’autres recherchent absolument la qualification d’analogique virtuel ultime. Les émulations de toutes sortes, parfois très réussies (Imposcar, Minimonsta, Jupiter-8V), ont toutes cherché à revendiquer le titre.
Mais là, je dois avouer que je suis absolument séduit par le son et le principe de Diva. Certes, la bécane hôte en prend un coup, et il ne restera pas beaucoup de place pour le reste si l’on met trop de notes, à moins de coucher en audio le résultat. Mais cette consommation est payante. Rarement les sensations ressenties sur les synthés émulés il y a plusieurs années m’ont paru si fidèles sur cette Diva, à la fois proches et en même temps allant autre part.
Le gros regret, c’est le manque de version autonome. Car on pourrait très bien envisager de prendre un portable puissant (il y en a à des prix très accessibles) et le consacrer uniquement à Diva pour faire de la scène ou même une machine dédiée en studio, comme d’autres se font des fermes VSL ou East West. Un bon analo polyphonique actuellement, c’est combien ?
Dans son domaine, l’analogique virtuel, c’est un vrai coup de cœur. Téléchargez la démo, jouez, écoutez, triturez dans tous les sens, ça ne vous engage à rien. Sauf à craquer.