réactions à la news Les compos inspirées, première saison

Citation :

Si l’œuvre (la forme réalisée) correspond exactement à la forme rêvée, à l’inspiration enthousiasmante… et bien, il y a de fortes chances (ou malchances) que ce soit seulement parce qu’il a, l’artiste, surtout reproduit des formes existantes.
Ou alors c’est un génie.

Complètement d'accord avec ton point de vue mais je ne pense pas au contraire que quelqu'un qui soit parfaitement satisfait de ce qu'il a réalisé soit un génie. Je pencherai plutôt pour dire que c'est quelqu'un de bien peu exigeant, ce qui, à mon sens, est à l'opposé de l'idée que j'ai de l'artiste. Comme disait Mallarmé, "un grand écrivain se remarque au nombre de pages qu'il ne publie pas." La création artistique vient d'une frustration du langage : à supposer qu'un "génie" accouche d'une oeuvre parfaite, qui dit tout ce qu'il veut dire à la perfection, il n'a plus alors aucun enjeu pour recréer une autre oeuvre. Du coup, réaliser une oeuvre parfaite, c'est à l'instant même où on l'achève ne plus être un artiste. Un génie dans ce contexte, c'est donc juste quelqu'un qui a d'énormes facilités pour faire les choses, mais ça n'en fait pas un Dieu. Rimbaud était un génie, ça n'empêche pas qu'il a publié quantité de très mauvais poèmes. La seule différence, c'est que le plus mauvais des poèmes qu'il écrivait en une journée, était à la hauteur des plus beaux poèmes que Musset mettait des semaines à écrire. Enfin, de tous les génies que je connais, je ne crois pas me souvenir d'un seul qui a jamais exprimé sa totale satisfaction sur son travail, qu'il s'agisse d'Einstein ou de Baudelaire, de Picasso ou de Jimi Hendrix.

C'est en tout cas le bénéfice de ce genre de concours, être obligé de produire quelque chose, si mauvais et perfectible puisse-t-on le trouver, dans un temps limité, histoire de se jeter à l'eau avec d'autres. Perso, j'ai présenté quelque chose que je trouve montrable pour le temps imparti. En suis-je satisfait ? Evidemment que non.

Citation :

dans le domaine de l’art, faire la critique (esthétiquement fondée) d’une œuvre que l’on n’« aime » pas, est-ce que ça a du sens ?

L'art, comme la philosophie, est une histoire de gladiateurs où le principe de tolérance, pourtant vital pour la société, a bien peu d'intérêt et se montre même contre-productif : Hugo et Musset ont écrit contre Racine et Corneille, Flaubert, Maupassant et Stendhal contre Balzac, Zola ou les romantiques, Baudelaire et Lautréamont contre les romantiques aussi, et c'est la même chose en musique : la pop anglaise est une réaction au rock'n'roll américain, le punk une réaction à la pop, etc. Toutes les écoles d'art, dans quelque domaine que ce soit, se sont toujours bâties contre ce qui était établi et je vois mal comment même on pourrait envisager de création artistique sans critiquer justement ce qu'on aime pas, autant que ce que l'on aime. Personnellement, ce n'est pas que je n'aime pas Wharol ou Gainsbourg, c'est que je suis suis contre. Contre la vision qu'ils ont de l'art, la façon qu'ils ont de le faire. Je suis contre mais ça ne m'empêche pas de reconnaître des qualités à l'un comme à l'autre (surtout à l'autre qu'à l'un d'ailleurs).

Ceci dit, nous ne sommes pas là pour envisager nos morceaux avec le regard exigeant de critiques d'art. Il est clair ici que nous cherchons tous à envisager les créations d'autrui avec plus de bienveillance que d'exigeance, parce que ça nous aide à nous remettre en question et à progresser. Parce que ça nous fait aussi découvrir des choses, et qu'on apprend à écouter, regarder, tirer quelque chose de bien même de ce qui semble le plus éloigné de nous. J'ai encore des avis à rédiger sur la moitié des compos et certains, je redoute de les écrire parce que c'est très loin de moi, mais je veux m'y forcer parce que c'est d'une part extrêmement gratifiant d'avoir un avis, quel qu'il soit, sur ce qu'on a fait, et ensuite parce que justement, il y a un enjeu pour moi à rentrer dans quelque chose qui est très loin de moi. Il ne s'agit pas de manger des épinards en disant qu'on aime pas ça, mais de comprendre pourquoi on n'aime pas ça, et pourquoi d'autres aiment ça. Et de se mettre à leur place à eux pour envisager la compo.