Editorial du 28 juillet 2012 : commentaires
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Los Teignos
Comme on rend les armes, le soleil rendait sa dernière lumière à l'horizon, éclaboussant ciel et mer de panaches orangers, de coulées brunes et de halos pourpres (1). La Riviera crépusculaire se mirait dans les yeux clairs de Lucinda qui attendait le retour de Steven, anxieuse dans sa petite robe blanche en jersey de soie, sur la grande terrasse de leur villa niçoise. "Il faut qu'on parle", avait-il dit au téléphone d'un ton grave, ce genre de phrase qui précède une rupture à laquelle Lucinda ne pouvait se résoudre. Rien toutefois ne laissait supposer une telle catastrophe.
Depuis ce fameux soir où il l'avait prise en auto-stop sur la route de Santa Barbara, leur vie n'était qu'amour et bonheur parfait, et après que Steven eut réglé ses affaires en Californie, ils avaient entrepris de voir le monde qui s'offrait à eux comme un jardin : de Milan à Caracas, de Borneo à Barcelone, ils avaient arpenté leur Eden plus d'une année avant de s'établir dans le sud de la France, d'où était natif Steven (de son vrai nom Stéphane). Là, il avait monté en six mois ce que d'aucuns considéraient comme la meilleure clinique de chirurgie esthétique de toute l'Europe. Il travaillait sans relâche, toujours au chevet de ses pauvres patients et bien que Lucinda trouvât parfois le temps long, elle admirait cette abnégation chez lui. C'est entre autres pour cette raison que, le jour où Versace ferait des robes de grossesse, elle lui donnerait un enfant qui aurait ses yeux, et qu'ils l'emmèneraient faire du cerf-volant sur la plage...
L'attente était insupportable, et les minutes pas loin de se changer en heures lorsqu'elle reconnut le feulement de la Jaguar écrasant avec souplesse le gravier à l'avant de la maison. Steven arriva enfin , traits tirés et visage fermé, mais la prit tout de même dans ses bras et lui donna un baiser qui écartait à lui seul toute idée de rupture.
- Lucinda !
- Steven !
Il gardèrent un instant le silence, dans les bras l'un de l'autre, tandis que le jour achevait de se consumer. Il se dégagea alors de son étreinte et, dos à elle, appuya ses bras sur la rambarde pour lâcher d'une voix rauque :
- Nous devons fuir, Lucinda. Les bolcheviks ont pris la France et nous ne tiendrons pas longtemps si nous ne réagissons pas.
- Mais Steven, je ne comprends pas.
- Il n'y a rien à comprendre. Nous ne roulons pas sur l'or, tu le sais, et le gouvernement vient de décider d'imposer nos revenus à 75 %.
Comme Lucinda le fixait sans ciller, il crut bon d'ajouter :
- Sur le pauvre million que j'ai gagné cette année, il ne nous restera que 250 000 euros, à peine plus de 20 000 euros par mois.
Elle continuait de le fixer, sans réagir.
- 250 000 euros, Lucinda, c'est à peine le prix d'une robe de la dernière collection Dior...
Un masque de terreur se peint immédiatement sur le visage de la jeune femme. Elle qui n'avait déjà rien à se mettre comprenait d'un coup d'un seul l'urgence dans laquelle ils se trouvaient. Elle s'imaginait déjà dans un de ces camps improvisés où les réfugiés crasseux se serrent sous des tentes, attendant un bol de mauvaise soupe ou le luxe inespéré d'une couverture sèche. Comment pouvait-on condamner des gens à ça? C'était trot injuste (2).
- Mais c'est horrible, Steven. Pourquoi font-ils ça ?
- Je ne sais pas, Lucinda. Il est des régimes qui prennent les étrangers comme bouc-émissaires, et d'autres qui jettent leur dévolu sur ceux qu'ils estiment riches, selon des critères qui n'appartiennent qu'à eux. Mais la politique n'est plus notre problème : nous devons d'abord penser à nous. Fuir et sauver ce qui peut encore l'être.
- Mais fuir où, Steven ? Et la clinique ?
- Je pense qu'il me faudra repartir de zéro, peut-être à Londres, ou à Genève, plus probablement au Qatar. Au début, ce sera dur et nous vivrons chichement, sans doute même à l'hôtel, mais au moins nous pourrons envisager l'avenir sereinement, pour nous... pour nos enfants.
Les yeux de Lucinda brillèrent dans la nuit. C'était la première fois qu'il parlait de faire un enfant. Elle repensa au cerf-volant, à Versace et à Maria-Dolores qui l'aiderait dans ses devoirs de mère.
- Maria-Dolores viendra avec nous, Steven, n'est-ce pas ?
- Je l'espère, Lucinda, je l'espère. Mais tu sais, dans ce genre de situation, les gens ont parfois des réactions inattendues. Ne compte pas trop sur elle. Après tout, de ce que j'en sais, c'est aussi grâce à son vote que nous sommes dans une telle situation.
Lucinda se mordit la lèvre : la fidèle femme de chambre ne lui semblait plus aussi dévouée, soudainement. Tant pis, ils feraient sans elle. Elle s'approcha de Steven qui demeurait crispé sur la rambarde, cherchant dans la nuit, tel Job, un sens à tout cela. Elle passa les mains autour de sa taille et lui souffla un je t'aime qui le fit tressaillir. L'air fraîchissait lorsque le 'ding' de son téléphone portable retentit. Il le sortit de sa poche pour consulter l'e-mail qu'il venait de recevoir : c'était la newsletter d'AudioFanzine, lui annonçant le test de la banque orchestrale Albion de Spitfire Audio, celui de la pédale Paisley Drive de Wampler et celui de la boîte à rythmes Tempest de Dave Smith. Dans ce chaos, il y avait donc encore des gens pour penser à faire de la musique. C'était invraisemblable, mais ça n'empêchait pas cet imbécile de Los Teignos from Ze AudioTeam, d'asséner, comme si rien ne s'était passé, son traditionnel 'Sur ce, bon week et à la semaine prochaine.', niant le gouffre au bord duquel la France se trouvait, une fois que tous ceux qui font sa richesse en versant des salaires, en investissant ou en consommant, l'auraient quittée parce qu'au lieu de leur rendre hommage, on les montrait du doigt. "La France, on la paye ou on la quitte", avait-il entendu dans la bouche d'un homme politique. Ce pays, décidément, devenait fou au point de ne plus respecter aucune valeur, aucun idéal. Il avait bien tenté de lui donner sa chance, mais on ne l'y reprendrait pas de sitôt, aussi vrai qu'il s'appelait Steven...
(1) En bande son de votre lecture, la playlist de l'été : 4. Don't Dream it's over (Crowded House)
(2) Liaison vachement dangereuse, je sais...
PS : Il n'y aura pas d'édito la semaine prochaine, même si le reste de la newsletter sera au rendez-vous. Et ce n'est pas négociable... ;-)
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Le GIEC chiffre à 3,3 milliards le nombre de victimes du réchauffement climatique. On en parle ?
Myckaël Marcovic
On aurait plus besoin "d'être fier de pouvoir mesurer directement la valeur de ce qu'on fait" à l'aune de son portefeuille.
On n'aurait plus besoin. Pardon pour la faute qui fait penser le contraire !
Myckaël Marcovic
Il a bon goût cet homme
de qui qu'c'est-y qu'tu parles ?
Will Zégal
si ce type d'allocations n'existaient pas, que feraient ces gens ?
Certains crèveraient de faim. D'autres viendraient te piquer ta bouffe ou se livreraient à des trafics en tous genre pour nourrir leurs petits. Nécessité fait loi.
Sinon, je ne suis pas un spécialiste de la Roumanie. J'ai quand même deux bon potes qui y ont vécu quelques années. L'un pour le boulot, l'autre parce que marié à une roumaine. Enfin, une proche de la famille y a passé presque un an en Erasmus à bosser pour une ONG roumaine.
J'ai eu aussi l'occasion d'aller y passer des vacances en côtoyant surtout des roumains grâce à tous ces contacts. Et aussi d'accueillir pas mal à la maison des musiciens roumains en tournée.
Ben il ne me viendrait vraiment pas à l'esprit de prendre la Roumanie (qui est un pays plein de qualité) comme exemple ni de modèle économique, ni de mentalité, ni de société harmonieuse et soudée.
[ Dernière édition du message le 02/08/2012 à 14:33:13 ]
Erodium glanduleux
En Roumanie, bien que ce type d'aides existent (pas de quoi vivre avec quand même), il existe un dicton bien connu : "nu muncat, nu mancat", ce qui signifie : pas travaillé, pas mangé. Sans commentaires (du moins de ma part).
Mais encore une fois qu'est-ce que ça a de valorisant de travailler ? Pour les gens qui ont une vie et des loisirs si peu intéressants qu'ils ont besoin de ça pour vivre, d'accord, mais pour ceux qui ont de vraies passions ? Quand je vois le temps perdu à bosser alors que je pourrais faire de la musique, lire ou apprendre des trucs, ça ne me dérangerait pas de vivre d'allocations.
Je rapelle au passage que la fraude sociale des pauvres est tout à fait insignifiante par rapport à la fraude fiscale des riches, d'autant plus que l'essentiel de celle-ci part dans la consommation et finit donc par retourner à l'état.
[ Dernière édition du message le 02/08/2012 à 19:28:33 ]
Foxyflying
Qui est déjà entré dans un centre de la CAF ? On y trouve en grande majorité ceux pour qui vivre d'allocations n'est pas une réduction, mais un moyen comme un autre de vivre sur le dos des autres.
Et ce sont les mêmes parents que je retrouve dans mon école de ZEP, avec cantine, étude, centre de loisir gratuits, et qui habillent leurs enfants avec des marques, ont des jeux vidéos et d'autres joyeusetés de ce genre dans la cour de récréation. Y aurait pas comme un hiatus ?
fairway.fr, le site de mon groupe !
Anonyme
dis très simplement
ou
autrement
ou bien
zalors
désolée pour cette incrust, c'tait juste pour dire qu'il y a des mots dans la musique, même s'ils sont très sommaires
Myckaël Marcovic
Mais encore une fois qu'est-ce que ça a de valorisant de travailler ? Pour les gens qui ont une vie et des loisirs si peu intéressants qu'ils ont besoin de ça pour vivre, d'accord, mais pour ceux qui ont de vraies passions ? Quand je vois le temps perdu à bosser alors que je pourrais faire de la musique, lire ou apprendre des trucs, ça ne me dérangerait pas de vivre d'allocations.
Moi qui suis un professionnel de la musique (enseignant, auteur, compositeur, arrangeur, mixeur (ou blendeur comme on veut) je peux t'assurer que faire ou jouer de la musique, c'est un travail à plein temps et même plus qu'à plein temps, c'est du non-stop. La nuit, alors que je voudrais dormir, les idées littéraires ou musicales me "travaillent". J'y laisse bien plus de plumes que si c'était un hobby où rien ne presse, où on peut finir un morceau quand on veut. Le plaisir que j'y prends est aussi à la hauteur des plumes que j'y laisse.
Oui, c'est une passion que je n'ai pas choisie, elle m'est tombée dessus quand j'étais petit, et c'est aussi mon métier que j'ai choisi. Donc mon métier étant de la création, il ne peut être que valorisant. Et je suppose qu'il en est de même de tous les métiers directement ou indirectement artistiques. Et je dirais même plus, mon cher Dupont (oui, je sais, je n'ai pas de culture) même si certains métiers ne nous paraissent pas valorisant, et même si ce n'est pas non plus valable pour la majorité des gens, certaines personnes éprouvent de la passion pour leur boulot, tout simplement parce qu'ils s'y sentent bien et qu'ils s'y épanouissent : certains enseignants (non musicaux) que je connais, par exemple.
Maintenant sur la fraude fiscale, cite tes sources, sinon, comme dit l'autre, ça relève des brèves de comptoir, ce qui risque de l'être. Le problème en ce qui concerne les chiffres aux économistes non émérites que nous sommes sur ce site, est que nous les prenons là où nous les entendons (télé, radio, journaux - le vu à la télé ou entendu à la radio ne peut en aucun cas servir de référence absolue, loin s'en faut !) et qu'ils peuvent être très variables selon les experts engagés et ce que l'on veut démontrer. La dernière campagne présidentielle où chaque candidat avait ses propres économistes, tous experts, avec des chiffres tous différents chacun avec ses sources absolument sûres, mais ne comptant pas les mêmes choses en a encore donné la preuve. Pour ex. : Will Zégal parle de 5 à 6 M de chômeurs. Cette approximation prouve bien non seulement qu'il ne les a pas comptés lui-même pour en être sûr, mais qu'il doit s'en référer à un chiffre fantaisiste puisque approximatif. Pourquoi pas 4 à 5, ou 7 à 8 ? Moi, je suis apparemment en vacances. Eh bien non ! Ce sont les élèves qui sont en vacances. Mais, comme tous salariés assujetti aux 35 h/semaine, je n'ai droit qu'à 5 semaines de vacances/an. Je suis donc en chômage technique car n'ayant plus de clients (élèves) sous la main. Je ne plaisante pas. Est-ce que tous les enseignants sont comptabilisés comme chômeurs pendant leurs vacances ? Et pour ne pas faire brève de comptoir, je préfère m'en tenir qu'à ce que je connais.
Allez, tiens, une brève de comptoir quand même pour détendre l'atmosphère : j'ai entendu aujourd'hui à la radio (donc c'est sûr) qu'"on" était arrivé à évaluer (ce qui n'est pas comptabiliser) le montant du travail au noir (à moins que ce soit "aux noirs", comme c'est de la radio, il n'y a pas de sous-titrages). Quoi ! Ça veut dire que le gouvernement a laissé faire cette mafia suffisamment de temps pour la répertorier sans y toucher ! Qu'est-ce que c'est que ce gouvernement ! C'est un sketch que je vais écrire pour Coluche. Quoi ? Il s'est évadé, lui aussi ? Ah ! mais on ne me dit rien à moi !
De Will Zégal
Citation de Mymyck :
si ce type d'allocations n'existaient pas, que feraient ces gens ?
Réponse de Zégal :
Certains crèveraient de faim. D'autres viendraient te piquer ta bouffe ou se livreraient à des trafics en tous genre pour nourrir leurs petits. Nécessité fait loi.
La nécessité ne plonge pas forcément les nécessiteux dans le vice. Ce serait tristement ne voir la race humaine que comme des sauvages n'ayant aucune morale. Heureusement, pas forcément en France, certains retroussent leurs manches et prennent le premier boulot qui leur tombe sous la main.
il ne me viendrait vraiment pas à l'esprit de prendre la Roumanie (qui est un pays plein de qualité) comme exemple ni de modèle économique, ni de mentalité, ni de société harmonieuse et soudée.
Tout à fait d'accord ! D'ailleurs, il est tellement plein de qualités que tu en as oublié l's...
J'adore la dernière prose en smileys de Foxyflying. Elle me rappelle, dans la belle littérature de Pif gadget, Pifou et ses "glop glop", ou "pas glop, pas glop". C'est profond et permet de ne manger ni trop gras, ni trop salé, ni trop sucré car c'est pas bon pour la santé.
Tiré de la charte du forum : "Tu tâcheras d'écrire quelque chose d'explicite, avec le maximum de détails afin que l'on puisse te répondre précisément ". Ah, bah alors, si c'est écrit dans les tables de la loi...
[ Dernière édition du message le 02/08/2012 à 22:58:15 ]
Will Zégal
Pour l'évasion fiscale et les réalités de la fiscalité selon les niveaux de revenus, je t'envoie notamment vers les études de l'Oxfam. Désolé, pas le temps de chercher les liens.
PieR.F
[bien que ceci ne soit pas explicite,je ne dirai rien de plus]
[ Dernière édition du message le 03/08/2012 à 04:57:57 ]
Erodium glanduleux
Moi qui suis un professionnel de la musique (enseignant, auteur, compositeur, arrangeur, mixeur (ou blendeur comme on veut) je peux t'assurer que faire ou jouer de la musique, c'est un travail à plein temps et même plus qu'à plein temps, c'est du non-stop.
Ah, mais là c'est différent, il s'agit d'un travail utile et même indispenable qui ne peut pour le moment pas être remplacé par une machine.
Maintenant sur la fraude fiscale, cite tes sources, sinon, comme dit l'autre, ça relève des brèves de comptoir, ce qui risque de l'être.
Plus ou moins la moitié des articles de Marianne, l'actualité (elle paye combien d'impôts encore Bettencourt ?) ...
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