Nous sommes allés voir deux Les Paul exceptionnelles sorties tout droit du Murphy Lab de Gibson. Attention les yeux !
Tom Murphy travaille chez Gibson depuis plus de 25 ans. Il a été un des acteurs principaux de la création du Custom Shop de la marque et a créé le processus de vieillissement artificiel des instruments chez Gibson. Tom est un luthier passionné qui recréé avec précision et amour du travail bien fait les aspects si caractéristiques avec lesquels une Gibson se patine au fil des années. Les moyens techniques récemment mis à sa disposition (le fameux « Murphy Lab »), sa connaissance extrême des guitares vintage ainsi que sa créativité lui permettent de répliquer l’usure et le faïençage si spécifiques qu’on trouve sur les Gibson des années 50 et 60. Tom Murphy a su au fil de sa carrière recréer l’usure des guitares de Jimmy Page, Eric Clapton, Slash, Joe Walsh, Billy Gibbons, Joe Perry, Peter Frampton, et bien d’autres. Lors d’un entretien téléphonique que j’ai eu le privilège d’avoir avec James J.C Curleigh, CEO de Gibson, ce dernier m’affirmait que les guitares qui passent en ce moment entre les mains de Tom Murphy et de ses deux associés travaillant au « Lab » étaient meilleures que jamais. Ayant déjà joué quelques Les Paul Murphy des années 90 et 2000 en plus de quelques « Burst » originales, j’ai tenu à vérifier cela par moi-même.
Les reliques de Gibson
J’arrive au showroom parisien de la marque et les deux Murphy Lab m’attendent. J’aperçois d’abord deux étuis qui semblent sortir tout droit de la fin des années 50. Je les inspecte sous toutes les coutures et constate avec émerveillement que Tom Murphy est allé jusqu’à vieillir les étuis de ces guitares d’exception, ce qui ajoute un charme à l’ensemble, une sorte de Mojo indescriptible qui touche le passionné que je suis en plein cœur. Seul l’extérieur de ces étuis « Lifton » est vieilli, ne perdons pas de vue qu’il s’agit de protéger l’instrument pendant son transport… Je procède à l’ouverture du premier, de manière quasi religieuse, en ouvrant un à un les petits loquets métalliques. J’aperçois alors une Les Paul ’59 Light Aged Cherry Tea Burst. Sans même sortir la guitare de son écrin garni de moumoute rose, je suis impressionné par le niveau de détails et le soin apporté à cette finition. Le faïençage est léger, mais extrêmement réaliste, on a véritablement le sentiment que la guitare a passé 50 ans à être jouée de manière régulière, mais pas excessive. Quelques « dings » et « pocs » et autres légères traces de médiators viennent rythmer le motif sublime de la table. L’accastillage bénéficie d’un traitement VOS qui confère à la guitare un aspect réellement patiné. Avec l’aide de Tom Murphy, Gibson a recréé la formule chimique du vernis utilisé dans les années 50 et 60 qui vieillissait d’une façon très particulière. C’est ce vernis très fin qu’on retrouve sur ces guitares et qui contribue à leur donner ce côté authentique. En combinant ce nouveau vernis et ses techniques personnelles de patine des instruments, Tom peut alors créer des motifs de faïençage et de vieillissement ultra-réalistes. Chaque guitare qui passe au Murphy Lab reçoit ce « nouveau » vernis et les techniques de patine artificielle de Tom Murphy, appliquée à la main par Tom ou les membres de son équipe qu’il a lui-même formés.
Je sors la guitare de son étui et commence à la jouer, à vide dans un premier temps. Le confort de jeu est simplement énorme, le filet « extra-rolled » encadrant la touche n’y est pas étranger. Afin de simuler l’aspect « usé » d’une guitare qui a été jouée pendant de nombreuses années, Tom Murphy adoucit et arrondit encore plus le côté du manche, en intervenant directement sur son filet. Cela procure un ressenti très agréable et facilite le jeu. À vide, la guitare vibre de partout, on sent les ondes sonores se propager dans le bois du corps et du manche, on sent ce gros bloc d’acajou vibrer contre soi : un régal. Le profil du manche est remarquable et incarne ce qu’on peut attendre d’un manche idéal d’une Les Paul de 1959 : ni trop fin, ni trop épais. Son galbe trouve naturellement sa place dans la main et offre encore une fois un ressenti très proche de ce que peut offrir une « vraie Burst ». Une fois branché, ce beau modèle Light Aged ne me déçoit toujours pas, au contraire. Les micros équipés d’aimants AlNiCo 3 sonnent super bien, quel que soit le registre musical abordé, et l’électronique soignée les fait réagir au quart de tour de potard. On a franchement la sensation que l’instrument est vivant. Les (très) bonnes Les Paul, comme celles que j’ai eu le privilège d’essayer sur l’invitation de Gibson, sont des guitares très polyvalentes. Je me suis laissé porter par ce que la guitare et ses sonorités m’inspiraient et me retrouvais tantôt à jouer du blues, tantôt du funk, tantôt du gros rock… et tout sonne ! Même sur un ampli pas folichon (un petit Epiphone de 30 watts, certes poussé à fond), ces guitares ont fait des merveilles et ont délivré des sons adaptés à tous les styles sus-cités. On peut sans problème passer d’un son clair à un gros overdrive en variant simplement l’attaque.
Heavy Aged !
Le second étui me faisait de l’œil, il était donc temps de découvrir ce qui se cachait à l’intérieur. Celui-ci était un peu plus flingué que le premier, j’en ai déduit que la guitare qu’il contenait l’était également. Et je ne me suis pas trompé ! Une fois le cérémonial de déverrouillage des loquets terminé, je soulève le couvercle et découvre une superbe Les Paul ’59 Golden Poppy Burst Heavy Aged. Le travail sur la couleur du vernis est remarquable et bluffant. C’est une couleur que je n’avais vue jusqu’alors que sur des modèles originaux qui avaient réellement subi les atteintes du temps. Réussir à recréer cette teinte si particulière avec un tel niveau de détail est étonnant. Le faïençage et la patine générale simulent plus de 50 ans de tournées avec les usures qui vont avec : traces de médiators et de jeu accentuées, marques de boucle de ceinture, usure plus marquée aux points de contact du bras et de la paume de la main… L’accastillage a subi le même sort avec un nouveau traitement qui accentue encore ces détails comme on peut le voir sur les prises de vue que j’ai effectuées. Les modèles vieillis par Tom Murphy que j’ai joués il y a de nombreuses années étaient déjà des instruments fantastiques, mais jamais je n’avais constaté ce niveau de détails. Comme le modèle précédent, cette Heavy Aged affiche le poids parfait pour une Les Paul, entre 3.5 et 3,9 kg. Je commence comme à mon habitude par jouer la guitare à vide. J’ai été encore plus subjugué par la sonorité et le caractère de ce modèle. On a l’impression de ne faire qu’un avec la guitare et on sent qu’elle réagit à la moindre sollicitation, même à vide. Le sustain est incroyable et le ressenti général m’a rappelé un modèle original que j’ai eu la chance de jouer… avec le confort de jeu en plus ! Une fois branchée, à mon grand étonnement, cette belle Les Paul Golden Poppy Burst possède un caractère très différent de sa sœur, essayée quelques instants auparavant. Les micros sont les mêmes, mais ont peut-être bénéficié de quelques tours de bobines supplémentaires… L’instrument semble globalement plus mordant, on a plus envie de lui rentrer dans la tronche alors que la première était plus feutrée, plus dans la douceur et la délicatesse. Néanmoins, le constat est le même : on peut tout jouer sur une excellente Les Paul, du gros rock qui tache aux petites cocottes funky en passant par des plans blues dans l’esprit des Rolling Stones (je n’ai jamais pris autant de plaisir en jouant « Midnight Rambler » que sur cette guitare !).
Murphy Lab : « Game Changer »
Tom Murphy le dit lui-même, ces instruments changent véritablement la donne en ce qui concerne les guitares patinées, vieillies artificiellement. Il ne s’agit pas ici de relancer le débat (stérile) sur le fait de faire patiner un instrument de manière artificielle, mais plutôt de nuancer un peu mon enthousiasme. Certes, les modèles qui sortent du Murphy Lab affichent un tarif élevé qui peut parfois être à cinq chiffres, notamment si on opte pour certaines options. Cependant, au regard des prestations et du plaisir que procurent ces guitares, on est très loin du prix d’une « Burst » originale qui, en cherchant bien et en tombant sur un modèle dans la moyenne basse, se trouve autour de $300 000. Pour en avoir déjà joué, ce sont également des instruments fous, chargés d’histoire, de véritables pièces de collection qui sonnent incroyablement bien. Gardons à l’esprit que ce sont aussi des guitares fabriquées à la main avec les défauts éventuels que cela peut engendrer (profil du manche jamais identique d’un modèle à l’autre, etc.). De plus, au-delà du tarif, une guitare de 1959 n’offrira pas le même confort de jeu qu’un instrument neuf, c’est une évidence. En termes de jouabilité pure, ces Les Paul Murphy Lab sont les meilleures Les Paul que j’ai eus entre les pattes. Elles permettent de retrouver l’esprit d’une guitare originale de 1959 avec toutes ses traces d’usure et sa patine qui en constituent le charme, sans avoir à vendre sa maison et quelques organes. Le travail qu’effectue Tom Murphy ajoute un certain Mojo à ces guitares, c’est indéniable. On sent qu’il passe du temps dessus, de la sélection de la guitare à la touche finale. Si vous en avez l’occasion, jetez-vous sur ces nouveaux modèles Tom Murphy afin de vous forger votre propre opinion. De mon côté, je commence à économiser.