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Roland Jupiter-8
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Roland Jupiter-8

Clavier synthétiseur analogique de la marque Roland appartenant à la série Jupiter

9/10
Lleomax Lleomax

« Un instrument profondément efficace, cohérent et attachant : ensorcelant ! »

Publié le 03/11/19 à 18:51
Rapport qualité/prix : Excellent
Cible : Tout public
Pourquoi écrire un avis de plus sur le Roland Jupiter 8, une des machines mythiques parmi les plus commentées au monde certainement et sur laquelle tout fan de synthétiseurs analogiques sait déjà tout, ou presque ?

Pour donner un peu de contexte, les synthés analogiques ne m’ont pas quitté depuis plus de 30 ans. Je suis tombé dans la marmite dans fin des années 70 et jamais vraiment ressorti depuis ! Du coup, j’ai eu la chance de faire le voyage complet avec ces machines depuis les émotions incroyables de leur première apparition, leur apogée au début 80, leur relégation durant 25 ans derrière les machines à jouer des échantillons, puis maintenant le revival et l’envolée des prix. J’ai donc un peu de recul, et ai également, à mon corps défendant, participé à ces vagues successives d’amour et de désamour.

Le Jupiter 8 est dans mon panthéon depuis très longtemps. Mais je ne vais certainement pas refaire un énième avis technique sur son architecture ou certaines limitations bien réelles mais pas si graves dans mon contexte d'usage. Sur tous ces aspects détaillés, je vous invite, si ce n’est déjà fait, à voir les excellents avis sur AF de Coyote14 par exemple, ou le superbe test de Synthwalker.

En fait, j’ai réalisé que si j’avais cette envie d’écrire un avis depuis longtemps sur le Jupiter 8, c’est parce que je n’arrive pas à me résoudre à le vendre. “Ce serait pourtant un grand nombre de k€ faciles”, me dis-je à peu près tous les 12 mois depuis 7 ou 8 ans quand je bave devant Dieu sait quelle autre rareté vintage croisée sur AF ou ailleurs. Et puis finalement, non, je n'arrive pas à m’y résoudre alors que tant d’autres synthés célèbres sont passés - et repartis - au fil des ans dans mon studio. Cet avis, ce sera donc un peu ma psychothérapie personnelle avec ce synthé merveilleux car si je n’arrive pas à tuer le Père (façon de parler ;=) ), c’est donc qu’il y a bien des raisons profondes de le garder, alors autant les comprendre et les partager avec ceux que cela intéressera, soit qu’ils hésitent à investir, soit qu’ils se reconnaîtront peut-être ici ou là travers un vécu partiellement identique.

La première de mes raisons, que je trouve rarement développée dans les autres avis par rapport à mon vécu avec le JP-8, c’est évidemment le plaisir de son esthétique. Avec les pléthores de VST, on a tendance à l’oublier parfois, mais un synthé, c’est comme une guitare : le look et le feeling font beaucoup dans le plaisir pris avec et devant un instrument. Et avec le JP8, on est vraiment bien servi !

C'est déjà du plaisir quand on le regarde : son design n’a pas pris une ride et c’est incroyable comme il est resté séduisant et beau malgré ses 40 ans ; c’est un peu comme la Porsche 911 dans les sportives, un coup de crayon de génie et un design sur qui le temps n’a quasiment pas de prise. Même ces contacteurs multicolores, qui auraient pu choquer, mais sont finalement devenus une signature visuelle attachante, rappelant également quelques autres productions de l’époque, comme la TR-808. Assis devant le Jupiter 8 ou le contemplant dans son rack, croyez-moi, l’œil se réjouit autant que les oreilles ou les doigts.

C'est du plaisir quand on le manipule aussi : son châssis est lourd, en métal, sentant l’objet pro, rassurant, fait pour durer. Idem pour la sensation fraiche et robuste des flancs chromés en métal épais, qui contrastent avec le noir du dissipateur, ou encore la sensation de solidité de cette face avant, bien rigide, dont la sérigraphie a encaissé quarante années sans broncher. Idem avec les nombreux potards à course plutôt assez courte, mais suffisante, qui s’avèrent efficaces, solides, sans jeu et qui ne bougent pas d’une décennie sur l’autre. Même sensation avec les switches en métal chromé qui basculent d’une manière bien franche, cet écran à segments bien lisible, lui-même couvert de ce sur-écran génial en plexiglas, épais vissé par quatre petits contre-écrous chromés.

C’est du plaisir enfin de jouer sur ce clavier franc, agréable sous les doigts, pas dynamique pour un sou bien sûr, mais qui du coup pousse à redécouvrir les nombreux autres dispositifs pour moduler les sons, comme le bonheur de jouer avec plusieurs pédales d’expression par exemple !

La deuxième des raisons qui expliquent sans doute mon addiction, c’est la lumineuse efficacité de la création sonore. Sur le Jupiter 8, tout est simple, direct, limpide, logique … et sans doute de manière encore plus importante, prévisible. Une des merveilles de cette machine, c’est que l’on sait intuitivement comment obtenir le son que l’on veut, et cela littéralement en 30 secondes au grand maximum. A la base, il faut dire qu’un Jupiter 8, ce n’est pas très compliqué : 2 oscillos, 2 filtres, 2 enveloppes ADSR, un LFO … presque rien de plus simple, (encore que, en mode dual on peut commencer à faire dans le sophistiqué avec 2 patchs superposés et 4 oscillateurs par note ;=) ).

Mais c’est surtout un de ces synthétiseurs qui fait exactement ce qu’on attend de lui quand on manipule l’une des commandes. Impossible d’être surpris tant le Jupiter est franc. Du coup, le geste est sûr, les doigts savent d’instinct quoi faire, le trio ouïe-vue-mains fonctionne de manière fluide, le processus d’élaboration du son n’est jamais arrêté par le comportement inattendu d’une commande … Cela tient évidemment à l’incroyable efficacité et qualité des composants et des commandes : chaque mouvement, même infime d’un quelconque potard à un effet immédiat cohérent sur la texture et la dynamique du son en cours de création. Il y a bien sûr aussi les différents modes de jeu simples et efficaces qui permettent d’empiler, de splitter, de jouer à l’unison, d'activer le portamento, d’arpéggier, … tout est direct et sous la main, et comme tout le reste, c’est simple, ça marche et c’est pour cela que l’on s’en sert !

La troisième raison est évidemment la signature sonore elle-même, indépendamment de la facilité de création. Elle est somptueuse et incarne une forme de quintessence de l’analogique pour l’orchestration et la composition rock, EDM, electro, ambient même … : des basses parfaites, des leads clairs et vibrants, des strings et des pads envoutants et dont la richesse harmonique est parfaitement équilibrée sans effort. Les oscillos ont une présence réelle et chaque forme d’onde a une signature bien à elle, et le PWM est juste une tuerie ; les filtres HPF, LP 12 ou 24 db font leur job à la perfection avec une progressivité idéale tout en ayant une coloration sublime, les enveloppes sculptent la texture avec une gamme énorme entre des attaques ou des decays qui peuvent être hyper-courts, nerveux et claquants jusqu’à des amplitudes de 15 secondes pour un decay-release au maximum … de quoi faire !

Certes, le JP8 n’est pas une machine qui se suffit à elle-même pour aller explorer des textures planantes, multi-séquencées ou hyper-évolutives. Ses capacités de modulation ne lui permettent absolument pas d’aller sur ces terrains-là. Mais sa place est partout ailleurs: il excelle à apporter, sans l’imposer, sa formidable signature analogique en solo et au sein de n'importe quel mix. L’immédiateté avec laquelle il rentre au milieu d’une orchestration est difficile à décrire tant il faut avoir comparé des machines variées pour ressentir ce sentiment de facilité avec le Jupiter 8.
De ce point de vue, c’est le contraire d’un Memory Moog ou d’un OBX, par exemple, qui ne savent pas vraiment se faire oublier et qui hurlent “vous avez bien noté que je suis un Moog ou un Oberheim ” au milieu de tout le reste. C’est sans doute pourquoi certains, semble-t-il, trouvent que le Jupiter 8 manquerait un peu de personnalité. On lui reprocherait presque d’être trop “japonais” (au sens d’une mécanique ultra-précise, hyper-fiable, qui ne surprend jamais) par rapport aux grands monstres américains de la même époque (Prophet, OB, …), beaucoup plus instables et artisanaux.


Mais finalement, au moment de conclure cet avis, je dois dire que je sais désormais pourquoi je ne le vendrai sans doute jamais, quel que soit l’avenir de sa côte. C’est parce que c’est une machine fondamentalement cohérente, attachante et musicale. Pour un vieil analo de 1980, ce que fait le Jupiter 8, il le fait avec une perfection difficilement égalée encore aujourd'hui. Cela en fait un instrument de musique prodigieusement efficace, fiable, qui n’a pas besoin de chauffer pendant 30 minutes pour être accordé avec le reste du set, et qui vous rend au décuple le temps que vous lui donnez par une simplicité confondante dans la création d’un son authentiquement analogique dans la moindre de ses fréquences et qui, en même temps, n’a plus à démontrer l'aisance de son positionnement au sein d’une composition. Du coup, c’est la machine devant laquelle je souhaite m’asseoir le plus souvent, celle qui m’ensorcelle le plus avec son dépouillement apparent très ‘low-tech’, mais finalement, celle devant laquelle j’ai passé mes meilleurs moments de musicien et de fan de synthèse sonore et dont je ne me lasse finalement pas. Ce n’est donc pas encore demain que je libèrerai donc sa place dans mon stand … et c’est tant mieux.